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06/01/2000 | SUISSE | N°2A.364/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 06 janvier 2000, 2A.364/1999


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2A.364/1999

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
***********************************************

6 janvier 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger,
président, Hungerbühler et Yersin. Greffière: Mme Dupraz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

A.________, né le 1er janvier 1960, représenté par Me Joël
Chevallaz, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 23 mars 1999 par la Commission cantona-
le de recours de police des Ã

©trangers du canton de Genève,
dans la cause qui oppose le recourant à l'Office cantonal de
la population du canton d...

«»
2A.364/1999

IIe C O U R D E D R O I T P U B L I C
***********************************************

6 janvier 2000

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger,
président, Hungerbühler et Yersin. Greffière: Mme Dupraz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

A.________, né le 1er janvier 1960, représenté par Me Joël
Chevallaz, avocat à Genève,

contre

la décision prise le 23 mars 1999 par la Commission cantona-
le de recours de police des étrangers du canton de Genève,
dans la cause qui oppose le recourant à l'Office cantonal de
la population du canton de G e n è v e;

(art. 17 al. 2 LSEE et 8 CEDH: autorisation de séjour
au titre du regroupement familial)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Ressortissant turc né en 1960, A.________ est arri-
vé en Suisse le 14 février 1989 et y a déposé le lendemain
une demande d'asile qui a été rejetée le 19 janvier 1990, un
délai échéant le 31 mars 1990 étant imparti à l'intéressé -
qui s'était déclaré célibataire et sans enfants - pour quit-
ter la Suisse. A l'encontre de cette décision, A.________ a
déposé un recours qu'il a retiré à la suite de son mariage
avec une Suissesse. En effet, le 17 mars 1990, l'intéressé a
épousé B.________, ressortissante suisse née le 16 février
1948. A.________ s'est alors vu octroyer une autorisation de
séjour à l'année qui a été régulièrement prolongée. Par dé-
cision du 12 juin 1995, il a été mis au bénéfice d'une auto-
risation d'établissement.

Les époux A.________-B.________ se sont séparés à la
fin du mois de septembre 1993 et ont repris la vie commune
au début de l'année 1994. Dans sa demande de divorce datée
du 16 novembre 1995, B.________ prétend que l'harmonie con-
jugale s'est lentement dégradée pour s'altérer définitive-
ment à la fin de l'année 1994. Le divorce des époux
A.________-B.________ a été prononcé par jugement du Tribu-
nal de première instance du canton de Genève du 29 février
1996, passé en force de chose jugée dès le 30 avril 1996.

Le 20 juin 1996, A.________ a épousé civilement dans sa
patrie C.________, ressortissante turque née le 10 avril
1959 qui lui avait déjà donné cinq enfants qu'il aurait
alors reconnus: D.________ né le 1er décembre 1979,
E.________ née le 12 novembre 1982, F.________ né le 20 oc-
tobre 1985, G.________ née le 10 juin 1988 et H.________ née
le 4 mai 1994.

Le 29 juillet 1996, A.________ a déposé une demande de
regroupement familial pour vivre avec sa femme et ses en-
fants en Suisse. Par décision du 11 novembre 1997, l'Office
cantonal de la population du canton de Genève (ci-après:
l'Office cantonal) a révoqué l'autorisation d'établissement
de A.________, conformément à l'art. 9 al. 4 lettre a de la
loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établisse-
ment des étrangers (LSEE; RS 142.20) et rejeté en conséquen-
ce la demande de regroupement familial présentée en faveur
de la femme et des cinq enfants de l'intéressé, en applica-
tion de l'art. 17 al. 2 LSEE. Un délai échéant le 10 février
1998 était imparti à A.________ pour quitter le territoire
genevois. L'Office cantonal a retenu en particulier que
l'intéressé avait commis un abus de droit pour obtenir grâce
à son mariage avec B.________ une autorisation de séjour
puis d'établissement en Suisse sur la base de l'art. 7 al. 1
LSEE.

