«AZA»
U 343/99 Mh
IIIe Chambre
composée des Juges fédéraux Schön, Spira et Widmer; Addy,
Greffier
Arrêt du 16 mars 2000
dans la cause
C.________, recourant, représenté par N.________, avocat,
contre
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents,
Fluhmattstrasse 1, Lucerne, intimée,
et
Tribunal administratif du canton de Genève, Genève
A.- a) C.________ fut victime d'un accident de moto le
18 janvier 1983 qui lui causa une fracture du tiers distal
du fémur droit et entraîna une incapacité de travail défi-
nitive comme manoeuvre de chantier, activité qu'il exerçait
en dernier lieu avant la survenance de l'accident. La
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents
(CNA) prit en charge le cas.
Par décision du 15 décembre 1986, elle mit l'assuré au
bénéfice d'une rente d'invalidité fondée sur une incapacité
de gain de 35 % à partir du 1er novembre 1986; en outre,
elle lui octroya une indemnité pour atteinte à l'intégrité
de 10 %. La rente fut calculée sur la base d'un gain assuré
(annuel) de 16 322 fr., montant correspondant au salaire
que l'assuré avait réalisé comme manoeuvre durant l'année
qui avait précédé l'accident.
A la suite d'une rechute, le taux de l'atteinte à
l'intégrité fut porté de 10 à 20 % (décision de la CNA du
1er mars 1989), tandis que la rente demeura inchangée
(lettres de la CNA des 9 décembre 1988 et 15 janvier 1992).
Après avoir exercé différentes activités lucratives, l'as-
suré fut engagé le 6 mai 1991 en qualité de serveur par la
société V.________ SA.
b) Le 28 juillet 1991, C.________ fut victime d'un
accident professionnel : il se fit une entorse à la
cheville droite en traversant les voies de chemin de fer.
Déclaré incapable de travailler depuis le jour de l'acci-
dent jusqu'au 27 août 1991, il bénéficia derechef des
prestations de la CNA, notamment sous la forme d'indemnités
journalières calculées sur la base de son dernier salaire
de serveur, soit 4933 fr. par mois. Le 20 mars 1992, une
première rechute fut annoncée à la CNA, puis une seconde le
22 juillet 1992. Elles entraînèrent des incapacités de tra-
vail respectivement de deux et trois semaines, qui furent
indemnisées par la CNA.
c) Le 3 août 1992, l'assuré annonça une nouvelle re-
chute relative au premier accident (du 18 janvier 1983),
qui fut également prise en charge par la CNA.
Dans un rapport du 27 septembre 1994, le docteur
R.________, médecin d'arrondissement de la CNA, constata
que l'assuré ne pouvait plus travailler comme manoeuvre,
mais qu'il jouissait encore d'une pleine capacité de
travail dans une activité essentiellement sédentaire
autorisant de fréquents changements de positions. Il ajouta
que «ces allégements suffis(ai)ent largement pour les
troubles extrêmement discrets persistant encore au niveau
de la cheville gauche». Concernant l'atteinte à l'inté-
grité, le docteur R.________ l'estima à 30 %, en précisant
que «dans ce taux (étaient) largement compris les petits
troubles résiduels au niveau de la cheville gauche».
L'assuré fut par la suite examiné au Centre médical d'ob-
servation de l'assurance-invalidité de Lausanne (COMAI), du
14 au 17 mars 1995. Au terme de ce séjour, les médecins du
COMAI conclurent qu'il présentait une incapacité de travail
totale dans toute activité de force, en spécifiant que
seules des mesures de réadaptation d'ordre professionnel
étaient, le cas échéant, susceptibles de mettre en valeur
une capacité de travail résiduelle dans une activité adap-
tée (rapport d'expertise du 28 juin 1995).
Par décision du 13 février 1996, faisant suite à une
communication du 11 octobre 1994, la CNA déclara qu'elle
mettait fin au versement des indemnités journalières à
partir du 1er décembre 1994 et que, dès ce moment, seule la
rente en cours depuis le 1er novembre 1986 continuerait
d'être versée à l'assuré. A la suite de l'opposition formée
par ce dernier, la CNA convint transactionnellement avec
lui de poursuivre le versement des indemnités journalières
jusqu'au 28 avril 1996 et de prendre en charge une inter-
vention chirurgicale au fémur droit pratiquée le 29 avril
1996. Après quoi elle poursuivit le paiement des indemnités
journalières jusqu'au 12 juillet 1998 (lettre de la CNA du
2 juillet 1998).
d) Entre-temps, C.________ fut mis au bénéfice d'une
rente entière d'invalidité à partir du 1er mai 1993 (déci-
sion de l'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidi-
té du 7 janvier 1994).
