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16/03/2000 | SUISSE | N°4C.424/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 mars 2000, 4C.424/1999


«»

4C.424/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

16 mars 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

E.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Werner Gloor, avocat à Genève,

et

X.________ SA, défenderesse et intimée, représentée par Me
Jacques Busset, avocat à

Genève;

(contrat de travail; travail supplémentaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:...

«»

4C.424/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

16 mars 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

E.________, demanderesse et recourante, représentée par Me
Werner Gloor, avocat à Genève,

et

X.________ SA, défenderesse et intimée, représentée par Me
Jacques Busset, avocat à Genève;

(contrat de travail; travail supplémentaire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________ SA exploite une agence de publicité
à Genève, où elle emploie 54 salariés (aveu concordant des
parties). Le 3 février 1997, elle a signé un contrat de
travail avec E.________, qu'elle a engagée dès le 1er avril
1997 pour une durée indéterminée. Le salaire convenu était
de
9000 fr. brut versé treize fois l'an, en partie sous forme
de
frais de représentation et d'indemnités. L'entreprise four-
nissait en outre à l'employée une voiture de fonction dont
elle prenait en charge les frais de leasing, d'entretien et
d'assurance; elle payait également une partie des primes
d'assurance-maladie. La nouvelle collaboratrice avait droit
à
4 semaines de vacances par année. L'horaire de travail était
de 8 heures 30 à 12 heures et de 13 heures à 17 heures 30,
5 jours par semaine. L'art. 10 du contrat stipulait encore
ce
qui suit:

"Les heures supplémentaires étant inévitables dans
une agence de publicité, l'employé(e) est tenu de
les accomplir dans la mesure où cela peut être rai-
sonnablement exigé de lui (d'elle). La rémunération
de ces heures supplémentaires est déjà comprise
dans le salaire. Il ne résulte donc aucun droit à
une compensation ou à un salaire complémentaire."

S'agissant du temps de travail, E.________ a ex-
pressément admis avoir été informée, pendant les négocia-
tions, que les fonctions qu'elle serait amenée à exercer exi-
geraient d'elle "une importante charge de travail, laquelle
devait être compensée par son intégration dans la direction
de l'entreprise et une participation au profit-sharing".

Un cahier des charges était annexé au contrat.
D'après celui-ci, E.________ avait la mission de créer puis
de développer au sein de la société une nouvelle division

dont elle prendrait la direction. Son rôle consistait à
rechercher de nouveaux clients, à maintenir et à étendre les
rapports avec ceux-ci, de manière autonome et en s'appuyant
sur la structure internationale de l'entreprise. Elle assu-
mait la responsabilité des budgets de sa division.

Comme les autres responsables des différentes uni-
tés du département commercial dont elle faisait partie,
E.________ était directement subordonnée au directeur géné-
ral. Avec quatre ou cinq autres responsables, elle apparte-
nait, dès fin 1997, à la "direction élargie" de l'entreprise
et participait à ce titre aux réunions régulières de la di-
rection.

E.________ ne disposait d'aucune autonomie budgé-
taire; elle n'avait pas la signature sociale; les contrats
qu'elle négociait devaient recevoir l'aval de la direction.
En revanche, elle était entièrement autonome dans l'organi-
sation de son travail et ses notes de frais lui étaient rem-
boursées sur présentation de justificatifs. Elle disposait
pour l'ensemble de ses tâches d'une assistante à plein temps.

E.________ a régulièrement remis à son employeur la
liste des heures qu'elle avait effectuées en dehors de l'ho-
raire contractuellement fixé, sans toutefois demander, pen-
dant toute la durée de son engagement et jusqu'au 23 octobre
1998, à être rémunérée de ce fait. Les parties admettent
qu'elle a accompli, en sus des 45 heures hebdomadaires repré-
sentant la durée maximale du travail selon la législation
publique sur le travail, 366 heures de "travail supplémentai-
re" ou "Überzeit" en 1997 et 223 heures en 1998, soit un to-
tal de 589 heures.