B.- A.________ a recouru contre la décision de l'Office
cantonal du 11 novembre 1997. Par décision du 23 mars 1999,
la Commission cantonale de recours de police des étrangers
du canton de Genève (ci-après: la Commission cantonale de
recours) a admis le recours en ce qui concerne la révocation
de l'autorisation d'établissement et l'a rejeté en ce qui
concerne le regroupement familial. Elle a annulé la décision
querellée pour ce qui est de la révocation de l'autorisation
d'établissement et l'a confirmée pour ce qui est du regrou-
pement familial. En outre, la Commission cantonale de re-
cours a renvoyé la cause à l'Office cantonal pour nouvelle
décision dans le sens des considérants. Elle a notamment es-
timé que les époux A.________-B.________ avaient réellement
eu la volonté de créer une union conjugale et que A.________
n'avait pas dissimulé des faits essentiels pour obtenir une
autorisation d'établissement. Elle a par ailleurs considéré
que A.________ n'avait pas établi ni même allégué avoir gar-
dé une relation étroite et effective avec C.________, avec

qui il avait vécu en Turquie après un mariage coutumier,
jusqu'à ce qu'il l'épouse civilement le 20 juin 1996. Dès
lors, ce dernier mariage ne paraissait pas fondé sur un lien
affectif réel, mais uniquement sur la volonté d'échapper aux
restrictions posées à l'immigration. Il y avait donc lieu de
refuser une autorisation de séjour à C.________ de même
qu'aux cinq enfants des époux A.________-C.________ qui
avaient toujours vécu en Turquie et entretenaient manifeste-
ment une relation prépondérante avec leur mère. Au demeu-
rant, le refus du regroupement familial ne violait pas
l'art. 8 CEDH.

C.- Agissant par la voie du recours de droit adminis-
tratif, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la
décision de la Commission cantonale de recours du 23 mars
1999 dans la mesure où elle confirme le refus de regroupe-
ment familial et, principalement, de lui reconnaître le
droit à l'obtention d'une autorisation de séjour en faveur
de sa femme et de ses enfants en vertu de l'art. 17 al. 2
LSEE et/ou de l'art. 8 CEDH, subsidiairement, de renvoyer la
cause "à l'autorité inférieure pour complément d'instruction
au sens de l'art. 105 al. 2 OJ et nouvelle décision". Il in-
voque la violation des art. 17 al. 2 LSEE et 8 CEDH ainsi
que la constatation manifestement inexacte voire incomplète
des faits.

La Commission cantonale de recours a renoncé expressé-
ment à formuler des observations sur le recours. L'Office
cantonal se réfère à sa décision du 11 novembre 1997, à ses
observations du 6 novembre 1998 et au procès-verbal de com-
parution personnelle du recourant devant l'autorité intimée.
Au nom du Département fédéral de justice et police, l'Office
fédéral des étrangers propose de rejeter le recours.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 124 II
499 consid. 1a p. 501).

a) Selon l'art. 100 al. 1 lettre b ch. 3 OJ, le recours
de droit administratif n'est pas recevable en matière de po-
lice des étrangers contre l'octroi ou le refus d'autorisa-
tions auxquelles le droit fédéral ne confère pas un droit.
D'après l'art. 4 LSEE, les autorités compétentes statuent
librement, dans le cadre des prescriptions légales et des
traités avec l'étranger, sur l'octroi ou le refus d'autori-
sations de séjour ou d'établissement. En principe, l'étran-
ger n'a pas de droit à l'octroi d'une autorisation de sé-
jour. Ainsi, le recours de droit administratif est irreceva-
ble, à moins que ne puisse être invoquée une disposition
particulière du droit fédéral ou d'un traité, accordant le
droit à la délivrance d'une telle autorisation (ATF 124 II
361 consid. 1a p. 363/364).

aa) L'art. 17 al. 2 1ère phrase LSEE dispose que le
conjoint d'un étranger possédant l'autorisation d'établisse-
ment a droit à l'autorisation de séjour aussi longtemps que
les époux vivent ensemble. Selon l'art. 17 al. 2 3ème phrase
LSEE, si un étranger possède l'autorisation d'établissement,
ses enfants célibataires âgés de moins de dix-huit ans ont
le droit d'être inclus dans l'autorisation d'établissement
aussi longtemps qu'ils vivent auprès de leurs parents. Lors
de l'examen de la recevabilité du recours au regard de cette
disposition, c'est l'âge de l'enfant au moment du dépôt de
la demande de regroupement familial qui est déterminant (ATF
120 Ib 257 consid. 1f p. 262).