Par décision du 1er septembre 1997, la CNA lui alloua,
en lieu et place de la rente d'invalidité fondée sur une
incapacité de gain de 35 %, une rente complémentaire d'in-
validité fondée sur le même taux à partir du 30 septembre
1997. Elle précisait toutefois dans sa décision qu'elle ne
«pouvait pas verser de rente jusqu'à nouvel avis», au motif
que les prestations que l'assuré percevait de l'assurance-
invalidité étaient supérieures aux 90 pour cent du gain
assuré, fixé à 16 322 fr. (montant correspondant au salaire
gagné par l'assuré durant l'année ayant précédé son premier
accident en 1983). C.________ s'opposa à cette décision, en
faisant valoir que la CNA devait indemniser sa perte de
gain actuelle.
Par décision du 22 février 1999, la CNA fit passer le
degré d'invalidité sur lequel se fondait le droit à la
rente complémentaire de 35 à 100 % à partir du 1er juillet
1998. Pour le même motif que celui qu'elle avait exposé
dans sa décision du 1er septembre 1997, elle se déclara
toutefois libérée de tout versement de la rente «jusqu'à
nouvel avis»; elle porta par ailleurs le taux de l'atteinte
à l'intégrité de 20 à 30 %. L'assuré fit opposition à cette
décision, en contestant aussi bien le calcul de la rente
d'invalidité que le taux de l'atteinte à l'intégrité.
e) Par une seule et même décision du 2 juin 1999, la
CNA écarta les oppositions formées par l'assuré contre ses
décisions des 1er septembre 1997 et 22 février 1999.
B.- C.________ recourut contre la décision sur oppo-
sition de la CNA devant le Tribunal administratif de la
République et canton de Genève. A l'appui de son recours,
il déposa des rapports des docteurs S.________ (du 16 juin
1999) et D.________ (du 17 juin 1999), médecins traitants
et spécialistes FMH en chirurgie orthopédique. D'après ces
médecins, il présentait une incapacité de travail de 15 %
en relation avec le second accident.
Par jugement du 31 août 1999, le tribunal cantonal
rejeta le recours formé par C.________.
C.- Ce dernier interjette recours de droit adminis-
tratif contre ce jugement dont il requiert l'annulation. Il
conclut principalement, sous suite de dépens, à l'octroi
d'une rente d'invalidité fondée sur une incapacité de gain
de 100 %, calculée sur la base d'un gain assuré mensuel de
4933 fr. (montant équivalant à son dernier salaire de ser-
veur), ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité pour attein-
te à l'intégrité d'un taux de 50 % (sous déduction de l'in-
demnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux de 30 % qui
lui a déjà été versée). A titre subsidiaire, il demande le
renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour complément
d'instruction sur le plan médical et nouveau jugement.
Entre autres pièces, il joint à son recours deux rapports
médicaux établis en date du 22 septembre 1999, l'un par son
médecin traitant, le docteur S.________, l'autre par le
docteur F.________, chef de service adjoint au département
de chirurgie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).
La CNA conclut au rejet du recours, tandis que l'Offi-
ce fédéral des assurances sociales ne s'est pas déterminé.
Considérant en droit :
1.- Le litige porte sur les prestations d'assurance à
charge de l'intimée (rente d'invalidité et indemnité pour
atteinte à l'intégrité) auxquelles le recourant peut pré-
tendre ensuite des deux accidents dont il a été victime le
18 janvier 1983 et le 28 juillet 1991.
En conséquence, il convient de trancher le litige,
conformément à l'art. 147a OLAA, d'après les dispositions
légales qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur de la
modification du 15 décembre 1997.
2.- Au bénéfice depuis le 1er novembre 1986 d'une
rente d'invalidité de l'assurance-accidents fondée sur une
incapacité de gain de 35 %, remplacée à partir du 30 sep-
tembre 1997 par une rente d'invalidité complémentaire
fondée sur un même taux (art. 20 al. 2 première phrase
LAA), le recourant a perçu jusqu'au 12 juillet 1998 des
indemnités journalières (cf. art. 21 al. 3 seconde phrase
LAA) qui ne sont pas remises en cause dans le cadre de la
présente procédure.
