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23/05/2000 | SUISSE | N°2P.316/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 mai 2000, 2P.316/1999


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2P.316/1999

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
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23 mai 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger,
président, Hartmann, Hungerbühler, Müller et Pont Veuthey,
suppléante. Greffier: M. Dayer.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________

contre

la décision prise le 31 août 1999 par la Cour plénière du
Tribunal cantonal du canton de Vaud;

(art. 2 Disp. trans. aCst.: avocat; ass

ermentation)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 31 janvier 1990, le Dépar...

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2P.316/1999

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
***********************************************

23 mai 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger,
président, Hartmann, Hungerbühler, Müller et Pont Veuthey,
suppléante. Greffier: M. Dayer.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________

contre

la décision prise le 31 août 1999 par la Cour plénière du
Tribunal cantonal du canton de Vaud;

(art. 2 Disp. trans. aCst.: avocat; assermentation)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Le 31 janvier 1990, le Département de justice du
canton de Fribourg a délivré à X.________ une patente d'avo-
cat. Il a prêté serment conformément à l'art. 17 de la loi
fribourgeoise du 10 mai 1977 sur la profession d'avocat (ci-
après: la loi fribourgeoise).

Le 21 janvier 1998, il a été autorisé à exercer la pro-
fession d'avocat dans le canton de Genève et a également été
assermenté. Il a par la suite obtenu l'autorisation de pra-
tiquer dans le demi-canton de Nidwald ainsi que dans les
cantons de Berne, Neuchâtel, St-Gall et des Grisons. Aucune
assermentation n'a été exigée pour l'obtention de ces auto-
risations.

B.- Le 10 juin 1999, X.________ a requis du Tribunal
cantonal du canton de Vaud son inscription au tableau des
avocats autorisés à exercer dans ce canton. Il a produit une
attestation du Tribunal cantonal fribourgeois certifiant son
inscription au tableau des avocats patentés et l'absence de
toute sanction disciplinaire prononcée à son encontre.

Le 15 juin 1999, le Tribunal cantonal vaudois a informé
l'intéressé qu'il statuerait sur sa demande et procéderait à
son assermentation lors de sa séance du 31 août 1999 au Pa-
lais de justice de l'Hermitage à Lausanne. X.________ a de-
mandé à être dispensé de cette assermentation.

C.- Par décision du 31 août 1999, la Cour plénière du
Tribunal cantonal vaudois (ci-après: la Cour plénière) a re-
jeté cette requête. Elle a notamment estimé que les formules
de serment prévues par les droits fribourgeois et genevois,
au contraire de celle prescrite par la législation vaudoise,

ne mentionnaient pas l'engagement de ne se faire assurer au-
cune part dans les causes défendues, de ne pas devenir ces-
sionnaire de procès, droits ou actions litigieux, et de ne
pas se charger à forfait de la direction d'un procès. Aucune
disposition de la loi vaudoise du 22 novembre 1944 sur le
Barreau (ci-après: la loi vaudoise) - mise à part son art.
16 prévoyant le texte de la promesse solennelle - n'indi-
quait de telles exigences. Dès lors, si l'intéressé ne pro-
nonçait pas ce serment, un éventuel manquement aux obliga-
tions y figurant ne pourrait être sanctionné disciplinaire-
ment. La garantie du respect par tous les avocats inscrits
dans le canton de Vaud des mêmes devoirs et obligations im-
pliquait par conséquent son assermentation qui, dans ces
conditions, était conforme au principe de la proportionnali-
té au sens de l'art. 3 al. 3 de la loi fédérale du 6 octobre
1995 sur le marché intérieur (LMI; RS 943.02).

D.- Agissant par la voie du recours de droit public,
X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cette déci-
sion. Il invoque la violation des art. 2 Disp. trans. aCst.
ainsi que 2 à 4 LMI.

La Cour plénière renonce à se déterminer et se réfère à
sa décision.