A fin juillet 1998, X.________ SA a résilié le
contrat pour le 31 octobre 1998. Le certificat de travail re-
mis à E.________ précise qu'elle a exercé les fonctions
d'"Account Director et de Manager de la division Y.________,
Membre de la direction élargie" depuis le 1er avril 1997. On
y lit encore que, au titre de chef d'un groupe de conseil,
elle se portait garante de la coordination et du suivi de
campagnes nationales et internationales de publicité de
clients importants; responsable des résultats de sa
division,
elle participait au développement de la clientèle de l'agen-
ce.

B.- Par demande du 9 mars 1999, E.________ a as-
signé son employeur devant la juridiction des prud'hommes du
canton de Genève en paiement de quelque 63 000 fr., dont
39 046 fr.45 à titre de salaire pour des heures supplémentai-
res. Une première décision, du 5 mai 1999, l'a déboutée de
toutes ses prétentions.

La demanderesse a recouru auprès de la Chambre
d'appel de la juridiction des prud'hommes, devant laquelle
elle a repris uniquement ses conclusions concernant la rému-
nération de ses heures supplémentaires. Par arrêt du 11 octo-
bre 1999, la cour cantonale a confirmé le jugement de premiè-
re instance.

C.- E.________ recourt en réforme au Tribunal fédé-
ral. Elle sollicite la condamnation de X.________ SA à lui
verser 32 850 fr.20 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er novem-
bre 1998, sous déduction des charges sociales. A titre subsi-
diaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt du 11 octobre
1999 et au renvoi de la cause à la juridiction cantonale
pour
complètement de l'état de fait et nouvelle décision dans le
sens des considérants.

X.________ SA conclut principalement à l'irrece-
vabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Tout en réservant les dispositions impératives
de droit public sur la rémunération du travail
supplémentaire
excédant la durée maximale définie par la loi fédérale sur
le
travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce (LTr,
RS
822.11), la cour cantonale a retenu que les parties avaient
conclu, à l'art. 10 de leur contrat, une convention déroga-
toire écrite au paiement des heures supplémentaires, au sens
de l'art. 321c al. 3 CO. A l'instar des premiers juges, elle
a également admis que la demanderesse occupait une fonction
de cadre dirigeant, excluant en principe toute indemnisation
des heures supplémentaires. Ces deux éléments l'ont amenée à
rejeter les prétentions de la travailleuse, tout en
observant
cependant que celle-ci, contrairement à ce que les premiers
juges avaient retenu, ne commettait aucun abus de droit en
réclamant la rémunération des heures supplémentaires accom-
plies.

2.- a) La demanderesse se plaint en premier lieu
d'inadvertances manifestes. Il aurait échappé à la Chambre
d'appel que ses prétentions concernaient, tant en première
qu'en seconde instance, l'indemnisation de son "Überzeit",
c'est-à-dire de celles de ses heures supplémentaires qui dé-
passaient l'horaire hebdomadaire légal fixé par la LTr, et
non de ses heures supplémentaires au sens de l'art. 321c al.
3 CO.

b) Le moyen est irrecevable. L'inadvertance mani-
feste, au sens des art. 55 al. 1 let. d et 63 al. 2 OJ, vise
les méprises ou inattentions commises dans l'établissement
des faits, mais non l'appréciation juridique erronée de ceux-
ci, que le Tribunal fédéral peut revoir librement, n'étant
lié ni par les considérants de droit des premiers juges, ni

par les moyens soulevés par les parties (art. 63 al. 1 et 3
OJ).

