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15/03/2000 | SUISSE | N°1P.36/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 15 mars 2000, 1P.36/2000


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1P.36/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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15 mars 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Jacot-Guillarmod. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

I.________, représenté par Me Christophe Schwarb, avocat à
Neuchâtel,

contre

l'arrêt rendu le 8 décembre 1999 par le Tribunal administra-
tif du canton de Neuchâtel, dans la cause qui oppose le

re-
courant au Conseil d'Etat et au Ministère public du canton
de
Neuchâtel;

(indemnité pour détention injusti...

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1P.36/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

15 mars 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Jacot-Guillarmod. Greffier: M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

I.________, représenté par Me Christophe Schwarb, avocat à
Neuchâtel,

contre

l'arrêt rendu le 8 décembre 1999 par le Tribunal administra-
tif du canton de Neuchâtel, dans la cause qui oppose le re-
courant au Conseil d'Etat et au Ministère public du canton
de
Neuchâtel;

(indemnité pour détention injustifiée)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- I.________, ressortissant du Kosovo né en 1971,
a été arrêté le 26 mai 1998 et mis en détention préventive à
La Chaux-de-Fonds, sous l'inculpation de trafic de stu-
péfiants et participation à une entreprise criminelle. Par
jugement du 2 juillet 1999, la Cour d'assises du canton de
Neuchâtel, après avoir ordonné sa libération provisoire le
30 juin 1999, l'a entièrement libéré des fins de la pour-
suite, en considérant en substance que sa mise en cause re-
posait sur une confusion de personnes.

B.- Par acte du 30 septembre 1999, I.________ a for-
mé une demande d'indemnité auprès du Tribunal administratif
neuchâtelois, en raison des 400 jours de détention injusti-
fiée. Il réclamait 120'000 fr. pour le tort moral (soit
300 fr. par jour), et estimait sa perte de gain à
37'208,60 fr. (compte tenu d'un revenu moyen de 2'862,20 fr.
par mois). Il demandait aussi 10'056,30 fr. (montant versé à
sa famille par les services sociaux et devant être rembour-
sé), 17'292.20 fr. (correspondant à l'indemnité allouée par
la Cour d'assises à l'avocat du recourant, afin que ce der-
nier n'ait pas à le rembourser), 1000 fr. d'émolument judi-
ciaire mis à sa charge par le Tribunal fédéral dans un arrêt
relatif à la détention préventive, et 5000 fr., pour les
frais de la procédure d'indemnisation.

C.- Par arrêt du 8 décembre 1999, le Tribunal admi-
nistratif a partiellement admis la demande. La perte de gain
a été fixée à 28'652,40 fr., (soit une moyenne mensuelle de
2'387,70 fr.). Les 10'056,30 fr. versés par les services so-
ciaux compensaient l'interruption des versements
d'indemnités
de chômage, et étaient par conséquent compris dans l'indemni-
té pour perte de gain. Les 1000 fr. d'émolument judiciaire
devant le Tribunal fédéral ont été remboursés. En revanche,

le Tribunal administratif a fixé à 30'000 fr. l'indemnité
pour tort moral: le demandeur avait enduré une souffrance mo-
rale consécutive à une longue détention, ainsi qu'à la publi-
cité donnée aux accusations portées contre lui. Sa santé psy-
chique en avait été atteinte. Toutefois, en cas de détention
de longue durée, le demandeur ne pouvait prétendre à une in-
demnité de 300 fr. Le Tribunal a enfin précisé que l'indemni-
té d'avocat d'office ne serait pas remboursable par l'assis-
té. Une indemnité de 600 fr. a été allouée pour la procédure
d'indemnisation.

D.- I.________ forme un recours de droit public
contre ce dernier arrêt. Il en demande l'annulation, en ce
qui concerne l'indemnité pour tort moral et les frais de dé-
fense.

Le Tribunal administratif et le Ministère public se
réfèrent aux considérants de l'arrêt attaqué et concluent au
rejet du recours. Le Conseil d'Etat a déposé des observa-
tions, et conclut également au rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recours de droit public est formé en temps
utile contre un arrêt final rendu en dernière instance canto-
nale. Le recourant, dont la démarche tend à l'obtention
d'une
indemnité prévue par le droit cantonal, a qualité pour agir
au sens de l'art. 88 OJ.

2.- Le recourant soutient que le montant de 30'000
fr. ne correspondrait pas à l'indemnité pleine et entière à
laquelle il aurait droit pour son tort moral. Il estime que
son innocence pouvait être établie quelques mois déjà après
son arrestation, alors que son attitude durant la procédure
était irréprochable. Séparé de sa famille pendant treize
mois, soumis à une large publicité, il aurait perdu son en-

tourage social et subirait aujourd'hui encore des séquelles
psychologiques. Le long temps passé en détention constitue-
rait un facteur d'augmentation, et non de diminution de l'in-
demnité. Le recourant mentionne divers arrêts du Tribunal fé-
déral dans lesquels l'indemnité aurait été fixée entre 250
et
300 fr. par jour de détention. Il devrait en aller de même
dans son cas, en l'absence de tout facteur de réduction.

