La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2000 | SUISSE | N°4C.234/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 janvier 2000, 4C.234/1999


«»

4C.234/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 janvier 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme Charif Feller.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

1. X.________ SA, succursale de Genève, défenderesse et
recourante, représentée par Me Bruno Megevand, avocat à
Genève,

2. B.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Paul Gull

y-Hart, avocat à Genève,

et

M.________, demandeur et intimé, représenté par Me Albert-
Louis Dupont-Willemin, avocat ...

«»

4C.234/1999

Ie C O U R C I V I L E
****************************

12 janvier 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme Charif Feller.

___________

Dans la cause civile pendante
entre

1. X.________ SA, succursale de Genève, défenderesse et
recourante, représentée par Me Bruno Megevand, avocat à
Genève,

2. B.________, défendeur et recourant, représenté par Me
Paul Gully-Hart, avocat à Genève,

et

M.________, demandeur et intimé, représenté par Me Albert-
Louis Dupont-Willemin, avocat à Genève;

(procuration post mortem; responsabilité de la banque;
gestion d'affaires)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- a) Le 14 mai 1989, R.________, ressortissant
espagnol veuf, est décédé à Barcelone, en Espagne. Par tes-
tament du 6 avril 1988, il avait institué une héritière ré-
servataire, à savoir sa fille issue d'un premier mariage,
ainsi que plusieurs légataires. Une clause du testament pré-
voyait que le reliquat de tous ses biens irait à une insti-
tution, héritière universelle. R.________ avait encore dési-
gné comme exécuteurs testamentaires M.________ et une autre
personne décédée en 1989.

Dans le courant de l'année 1988, R.________ avait
ouvert plusieurs comptes bancaires aux Etats-Unis d'Amérique
"in trust for", soit en faveur de son ami B.________. Il
avait également conféré à celui-ci une procuration post mor-
tem sur ses comptes et son coffre-fort auprès de X.________
SA (ci-après: la banque), à Genève. Sous la rubrique "Dispo-
sitions post mortem" d'un compte n° 1900, ouvert auprès de
la
société Z.________ SA, à Genève, dont l'activité de gestion
de fortune a été reprise par Y.________ SA (anciennement
W.________ SA), R.________ avait aussi indiqué les
coordonnées de son ami.

b) Du 5 juillet au 22 septembre 1989, B.________ a
fait transférer les avoirs de R.________, à concurrence de
1 859 432 fr.15, de la banque sur un compte ouvert à son nom
auprès d'un établissement en Suisse. Selon une directive in-
terne de la banque, un fondé de procuration ne pouvait clô-
turer le compte en question après le décès de son titulaire.
Néanmoins, la banque, par l'intermédiaire d'un employé qui
gérait les avoirs de R.________, a accepté de transférer les
fonds, sans informer préalablement le service des
successions
comme le veut la pratique qui permet de vérifier l'existence

d'héritiers. Le 5 juillet 1989, B.________, affirmant que le
défunt n'a pas laissé d'autres héritiers, a également fait
déposer sur son compte en Suisse les avoirs de R.________
auprès de Y.________ SA, qui s'élevaient à 808 942 fr.02.
Dans le courant du mois d'octobre 1989, l'exécuteur testamen-
taire a pris contact avec B.________ pour savoir s'il con-
naissait l'existence de biens du défunt hors d'Espagne;
B.________ lui a répondu de manière évasive. Le 6 avril
1990,
soit quatre jours après avoir appris que R.________ avait
une
fille, l'ensemble de ces biens a été transféré aux Etats-
Unis. En revanche, la vente des deux certificats d'actions
de
R.________, déposés auprès de Y.________ SA, a été bloquée
par celle-ci, car elle avait également appris entre-temps
l'existence de la fille de R.________.

c) Le 20 mai 1992, la Chambre d'accusation a con-
firmé l'ordonnance de classement rendue par le Procureur gé-
néral à l'encontre de B.________, à la suite des dénoncia-
tions formulées par l'exécuteur testamentaire. Auparavant,
celui-ci a, d'entente avec B.________, ouvert un
compte-joint
destiné à recueillir le produit de la vente des certificats
d'actions du défunt. L'exécuteur testamentaire a également
obtenu, pour une créance de 2 668 616 fr.17, le séquestre
des
avoirs de B.________ en Suisse, d'un montant de 90 600 fr.
Le
commandement de payer concernant ladite créance a été frappé
d'opposition.