E.- Par ordonnance du 2 décembre 1999, le Président de
la IIe Cour de droit public a rejeté une demande de mesures
provisoires tendant à l'inscription de X.________ au tableau
des avocats vaudois jusqu'à droit connu sur l'issue de son
recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Le recourant soutient qu'en l'astreignant à prê-
ter serment devant elle conformément à l'art. 16 de la loi
vaudoise, l'autorité intimée a violé la loi fédérale sur le
marché intérieur et le principe de la force dérogatoire du
droit fédéral. Il soulève à juste titre ce grief dans le ca-
dre d'un recours de droit public (cf. art. 9 al. 2 LMI; ATF
123 I 313 consid. 1b p. 315-316; cf. également SJ 2000 1ère
partie p. 177 consid. 1a p. 178).

b) Déposé en temps utile contre une décision finale
prise en dernière instance cantonale et touchant l'intéressé
dans ses intérêts juridiquement protégés, le présent recours
est recevable au regard des art. 84 ss OJ.

2.- a) X.________ prétend que les obligations de ne se
faire assurer aucune part dans les causes défendues, de ne
pas devenir cessionnaire de procès, droits ou actions liti-
gieux, et de ne se charger à forfait de la direction d'aucun
procès font partie des devoirs professionnels généraux de
tout avocat. Leur violation pourrait en outre être sanction-
née en application de l'art. 42 de la loi vaudoise, même en
l'absence d'assermentation au sens de l'art. 16 de cette
même loi. L'obliger à prêter serment ne satisferait dès lors
pas au principe de la proportionnalité et serait contraire
aux art. 2 et 4 LMI ainsi qu'au principe de la force déroga-
toire du droit fédéral.

b) Le droit fédéral prime d'emblée et toujours le droit
cantonal dans les domaines que la Constitution ou un arrêté
fédéral urgent place dans la compétence de la Confédération
et que celle-ci a effectivement réglementés (cf. art. 2
Disp. trans. aCst.). Les règles cantonales qui seraient con-
traires au droit fédéral, notamment par leur but ou les

moyens qu'elles mettent en oeuvre, doivent ainsi céder le
pas devant le droit fédéral. Ce principe n'exclut cependant
toute réglementation cantonale que dans les matières que le
législateur fédéral a entendu régler de façon exhaustive,
les cantons restant au surplus compétents pour édicter,
quand tel n'est pas le cas, des dispositions de droit public
dont les buts et les moyens envisagés convergent avec ceux
prévus par le droit fédéral (ATF 125 I 474 consid. 2a p. 480
et la jurisprudence citée). Le principe de la force déroga-
toire du droit fédéral régit certes les rapports entre la
Confédération et les cantons; il a aussi un effet direct sur
la situation juridique des particuliers et, dans cette mesu-
re, est reconnu comme un droit constitutionnel individuel
(ATF 123 I 313 consid. 2b p. 316-317).

c) La loi fédérale sur le marché intérieur garantit à
toute personne ayant son siège ou son établissement en Suis-
se l'accès libre et non discriminatoire au marché afin
qu'elle puisse exercer une activité lucrative sur tout le
territoire suisse (cf. art. 1er al. 1 LMI). Toute personne
a le droit d'offrir des marchandises, des services et des
prestations de travail sur tout le territoire suisse pour
autant que l'exercice de l'activité lucrative en question
soit licite dans le canton ou la commune où elle a son siège
ou son établissement (cf. art. 2 al. 1 LMI). L'offre de mar-
chandises, de services et de prestations de travail est ré-
gie par les prescriptions du canton ou de la commune où
l'offreur a son siège ou son établissement (cf. art. 2 al. 3
1ère phrase LMI). Selon l'art. 3 al. 1 LMI, la liberté d'ac-
cès au marché d'offreurs externes ne peut être restreinte en
fonction des prescriptions applicables au lieu de destina-
tion que si ces restrictions s'appliquent de la même façon
aux offreurs locaux (lettre a), sont indispensables à la
préservation d'intérêts publics prépondérants (lettre b) et
répondent au principe de la proportionnalité (lettre c); ces
conditions sont cumulatives (cf. ATF 123 I 313 consid. 4a

p. 320). Lesdites restrictions ne doivent en outre pas cons-
tituer un obstacle déguisé aux échanges, destiné à favoriser
les intérêts économiques locaux (cf. art. 3 al. 4 LMI).

