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09/06/2000 | SUISSE | N°1P.310/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 juin 2000, 1P.310/2000


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1P.310/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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9 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

M.________, représenté par Me Jean Lob, avocat à Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 9 mai 2000 par le Tribunal d'accusation du
Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause qui
oppose
le recourant au Jug

e d'instruction de l'arrondissement de
L a u s a n n e;

(art. 8 Cst. et 8 CEDH; droit de visite
à une personne i...

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1P.310/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

9 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Favre. Greffier: M. Parmelin.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

M.________, représenté par Me Jean Lob, avocat à Lausanne,

contre

l'arrêt rendu le 9 mai 2000 par le Tribunal d'accusation du
Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause qui
oppose
le recourant au Juge d'instruction de l'arrondissement de
L a u s a n n e;

(art. 8 Cst. et 8 CEDH; droit de visite
à une personne incarcérée)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Inculpé d'escroquerie et de faux dans les ti-
tres, M.________ se trouve en détention préventive depuis le
23 juin 1999 sous l'autorité du Juge d'instruction de l'ar-
rondissement de Lausanne.

Sa filleule, X.________, âgée de dix ans, a vaine-
ment sollicité à trois reprises, par l'intermédiaire de ses
parents, l'autorisation de lui rendre visite à la prison de
la Tuilière, à Lonay. Le 13 avril 2000, M.________ a demandé
au Juge d'instruction de reconsidérer sa décision et, à dé-
faut, de considérer sa lettre comme une réclamation et de la
transmettre à l'autorité compétente pour la traiter.

Par décision du 27 avril 2000, le Juge d'instruction
a maintenu son refus de délivrer une autorisation de visite
à
la fillette parce que le prévenu recevait régulièrement la
visite de ses amis et que le lien unissant ce dernier à sa
filleule n'était pas étroit au point d'exiger
l'établissement
d'un contact direct entre eux. Il s'est également opposé à
ce
que l'enfant téléphone à son parrain au motif qu'une telle
possibilité devait être réservée à des cas exceptionnels,
tels que la survenance d'événements familiaux graves ou
l'impossibilité matérielle de toute autre forme de contact.

Statuant par arrêt du 9 mai 2000, le Tribunal d'ac-
cusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après,
le
Tribunal d'accusation) a rejeté la réclamation formée contre
cette décision après avoir fait siens les motifs de refus in-
voqués par le Juge d'instruction; il a par ailleurs
considéré
que la présence d'une enfant de dix ans dans un
établissement
pénitentiaire devait être envisagée avec la plus grande ré-
serve, vu les effets potentiellement traumatisants d'une

telle visite et la capacité de discernement réduite d'un en-
fant de cet âge, qui l'empêche de se déterminer avec cons-
cience et volonté lorsqu'il est l'objet d'une telle sollici-
tation d'un proche.

B.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation des art. 8 Cst. et 8 CEDH, M.________ demande
au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il voit une
atteinte
à son droit élémentaire de maintenir des relations personnel-
les avec ses proches dans le refus d'octroyer à sa filleule
l'autorisation de lui rendre visite et de lui téléphoner. Il
requiert l'assistance judiciaire.

Le Juge d'instruction conclut au rejet du recours.
Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants de son
arrêt.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recourant est directement atteint dans son
droit de recevoir des visites et des téléphones pendant son
incarcération, de sorte qu'il a qualité pour recourir, selon
l'art. 88 OJ, contre le refus opposé à sa filleule d'établir
des contacts autres qu'épistolaires avec lui. Formé en temps
utile contre une décision rendue en dernière instance canto-
nale, le recours répond aux exigences des art. 86 al. 1 et
89
al. 1 OJ, de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur le
fond.

2.- Selon la jurisprudence, l'exercice des droits
constitutionnels ou conventionnels de la personne détenue ne
doit pas être restreint au-delà de ce qui est nécessaire au
but de la détention et au fonctionnement normal de l'établis-
sement (ATF 124 I 203 consid. 2b p. 204; 123 I 221 consid.

I/4c p. 228; 122 II 299 consid. 3b p. 303; 118 Ia 64 consid.
2d p. 73). Cela concerne notamment le maintien de contacts
avec les membres de la proche famille, tels le conjoint et
les enfants, protégé tant par la garantie constitutionnelle
de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) que par celle
du respect de la vie privée et familiale consacrée à l'art.
8
CEDH. Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que la personne en dé-
tention préventive doit en principe être autorisée à
recevoir
la visite de ses proches durant une heure par semaine au mi-
nimum, dès que la durée de la détention excède un mois (ATF
106 Ia 136 consid. 7a p. 140/141).

Lorsque, comme en l'espèce, les parents du détenu
sont décédés et que ce dernier n'a pas de rapports étroits
avec les autres membres de sa famille, l'autorité ne peut
lui
refuser la visite d'une personne avec laquelle il entretient
des relations s'apparentant à celles d'un proche, pour
autant
qu'elle ne soit pas incompatible avec les buts de la déten-
tion préventive (ATF 102 Ia 299 consid. 3 p. 301/302; cf.
JAAC 1993 n° 58 p. 468). Selon les dires non contestés du re-
courant, sa filleule a sollicité sans succès à trois
reprises
la possibilité de lui rendre visite; la persistance des dé-
marches entreprises par la jeune fille pour rencontrer son
parrain tend à démontrer l'existence de relations étroites
entre eux. Dans ces conditions, l'absence de lien de parenté
entre X.________ et le recourant ne suffit pas pour refuser
l'octroi de l'autorisation de visite demandée.