B.- Par acte déposé en vue de conciliation le 9
septembre 1991, l'exécuteur testamentaire a ouvert action à
l'encontre de B.________, de la banque, de Y.________ SA et
de Z.________ SA. L'exécuteur testamentaire a pris des con-
clusions tendant à faire constater que tous les avoirs dépo-
sés auprès desdits établissements sont la propriété
exclusive
de la succession de feu R.________. Ainsi B.________, auquel
il reproche une violation de ses obligations contractuelles
et un acte illicite, devrait verser 2 668 616 fr.17 avec in-
térêts; lesdits établissements devraient respectivement
1 859 432 fr.15, 808 942 fr.05 et 46 000 fr., le tout avec
intérêts. Par la suite et d'entente entre les parties,
Z.________ SA a été mise hors cause.

Par jugement du 9 septembre 1998, le Tribunal de
première instance du canton de Genève a condamné B.________
à
verser à l'exécuteur testamentaire 2 668 616 fr.17 avec inté-
rêts; il a également condamné la banque, conjointement et so-
lidairement avec B.________, à verser audit exécuteur
1 859 432 fr.15 avec intérêts.

Statuant sur appels de B.________, de la banque et
de l'exécuteur testamentaire, la Chambre civile de la Cour
de
justice du canton de Genève a, par arrêt du 16 avril 1999,
condamné B.________ et la banque à verser à l'exécuteur tes-
tamentaire 1 859 432 fr.15 avec intérêts, condamné
B.________
et Y.________ SA^ au versement de 808 942 fr.05 et déclaré
que les fonds du compte-joint reviennent exclusivement à la
succession de R.________.

C.- La banque (défenderesse) interjette un recours
en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut, en substance,
à
l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il l'a
condamnée,
solidairement avec B.________, au paiement de 1 859 432
fr.15
avec intérêts. Elle demande à ce que l'exécuteur testamentai-
re, B.________ et Y.________ SA soient déboutés de leurs
conclusions contraires.

B.________ (défendeur) recourt également en réforme
au Tribunal fédéral en concluant à l'annulation de l'arrêt
attaqué en tant qu'il le concerne.

L'exécuteur testamentaire (demandeur) propose le
rejet du recours en réforme de la défenderesse ainsi que le

rejet, dans la mesure où il est recevable, de celui du défen-
deur.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- La défenderesse et le défendeur ayant déposé un
recours en réforme contre le même jugement, il convient de
statuer sur les deux recours par un seul arrêt.

Sur le recours de la défenderesse:

2.- Les parties ne remettent pas en cause l'appli-
cabilité du droit suisse au litige qui les oppose. La cour
cantonale a retenu que l'élection de droit en faveur de la
loi suisse, dans la formule bancaire contenant la
procuration
post mortem, est valable pour l'ensemble des rapports con-
tractuels des parties, y compris la responsabilité qui peut
en découler. Pareille élection de droit est admissible (art.
116 al. 1 LDIP) et lie le juge du for, soit le juge suisse
choisi par les parties (cf. Bernard Dutoit, Droit internatio-
nal privé suisse: commentaire de la loi fédérale du 18 décem-
bre 1987, 2e éd., n. 1 ss ad art. 116 LDIP).

3.- a) Selon la cour cantonale, en remettant au dé-
fendeur tous les avoirs déposés auprès d'elle sur la seule
base d'une procuration post mortem, non utilisée antérieure-
ment au décès du titulaire du compte, la défenderesse a en-
freint son devoir de diligence découlant de l'art. 398 al. 2
CO. Dès lors, sa responsabilité contractuelle est engagée,
et
le comportement fautif de ses organes lui est directement im-
putable en application de l'art. 55 al. 2 CC.

b) La défenderesse reproche aux juges cantonaux
d'avoir délibérément ignoré les règles de la représentation,
soit les art. 32 ss CO, et de s'être uniquement basés sur
les
règles du mandat. Sans contester que ses rapports avec le dé-
funt relèvent du mandat, la défenderesse estime que la cour
cantonale a dérogé aux règles sur la représentation, en exi-
geant d'elle de s'enquérir de l'existence d'héritiers et de
vérifier que les instructions du représentant sont conformes
à leur volonté, soit de s'immiscer dans les rapports
internes
entre le représentant et le représenté.