Le recourant qui bénéficie d'une autorisation d'éta-
blissement en Suisse a épousé en Turquie une compatriote
pour laquelle il a demandé une autorisation de séjour envi-
ron un mois après le mariage civil. Il a aussi sollicité une
autorisation de séjour pour les cinq enfants qu'il a eus
avec sa femme avant leur mariage civil; à l'époque de cette
requête, les cinq enfants étaient célibataires et âgés de
moins de dix-huit ans. L'intéressé vit actuellement séparé
de sa femme et de ses enfants et c'est précisément pour que
toute la famille soit réunie qu'il a requis, au titre du re-
groupement familial, les autorisations de séjour qui sont à
la base de la présente procédure. Il y a lieu de considérer
le recours comme recevable au regard de l'art. 17 al. 2
LSEE, la question de savoir si les conditions pour la déli-
vrance d'autorisations de séjour sont, ou non, remplies
étant une question de fond et non de recevabilité (ATF 119
Ib 81 consid. 2a p. 84; 118 Ib 153 consid. 2a p. 158).

bb) Le recourant se réclame aussi de l'art. 8 CEDH qui
garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.
La question de la recevabilité du recours de ce point de vue
peut demeurer indécise, car le Tribunal fédéral doit de tou-
te façon entrer en matière sous l'angle de l'art. 17 al. 2
LSEE.

b) Le recourant est incontestablement touché plus que
quiconque par la décision attaquée - qui confirme la déci-
sion refusant une autorisation de séjour en faveur de sa
femme et de leurs cinq enfants. Il y a donc lieu de lui re-
connaître la qualité pour agir devant l'autorité de céans,
en vertu de l'art. 103 lettre a OJ.

c) Au surplus, déposé en temps utile et dans les formes
prescrites par la loi, le présent recours est en principe
recevable en vertu des art. 97 ss OJ.

2.- D'après l'art. 104 OJ, le recours de droit adminis-
tratif peut être formé pour violation du droit fédéral, y
compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (lettre
a) ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des
faits pertinents, sous réserve de l'art. 105 al. 2 OJ, (let-
tre b). Le Tribunal fédéral vérifie d'office l'application
du droit fédéral, qui englobe notamment les droits constitu-
tionnels des citoyens (ATF 124 II 517 consid. 1 p. 519; 123
II 385 consid. 3 p. 388), sans être lié par les motifs invo-
qués par les parties (art. 114 al. 1 in fine OJ). En revan-
che, lorsque le recours est dirigé, comme en l'espèce, con-
tre la décision d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédé-
ral est lié par les faits constatés dans cette décision,
sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou
s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de
procédure (art. 105 al. 2 OJ). La possibilité de faire va-
loir des faits nouveaux ou de nouveaux moyens de preuve est
dès lors très restreinte. Seules sont admissibles les preu-
ves que l'instance inférieure aurait dû retenir d'office et
dont le défaut d'administration constitue une violation de
règles essentielles de procédure (ATF 121 II 97 consid. 1c
p. 99). En outre, le Tribunal fédéral ne peut pas revoir
l'opportunité de la décision entreprise, le droit fédéral ne
prévoyant pas un tel examen en la matière (art. 104 lettre c
ch. 3 OJ). Enfin, statuant dans le cadre d'un recours de
droit administratif, le Tribunal fédéral n'a pas, sauf ex-
ception non réalisée en l'espèce, la compétence de procéder
à une reformatio in pejus de la décision attaquée (art. 114
al. 1 OJ).

3.- Le recourant fait valoir que la Commission cantona-
le de recours a constaté de façon manifestement inexacte,
voire incomplète, des faits pertinents. Il lui reproche de
n'avoir pas procédé à une instruction sur les liens l'unis-
sant, d'une part, à sa femme et, d'autre part, à ses en-

fants. Il se plaint également qu'elle n'ait pas abordé la
question de la scolarisation de ces derniers.

a) La procédure administrative est régie essentielle-
ment par la maxime inquisitoriale, selon laquelle les auto-
rités définissent les faits pertinents et les preuves néces-
saires, qu'elles ordonnent et apprécient d'office. Cette
maxime doit cependant être relativisée par son corollaire,
soit le devoir de collaboration des parties à l'établisse-
ment des faits, ainsi que par le droit des parties, compris
dans le droit d'être entendu, de participer à la procédure
et d'influencer la prise de décision (ATF 120 V 357 consid.
1a p. 360).