3.- a) Pour admettre que la demanderesse avait la
qualité de cadre dirigeant, la cour cantonale a, notamment,
retenu d'une part que l'intéressée n'avait pas requis la rec-
tification du certificat de travail qui la désignait comme
membre de la "direction élargie" de l'entreprise et que,
d'autre part, elle participait aux réunions régulières de la
direction. La demanderesse soutient que ces deux constata-
tions procèdent de violations de l'art. 8 CC.

b) Les deux critiques sont injustifiées. Lorsque,
comme en l'espèce, le juge acquiert la conviction que la réa-
lité ou l'inexistence d'un fait est établie, sur le vu d'une
appréciation des preuves déjà administrées, la question du
fardeau de la preuve ne se pose plus, et le grief de viola-
tion de l'art. 8 CC devient sans objet (ATF 114 II 289 con-
sid. 2a). En retenant que la demanderesse avait admis l'exac-
titude du certificat de travail la présentant comme membre
de
la "direction élargie" ou en posant qu'elle participait aux
réunions régulières de la direction, la cour cantonale s'est
prononcée sur la réalité de faits, sur la base d'une appré-
ciation des preuves. Dans de telles circonstances, il n'y a
pas place pour le grief de violation de l'art. 8 CC. Cette
disposition ne dit pas au juge comment choisir les preuves
destinées à établir l'état de fait, mais indique seulement
(sauf présomption légale de droit fédéral) laquelle des par-
ties doit supporter l'échec de la preuve si le magistrat ne
parvient pas à se forger une conviction dans un sens ou dans
un autre à l'issue de la procédure d'administration des preu-
ves (cf. Corboz, in SJ 2000 II p. 39)

4.- a) Sur le fond, on l'a vu, la demanderesse re-
proche à la Chambre d'appel de s'être placée dans une
optique
erronée. Il lui aurait échappé que la travailleuse ne récla-

mait pas le paiement de ses "heures supplémentaires" au sens
de l'art. 321c al. 3 CO, mais de son "travail
supplémentaire"
ou "Überzeit" selon l'art. 13 LTr. Ainsi, au lieu de se con-
centrer sur l'art. 321c al. 3 CO, la cour cantonale aurait

examiner si la LTr s'appliquait au cas d'espèce. Si, comme
la
demanderesse le soutient, la question appelait une réponse
positive, la cour cantonale devait ensuite se pencher sur la
possibilité ou non de déroger contractuellement à l'art. 13
LTr prévoyant la rémunération du travail supplémentaire au
taux de 125%, question qui, elle, devrait être résolue par
la
négative.

b) L'art. 321c al. 3 CO dispose que l'employeur est
tenu de rétribuer les heures de travail supplémentaires qui
ne sont pas compensées par un congé en versant le salaire
normal majoré d'un quart au moins, sauf clause contraire
d'un
accord écrit, d'un contrat-type de travail ou d'une conven-
tion collective.

Combiné avec une ordonnance du 26 novembre 1975 (RS
822.110), l'art. 9 LTr fixe la durée maximum de la semaine
de
travail à 45 heures pour la catégorie de travailleurs à la-
quelle la demanderesse appartient. L'art. 12 LTr permet tou-
tefois, sous certaines conditions et à titre exceptionnel,
le
dépassement de cette durée maximum. Ce travail
supplémentaire
sera, d'après l'art. 13 LTr, rétribué par un supplément de
salaire d'au moins 25% à partir de la 61ème heure supplémen-
taire accomplie dans l'année civile.

c) Il est constant que la défenderesse est soumise
à la LTr. En revanche, les parties s'opposent sur le point
de
savoir si la demanderesse peut se prévaloir de cette loi,
dans la mesure où son art. 3 let. d exclut de son champ d'ap-
plication les travailleurs exerçant une fonction dirigeante
élevée. On examinera en premier lieu ce point qui, s'il de-
vait être résolu par la négative, entraînerait d'emblée le

rejet du recours, sans qu'il soit besoin d'entrer en matière
sur la question de savoir quel est le rapport entre les ré-
glementations concernant les heures supplémentaires telles
que les définit le droit privé et celles que vise le droit
public.

