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26/01/2000 | SUISSE | N°1E.1/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 janvier 2000, 1E.1/2000


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1E.1/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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26 janvier 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Catenazzi. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

la société anonyme X.________, représentée par Me Jean-
Daniel Borgeaud, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 6 décembre 1999 par le Président de la
Commission fédérale d'estimation du

1er arrondissement, dans
la cause qui oppose la recourante à la République et canton
de G e n è v e (l'Etat de Genè...

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1E.1/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

26 janvier 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Catenazzi. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

la société anonyme X.________, représentée par Me Jean-
Daniel Borgeaud, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 6 décembre 1999 par le Président de la
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, dans
la cause qui oppose la recourante à la République et canton
de G e n è v e (l'Etat de Genève), représentée par son Dé-
partement de l'aménagement, de l'équipement et du logement,
au nom de qui agit Me David Lachat, avocat à Genève;

(expropriation, droit de voisinage)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- La société anonyme X.________ est propriétaire de-
puis le 22 décembre 1959 de la parcelle n° 970 du registre
foncier, sur le territoire de la commune de Y.________; il
s'y trouve un bâtiment d'habitation. X.________ est en outre
propriétaire pour 1/13e (propriété commune) de la parcelle
dépendante voisine n° 3629. Ces terrains se situent à quel-
ques centaines de mètres de l'extrémité sud-ouest de la pis-
te de l'Aéroport international de Genève.

B.- Le 27 août 1992, X.________ s'est adressée au Dé-
partement des travaux publics du canton de Genève (aujour-
d'hui: Département de l'aménagement, de l'équipement et du
logement) pour demander le versement d'une indemnité d'ex-
propriation formelle en raison du bruit provoqué, sur sa
propriété, par l'exploitation de l'aéroport. Avec l'accord
de X.________, cette procédure a été suspendue. Elle a été
reprise en mai 1999, X.________ soumettant alors directement
à la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement
(ci-après: la Commission fédérale d'estimation) ses préten-
tions à l'encontre de l'Etat de Genève.

Différentes mesures d'instruction ont été décidées. En
particulier, une audience d'inspection locale et de conci-
liation a eu lieu le 24 août 1999, et une audience de compa-
rution personnelle des mandataires des parties le 13 septem-
bre 1999. L'Etat de Genève a pu présenter des déterminations
écrites le 15 octobre 1999: il a notamment fait valoir que
l'intégralité du capital-actions de X.________ avait été
transférée à sa détentrice actuelle, Z.________, après 1961;
ce fait serait décisif pour statuer sur la condition de
l'imprévisibilité, posée par la jurisprudence relative à
l'expropriation en matière de droit de voisinage (voir l'ar-

rêt de principe publié aux ATF 121 II 317 consid. 6 p. 333
ss). L'Etat de Genève a demandé la production, par
X.________, des documents permettant d'établir la date d'ac-
quisition de son capital-actions par Z.________.

X.________ s'est déterminée le 15 novembre 1999 sur
l'écriture de l'Etat de Genève.

Le 6 décembre 1999, le Président de la Commission fédé-
rale d'estimation a rendu une décision dont le dispositif
est le suivant:

"1. Invite la X.________ à lui fournir d'ici au 15
février 2000 toutes indications et pièces per-
mettant d'établir:
- l'identité de ses divers actionnaires depuis
1959;
- la date d'entrée de ces personnes dans la com-
munauté des actionnaires;
- les titres en vertu desquels ces personnes
sont devenues actionnaires.

Dit que si ces indications ne lui sont pas com-
muniquées dans le délai imparti, la demande
d'indemnisation de la X.________ sera rejetée.

2. Réserve la suite de l'instruction et le sort des
frais et dépens.

3. Déboute les parties de toutes autres conclu-
sions.

4. Informe la partie que la présente décision peut
être déférée par voie de recours administratif
au Tribunal fédéral dans un délai de 30 jours
dès sa notification.

5. Communique la présente décision à l'Office fédé-
al de l'aviation civile, en tant qu'autorité
intéressée."

Cette décision est motivée en fait et en droit. Elle
expose en particulier, sur la base des règles de la bonne
foi et en fonction d'une interprétation de la jurisprudence,
qu'une indemnité d'expropriation ne serait due à X.________

qu'à la condition que ses actuels actionnaires le fussent
déjà en 1961, voire qu'il s'agisse d'héritiers de personnes
actionnaires en 1961 (consid. 6 de la décision du 6 décembre
1999).

Cette décision a été notifiée au mandataire de
X.________ le 7 décembre 1999.

