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03/02/2000 | SUISSE | N°4C.343/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 février 2000, 4C.343/1999


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4C.343/1999

Ie C O U R C I V I L E
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3 février 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, Corboz,
Nyffeler, juges, et Pagan, juge suppléant. Greffier:
M. Carruzzo.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

1. A.________,
2. B.________,
3. C.________,

défendeurs et recourants, tous trois représentés par
Me Oscar Zumsteg, avocat à Neuchâtel,

et

D.________, et X.________ S.r.l. , demandeur

s et intimés,
tous deux représentés par Me Roland Châtelain, avocat à La
Chaux-de-Fonds;

(responsabilité des administrateurs d'un...

«»

4C.343/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

3 février 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu, Corboz,
Nyffeler, juges, et Pagan, juge suppléant. Greffier:
M. Carruzzo.

_____________

Dans la cause civile pendante
entre

1. A.________,
2. B.________,
3. C.________,

défendeurs et recourants, tous trois représentés par
Me Oscar Zumsteg, avocat à Neuchâtel,

et

D.________, et X.________ S.r.l. , demandeurs et intimés,
tous deux représentés par Me Roland Châtelain, avocat à La
Chaux-de-Fonds;

(responsabilité des administrateurs d'une société anonyme;
compétence internationale; prescription)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La société Y.________ S.A. a été constituée le
4 mars 1992 et son siège fixé à X.________ (canton de Neuchâ-
tel). Elle a repris les locaux et les installations d'une fa-
brique exploitée en ce lieu par la société Z.________ S.A.
en
liquidation concordataire. A.________, domicilié dans le can-
ton de Zurich, était l'administrateur unique de la société
reprenante, alors que C.________ et B.________, domiciliés
en
Allemagne, en étaient les directeurs.

En 1990, Z.________ S.A. avait fondé avec
D.________ la société W.________ Italia S.r.l. en vue d'in-
tensifier ses relations d'affaires en Italie. Par contrat du
21 décembre 1992, conclu dans le canton de Neuchâtel,
Z.________ S.A. en liquidation concordataire a vendu à
D.________, agissant à titre personnel et comme gérant de la
société italienne, ainsi qu'à une tierce personne, sa part
au
capital de ladite société, moyennant reprise des dettes de
celle-ci par les acquéreurs et remplacement par eux d'une ga-
rantie bancaire qu'elle avait fournie en faveur d'une banque
italienne.

Par contrat du 15 janvier 1993, conclu dans le
canton de Neuchâtel, Y.________ S.A. a accordé à D.________
la représentation exclusive de certains types de machines
qu'elle fabriquait.

La faillite de Y.________ S.A. a été prononcée le
22 février 1993. W.________ Italia S.r.l., devenue entre-
temps X.________ S.r.l., a produit une créance qui n'a pas
été colloquée.

B.- Le 27 novembre 1996, D.________ et X.________
S.r.l. ont assigné A.________, B.________ et C.________,
recherchés solidairement, devant le Tribunal cantonal du
canton de Neuchâtel, afin d'obtenir le paiement de la somme
de 610 864 fr. plus intérêts. Les demandeurs faisaient va-
loir, en substance, qu'ils n'auraient jamais conclu les con-
trats du 21 décembre 1992 et du 15 janvier 1993 qui leur
avaient causé un dommage direct, si les organes de
Y.________
S.A. ne leur avaient pas caché le surendettement de cette
société.

Les défendeurs ont soulevé un certain nombre d'ex-
ceptions. Ils ont soutenu, en particulier, que l'autorité
saisie n'était pas compétente à raison du lieu et, à titre
subsidiaire, que l'action des demandeurs était de toute
façon
prescrite.

Statuant le 13 juillet 1999, par jugement sur moyen
préjudiciel et moyens séparés, la IIe Cour civile du
Tribunal
cantonal neuchâtelois a rejeté ces exceptions.

C.- Les défendeurs recourent en réforme au Tribunal
fédéral. Ils concluent principalement à la constatation de
l'incompétence ratione loci de la juridiction neuchâteloise,
voire au renvoi du dossier à cette autorité pour qu'elle com-
plète ses constatations de fait sur ce point, et, subsidiai-
rement, au rejet de l'action en paiement pour cause de pres-
cription.

