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07/02/2000 | SUISSE | N°4C.270/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 07 février 2000, 4C.270/1999


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4C.270/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

7 février 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., succursale de Genève, défenderesse et recou-
rante, représentée par Me Albert Rey-Mermet, avocat à
Genève,

et

P.________, demandeur et intimé, représenté par Me
Jean-Marie
Faivre, avocat à Genève;
> (contrat de travail; licenciement immédiat)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) P.________ a ...

«»

4C.270/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

7 février 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

__________

Dans la cause civile pendante
entre

X.________ S.A., succursale de Genève, défenderesse et recou-
rante, représentée par Me Albert Rey-Mermet, avocat à
Genève,

et

P.________, demandeur et intimé, représenté par Me
Jean-Marie
Faivre, avocat à Genève;

(contrat de travail; licenciement immédiat)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) P.________ a fondé, en 1970, une société à
Genève, dont il a ensuite vendu le capital-actions, en 1972,
à T.________, domicilié en Valais; il a cependant continué
de
diriger l'entreprise qu'il avait créée, devenant employé de
la société. Le contrat de travail, signé le 14 juin 1972,
disposait que P.________ exerçait les fonctions de directeur
de l'entreprise genevoise; le délai de résiliation était de
6
mois. A titre de rémunération, l'intéressé recevait un salai-
re fixe, ainsi qu'une commission déterminée en fonction du
chiffre d'affaires; il s'y ajoutait des frais forfaitaires.

La société, aujourd'hui X.________ S.A., a fusionné
avec une autre entreprise avec effet au 1er janvier 1997;
dès
cette date, P.________ a dû partager la direction de l'entre-
prise genevoise avec B.________. Des propositions lui ont
été
faites pour modifier son statut, mais il les a refusées.

b) P.________, qui prenait habituellement ses va-
cances annuelles au mois de janvier, ne les a pas prises en
janvier 1997, en raison des travaux consécutifs à la fusion.
Durant l'été 1997, il a été hospitalisé pendant quelques
jours pour des troubles liés à une surcharge de travail.

Le 9 décembre 1997, P.________ a annoncé sa volonté
de prendre des vacances dès le 19 décembre 1997 et jusqu'à
la
fin janvier 1998. Par lettre du 11 décembre 1997, X.________
S.A. a refusé, en faisant valoir qu'il devait assister à
l'inventaire du stock, lequel devait avoir lieu - comme cha-
que année - à fin décembre, soit plus précisément les 24, 26
et 27 décembre 1997. Par pli du 13 décembre 1997, le travail-
leur a répondu qu'il n'avait pas eu de vacances depuis long-
temps, que son médecin lui recommandait du repos et qu'il

n'avait pas l'intention de renoncer à ses vacances; dans ce
courrier, il déclarait en outre résilier le contrat de tra-
vail pour le 30 juin 1998. Le 19 décembre 1997, X.________
S.A. a informé P.________ que s'il partait en vacances, son
contrat serait résilié sans délai.

P.________ est parti en vacances du 19 décembre
1997 jusqu'à fin janvier 1998. X.________ S.A. a résilié le
contrat de travail avec effet immédiat par lettre du 19 dé-
cembre 1997. Le salaire a été versé jusqu'à fin décembre
1997.

B.- Le 5 janvier 1998, P.________ a assigné
X.________ S.A. devant la juridiction des prud'hommes du can-
ton de Genève, réclamant notamment son salaire jusqu'à fin
juin 1998 et les commissions auxquelles il aurait eu droit.

Par jugement du 6 août 1998, le Tribunal des
prud'hommes a condamné la défenderesse à payer au demandeur
81 200 fr. brut avec intérêts à 5% dès le 5 janvier 1998.

Réformant ce jugement, la Chambre d'appel de la ju-
ridiction des prud'hommes, par arrêt du 31 mai 1999, a consi-
déré que le demandeur, en partant en vacances contre la vo-
lonté de son employeur, avait violé ses obligations contrac-
tuelles, mais que cette violation, dans les circonstances
d'espèce, n'était pas d'une gravité suffisante pour
justifier
un licenciement immédiat. La cour cantonale a condamné l'em-
ployeur à verser au travailleur la somme de 69 600 fr. brut
correspondant au salaire de janvier à juin 1998, sous déduc-
tion du salaire (4074 fr. diminués des charges sociales et
légales) obtenu par le demandeur auprès d'une autre entrepri-
se durant le premier semestre 1998; elle a également
condamné
l'employeur à verser au travailleur la somme de 3232 fr.50
brut à titre de commissions pour le premier semestre 1998.
La
Chambre d'appel a cependant perdu de vue, par inadvertance,

la commission due pour l'année 1997, ce qui a donné lieu à
un
arrêt rectificatif du 27 septembre 1999, ajoutant la somme
de
6465 fr. brut.