a) Selon l'art. 271 du code de procédure pénale neu-
châtelois (CPP/NE), quiconque a été mis en état de détention
et a bénéficié par la suite d'une décision de non-lieu ou
d'acquittement peut obtenir une indemnité à raison du préju-
dice que lui a causé son incarcération. La demande doit en
être faite dans les six mois qui suivent l'acquittement
(art.
272 CPP/NE). L'Etat supporte les frais de l'indemnisation
(art. 273 al. 1 CPP/NE), et les dispositions du CO
concernant
la fixation de l'indemnité sont applicables à titre de droit
supplétif (art. 273 al. 2 CPP/NE).

b) Le droit constitutionnel n'exige pas des cantons
qu'ils indemnisent totalement les personnes détenues à tort.
Ni la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), ni les art.
5
par. 5 CEDH et 9 par. 5 Pacte ONU II n'exigent de l'Etat
qu'il indemnise les particuliers victimes d'une
incarcération
en soi licite, mais qui se révèle a posteriori injustifiée.
L'art. 31 Cst., qui reprend en substance l'art. 5 par. 1 à 4
CEDH, ne contient pas de disposition correspondant à l'art.
5
par. 5 CEDH. Les cantons peuvent dès lors n'allouer que des
prestations réduites, le cas échéant en recourant à des cri-
tères schématiques ou en fixant un montant maximum (arrêt du
12 novembre 1997 dans la cause A., publié in SJ 1998 p.
333).
Le droit neuchâtelois prévoit certes en principe une répara-
tion pleine et entière, puisqu'il renvoie au code des obliga-
tions à titre de droit supplétif. L'autorité d'indemnisation
n'en dispose pas moins d'un très large pouvoir d'examen,

l'intervention du Tribunal fédéral dans ce domaine étant li-
mitée à l'arbitraire.

c) Selon la jurisprudence rappelée par la cour can-
tonale, si la durée de la détention constitue un critère im-
portant pour la fixation de l'indemnité pour tort moral, on
ne saurait se contenter d'adapter automatiquement et propor-
tionnellement les indemnités accordées dans les cas de déten-
tion de plus courte durée. Sous l'angle du tort moral, le
principe même de la privation de liberté pèse en effet d'un
poids au moins aussi grand que la durée de la mesure (ATF
113
Ib 155 consid. 3b p. 156; cf. également Peter Münch, Bemess-
ung der Genugtuung für unrechtfertigen Freiheitsenzug, ZBJV
134/1998 p. 237-239). Ainsi, le recourant ne saurait préten-
dre à une indemnité journalière située entre 250 et 300 fr.,
en se fondant sur des cas de détention de moins d'un mois.
Le
recourant ne saurait non plus prétendre que son tort moral
serait supérieur au cas mentionné dans l'arrêt publié
précité
(où 20'000 fr. ont été alloués pour 267 jours de détention
préventive), puisqu'on ne disposait pas, dans cette espèce,
d'informations précises. Le recourant cite les exemples qui
lui seraient le plus favorable; il ne saurait toutefois mé-
connaître que, dans l'optique d'une indemnisation incomplète
compatible avec le droit constitutionnel, la jurisprudence a
aussi tenu pour admissibles des montants largement
inférieurs
à celui qui lui a été alloué (cf. par exemple l'allocation
d'une indemnité globale de 50'000 fr. pour le dommage maté-
riel et le tort moral, pour une détention de 421 jours,
arrêt
non publié du 14 juillet 1999 dans la cause L. contre canton
de Genève; cf. également les décisions citées par Münch, op.
cit.).

En définitive, compte tenu du barème dégressif qui
peut être appliqué pour les cas de détention de longue
durée,
le montant de 30'000 fr. alloué par la cour cantonale (en
sus
des 32'040,10 fr., reçus à titre de perte de gain et de

17'292,20 fr. d'indemnité pour les frais d'avocat engagés à
raison de la procédure pénale) n'apparaît en rien
arbitraire.
Pour incomplète qu'elle puisse paraître au recourant, l'in-
demnisation n'en viole pas pour autant ses droits fondamen-
taux.

3.- Le recourant reproche aussi à la cour cantonale
de ne lui avoir alloué que 600 fr. de frais de défense pour
la procédure d'indemnisation. Ce montant serait trop faible
par rapport au travail fourni, alors que l'art. 273 CPP/NE
ne
pose pas de limite à la réparation.

Le grief est manifestement mal fondé. Les dépens à
la partie demanderesse ne constituent pas un poste de l'in-
demnisation pour détention injustifiée (cf. ATF 113 Ib 155
consid. 4 p. 156). Ils sont alloués en application du droit
cantonal de procédure, en l'espèce l'art. 48 de la loi sur
la
procédure et la juridiction administratives, et leur montant
dépend notamment du bien-fondé des prétentions élevées par
le
plaideur. L'arrêt cantonal relève à ce sujet que la cause ne
revêtait pas de difficulté particulière et que le demandeur
n'a obtenu qu'une partie de ses conclusions, de sorte qu'il
n'avait droit qu'à des dépens partiels. Le recourant
n'avance
aucun argument (art. 90 al. 1 let. b OJ) permettant de reve-
nir sur cette appréciation.

4.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire
est mis à la charge du recourant, qui succombe.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 2000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Conseil d'Etat, au Ministère public
et
au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 15 mars 2000
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.36/2000
Date de la décision : 15/03/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-03-15;1p.36.2000 ?
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