Les demandeurs proposent le rejet du recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
125
I 412 consid. 1a et les arrêts cités).

a) Dans la mesure où il a trait à la question de la
compétence à raison du lieu, le jugement attaqué constitue
une décision incidente prise séparément du fond par la juri-
diction suprême du canton. Selon l'art. 49 al. 1 OJ, le re-
cours en réforme est recevable contre de telles décisions
lorsque le recourant invoque la violation de prescriptions
de
droit fédéral sur la compétence territoriale. En l'espèce,
les défendeurs reprochent à la cour cantonale d'avoir violé
certaines dispositions de la Convention de Lugano du 16 sep-
tembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécu-
tion des décisions en matière civile et commerciale (RS 0.
275.11; ci-après: Convention de Lugano ou CL), l'applicabili-
té de ladite convention n'étant, au demeurant, pas litigieu-
se. La Convention de Lugano appartient au droit fédéral et
son application peut faire l'objet d'un recours en réforme
au
Tribunal fédéral (ATF 125 III 108 consid. 3b et l'arrêt ci-
té). Le recours des défendeurs est ainsi recevable en tant
qu'il vise la décision prise par le Tribunal cantonal neuchâ-
telois au sujet de sa propre compétence.

b) Les juges précédents ont encore rejeté l'excep-
tion de prescription soulevée par les défendeurs. Ce
faisant,
ils ont rendu une décision préjudicielle au sens de l'art.
50
OJ (ATF 118 II 447 consid. 1a et les arrêts cités).

Selon l'art. 50 al. 1 OJ, le recours en réforme est
recevable exceptionnellement contre les décisions préjudi-
cielles ou incidentes autres que celles relatives à la com-
pétence (art. 49 OJ), lorsqu'une décision finale peut ainsi

être provoquée immédiatement et que la durée et les frais de
la procédure probatoire seraient si considérables qu'il con-
vient de les éviter en autorisant le recours immédiat au Tri-
bunal fédéral. Celui-ci examine librement si les conditions
de l'art. 50 al. 1 OJ sont réalisées (cf. art. 50 al. 2 OJ;
ATF 122 III 254 consid. 2a). Toutefois, comme l'ouverture du
recours en réforme, pour des motifs d'économie de procédure,
constitue une exception, elle doit, comme telle, être inter-
prétée restrictivement (ATF 122 III 254 consid. 2a; 118 II
91
consid. 1b p. 92). En outre, il appartient au recourant d'ex-
poser pourquoi il s'agit d'un cas exceptionnel (ATF 118 II
91
consid. 1a p. 92; 116 II 738 consid. 1b/aa).

Ces deux conditions cumulatives sont réalisées dans
le cas particulier. En effet, si le Tribunal fédéral, admet-
tant le recours sur ce point, constatait que l'action intro-
duite par les demandeurs est prescrite, il rendrait une déci-
sion finale (cf. Poudret, COJ, n. 2.3.1.5 et les
références).
Il ressort, en outre, de la nature de la cause et des expli-
cations fournies par les défendeurs quant aux preuves à admi-
nistrer que le recours immédiat au Tribunal fédéral permet-
tra, le cas échéant, de faire l'économie d'une procédure pro-
batoire longue et coûteuse.

Par conséquent, le recours est également recevable
sur la question de la prescription.

2.- a) La cour cantonale s'est fondée sur les art.
5 ch. 5 et 17 ch. 1 CL pour admettre sa compétence à raison
du lieu. Les défendeurs lui en font grief à juste titre.

La première de ces deux dispositions institue le
for de la succursale, de l'agence ou de tout autre établisse-
ment; la seconde, celui qui résulte d'une prorogation de com-
pétence. Ni l'une ni l'autre n'est applicable en l'occurren-
ce. L'art. 5 ch. 5 CL ne vise que les actions dirigées
contre

le titulaire de la succursale (Kropholler, Europäisches Zi-
vilprozess, 6e éd., n. 82 ad art. 5 CB/CL; Geimer/Schütze,
Europäisches Zivilverfahrensrecht, n. 223 ad art. 5 CB/CL;
Donzallaz, La Convention de Lugano, vol. III, n. 5351). Or,
les défendeurs, de leur propre aveu, n'étaient titulaires ni
de Y.________ S.A., ni de Z.________ S.A. en liquidation con-
cordataire. Ils ne sauraient donc être attraits devant les
tribunaux du siège de ces sociétés, sur la base de la dispo-
sition citée. Quant à la clause attributive de juridiction
réservée par l'art. 17 ch. 1 CL, elle ne lie que les parties
qui l'ont incluse dans leur accord, sous réserve
d'exceptions
n'entrant pas en ligne de compte en l'espèce, conformément
au
principe de la relativité des obligations contractuelles
(Gaudemet-Tallon, Les conventions de Bruxelles et de Lugano,
2e éd., n. 138). Aussi seules les parties aux contrats des
21
décembre 1992 et 15 janvier 1993 seraient-elles en droit de
se prévaloir de la clause de prorogation de for en faveur
des
tribunaux neuchâtelois qui y figure. Tel n'est pas le cas
des
demandeurs, dès lors qu'ils n'ont pas conclu ces deux con-
trats avec les défendeurs, mais avec chacune des sociétés
susmentionnées.