c) La cour cantonale a constaté que le défendeur
ignorait l'existence de la procuration avant le décès du re-
présenté et que, par conséquent, il ne l'a utilisée qu'une
fois celui-ci décédé. Cela ne permet pas pour autant de dé-
duire que l'on est en présence d'une procuration post mortem
ne déployant ses effets qu'au décès du représenté (Vollmacht
auf den Todesfall). En effet, il ressort de l'arrêt attaqué,
que le représenté a conféré au défendeur, au moyen de deux
formules bancaires préimprimées (cf. Zäch, Berner Kommentar,
n. 51 ad art. 35 CO), une procuration post mortem déployant
ses effets même après le décès du représenté (art. 35 al. 1
CO; Vollmacht über den Tod hinaus). Si, au décès du repré-
senté, les tiers ne doivent pas faire dépendre la validité
d'une telle procuration du consentement des héritiers, ils
peuvent néanmoins, dans le cadre d'un rapport contractuel,
se
trouver obligés à l'égard de ceux-ci. C'est pour cette
raison
qu'il est conseillé à la banque de prendre des dispositions
correspondantes et de requérir, le cas échéant, le consente-
ment des héritiers (arrêt du Tribunal fédéral du 28 octobre
1993, dans la cause 4C.295/1992, consid. 3a, reproduit in ZR
93 (1994), n° 67 p. 181 ss, et les références).

d) D'après les constatations souveraines de la cour
cantonale, qui lient le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ),
la défenderesse s'est engagée à l'égard du défunt à
recevoir,

à conserver et à gérer des fonds et des valeurs sous forme
de
plusieurs comptes courants, d'un portefeuille de titres et
d'un coffre-fort. Il est incontesté et incontestable qu'il
s'agit là d'un mandat lequel, en matière bancaire, ne
s'éteint en principe pas par la mort du mandant (art. 405
al.
1 CO; ATF 101 II 117 consid. 5). En l'espèce, la
défenderesse
demeure donc le mandataire des héritiers de son client
décédé
et conserve à leur égard un devoir de diligence et de fidéli-
té découlant de l'art. 398 al. 2 CO, comme l'ont bien vu les
juges cantonaux.

Lorsque sont en cause des comptes, des dépôts, des
coffres etc. du de cujus, la banque doit veiller aux
intérêts
des héritiers qui ignorent l'existence d'une telle procura-
tion (Zäch, op. cit., n. 63 et 65 ad art. 35 CO; Emil
Müller,
Vererbliche Vollmacht, SJZ 43 (1947), p. 319; arrêt du Tribu-
nal fédéral du 28 octobre 1993, dans la cause 4C.295/1992,
consid. 3a, reproduit in ZR 93 (1994), n° 67 p. 181 ss). Les
tiers - plus particulièrement les banques - agissent avec
grande retenue, lorsque les intérêts des héritiers sont en
danger en raison d'un usage illicite d'une procuration post
mortem, qui ne permet à ceux-là de se retourner que contre
le
falsus procurator, à l'exclusion des héritiers (Zäch, op.
cit., n. 65 ad art. 35 CO). Même si la banque n'a pas en
principe à se soucier de la relation interne entre son
client
et le représentant, elle devra nécessairement procéder à un
jugement sur ladite relation, lorsque se pose la question de
savoir si une règle du droit des successions a été éludée
par
le représentant (Daniel Guggenheim, Die Verträge der Schwei-
zerischen Bankpraxis, 3e éd., p. 209; Maurice Aubert, Procu-
ration encore valable après décès, mandat post mortem, ....,
in: SJ 1991 285 ss, 289, pour qui la responsabilité de la
banque n'est engagée que si elle a connaissance du décès de
son client; contra: Werner de Capitani, Vorkehren im
Hinblick
auf den Tod des Bankkunden, in: Rechtsprobleme der Bank-
praxis, Bern 1976, p. 71; Felix Erb, Die Bankvollmacht,
Thèse

Zurich 1974, p. 292). Les intérêts des héritiers, qui igno-
rent l'existence d'une procuration post mortem, doivent être
déterminés, du point de vue du tiers, selon le principe de
la
confiance (Zäch, op. cit., n. 59 ad art. 35 CO).