5.- a) En vertu de l'art. 7 de l'ordonnance 1 con-
cernant la LTr (RS 822.111), est réputé exercer une fonction
dirigeante élevée, au sens de l'art. 3 let. d LTr, celui
qui,
dans une entreprise ou une partie d'entreprise, dispose d'un
pouvoir de décision dans des affaires essentielles et assume
une responsabilité correspondante. Le Tribunal fédéral a cir-
conscrit la notion de fonction dirigeante élevée dans une ju-
risprudence dont il n'y a pas lieu de s'écarter (ATF 98 Ib
344 consid. 2). En bref, le fait qu'un travailleur bénéficie
d'une position de confiance au sein de l'entreprise ne
permet
pas à lui seul d'admettre que cette personne y exerce une
fonction dirigeante. Ni la compétence d'engager l'entreprise
par sa signature ou de donner des instructions, ni l'ampleur
du salaire ne constituent en soi des critères décisifs.
Quant
aux affaires essentielles, visées par l'art. 7 OLTr 1, ce
sont celles qui influencent de façon durable la vie ou la
structure de l'entreprise dans son ensemble ou, du moins,
dans l'un de ses éléments principaux. S'agissant, au
demeurant, de dispositions d'exception, les normes
susmentionnées doivent être interprétées restrictivement. En
tout état de cause, il faut trancher la question de cas en
cas, sans égard ni au titre ni à la formation reçue par la
personne concernée, mais d'après la nature réelle de la
fonction et en tenant compte des dimensions de l'entreprise
(arrêt du 4.7.1997 dans la
cause 4C.322/1996, consid. 2b/aa; voir aussi
Rehbinder/Müller,
Arbeitsgesetz, 5e éd., n. 1 ad art. 3 al. 1 let. d, p. 38;
F.
Walter Bigler, Kommentar zum Arbeitsgesetz, 3e éd., n. 7 ad
art. 3 LTr).

b) Que la demanderesse soit désignée comme étant la
responsable d'une unité, ou d'une division, du département
commercial de la défenderesse, voire qu'elle soit
responsable
des budgets de sa division, ne signifie pas sans autre, au
vu
des principes qu'on vient de rappeler, qu'elle ait exercé
une
fonction dirigeante élevée. Plus que les titres utilisés, ce
sont les véritables responsabilités exercées qui comptent

(nombre de subordonnés, chiffre d'affaires, etc.). La tâche
essentielle de la demanderesse consistait à rechercher de
nouveaux clients, de manière autonome; elle est caractéristi-
que d'un employé de bon niveau, voire de haut niveau, mais
ne
ressortit nullement au rôle d'un dirigeant et encore moins
d'un dirigeant élevé. En revanche, l'absence d'autonomie bud-
gétaire constatée par la cour cantonale, ainsi que le fait
que la demanderesse n'avait pas la signature sociale
plaident
contre la qualité de dirigeant élevé. En dépit de la partici-
pation de la demanderesse aux réunions régulières de la "di-
rection élargie", rien ne permet de dire qu'elle jouissait
d'un pouvoir de décision dans la marche des affaires de l'en-
treprise, et encore moins d'un pouvoir de décision en ce qui
concerne les affaires essentielles visées par l'OLTr 1. En-
fin, rien n'indique non plus que la demanderesse, qui dispo-
sait d'une assistante à plein temps, ait joui d'une quelcon-
que compétence en matière d'engagement et de licenciement du
personnel, constitué d'une cinquantaine de personnes.

Au vu de ces éléments, la cour cantonale a consi-
déré à tort que la demanderesse exerçait une fonction diri-
geante élevée. Sur ce point, le recours est bien fondé.

6.- a) Jusqu'ici, le Tribunal fédéral a laissé ou-
verte la question - controversée - des rapports entre l'art.
13 LTr et l'art. 321c al. 3 CO, ou, autrement dit, la ques-
tion de savoir si la disposition de droit public revêt un
caractère impératif dans la mesure où elle ne prévoit pas,
contrairement à l'art. 321c al. 3 CO, la possibilité de sup-

primer la rétribution du travail supplémentaire (arrêt re-
produit in SJ 1988 p. 565 consid. 3b/cc; ATF 110 II 264 con-
sid. 2; cf. aussi arrêt non publié du 1.5.1990 dans la cause
4C.220/1989).