C.- Parallèlement à un recours de droit public qui
a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité par arrêt de
ce jour, X.________ S.A. recourt en réforme au Tribunal féd-
éral. Invoquant une violation de l'art. 337 CO, elle
soutient
qu'elle avait de justes motifs pour prononcer un
licenciement
immédiat, l'employé ayant pris ses vacances contre la
volonté
de l'employeur et sans égard à l'intérêt de l'entreprise.
Elle conclut à l'annulation de la décision attaquée et au
rejet de la demande sur le fond.

L'intimé propose la confirmation de l'arrêt atta-
qué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Interjeté par la partie qui a succombé dans
ses conclusions libératoires et dirigé contre un jugement fi-
nal rendu en dernière instance cantonale par un tribunal su-
périeur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont
la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46
OJ), le recours en réforme est en principe recevable, puis-
qu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans
les
formes requises (art. 55 OJ).

b) Le recours en réforme est ouvert pour violation
du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit
de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral
doit conduire son raisonnement sur la base des faits
contenus

dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédé-
rales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inad-
vertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille complé-
ter les constatations de l'autorité cantonale parce que
celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et réguliè-
rement allégués (art. 64 OJ; ATF 119 II 353 consid. 5c/aa;
117 II 256 consid. 2a). Il ne peut être présenté de griefs
contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de
preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des con-
clusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs
qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par ceux de la dé-
cision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 123 III 246 consid.
2; 122 III 150 consid. 3).

2.- a) La recourante reproche à la cour cantonale
d'avoir violé le droit fédéral en refusant de reconnaître
l'existence de justes motifs permettant une résiliation im-
médiate.

Selon l'art. 337 al. 1 CO, l'employeur et le tra-
vailleur peuvent résilier immédiatement le contrat pour de
justes motifs. Doivent être considérés comme tels toutes les
circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne per-
mettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la conti-
nuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate
pour justes motifs doit être admise de manière restrictive
(Brunner/Bühler/Waeber, Commentaire du contrat de travail,
2e
éd., n. 1 ad art. 337c CO; Streiff/von Kaenel, Leitfaden zum
Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., n. 3 ad art. 337 CO et les ré-
férences). D'après la jurisprudence, les faits invoqués à
l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte

du rapport de confiance qui constitue le fondement du
contrat
de travail (ATF 124 III 25 consid. 3c). Seul un manquement
particulièrement grave du travailleur justifie son licencie-
ment immédiat; si le manquement est moins grave, il ne peut
entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété
malgré un avertissement (ATF 121 III 467 consid. 4d p. 472
et
les arrêts cités).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes
motifs (art. 337 al. 3 CO). Il applique les règles du droit
et de l'équité (art. 4 CC). A cet effet, il prendra en consi-
dération tous les éléments du cas particulier, notamment la
position et la responsabilité du travailleur, le type et la
durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'im-
portance des manquements (ATF 116 II 145 consid. 6a p. 150;
111 II 245 consid. 3). Le Tribunal fédéral revoit avec réser-
ve la décision d'équité prise en dernière instance
cantonale.
Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans raison des rè-
gles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière
de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits
qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle,
ou à l'inverse lorsqu'elle n'a pas tenu compte d'éléments
qui
auraient absolument dû être pris en considération; il sanc-
tionnera en outre les décisions rendues en vertu d'un
pouvoir
d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat mani-
festement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 123 III
246 consid. 6a p. 255, 274 consid. 1a/cc; 122 III 262
consid.
2a/bb; 121 III 64 consid. 3c).

b) La recourante se prévaut de la jurisprudence qui
admet que la prise de vacances de son propre chef par le tra-
vailleur, en dépit d'un refus de l'employeur, constitue très
généralement un juste motif de renvoi immédiat (ATF 108 II
301 consid. 3b). L'arrêt invoqué réserve cependant les cir-
constances particulières propres à atténuer ou effacer la

gravité de l'atteinte au rapport de confiance (ATF 108 II
301
ibidem).