Le Juge d'instruction semble toutefois considérer un
contact épistolaire entre le recourant et sa filleule comme
suffisant pour maintenir le contact social minimum auquel
peut prétendre une personne placée en détention préventive.
Ce faisant, il perd de vue qu'en vertu de l'art. 301 al. 1
CC, il incombe aux parents de déterminer les soins à donner
à
l'enfant, de diriger son éducation en vue de son bien et de
prendre les décisions nécessaires, sous réserve de sa propre

capacité. Le Tribunal fédéral a déduit de cette disposition
qu'il n'appartenait pas au juge d'instruction d'interdire
toute visite des enfants à leur père détenu à titre
préventif
sous prétexte d'épargner à l'enfant des émotions préjudicia-
bles à son développement psychique, si les détenteurs de
l'autorité parentale désirent maintenir un tel contact
(arrêt
non publié du 5 octobre 1993 dans la cause A. contre Chambre
d'accusation de la Cour suprême du canton de Berne). Il doit
en aller de même s'agissant de décider si un enfant mineur
peut ou non rendre visite à une personne détenue à laquelle
il est rattaché par des liens aussi étroits que des liens de
filiation. Dès lors que les parents de la jeune fille ont
donné leur accord à ce qu'elle rencontre son parrain à la
prison en leur présence, l'autorité intimée ne pouvait refu-
ser une autorisation de visite pour des raisons liées à
l'équilibre psychique de l'enfant.

Pour le surplus, le Tribunal d'accusation ne fait
valoir aucun risque concret de collusion ni aucun problème
lié à la conduite de l'enquête ou au bon fonctionnement de
l'établissement pour s'opposer à la demande. De toute façon,
selon l'art. 64 al. 2 du Code de procédure pénale vaudois,
la
visite doit s'effectuer sous la surveillance d'un gardien ou
d'un agent de la police judiciaire, ce qui est en principe
de
nature à empêcher une collusion. L'arrêt attaqué porte ainsi
une atteinte excessive aux garanties consacrées à l'art. 8
CEDH en tant qu'il confirme l'interdiction faite à
X.________
de rendre visite à son parrain et doit être annulé sur ce
point.

Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce,
ni le droit constitutionnel, ni le droit conventionnel n'ac-
corde à une personne détenue à titre préventif un droit de
téléphoner librement aux membres de sa famille, à ses
proches
ou aux tiers qui leur sont assimilés; lorsque le détenu dis-
pose d'autres moyens de contact avec l'extérieur, l'utilisa-

tion du téléphone doit s'exercer uniquement dans le cadre du
règlement de l'établissement pénitentiaire dans lequel celui-
ci est incarcéré (cf. arrêt du 31 mars 1995 dans la cause S.
contre Conseil d'Etat du canton du Valais, in Pra 1996 n°
142
p. 474; arrêt non publié du 21 juin 1996 dans la cause H.
contre Ministère public du canton de Zurich). Or, s'agissant
des prévenus, l'art. 85 al. 1 du règlement du 12 juin 1992
sur le régime intérieur et le statut des personnes incarcé-
rées dans la prison de la Tuilière réserve l'utilisation du
téléphone dans des cas graves et urgents avec l'accord préa-
lable du magistrat. Dans la mesure où X.________ peut mainte-
nir des contacts directs avec son parrain par les visites
qu'elle est autorisée à lui faire, il n'y a en principe pas
lieu de lui accorder le droit de téléphoner librement à sa
filleule en raison des mesures de surveillance qu'il convien-
drait de prendre et de la discrimination que l'octroi d'une
telle autorisation serait susceptible de causer par rapport
aux autres détenus à titre préventif.

Sur ce point, l'arrêt attaqué ne viole pas les ga-
ranties accordées au recourant par l'art. 8 CEDH et doit
être
confirmé.

3.- Les considérants qui précèdent conduisent à
l'admission partielle du recours. Vu l'issue de ce dernier,
la demande d'assistance judiciaire, dont les conditions sont
remplies (art. 152 OJ), a partiellement perdu son objet. Il
se justifie dans ces conditions de statuer sans frais, le
canton de Vaud et la Caisse du Tribunal fédéral prenant à
leur charge, à parts égales, une indemnité de dépens en fa-
veur du recourant, qui obtient gain de cause avec l'assis-
tance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué en
tant qu'il confirme le refus d'autoriser X.________ à rendre
visite au recourant;

Rejette le recours pour le surplus.

2. Admet partiellement la demande d'assistance judi-
ciaire et désigne Me Jean Lob en qualité d'avocat d'office
du
recourant.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Alloue au recourant une indemnité de 400 francs,
à la charge du canton de Vaud, à titre de dépens.

5. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera au
mandataire du recourant une somme de 400 francs à titre d'ho-
noraires.

6. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement
de
Lausanne et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du
canton de Vaud.

Lausanne, le 9 juin 2000
PMN/col
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président, Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.310/2000
Date de la décision : 09/06/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-06-09;1p.310.2000 ?
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