A titre liminaire, il sied de souligner que l'art.
13 LTr concerne le travail supplémentaire, à savoir le tra-
vail dont la durée excède le maximum légal, soit 45 heures
pour la catégorie de travailleurs à laquelle appartient la
demanderesse, comme on l'a vu. L'art. 321c al. 3 CO, lui, se
réfère aux heures supplémentaires, c'est-à-dire aux heures
de
travail effectuées au-delà de l'horaire contractuel. On rap-
pellera aussi que la LTr n'impose, textuellement, que le
paiement d'un supplément de salaire d'au moins 25%; se pose
par conséquent également la question de l'extension du carac-
tère impératif de la LTr au salaire de base.

b) Pour une minorité de la doctrine, au vu de
l'art. 321c al. 3 CO, qui permet de déroger à l'obligation
de
verser le salaire de base (et le supplément) pour les heures
supplémentaires, la renonciation par le travailleur à son sa-
laire de base en cas d'heures supplémentaires entraîne égale-
ment l'abandon du droit au complément de salaire en cas de
travail supplémentaire. En tant qu'il touche le paiement du
salaire et du supplément, l'art. 13 LTr ne revêtirait pas un
caractère impératif. Tel est notamment l'avis de Staehelin
(Commentaire zurichois, n. 23 ad art. 321c CO et les référen-
ces).

La doctrine dominante est en revanche d'avis que la
règle de droit public ancrée à l'art. 13 LTr est impérative.
Les opinions divergent cependant sur la portée de cette dis-
position. Certains - encore que tous les auteurs ne se pro-
noncent pas très clairement sur ce point précis - estiment
que le caractère impératif de l'art. 13 LTr ne touche que le
supplément de 25% mais que le paiement du salaire de base

serait réglé suivant les dispositions de droit privé et pour-
rait dès lors être exclu par le biais d'un accord écrit (Duc/
Subilia, Commentaire du contrat individuel de travail, n.
33-35 ad art. 321c; cf. aussi Brühwiler, Kommentar zum Ein-
zelarbeitsvertrag, 2e éd., n. 15b ad art. 321c CO; Rehbinder/
Müller, op. cit., n. 2 ad art. 13 LTr, p. 92; Streiff/von
Kaenel, Arbeitsvertrag, 5e éd., n. 4, 5 et 9 ad art. 321c
CO;
Meier-Schatz, Arbeitsrecht, 2e éd., vol. I, p. 126;
Rehbinder,
Commentaire bâlois, n. 4 ad art. 321c, Commentaire bernois,
n. 11 ad art. 321c CO; Bigler, op. cit., n. 1 ad art. 13
LTr;
Brand et al., Der Einzelarbeitsvertrag im Obligationenrecht,
n. 14 ad art. 321c CO).

Une partie de la doctrine, enfin, défend l'avis que
le caractère impératif de l'art. 13 LTr s'étend également au
salaire de base, et que le travailleur ne peut pas renoncer
à
la rétribution du travail supplémentaire au taux de 125%
(Gabriel Aubert, note citée in SJ 1988 p. 568 ss; von
Kaenel,
Arbeitsrecht, 1999, p. 37; Kuhn/Koller, Aktuelles Arbeits-
recht für die betriebliche Praxis, vol. V partie 16,
chapitre
8, p. 12-13; Brunner/Bühler/Waeber, Commentaire du contrat
de
travail, 2e éd., n. 9 ad art. 321c CO; Engel, Contrats de
droit suisse, 2e éd., p. 304-305; Daxelhofer, Untersuchungen
zu den zweiseitig zwingenden Bestimmungen des Arbeitsver-
tragsrechts, thèse Berne 1980, p. 59-60).