Il résulte des constatations cantonales - qui lient
le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ) - que l'employé, lors-
qu'il a revendiqué ses vacances en décembre 1997, n'avait
plus pris de vacances, à part quelques jours de congé
isolés,
depuis janvier 1996.

Certes, l'art. 329c al. 2 CO dispose que l'em-
ployeur fixe la date des vacances, mais cette disposition
prévoit aussi qu'il prenne en considération les désirs du
travailleur. Il y a plus: l'art. 329a al. 1 CO exige - d'une
manière impérative pour l'employeur (art. 362 al. 1 CO) -
que
l'employeur accorde au travailleur, chaque année de service,
quatre semaines de vacances au moins; l'art. 329c al. 1 CO
précise - d'une manière également impérative (art. 362 al. 1
CO) - que les vacances sont accordées en général pendant
l'année de service correspondante et qu'elles comprennent au
moins deux semaines consécutives (c'est le Tribunal fédéral
qui souligne).

Le refus d'accepter des vacances à fin décembre
1997 impliquait concrètement l'impossibilité pour le travail-
leur d'obtenir deux semaines de vacances consécutives
pendant
l'année 1997, ce qui est contraire au principe général posé
par l'art. 329c al. 1 CO. L'employeur ne saurait invoquer
sans cesse des besoins de l'entreprise pour empêcher le tra-
vailleur de prendre les vacances auxquelles il a droit. Dans
un arrêt relativement récent, le Tribunal fédéral a déjà con-
sidéré qu'il incombait à l'employeur d'organiser le travail
de manière à permettre la prise des vacances; il a même
admis
que des circonstances de cette nature pouvaient justifier
que
le travailleur passe outre (arrêt du 4 avril 1996 dans la
cause 4C.291/1995 consid. 2b, reproduit in: Pra 1996 no 224
p. 874).

Le fait d'empêcher un travailleur de partir en va-
cances en décembre 1997, alors qu'il n'avait pas pu prendre
deux semaines consécutives depuis janvier 1996, constitue
une
situation singulière en regard de la règle posée par l'art.
329c al. 1 CO. Il s'agit d'une circonstance particulière, au
sens de l'ATF 108 II 301 déjà cité, qui justifie de ne pas
admettre sans autre examen le droit au licenciement immédiat.

c) On peut reprocher à l'intimé d'avoir tardé à an-
noncer ses vacances (bien que l'employeur devait s'attendre
à
ce qu'il en prenne en 1997), de n'avoir pas organisé son rem-
placement et d'avoir fait preuve d'un esprit indiscipliné
après avoir reçu la sommation de l'employeur. Il faut cepen-
dant mettre en balance qu'il ne s'agit pas d'un manquement
répété et que le travailleur n'avait donné lieu jusqu'ici à
aucune plainte fondée, alors que le rapport de travail avait
duré plus de cinq lustres. A cela s'ajoute que le
travailleur
n'avait pas pu prendre de vacances depuis presque deux ans,
ce qui constitue une situation anormale, qui lui permettait
de penser que sa prétention était légitime. Il avait par ail-
leurs été malade durant l'été pour cause de surcharge de tra-
vail et son médecin lui avait conseillé de prendre du repos.
Il appert ainsi que le travailleur avait un intérêt accru à
prendre enfin les vacances auxquelles il avait droit, ce qui
atténue sérieusement la gravité de sa faute. L'employeur, de
son côté, n'est pas parvenu à prouver qu'il aurait subi un
préjudice du fait de l'absence de son employé, surtout qu'il
y avait également un autre codirecteur. Il suit de là que la
pesée des intérêts ne penche pas en faveur de la recourante.

En considérant, dans de pareilles circonstances,
que la faute du travailleur n'était pas d'une gravité telle
qu'elle justifiait un congé sans délai, la cour cantonale
n'a
pas abusé de son large pouvoir d'appréciation et n'a donc
pas
violé le droit fédéral.

3.- Le recours doit être rejeté, l'arrêt attaqué
étant confirmé. Comme le montant de la demande, au moment de
l'ouverture de l'action, dépassait 20 000 fr., la procédure
n'est pas gratuite (cf. a contrario: art. 343 al. 2 et 3 CO;
ATF 115 II 30 consid. 5b). Partant, les frais et dépens se-
ront mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n
a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 3500 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimé une in-
demnité de 4000 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction
des prud'hommes genevoise.

___________

Lausanne, le 7 février 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.270/1999
Date de la décision : 07/02/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-02-07;4c.270.1999 ?
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