C.- Agissant par la voie du recours de droit adminis-
tratif, X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la
décision prise le 6 décembre 1999 par le Président de la
Commission fédérale d'estimation. Elle conclut encore, en
substance, à ce que le Tribunal fédéral statue lui-même sur
le fond et se prononce sur l'indemnité d'expropriation à lui
allouer. La recourante critique essentiellement les motifs
de la décision attaquée relatifs à l'application de la
condition de l'imprévisibilité quand la parcelle concernée
appartient à une société anonyme.

L'acte de recours a été remis le 21 janvier 2000 à un
bureau de poste suisse, à l'adresse du Tribunal fédéral.

Il n'a pas été demandé de réponses au recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Il y a lieu de statuer selon la procédure simpli-
fiée de l'art. 36a al. 1 OJ, sans échange d'écritures.

2.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 125 I
252 consid. 1a p. 254, 412 consid. 1a p. 414 et les arrêts
cités).

a) La décision attaquée est une décision prise par le
Président de la Commission fédérale d'estimation au stade de
l'administration des preuves. Elle a pour objet la produc-
tion, par la partie expropriée, de différentes pièces énumé-
rées au ch. 1 al. 1 du dispositif. Le Président est compé-
tent pour rendre de telles décisions (art. 48 de l'ordonnan-
ce concernant les commissions fédérales d'estimation, RS
711.1).

Pareille ordonnance est manifestement une décision in-
cidente, rendue dans une procédure précédant la décision fi-
nale (cf. art. 45 al. 2 let. d de la loi fédérale sur la
procédure administrative - PA, RS 172.021).

b) La voie du recours de droit administratif n'est pas
ouverte uniquement contre des décisions finales; elle peut
l'être, séparément, contre des décisions incidentes (cf.
art. 5 al. 2 PA, auquel renvoie également l'art. 97 al. 1
OJ). L'art. 101 let. a OJ impose cependant, comme condition
de recevabilité, que le recours soit ouvert contre la déci-
sion finale dans la même affaire. C'est le cas des décisions
fondées sur la loi fédérale sur l'expropriation (LEx, RS
711; cf. art. 77 LEx et 115 OJ).

La jurisprudence exige en outre que la décision inci-
dente puisse causer au recourant un préjudice irréparable
(cf. art. 45 al. 1 PA par analogie; ATF 124 V 22 consid. 2a
p. 25; 122 II 204 consid. 1 p. 207, 211 consid. 1c p. 213;
121 II 116 consid. 1b/cc p. 119; 120 Ib 97 consid. 1c p. 100
et les arrêts cités). Il n'est cependant pas nécessaire que
ce dommage soit de nature juridique; il suffit que le recou-
rant ait un intérêt digne de protection à l'annulation ou à
la modification immédiate de la décision attaquée, par exem-
ple parce qu'il encourt un préjudice économique ou parce que
la décision incidente retarde sensiblement l'issue d'une
procédure devant être menée rapidement (cf. ATF 122 II 211

consid. 1c p. 213; 120 Ib 97 consid. 1c p. 100; 112 Ib 417
consid. 2c p. 422 et les arrêts cités; arrêt du 12 juillet
1995 reproduit in RDAF 1996 p. 83 consid. 1b).

En l'occurrence, l'ordre donné à la recourante de pro-
duire diverses pièces - qu'elle doit normalement détenir -
concernant ses actionnaires ne lui cause manifestement pas
un préjudice irréparable. Elle fait du reste valoir elle-
même que cette condition de recevabilité n'est pas remplie
en tant que la décision se limite à exiger la production de
ces pièces. Or tel est bien le seul objet de la décision
attaquée, à lire son dispositif; au stade de l'administra-
tion des preuves, le Président a en effet ordonné "les mesu-
res d'instruction qui s'imposent", sans encore statuer for-
mellement "à titre préliminaire, sur la recevabilité de
principe de la demande" (cf. consid. 2 de la décision atta-
quée).