A partir du 1er juillet 1998, l'intimée a porté le
taux d'invalidité de la rente complémentaire de 35 à 100 %.
Cependant, comme la rente entière versée depuis le 1er mai
1993 par l'assurance-invalidité dépasse les 90 pour cent du
gain assuré que l'intimée a pris en considération (soit
16 322 fr. par année), le montant de cette rente complé-
mentaire a été fixé à 0 fr., en application de l'art. 20
al. 2 LAA deuxième phrase.
C'est donc le montant qu'il y a lieu de prendre en
considération comme gain assuré pour le calcul de cette
rente complémentaire qui est au centre du présent litige.
3.- Est en principe déterminant pour le calcul des
rentes le salaire que l'assuré a gagné durant l'année qui a
précédé l'accident (art. 15 al. 2 LAA, seconde phrase;
message du Conseil fédéral à l'appui du projet de loi
fédérale sur l'assurance-accidents du 18 août 1976, FF
1976 III 192). Toutefois, selon l'art. 15 al. 3 LAA
troisième phrase, le Conseil fédéral édicte des prescrip-
tions sur le gain assuré pris en considération dans des cas
spéciaux. L'autorité exécutive a exhaustivement déterminé
ces cas à l'art. 24 OLAA. Lorsque, par exemple, le bénéfi-
ciaire d'une rente d'invalidité est victime d'un nouvel
accident couvert par l'assurance qui aggrave son invalidi-
té, le salaire déterminant pour le calcul de la nouvelle
rente est celui qu'il aurait reçu pendant l'année qui pré-
cède le dernier accident s'il n'avait pas subi auparavant
un accident couvert par l'assurance. Si ce salaire est
inférieur à celui qu'il touchait avant le premier accident
couvert par l'assurance, le salaire supérieur est détermi-
nant (art. 24 al. 4 aOLAA, dans sa teneur en vigueur au
moment de la survenance des accidents assurés; ATF
122 V 100; RAMA 1991 no U 123, p. 151 consid. 4; voir aussi
ATF 123 V 51).
4.- a) Selon l'intimée et les premiers juges,
l'art. 24 al. 4 aOLAA n'est pas applicable, car l'in-
validité que présentait le recourant avant la survenance du
second accident n'a pas été aggravée par celui-ci. Ils
étayent leur point de vue sur les rapports (des 27 septem-
bre 1994 et 24 juin 1998) du docteur R.________, médecin
d'arrondissement de la CNA, ainsi que sur l'expertise (du
28 juin 1995) établie au COMAI pour le compte de l'assu-
rance-invalidité.
Se fondant sur l'avis de ses médecins traitants, les
docteurs S.________ (rapports des 16 juin et 22 septembre
1999) et D.________ (rapport du 22 septembre 1999), ainsi
que sur celui du docteur F.________ (rapport du 22 septem-
bre 1999), le recourant soutient au contraire que son
invalidité a bien été aggravée par l'accident du 28 juillet
1991. Il allègue par ailleurs que le gain assuré doit de
toute façon être fixé en application de l'art. 24 al. 2
OLAA, aux termes duquel «lorsque le droit à la rente naît
plus de cinq ans après l'accident, le salaire déterminant
est celui que l'assuré aurait reçu pendant l'année qui
précède l'ouverture du droit à la rente, s'il n'avait pas
été victime de l'accident».
b) aa) Dans la mesure où le recourant se plaint d'une
violation de l'art. 24 al. 2 OLAA, son recours est mal
fondé. Car après plusieurs accidents, le salaire annuel
assuré déterminant n'est fixé selon cette disposition que
si l'on procède pour la première fois à la fixation de la
rente et que le droit à celle-ci naît plus de cinq ans
après le premier accident (ATF 123 V 45 consid. I/3c; voir
aussi RAMA 1999 no U 327, p. 111 consid. 3c et no U 340
p. 404). Or, le recourant s'est vu reconnaître par l'inti-
mée un droit à une rente d'invalidité d'un taux de 35 % dès
le 1er novembre 1986 déjà, soit moins de quatre ans après
le premier accident.