e) En l'espèce, la défenderesse a accepté de trans-
férer, moins de deux mois après le décès de son client, dont
elle avait connaissance, la totalité des avoirs de celui-ci,
qui se montaient à 1 859 432 fr.15. De plus, le bénéficiaire
de ce transfert ne s'était jamais manifesté antérieurement
au
décès du représenté. Pour Maurice Aubert (op. cit., p. 290
ss), ce sont là des éléments ne permettant pas d'exclure la
responsabilité de la banque à l'égard des héritiers.
L'auteur
se réfère à l'ATF 112 II 450, lequel a posé que l'un des mo-
tifs pour nier la bonne foi de la banque est le transfert
inconditionnel, donc suspect, de la plus grande partie de la
fortune du client à ses fils. Zäch (op. cit., n. 63 ad art.
35 CO) considère que le tiers - plus précisément la banque -
peut être amené à devoir entreprendre des investigations, no-
tamment lorsque tous les comptes ont été soldés. Dans le cas
présent, la défenderesse, qui aurait dû selon les règles de
la bonne foi s'assurer de l'existence d'héritiers, et, le
cas
échéant, tenir compte de leurs intérêts, a fait preuve d'un
manque de diligence manifeste. En effet, les vérifications
usuelles (cf. Daniel Guggenheim, op. cit., p. 199) se justi-
fiaient d'autant plus que les montants transférés étaient
importants et que les rapports en cause avaient une
dimension
internationale. Peu importe à cet égard que le défunt ait,
de
son vivant, fait part de son intention de laisser au défen-
deur ses avoirs détenus en Suisse, comme l'allègue la défen-
deresse. La cour cantonale relève, à juste titre, que ces
propos n'ont pas été concrétisés du vivant du défunt qui
avait pourtant ouvert des comptes en banque en faveur du dé-
fendeur aux
Etats-Unis mais pas en Suisse, ni sur le plan
successoral, puisqu'il n'existe ni disposition pour cause de
mort en faveur du défendeur ni document attestant de sa qua-

lité d'ayant droit. Par ailleurs, l'on ne voit pas en quoi
la
suspension de l'exécution des instructions du représentant
jusqu'à l'issue des investigations aurait "fait perdre une
possibilité de gain au bénéficiaire des avoirs", comme le
prétend la défenderesse, ce bénéficiaire devant précisément
être déterminé au décès du représenté. Enfin, l'argument de
la défenderesse, selon lequel elle bénéficie de la présomp-
tion irréfragable d'agir dans l'intérêt du représenté aussi
longtemps que le mandat n'est pas révoqué, est dénué de per-
tinence. Il est établi que l'exécuteur testamentaire n'a eu
connaissance de l'existence des avoirs du défunt en Suisse
que le 11 avril 1990, soit après le transfert des fonds aux
Etats-Unis; par conséquent, il lui était impossible de révo-
quer le mandat avant ledit transfert.

4.- Il sied encore de relever que le grief ayant
trait à la prétendue violation par la cour cantonale du prin-
cipe de la non rétroactivité des lois est infondé, les juges
précédents n'ayant pas appliqué l'art. 305bis CP
(blanchiment
d'argent), comme le prétend la défenderesse.

Sur le recours du défendeur:

5.- a) La cour cantonale a retenu que le défendeur,
qui n'est pas au bénéfice d'une disposition pour cause de
mort, a agi en vertu d'une procuration post mortem conférée
par le défunt. Considérant qu'en sa qualité de représentant
direct du défunt, puis de la succession de celui-ci, le dé-
fendeur s'est approprié sans droit de biens ne lui apparte-
nant pas, les juges cantonaux ont estimé qu'il avait commis
un acte illicite au sens de l'art. 41 al. 1 CO, en violant
l'art. 140 ch. 1 al. 2 aCP (abus de confiance).

b) Le défendeur déclare ne plus revenir sur l'il-
licéité retenue par la cour cantonale, mais estime qu'en ad-
mettant une faute de sa part, l'arrêt attaqué violerait le
droit fédéral. Le défendeur invoque également la violation
par les juges précédents de l'art. 60 al. 1 CO. A ses yeux,
les prétentions du demandeur, qui portent sur la somme de
1 859 432 fr.15, seraient prescrites.

