«AZA 3»
4P.6/2000
Ie C O U R C I V I L E
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16 mars 2000
Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
André Wagner, à Genève, représenté par Me Michel Bergmann,
avocat à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 25 novembre 1999 par la Ière Section de la
Cour de justice genevoise dans la cause qui oppose le re-
courant à Alain Rochat, à Versoix, et au Laboratoire
Dentaire
Ardent S.n.c., à Genève, tous deux représentés par Me
Jacques-
André Schneider, avocat à Genève;
(art. 4 aCst.; recevabilité du recours de droit public
contre
une décision statuant sur une requête de preuve à futur)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- En traitement chez le dentiste Christian de
Siebenthal, André Wagner se plaint du bris d'une prothèse
dentaire (pont) fournie à ce praticien par le technicien
dentiste Alain Rochat et le Laboratoire Dentaire Ardent
S.n.c.
Dirigeant sa requête contre Alain Rochat et le La-
boratoire Dentaire Ardent S.n.c., Wagner a demandé au Tribu-
nal de première instance du canton de Genève, à titre de me-
sure provisionnelle, d'ordonner une expertise avant toute
procédure (administration de preuve à futur).
B.- Par ordonnance du 21 juillet 1999, le Tribunal
de première instance a rejeté la requête, en considérant
qu'il n'y avait pas d'urgence à faire cette expertise. Il a
relevé que Wagner avait attendu quatre mois avant de déposer
sa requête et il a estimé que si ce dernier ne pouvait plus
supporter ce pont, il devait le faire enlever et conserver
en
vue d'un examen ultérieur.
Statuant sur recours de Wagner, la Ière Section de
la Cour de justice genevoise, par arrêt du 25 novembre 1999,
a confirmé l'ordonnance attaquée. Elle a estimé que la requê-
te était mal dirigée, car Wagner n'a aucun lien contractuel
avec Alain Rochat ou le Laboratoire Dentaire Ardent S.n.c.
C.- Wagner forme un recours de droit public au
Tribunal fédéral. Invoquant une violation de l'art. 4 aCst.,
il conclut à l'annulation de la décision attaquée. Il repro-
che à la cour cantonale d'avoir arbitrairement omis d'exami-
ner s'il pouvait agir contre les intimés sur la base de
l'art. 41 CO.
Les intimés concluent à l'irrecevabilité, subsi-
diairement au rejet du recours, alors que la cour cantonale
se réfère aux considérants de son arrêt.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- a) En instance de recours de droit public, une
décision doit être qualifiée de finale si elle met un terme
à
la procédure, qu'il s'agisse d'une décision sur le fond ou
d'une décision qui clôt l'affaire pour un motif tiré des rè-
gles de procédure; est en revanche une décision incidente
celle qui est prise pendant le cours de la procédure et ne
représente qu'une étape vers la décision finale; elle peut
avoir pour objet une question formelle ou matérielle jugée
préalablement à la décision finale (ATF 123 I 325 consid.
3b;
122 I 39 consid. 1a/aa; 120 III 143 consid. 1a).
Lorsqu'une partie sollicite l'administration d'une
preuve avant d'introduire action sur le fond, sa requête
fait
l'objet, d'un point de vue purement formel, d'une procédure
distincte. Il n'en demeure pas moins qu'il ne s'agit pas de
mettre un terme au différend, mais seulement de statuer sur
l'admission d'une mesure probatoire sollicitée, comme le
juge
est ordinairement appelé à le faire en cours de procès. Or,
la décision d'admettre ou non une mesure probatoire sollici-
tée n'est pas, par sa nature, une décision finale (Marc
Forster, Staatsrechtliche Beschwerde, in: Thomas
Geiser/Peter
Münch, Prozessieren vor Bundesgericht, 2ème éd., n° 2.16 p.
64). L'admission ou le refus d'une preuve à futur constitue
donc une décision incidente (cf. arrêt non publié, du 11 oc-
tobre 1991, dans la cause 4P.162/1991, consid. 2b).
b) La faculté d'attaquer immédiatement une décision
incidente par la voie du recours de droit public est régie
par l'art. 87 OJ.
La teneur de cette disposition a été modifiée et le
nouveau texte est entré en vigueur le 1er mars 2000 (RO 2000
p. 417 s.). Que l'on applique aux questions de recevabilité
le droit en vigueur au moment où a été rendue la décision at-
taquée (dans ce sens: ATF 120 Ia 101 consid. 1b p. 102 ss;
ATF 120 IV 44 consid. 1b/bb) ou le droit en vigueur à l'expi-
ration du délai de recours (cf. ATF 115 II 102 consid. 3a),
la solution n'en est pas modifiée en l'espèce: il faut appli-
quer ici l'ancienne teneur de l'art. 87 OJ.
c) Le recours est fondé exclusivement sur l'art. 4
aCst.