Les certificats de capacité cantonaux ou reconnus au
niveau cantonal et permettant d'exercer une activité lucra-
tive sont valables sur tout le territoire suisse pour autant
qu'ils ne fassent pas l'objet de restrictions au sens de
l'art. 3 LMI (cf. art. 4 al. 1 LMI). Cette règle s'applique
notamment aux autorisations d'exercer la profession d'avocat
délivrées par les cantons (cf. ATF 123 I 313 consid. 4a
p. 320).

d) X.________ est titulaire de la patente d'avocat du
canton de Fribourg. Il a donc, en principe, le droit d'of-
frir ses services sur l'ensemble du territoire suisse (cf.
art. 2 al. 1 LMI). Son certificat de capacité professionnel-
le doit en outre être reconnu par tous les cantons (cf. art.
4 al. 1 LMI). La Cour plénière estime toutefois qu'il ne
peut être autorisé à pratiquer dans le canton de Vaud que
s'il est assermenté conformément à l'art. 16 de la loi vau-
doise. Même si cette exigence - au demeurant facile à satis-
faire - a un caractère formel, elle constitue néanmoins une
restriction à la liberté d'accès au marché dont la licéité
est soumise aux conditions de l'art. 3 LMI. A cet égard,
seule est litigieuse la question de savoir si elle est con-
forme au principe de la proportionnalité (cf. art. 3 al. 1
lettre c et al. 3 LMI).

3.- a) Selon l'art. 3 al. 3 LMI, les restrictions à la
liberté d'accès au marché répondent au principe de la pro-
portionnalité lorsque: la protection recherchée ne peut être
obtenue au moyen des prescriptions applicables au lieu de
provenance (lettre a); il est tenu compte des attestations
de sécurité ou des certificats déjà produits par l'offreur
au lieu de provenance (lettre b); le siège ou l'établisse-

ment au lieu de destination ne constitue pas une condition
pour pouvoir y exercer une activité lucrative (lettre c).

b) En vertu de l'art. 17 de la loi fribourgeoise,
l'avocat prête devant le Conseiller d'Etat, Chef du Départe-
ment de la justice, le serment suivant: "Je jure d'observer
fidèlement la Constitution et les lois de l'Etat, de défen-
dre consciencieusement les intérêts qui me sont confiés et
de collaborer loyalement à l'oeuvre de justice, aussi vrai
que Dieu m'assiste" (al. 1); à la demande de l'avocat, le
serment est remplacé par la promesse solennelle (al. 2).

Aux termes de l'art. 16 de la loi vaudoise, avant
d'inscrire le requérant au tableau des avocats, le Tribunal
cantonal lui fait solenniser la promesse suivante: "Je pro-
mets de m'acquitter de ma fonction avec dignité, en avocat
loyal et probe, et de ne jamais employer des moyens qui
pourraient blesser l'ordre public et les moeurs, je promets
de ne me charger d'aucune cause que, d'après mes lumières,
je réputerai mal fondée, je promets de ne me faire assurer,
ni directement, ni indirectement, aucune part dans les cau-
ses que je serai appelé à défendre, de ne pas devenir ces-
sionnaire de procès, droits ou actions litigieux, et de ne
pas me charger à forfait de la direction d'aucun procès".

c) Le recourant a été assermenté conformément à l'art.
17 de la loi fribourgeoise. Certes, ainsi que le relève
l'autorité intimée, le serment qu'il a prononcé ne contient
pas d'engagements aussi précis que ceux mentionnés à l'art.
16 de la loi vaudoise, et ne mentionne notamment pas la pro-
messe de ne pas se faire assurer de part dans les causes dé-
fendues, de ne pas devenir cessionnaire de procès, droits ou
actions litigieux, et de ne pas se charger à forfait de la
direction d'un procès. Toutefois, de manière analogue à ce
qui est admis en matière de certificats cantonaux de capaci-
té professionnelle, et notamment de brevets d'avocats (cf.