c) Dans l'hypothèse d'une responsabilité délictuel-
le du défendeur, le rattachement opéré par la cour cantonale
à la loi du lieu de commission de l'acte illicite (lex loci
delicti; art. 133 al. 2 LDIP) se justifie (cf. Bernard
Dutoit, op. cit., n. 5 et 6 ad art. 133 LDIP) et n'est à jus-
te titre pas contesté par les parties. Il sied d'examiner en
premier lieu la question de la prescription de l'acte illici-
te, laquelle si elle s'avère réalisée rendrait superflu
l'examen de l'autre grief invoqué par le défendeur.

aa) Selon l'art. 60 al. 2 CO , si les dommages-
intérêts dérivent d'un acte punissable soumis par les lois
pénales à une prescription de plus longue durée, cette
prescription s'applique à l'action civile. Pour en décider,
le juge civil doit appliquer, à titre préjudiciel, les
règles
du droit pénal; il est lié par une condamnation, de même que
par un prononcé libératoire constatant l'absence d'un acte
punissable (ATF 106 II 216 et les arrêts cités); le non-lieu
prononcé par le juge pénal ne lie le juge civil que s'il est
assorti des mêmes effets qu'un jugement quant à son
caractère
définitif.

bb) En procédure pénale genevoise, le non-lieu pro-
noncé par la Chambre d'accusation (art. 204 al. 1 CPP/GE),
suite à un recours contre une ordonnance de classement du
Procureur général (art. 198 al. 1 CPP/GE), a pour effet de
mettre un terme en principe définitif à la poursuite pénale.
La personne qui bénéficie d'un non-lieu ne peut être poursui-

vie à nouveau pour le même fait que si "de nouvelles charges
se révèlent" (art. 206 al. 1 et 2 CPP/GE); la reprise de la
poursuite suppose alors de véritables faits nouveaux nécessi-
tant un complément d'instruction (Dominique Poncet, Le nou-
veau code de procédure pénale genevois annoté, p. 280). En
l'espèce, la cour cantonale est donc liée par l'ordonnance
rendue en 1992 par la Chambre d'accusation, qui confirme le
classement prononcé par le Procureur. Par conséquent, c'est
avec raison qu'elle n'a pas appliqué la prescription de plus
longue durée de l'art. 60 al. 2 CO.

cc) Selon la jurisprudence relative à l'art. 60 al.
1 CO, le créancier connaît suffisamment le dommage lorsqu'il
apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments,
les circonstances propres à fonder et à motiver une demande
en justice; le créancier n'est pas admis à différer sa deman-
de jusqu'au moment où il connaît le montant absolument exact
de son préjudice, car le dommage peut devoir être estimé se-
lon l'art. 42 al. 2 CO; au demeurant, le dommage est suffi-
samment défini lorsque le créancier détient assez d'éléments
pour qu'il soit en mesure de l'apprécier (ATF 111 II 55 con-
sid. 3a p. 57; 109 II 433 consid. 2 p. 434 s.; 108 Ib 97
consid. 1c p. 99 s., et les arrêts cités). Eu égard à la
brièveté du délai de prescription d'un an, on ne saurait se
montrer trop exigeant à ce sujet à l'égard du créancier; sui-
vant les circonstances, il doit pouvoir disposer d'un
certain
temps pour estimer l'étendue définitive du dommage (ATF 111
II 55 consid. 3a p. 57, et les arrêts cités), seul ou avec
le
concours de tiers. Le délai de l'art. 60 al. 1 CO part ainsi
dès le moment où le lésé a effectivement connaissance du dom-
mage et non de celui où il aurait pu découvrir l'importance
de sa créance en faisant preuve de l'attention commandée par
les circonstances. Le doute quant à l'existence de faits suf-
fisants pour motiver une demande en justice doit être inter-
prété au préjudice du débiteur qui invoque l'exception de
prescription et auquel incombe le fardeau de la preuve (art.

8 CC). A cet égard, les circonstances du cas particulier
sont
décisives (ATF 111 II 55 consid. 3a).

Quant à la connaissance de la personne, auteur du
dommage au sens de l'art. 60 al. 1 CO, elle n'est pas
acquise
déjà au moment où le lésé présume que la personne en cause
pourrait devoir réparer le dommage, mais seulement lorsqu'il
connaît les faits qui fondent son obligation de réparer; en
revanche, il n'est pas nécessaire qu'il connaisse aussi le
fondement juridique de ce devoir; en effet, l'erreur de
droit
- qu'elle soit excusable ou non - n'empêche pas le cours de
la prescription (ATF 82 II 43 consid. 1a).