bb) On doit en revanche donner raison au recourant
lorsqu'il invoque une violation de l'art. 24 al. 4 aOLAA,
car ni les constatations des médecins du COMAI, ni celles
du médecin d'arrondissement de la CNA ne permettent d'ex-
clure avec certitude que l'aggravation de son invalidité ne
soit aussi une conséquence du second accident dont il a été
victime. En effet, l'expertise réalisée au COMAI n'avait
pas pour objet d'examiner la question de la causalité,
puisque celle-ci ne joue pas de rôle sous l'angle du droit
à une rente de l'assurance-invalidité; c'est du reste en
appréciant la situation dans son ensemble que les experts
se sont prononcés sur la capacité de travail du recourant,
qu'ils ont estimée nulle pour toute activité de force, en
préconisant des mesures de réadaptation d'ordre profession-
nel. Quant aux rapports du docteur R.________, dont le
second est postérieur de trois ans à celui du COMAI, ils ne
renseignent pas non plus sur l'influence du second accident
sur la capacité de travail de l'assuré, pour la simple
raison que ce médecin considère celle-ci - ce qui est pour
partie en contradiction avec les conclusions du COMAI -
comme totale dans une activité adaptée.
Par ailleurs, même s'il est vrai qu'il faut tenir
compte du fait d'expérience que le médecin traitant est
généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour
son patient en raison de la relation de confiance qui
l'unit à ce dernier (ATF 125 V 353 consid. 3b/cc et les
références), ce seul
motif ne saurait suffire pour écarter,
sans autre examen, les appréciations des docteurs
S.________ et D.________ relatives à la part respective des
deux événements accidentels dans l'incapacité de travail du
recourant. Enfin, bien qu'elle soit postérieure au jugement
entrepris, on ne peut pas non plus faire abstraction de
l'opinion du docteur F.________, chirurgien, selon laquelle
les douleurs dont se plaint l'assuré à sa cheville gauche
pourraient s'expliquer par l'existence «d'un état cicatri-
ciel», se manifestant sous la forme d'une fibrose sous-
astragalienne.
c) Un avis d'expert est dès lors indispensable. Compte
tenu des circonstances, il incombe à la juridiction canto-
nale, et non à la CNA, de procéder à cette mesure d'ins-
truction. L'intimée ayant reconnu au recourant - malgré
l'avis contraire de son médecin d'arrondissement - une
invalidité de 100 %, la tâche de l'expert consistera à
évaluer le plus précisément possible quelle part de cette
invalidité est exclusivement due à l'accident de 1983 et à
ses séquelles et quelle part peut être attribuée à l'acci-
dent de 1991. A cet égard, il y aura lieu de tenir compte
non seulement des éléments médicaux mais également des
activités exercées par le recourant jusqu'à la survenance
de l'invalidité totale.
5.- Le recourant remet également en cause le taux de
30 % - au total - qui lui a été reconnu au titre de l'at-
teinte à l'intégrité, en soutenant que celui-ci doit se
monter à 50 %.
Selon l'appréciation du docteur R.________, que
l'intimée et les premiers juges ont reprise à leur compte,
le genou droit du recourant présente une gonarthrose
tricompartimentale grave justifiant un taux d'atteinte de
30 %. Attendu que ce taux, comme le docteur R.________ en
convient, correspond à la valeur inférieure de la table 5
établie par la CNA («atteinte à l'intégrité résultant
d'arthrose»), il faut admettre que ce médecin - quoi qu'il
dise par ailleurs - n'a pas tenu compte dans son apprécia-
tion de l'atteinte à la cheville : or c'est apparemment à
tort qu'il ne l'a pas fait, si l'on s'en réfère aux avis
médicaux précités invoqués par le recourant.
Là également, l'avis d'un expert s'avère donc néces-
saire.
6.- Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à
une indemnité de dépens à la charge de l'intimée qui suc-
combe (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
p r o n o n c e :
I. Le recours est admis en ce sens que le jugement atta-
qué est annulé, le dossier de la cause étant renvoyé
au Tribunal administratif de la République et canton
de Genève pour instruction complémentaire et nouveau
jugement au sens des motifs.
II. Il n'est pas perçu de frais de justice.
III. L'intimée versera au recourant une indemnité de dépens
de 2500 fr. pour l'instance fédérale.
IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tri-
bunal administratif de la République et canton de
Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 16 mars 2000
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIIe Chambre :
Le Greffier :