c) Ces dernières opinions correspondent au but ain-
si qu'au sens de la loi, et emportent la conviction. S'il
est
vrai que, à première vue, l'art. 13 LTr ne règle pas le
droit
au salaire de base en cas de travail supplémentaire, le lé-
gislateur est visiblement parti de l'idée que, en droit pri-
vé, le travail supplémentaire donne droit au "salaire de
base
correspondant, augmenté d'un supplément" (FF 1960 II 950),
ce
sous réserve des 60 premières heures supplémentaires des em-
ployés, qui sont d'ordinaire fournies gratuitement (FF 1960
II 951). L'art. 13 LTr présuppose ainsi que le travail sup-

plémentaire donne droit au paiement du salaire de base. Il
prend lui-même en compte les cas dans lesquels ni ce salaire
de base, ni le supplément, ne sont dus. Il est donc inutile
de s'interroger, dans le cadre de son application, sur la ré-
glementation civile des heures supplémentaires.

De plus, comme le souligne Gabriel Aubert (note
précitée), le législateur a voulu que le travail supplémen-
taire revienne plus cher à l'employeur que le travail effec-
tué dans les limites de l'horaire maximum normal. C'est pour-
quoi il n'a dispensé l'employeur de ses obligations pécuniai-
res que si le travail supplémentaire est compensé par un con-
gé de même durée avec l'accord du travailleur (art. 13 al. 2
LTr). L'exigence d'un tel accord n'a de sens que si la rétri-
bution à laquelle le salarié renonce comporte non seulement
le supplément de 25%, mais aussi le salaire de base. Rien,
dans le texte de l'art. 13 LTr, ne donne à penser qu'il
s'agisse d'une règle dispositive. Le législateur a employé
le
futur impératif, et n'a prévu que deux exceptions à l'obliga-
tion de payer une indemnité pour le travail supplémentaire
(le cas des employés ayant effectué moins de 61 heures
supplémentaires et la compensation par un congé de même du-
rée).

On doit donc poser en conclusion que la rétribution
des heures supplémentaires, soit celles dépassant l'horaire
contractuel, est réglée par l'art. 321c CO et que, dès que
les heures supplémentaires dépassent le maximum légal (en
l'espèce 45 heures par semaine), elles constituent du
travail
supplémentaire au sens de l'art. 12 LTr et doivent impérati-
vement faire l'objet d'une rétribution comprenant le salaire
de base majoré de 25% selon l'art. 13 LTr (seulement à
partir
de la 61ème heure supplémentaire accomplie dans l'année ci-
vile pour la catégorie de travailleurs ici en cause).

La demanderesse a donc droit au paiement de son
travail supplémentaire dans les limites indiquées.

7.- a) La défenderesse fait valoir, dans sa réponse
au recours, que la cour cantonale a écarté à tort le grief
subsidiaire d'abus de droit qu'elle avait soulevé. Invoquant
Duc/Subilia (n. 6 ad art. 321c CO) et des arrêts cantonaux,
elle allègue que tout cadre exerçant une fonction d'une cer-
taine importance, qui estime avoir droit à une rémunération
pour des heures supplémentaires ou "excédentaires" au sens
de
la LTr, doit présenter sans tarder une demande d'indemnisa-
tion à l'employeur s'il ne veut pas que son droit à cette ré-
munération se périme pour cause d'abus de droit. Elle repro-
che à la demanderesse de n'avoir indiqué nulle part dans ses
écritures ce qui l'aurait empêchée de l'informer en temps
utile de ses prétentions en matière de rémunération fondées
sur son travail excédentaire, alors qu'elle n'hésitait pas à
élever toutes sortes de revendications pécuniaires.

b) Dans une affaire récente, examinée sous l'angle
des art. 321c al. 3 et 341 al. 1 CO, le Tribunal fédéral a
jugé qu'il fallait s'en tenir au principe selon lequel, en
l'absence d'un accord formellement valable et antérieur à
leur accomplissement, le droit à la rétribution des heures
supplémentaires revêt un caractère impératif (ATF 124 III
469
consid. 3). Et, dans un consid. 4 non publié, il a ajouté
que
l'employé n'abusait nullement de son droit en invoquant
l'art. 341 al. 1 CO, aux termes duquel le travailleur ne
peut
pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois
qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispo-
sitions impératives de la loi ou d'une convention
collective.
En effet, selon une jurisprudence fermement établie, il se-
rait contraire à l'esprit de la loi de priver le
travailleur,
par le biais de l'art. 2 al. 2 CC, de la protection accordée
par cette disposition, sauf circonstances tout à fait parti-
culières (ATF 110 II 168 consid. 3c; 105 II 39 consid. 1b).