dd) Pour la cour cantonale, c'est à partir du 6
août 1990, soit de la date du deuxième courrier adressé par
la banque au demandeur, que court le délai de prescription.
Les juges cantonaux considèrent que c'est à ce moment que le
demandeur a été informé des circonstances précises relatives
au transfert des fonds. Celui-ci ayant fait procéder le 12
juin 1991 à un séquestre, la prescription annale aurait été
interrompue valablement. De l'avis du défendeur, le délai de
prescription court dès le 11 avril 1990, date à laquelle la
banque a adressé au demandeur une première lettre permettant
de déterminer avec suffisamment de précision le dommage et
son auteur, la deuxième lettre n'apportant rien de plus à
cet
égard.

La comparaison entre les deux lettres permet de dé-
celer une différence quant aux informations à en tirer. La
première lettre contient l'énumération des comptes du défunt
et la mention de la location d'un compartiment de coffre-
fort; elle indique que ces comptes et que le coffre-fort ont
été respectivement soldés et résilié par le défendeur qui bé-
néficie d'une procuration valable au-delà du décès du repré-
senté. La deuxième lettre contient les photocopies attestant
notamment l'existence d'une procuration en faveur du défen-

deur sur les avoirs mentionnés, ainsi que l'avis de
transfert
des fonds, duquel on peut déduire les dates des transferts
et
la destination des avoirs. Ce n'est donc que le second cour-
rier qui a fourni au demandeur les faits suffisants lui per-
mettant de prendre connaissance de la nature des rapports en-
tre le défunt et le représentant, des intentions de celui-ci
et de l'étendue du dommage. Dès lors, la prescription n'a
commencé à courir que le 6 août 1990 et a été interrompue va-
lablement par la suite.

6.- Le grief relatif à la faute du défendeur décou-
le lui aussi du fondement juridique de la décision
cantonale,
soit de la responsabilité délictuelle admise par celle-ci.
Toutefois, en instance de réforme, le Tribunal fédéral n'est
pas lié par les motifs invoqués par les parties (art. 63 al.
1 OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3
OJ). Aussi convient-il, pour les raisons exposées ci-après,
de considérer les relations entre les parties comme relevant
de la gestion d'affaires (art. 419 ss CO). Celle-ci, dans la
mesure où elle est imparfaite et qu'elle a été accomplie de
mauvaise foi comme en l'espèce, présente un caractère délic-
tuel permettant l'application de la loi du lieu où les actes
ont été commis (lex loci actus; Schmid, Zürcher Kommentar,
n. 60 et 72s. ad Vorbemerkungen zu Art. 419-424 OR), soit en
l'occurrence le droit suisse.

aa) La loi distingue la gestion d'affaires parfaite
(ou altruiste), effectuée dans l'intérêt du maître (art. 422
CO), de la gestion d'affaires imparfaite (ou intéressée), en-
treprise dans l'intérêt du gérant (art. 423 CO; cf., entre
autres, Schmid, op. cit., n. 14 et 15 ad Vorbemerkungen zu
Art. 419-424 OR; Hofstetter, Le mandat et la gestion d'affai-
res, in Traité de droit privé suisse, 1994, VII/2, 1, p.
229). La gestion parfaite est régulière lorsqu'elle est dic-
tée par les intérêts du maître et conforme à ceux-ci (Engel,
Contrats de droit suisse, p. 528; Tercier, Les contrats spé-

ciaux, 2e éd., n. 4467); elle est irrégulière lorsque le gé-
rant avait l'intention d'agir dans l'intérêt du maître mais
qu'il l'a fait sans que cela ait été utile et/ou contraire-
ment à la volonté du maître (Engel, op. cit., p. 531;
Tercier, op. cit., n. 4504). Dans la gestion imparfaite, le
gérant s'immisce dolosivement dans la sphère d'autrui comme
s'il s'agissait de ses propres affaires (Schmid, op. cit.,
n.
14 ad art. 423 CO; Engel, op. cit., p. 526). L'élément qui
caractérise la gestion imparfaite est la volonté du gérant
de
traiter l'affaire d'autrui comme la sienne propre et de s'en
approprier les profits (Christine Chappuis, La restitution
des profits illégitimes, thèse Genève 1991, p. 45; Urs
Lischer, Die Geschäftsführung ohne Auftrag im
schweizerischen
Recht, thèse Bâle 1990, p. 27/28). La doctrine considère gé-
néralement que l'abus d'un pouvoir de représentation formel
est un cas typique de gestion d'affaires (Rolf H. Weber,
Basler Kommentar, n. 14 ad Vorbemerkungen zu Art. 419-424 CO
et n. 3 ad art. 423; Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweize-
risches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 7. Aufl. 1998,
n. 1422; Zäch, Berner Kommentar, n. 16 ad art. 39 CO; cf.
également Gautschi, Berner Kommentar, n. 2b ad art. 423 CO,
p. 496 in fine).