ATF 125 II 56 consid. 4b p. 61-62), l'équivalence des diffé-
rents serments cantonaux doit être présumée, de sorte que
l'intéressé ne doit, en principe, pas être astreint à prêter
à nouveau serment lorsqu'il souhaite être autorisé à prati-
quer dans un autre canton. En l'espèce, le serment litigieux
pourrait toutefois s'avérer nécessaire s'il constituait le
seul moyen de garantir qu'il soit soumis aux mêmes obliga-
tions que les autres avocats autorisés à pratiquer dans le
canton de Vaud.

d) Comme le souligne la Cour plénière, la loi vaudoise
ne contient aucune disposition - mise à part son art. 16 -
interdisant expressément à l'avocat de se faire assurer une
part dans les causes qu'il défend, de ne pas devenir ces-
sionnaire de procès, droits ou actions litigieux, et de ne
pas se charger à forfait de la direction d'un procès. Ses
devoirs professionnels ne résultent toutefois pas exclusive-
ment de cette loi mais également des "Usages du barreau vau-
dois" dans la mesure où ceux-ci sont l'expression d'un com-
portement généralement exigé de l'avocat. Ces usages exigent
notamment que l'avocat remplisse fidèlement les devoirs que
lui imposent les règles et usages professionnels envers les
magistrats, ses confrères et ses clients et qu'il évite tout
comportement créant l'apparence contraire (ch. 1). Il doit
en outre exercer son activité professionnelle de manière à
mériter la confiance et l'estime de ses confrères, des ma-
gistrats, de ses clients et du public, étudier avec soin les
causes qui lui sont confiées et refuser de plaider celles
qu'il juge mal fondées (cf. ch. 2). Il est de plus tenu de
garder toute son indépendance dans l'exercice de sa profes-
sion (cf. ch. 3). Ses honoraires sont fixés en tenant compte
du temps consacré à l'exécution du mandat, des difficultés
de celui-ci, de l'importance du capital litigieux, du résul-
tat obtenu et de son expérience (ch. 27). Il ne peut de sur-
croît convenir qu'une partie du capital litigieux lui sera
acquise à titre d'honoraires (pactum de quota litis) ou

qu'il renoncera à tout ou partie de ceux-ci en cas d'issue
défavorable du procès (ch. 28). Il n'est enfin pas autorisé
à se charger pour un prix forfaitaire de la direction d'un
ou de plusieurs procès (ch. 29). Ces règles reprennent pour
l'essentiel les devoirs mentionnés dans la formule du ser-
ment figurant à l'art. 16 de la loi vaudoise. Par ailleurs,
selon l'art. 42 de cette même loi, l'avocat
coupable d'in-
fraction à la loi ou de violation de ses devoirs profession-
nels ou de la promesse qu'il a solennisée est passible d'une
peine disciplinaire. S'il enfreint les dispositions des
"Usages" précités, il porte atteinte à ses devoirs profes-
sionnels et peut dès lors être sanctionné disciplinairement.

e) Vu ces éléments, force est de constater que, même en
l'absence d'assermentation par le Tribunal cantonal vaudois,
le recourant est soumis aux mêmes devoirs professionnels et
s'expose, le cas échéant, aux mêmes sanctions disciplinaires
que ses confrères assermentés par ledit Tribunal et autori-
sés à pratiquer dans le canton de Vaud. Il n'y a ainsi aucu-
ne raison de l'obliger à prêter à nouveau serment alors
qu'il l'a déjà fait dans le canton de Fribourg, ainsi d'ail-
leurs que dans celui de Genève. En l'y astreignant, l'auto-
rité intimée a par conséquent violé le principe de la pro-
portionnalité au sens de l'art. 3 al. 1 lettre c et al. 3
lettres a et b LMI.

4.- Le présent recours doit ainsi être admis et la dé-
cision attaquée annulée.

Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire (cf. art. 156
al. 2 OJ).

Agissant pour son propre compte, l'intéressé n'a pas
droit à des dépens (cf. ATF 119 Ib 412 consid. 3 p. 415).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et annule la décision prise le 31
août 1999 par la Cour plénière du Tribunal cantonal du can-
ton de Vaud.

2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

4. Communique le présent arrêt en copie au recourant et
à la Cour plénière du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

____________

Lausanne, le 23 mai 2000
DBA/mnv

Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.316/1999
Date de la décision : 23/05/2000
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-05-23;2p.316.1999 ?
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