Ce qui vaut pour une disposition impérative de
droit privé vaut aussi pour une disposition impérative de
droit public. Quant à l'écoulement du temps, dont se prévaut
aussi la défenderesse, il ne peut être interprété ni comme
une renonciation à la prétention de la demanderesse, ni
comme
le signe de son exercice abusif. La jurisprudence ne laisse
pas planer le doute sur ce point (ATF 110 II 273; 125 I 14
consid. 3g).

Le moyen tiré de l'abus de droit sera donc rejeté.

8.- Le recours doit être admis. La demanderesse a
droit au paiement de son travail supplémentaire au taux de
125% l'heure. Sous réserve d'une légère erreur de calcul, on
peut se référer au décompte qu'elle propose dans son mémoire
de recours, qui n'est pas discuté par la défenderesse.

Ainsi, les heures accomplies en plus des 45 heures
hebdomadaires prévues par la LTr et l'ordonnance du 26 novem-
bre 1975 (reconnues) ont été au nombre de 366 en 1997 et de
223 en 1998. Il convient d'en déduire 60 heures par an en ap-
plication de l'art. 13 LTr, ce qui donne un total d'heures à
rémunérer de 469. Le calcul du montant dû à la demanderesse
s'établit comme suit:

-salaire annuel: 13 x 9000 fr. = 117 000 fr.
-salaire mensuel: 117 000 fr. : 12 = 9750 fr.
-salaire journalier: 9750 fr. : 21,75 = 448 fr.27
-salaire horaire: 448 fr.27 : 8 = 56 fr.03
-taux majoré de 25% = 70 fr.04

Le montant dû est donc de 469 x 70 fr.04 soit
32 848 fr.75.

Le montant portera intérêts à 5% l'an dès la fin
des rapports de travail, le 1er novembre 1998, sous
déduction
des charges sociales.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Admet le recours et réforme l'arrêt attaqué en
ce sens que la défenderesse est condamnée à verser à la de-
manderesse la somme de 32 848 fr.75 avec intérêts à 5% l'an
dès le 1er novembre 1998, sous déduction des charges socia-
les;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la défenderesse;

3. Dit que la défenderesse versera à la demande-
resse une indemnité de 3500 fr. à titre de dépens;

4. Renvoie la cause à la cour cantonale pour nou-
velle décision sur les frais et dépens de la procédure canto-
nale;

5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction
des prud'hommes du canton de Genève (cause n° C/5453/99-10).

_______________

Lausanne, le 16 mars 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,

La greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.424/1999
Date de la décision : 16/03/2000
1re cour civile

Analyses

Droit du travail; rétribution des heures ou travail supplémentaires (art. 321c al. 3 CO et 13 LTr). Notion de fonction dirigeante élevée au sens de l'art. 3 let. d LTr (confirmation de jurisprudence; consid. 5). La rétribution des heures supplémentaires, soit celles dépassant l'horaire contractuel, est réglée par l'art. 321c CO; dès que les heures supplémentaires dépassent le maximum légal, elles constituent du travail supplémentaire au sens de l'art. 12 LTr et doivent impérativement faire l'objet d'une rétribution comprenant le salaire de base majoré de 25% selon l'art. 13 LTr (consid. 6). Le travailleur n'abuse nullement de son droit en réclamant le paiement de son travail supplémentaire au sens de l'art. 13 LTr, l'écoulement du temps ne jouant aucun rôle à cet égard (consid. 7).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-03-16;4c.424.1999 ?
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