bb) En l'espèce, le défendeur, en donnant l'ordre
de transférer les avoirs litigieux après le décès de son
ami,
a accompli des actes de gestion sur le patrimoine des héri-
tiers. L'on se trouve donc en présence d'une gestion d'af-
faires imparfaite, laquelle de plus a été accomplie de mau-
vaise foi. En effet, la volonté du défendeur de traiter
l'affaire d'autrui comme la sienne propre et de s'en appro-
prier les profits peut être déduite des faits établis par la
cour cantonale. Le défendeur n'a agi que dans son propre in-
térêt, au détriment des intérêts présumés des héritiers ou
du
moins en n'en tenant pas compte. Il n'invoque aucun motif va-
lable justifiant le fait d'avoir disposé de la succession.
Même s'il est établi que le défunt a, de son vivant, exprimé

le souhait de voir le défendeur bénéficier de ses avoirs à
l'étranger, voire en Suisse, les dispositions prises sous
forme d'une procuration post mortem ne sont pas adéquates
pour atteindre ce but. S'agissant des avoirs du défunt en
Suisse, la cour cantonale a souverainement constaté
l'absence
de dispositions pour cause de mort valables en faveur du dé-
fendeur. En disposant des avoirs substantiels du défunt peu
après son décès, sur la base d'une procuration post mortem
et
de seules promesses orales, sans s'enquérir de l'existence
de
dispositions pour cause de mort et allant même jusqu'à affir-
mer, sans en être sûr, l'absence d'héritiers - par rapport
au
compte n° 1900, qui n'est plus litigieux, il est vrai -, le
défendeur devait se rendre compte qu'il risquait de porter
atteinte aux intérêts de la succession. En outre, dès le mo-
ment où l'exécuteur testamentaire l'a contacté, mais au plus
tard lorsqu'il a appris l'existence de la fille du défunt,
le
défendeur aurait dû s'abstenir de toute nouvelle démarche lé-
sant derechef les intérêts de la succession. L'attitude du
gérant engendre par conséquent l'obligation de réparer selon
l'art. 423 CO.

cc) Il sied encore d'ajouter qu'il n'y pas lieu, en
l'espèce, de faire procéder à un complètement des constata-
tions de fait (au sens de l'art. 64 al. 1 OJ), tel que
requis
par le défendeur. Celui-ci reproche à la cour cantonale
d'avoir constaté de façon erronée qu'il n'a pas demandé à
l'exécuteur testamentaire de lui écrire pour obtenir des ren-
seignements, suite au premier contact téléphonique au cours
duquel il est resté évasif. Or, le complètement requis pré-
suppose qu'en raison des lacunes des constatations de fait,
la cause ne soit pas en état d'être jugée par le Tribunal fé-
déral (Guldener, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd.,
p. 552; Poudret, COJ I, n. 1.3 et 2.1 ad art. 64 OJ), ce qui
n'est manifestement pas le cas en l'espèce.

7.- En conclusion,
les deux recours doivent être
rejetés et l'arrêt attaqué confirmé, par substitution de mo-
tifs, avec suite de frais et dépens à la charge de la défen-
deresse et du défendeur (art. 156 al. 1 et 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette les recours et confirme l'arrêt attaqué;

2. Met un émolument judiciaire de 14 000 fr. à la
charge de la défenderesse;

3. Met un émolument judiciaire de 18 000 fr. à la
charge du défendeur;

4. Dit que la défenderesse versera au demandeur une
indemnité de 20 000 fr. à titre de dépens;

5. Dit que le défendeur versera au demandeur une
indemnité de 25 000 fr. à titre de dépens;

6. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

____________

Lausanne, le 12 janvier 2000
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.234/1999
Date de la décision : 12/01/2000
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-01-12;4c.234.1999 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award