b) Les demandeurs agissent en vue d'obtenir répara-
tion du dommage direct que leur auraient causé les défen-
deurs, reprochant à ceux-ci de les avoir amenés, par un acte
illicite ou une culpa in contrahendo, à conclure les deux
contrats incriminés qui se seraient révélés préjudiciables à
leurs intérêts. Il n'y avait aucun lien contractuel entre
les
parties au litige, les défendeurs, personnes physiques, ne
devant pas être confondus avec la société qu'ils représen-
taient. Aussi ne saurait-il être question d'autre chose, en
l'espèce, que d'une responsabilité délictuelle ou quasi dé-
lictuelle (cf. Donzallaz, op. cit., n. 5081 in fine). Tel
est
également l'avis des défendeurs.

Pour ce type de responsabilité, l'art. 5 ch. 3 CL
prévoit un for au lieu où le fait dommageable s'est produit.
Cette disposition règle à la fois la compétence internationa-
le et la compétence locale (ATF 125 III 346 consid. 4b).
Elle
vise aussi bien le lieu où le dommage est survenu (Erfolgs-
ort) que le lieu du fait générateur (Handlungsort), ce der-
nier lieu pouvant d'ailleurs être multiple et créer autant
de
fors au choix du demandeur (ATF 125 III 346 consid. 4a et 4c/
aa avec de nombreuses références).

En l'occurrence, on peut en tout cas retenir, comme
lieu du fait générateur, celui où a été conclu chacun des
contrats prétendument dommageables. La conclusion de ces con-
trats était, en effet, la condition sine qua non de la surve-
nance du préjudice allégué par les demandeurs, lesquels se
plaignent d'avoir dû honorer les engagements qu'ils y
avaient
pris dans l'ignorance de la situation financière désespérée
de Y.________ S.A. Les deux contrats ont été signés dans le
canton de Neuchâtel. Par conséquent, les tribunaux de ce can-
ton sont compétents ratione loci à l'égard des trois défen-
deurs pour connaître de l'action en responsabilité ouverte
par les demandeurs. Les juges précédents ont dès lors rejeté
à bon droit l'exception d'incompétence soulevée par les dé-
fendeurs.

3.- S'agissant de la prescription, la cour cantona-
le n'a pas violé le droit fédéral en appliquant l'art. 760
al. 1 CO, qui institue un délai de cinq ans pour les actions
en responsabilité du droit de la société anonyme, plutôt que
l'art. 60 al. 1 CO, qui prévoit un délai d'une année pour
les
actions dérivant d'un acte illicite. En l'espèce, les deman-
deurs exigent réparation du dommage direct (sur cette
notion,
cf. ATF 125 III 87 consid. 3a et les références) qu'ils allè-
guent avoir subi en raison de l'acte illicite ou de la culpa
in contrahendo que les défendeurs auraient commis en leur
qualité d'organes de Y.________ S.A. et dans le cadre de

leurs fonctions. Or, il se justifie de soumettre l'action en
réparation d'un tel dommage au délai de prescription prévu
par l'art. 760 CO, en tant que lex specialis, conformément à
la tendance actuelle qui va dans le sens d'une application
des art. 759 à 761 CO à toutes les actions en responsabilité
du droit de la société anonyme, sans égard au type de
dommage
allégué ou au fondement juridique invoqué (cf. Forstmoser/
Meier-Hayoz/Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, n. 16 et 146
ad § 36; Trigo Trindade, La responsabilité des organes de
gestion de la société anonyme dans la jurisprudence récente
du Tribunal fédéral, in SJ 1998 p. 1 ss, 14; Widmer, in Com-
mentaire bâlois, n. 3 ad art. 760 CO). Le recours sera donc
rejeté sur ce point également.

4.- Les défendeurs, qui succombent, devront suppor-
ter solidairement l'émolument judiciaire (art. 156 al. 1 et
7
OJ) et les dépens alloués aux demandeurs (art. 159 al. 1 et
5
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable et confirme le jugement attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 7000 fr. à la
charge des recourants, solidairement entre eux;

3. Condamne les recourants solidairement à verser
aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de 7000
fr.
à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal canto-
nal du canton de Neuchâtel.

_________

Lausanne, le 3 février 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.343/1999
Date de la décision : 03/02/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-02-03;4c.343.1999 ?
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