Il est vrai que, dans le cas particulier, le Président
considère qu'il aurait la compétence de statuer seul sur ce
dernier point, mais il évoque aussi, dans certains passages
de sa décision, la compétence de la Commission fédérale
d'estimation en tant que telle (cf. notamment consid. 6 et
7, p. 13, de la décision attaquée). Cette question formelle
n'a pas à être examinée plus avant ici car la décision atta-
quée, selon son dispositif, ne porte pas sur "la recevabili-
té de principe de la demande" d'indemnisation. Il serait du
reste difficilement concevable que pareille décision soit
prise avant le résultat de l'administration d'une preuve né-
cessaire (cf. infra, consid. 3). Cela étant, le magistrat
qui requiert d'une partie la production d'une pièce peut mo-
tiver son ordonnance, en exposant le contexte factuel ou ju-
ridique justifiant l'administration de nouvelles preuves.
C'est le sens que l'on peut donner, en l'espèce, aux motifs
de la décision, lesquels n'en modifient ni la portée ni la
nature incidente.

c) En l'absence d'un préjudice irréparable, le recours
de droit administratif est donc manifestement irrecevable.

Il n'y a pas lieu de se prononcer sur le respect du dé-
lai de recours de dix jours (art. 106 al. 1 OJ) et sur l'in-
fluence de l'indication erronée à ce sujet, dans la décision
attaquée (ch. 4 du dispositif; cf. art. 107 al. 3 OJ).

3.- Le Tribunal fédéral est l'autorité de surveillance
des commissions fédérales d'estimation (art. 63 LEx). A ce
titre, il peut constater d'office la nullité d'une décision,
rendue par une commission ou son président, quand elle est
entachée d'un vice particulièrement grave, manifeste ou du
moins facilement décelable, pour autant que la constatation
de la nullité ne mette pas sérieusement en danger la sécuri-
té du droit (cf. ATF 122 I 97 consid. 3a/aa p. 98/99; 116 Ia
215 consid. 2c p. 219; 115 Ib 13 consid. 1 p. 17; 111 Ib 15
consid. 9 p. 25).

Le second alinéa du ch. 1 du dispositif de la décision
attaquée ("Dit que si ces indications ne lui sont pas commu-
niquées dans le délai imparti, la demande d'indemnisation de
la X.________ sera rejetée") est clairement inadmissible. A
ce stade de l'instruction, le juge peut certes, dans les mo-
tifs d'une ordonnance concernant l'administration des preu-
ves, se prononcer sur l'importance de la pièce requise et
sur les conséquences d'un défaut de production; il ne peut
pas en revanche décider de façon conditionnelle et anticipée
sur le fond, en l'occurrence sur les prétentions à indemnité
de l'expropriée. Or c'est bien là, en définitive, le sens du
second alinéa du ch. 1 du dispositif. La décision attaquée,
qui préjuge en quelque sorte, à ce propos, du résultat de
l'administration des preuves - au cours de laquelle les par-
ties peuvent exercer le droit d'être entendu - et qui fait
fi de l'ordre normal de la procédure, est ainsi entachée

d'un vice grave. Aussi la nullité de la clause concernée
doit-elle être constatée d'office, à l'occasion du présent
arrêt.

Il en va de même du ch. 3 du dispositif ("Déboute les
parties de toutes autres conclusions"). Au moment d'ordonner
la production d'une pièce, le juge ne statue pas sur les
conclusions des parties, lesquelles concernent le fond de la
contestation, mais seulement sur une réquisition relative à
l'instruction (présentée en l'occurrence par l'expropriant).
Ce ch. 3 du dispositif, dont l'interprétation est au demeu-
rant délicate vu la motivation assez développée, dans la dé-
cision attaquée, au sujet de la condition de l'imprévisibi-
lité, pourrait signifier que certaines questions de fond
sont déjà résolues. Comme cela a déjà été exposé ci-dessus,
ce n'est pas admissible dans une ordonnance relative à la
production de pièces. La nullité de cette clause doit égale-
ment être constatée d'office.

4.- Il se justifie de renoncer à percevoir un émolu-
ment judiciaire pour le présent arrêt. Conformément au prin-
cipe de l'art. 116 al. 1, 1e phrase LEx, l'expropriant aura
à payer à la recourante une indemnité à titre de dépens,
pour la procédure devant le Tribunal fédéral.

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l ,

vu l'art. 36a OJ:

1. Déclare le recours de droit administratif irreceva-
ble.

2. Constate la nullité du ch. 1 al. 2 et du ch. 3 du
dispositif de la décision attaquée.

3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4. Met à la charge de l'Etat de Genève une indemnité
de 1'500 fr. à payer à la société anonyme X.________ à titre
de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.

5. Communique le présent arrêt en copie aux mandatai-
res des parties, au Président de la Commission fédérale
d'estimation du 1er arrondissement et, pour information, à
l'Office fédéral de l'aviation civile (autorité intéressée).

Lausanne, le 26 janvier 2000
JIA/mnv

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1E.1/2000
Date de la décision : 26/01/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-01-26;1e.1.2000 ?
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