Selon l'art. 87 aOJ, le recours de droit public
pour violation de l'art. 4 Cst. n'est recevable que contre
les décisions finales prises en dernière instance; il n'est
recevable contre des décisions incidentes prises en dernière
instance que s'il en résulte un dommage irréparable pour
l'intéressé.
La jurisprudence a admis que cette règle ne s'ap-
pliquait pas en présence d'une décision incidente sur la com-
pétence ou la composition du tribunal, parce que ces ques-
tions doivent être liquidées sans attendre (ATF 124 I 255
consid. 1b/bb; 124 III 134 consid. 2a; 123 I 325 consid. 3b
p. 328; 122 I 39 consid. 1a). Il ne s'agit pas en l'occurren-
ce d'une telle décision.
Le recours n'est donc recevable que si la décision
attaquée cause au recourant un préjudice irréparable.
d) Pour qu'un dommage soit irréparable au sens de
l'art. 87 aOJ, la décision incidente prise en dernière ins-
tance doit causer à l'intéressé un préjudice juridique que
la
décision finale, par hypothèse favorable à celui-ci, ne fe-
rait pas entièrement disparaître. Est exposé à un tel
dommage
le justiciable qui court le risque d'une atteinte à sa posi-
tion juridique quant aux voies de droit à sa disposition,
par
l'impossibilité d'un contrôle constitutionnel (ATF 123 I 325
consid. 3c; 117 Ia 247 consid. 3, 251 consid. 1b p. 253/254
et 396 consid. 1 p. 398/399). Un dommage de pur fait, tel
que
la prolongation de la procédure ou un accroissement des
frais
de celle-ci, n'est pas considéré comme un dommage
irréparable
de ce point de vue (ATF 123 I 325 consid. 3c). Il appartient
au recourant non seulement d'alléguer, mais encore d'établir
le risque de la survenance d'un dommage irréparable, à moins
que cette possibilité ne laisse pas place au doute (ATF 116
II 80 consid. 2c in fine).
Une mesure provisoire cause un dommage irréparable
lorsqu'elle règle de manière définitive la situation juridi-
que entre les parties pour la durée de la procédure (cf. ATF
118 II 369 consid. 1; 114 II 368 consid. 2a; 108 II 69 con-
sid. 1; 103 II 120 consid. 1).
En l'espèce, la décision attaquée se borne à refu-
ser d'ordonner une expertise avant toute procédure. Elle ne
lie en rien le juge qui serait saisi d'une action sur le
fond. Il est donc possible que le recourant obtienne ulté-
rieurement une décision qui efface les effets du refus dont
il se plaint. On ne voit pas pourquoi l'expertise ne
pourrait
pas être réalisée dans le cadre d'une action sur le fond; en
s'adressant au Tribunal fédéral pour réclamer cette
expertise
malgré les mois écoulés, le recourant démontre par son atti-
tude que cette expertise est toujours possible.
Au demeurant, ce n'est en principe qu'au moment de
la décision finale que l'on peut constater si le refus d'une
mesure probatoire a ou non causé un préjudice; or, le
recours
de droit public contre une décision finale rendue en
dernière
instance cantonale est ouvert sans autre condition (art. 87
aOJ), notamment pour se plaindre d'une violation du droit
d'être entendu (cf. ATF 122 II 464 consid. 4a; 115 Ia 8 con-
sid. 2b; 114 Ia 97 consid. 2a; 106 Ia 161 consid. 2b).
Que l'introduction d'une action sur le fond puisse
entraîner des frais de procédure est sans pertinence, comme
on l'a vu, pour dire s'il y a dommage irréparable au sens de
l'art. 87 aOJ.
Dès lors qu'il n'apparaît nullement que la décision
incidente attaquée sur la base de l'art. 4 aCst entraîne
pour
le recourant un préjudice irréparable, le recours est irrece-
vable.
2.- Les frais et dépens doivent être mis à la
charge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al.
1
OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l ,
vu l'art. 36a OJ:
1. Déclare le recours irrecevable;
2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge du recourant;
3. Dit que le recourant versera aux intimés, créan-
ciers solidaires, une indemnité de 3000 fr. à titre de dé-
pens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Ière Section de la Cour de
justice
du canton de Genève.
______________
Lausanne, le 16 mars 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,