Le devoir de collaboration des parties concerne tout
d'abord l'administré qui adresse une demande à l'autorité
dans son propre intérêt (cf. art. 13 PA). L'administré doit
ainsi renseigner le juge sur les faits de la cause, indiquer
les moyens de preuve disponibles et motiver sa requête, en
particulier en procédure contentieuse, (cf. art. 52 PA; ATF
119 III 70 consid. 1 p. 71/72 et la jurisprudence citée;
Pierre Moor, Droit administratif, vol. II, Berne 1991,
n. 2.2.6.3, p. 176; Fritz Gygi, Bundesverwaltungsrechts-
pflege, 2e éd., Berne 1983, p. 284/285). Un devoir de colla-
boration incombe aussi à l'administré en ce qui concerne les
faits qu'il est mieux à même de connaître, parce qu'ils ont
trait spécifiquement à sa situation personnelle, qui s'écar-
te de l'ordinaire (Pierre Moor, op. cit., n. 2.2.6.3,
p. 176; Fritz Gygi, op. cit., p. 208/209). Enfin, la colla-
boration peut être imposée par une disposition légale, qui
doit correspondre à ces principes (Pierre Moor, op. cit.,
n. 2.2.6.3, p. 176). Tel est le cas en procédure administra-
tive genevoise (cf. l'art. 22 de la loi genevoise du 12 dé-
cembre 1985 sur la procédure administrative).

b) Jusqu'au présent recours, l'intéressé qui, assisté
d'un mandataire professionnel, ne pouvait ignorer le but du
regroupement familial ainsi que la jurisprudence développée
à propos de l'art. 17 al. 2 LSEE, n'a jamais allégué, ni à
plus forte raison
prouvé par la production de pièces,
l'existence de liens étroits entre lui-même et, d'une part,
sa femme, d'autre part, ses enfants. D'ailleurs, même dans
la présente procédure, il n'apporte aucune preuve à ce su-
jet, alors qu'il invoque une constatation des faits manifes-
tement inexacte de la part de l'autorité intimée et considè-
re par conséquent que le Tribunal fédéral n'est pas lié par
l'état de fait de la décision attaquée. On peut dès lors es-
timer que le recourant n'a pas rempli son obligation de col-
laboration. De plus, la Commission cantonale de recours
n'avait aucune obligation d'ordonner des mesures d'instruc-
tion qui ne lui apparaissaient pas pertinentes et qui, au
demeurant, n'avaient pas été requises par l'intéressé. Le
grief du recourant n'est donc pas fondé. Au surplus, le li-
tige ne porte pas tant sur la constatation des faits, le
dossier étant suffisamment complet sur ce point, que sur
leur appréciation, soit sur une question de droit que le
Tribunal fédéral examine librement. A cet égard, l'autorité
intimée s'est manifestement trompée sur certains points.

4.- a) D'après l'art. 7 al. 1 LSEE, le conjoint étran-
ger d'un ressortissant suisse a droit à l'octroi et à la
prolongation de l'autorisation de séjour; après un séjour
régulier et ininterrompu de cinq ans, il a droit à l'autori-
sation d'établissement; ce droit s'éteint lorsqu'il existe
un motif d'expulsion. Quant à l'art. 7 al. 2 LSEE, il pré-
voit que le conjoint étranger d'un ressortissant suisse n'a
pas droit à l'octroi ou à la prolongation de l'autorisation
de séjour lorsque le mariage a été contracté dans le but
d'éluder les dispositions sur le séjour et l'établissement
des étrangers et notamment celles sur la limitation du nom-
bre des étrangers. Selon la jurisprudence, le fait d'invo-

quer l'art. 7 al. 1 LSEE peut être constitutif d'un abus de
droit en l'absence même d'un mariage contracté dans le but
d'éluder les dispositions sur le séjour et l'établissement
des étrangers, au sens de l'art. 7 al. 2 LSEE (ATF 121 II 97
consid. 4a p. 103).

b) Le 17 mars 1990, le recourant a épousé B.________ et
il semble avoir vraiment vécu en communauté conjugale avec
elle. D'ailleurs, cette dernière a sincèrement cru en son
mariage d'après le dossier. Cependant, le fait que le maria-
ge de l'intéressé avec B.________ n'a pas été fictif n'empê-
che pas que le recourant commette un abus de droit en l'in-
voquant. Dès son arrivée en Suisse, l'intéressé a fait de
fausses déclarations et dissimulé des faits essentiels. Il
s'est ainsi prétendu célibataire, alors qu'il avait contrac-
té avec C.________ un mariage coutumier, dont rien ne prouve
qu'il aurait été rompu un jour. De plus, il a affirmé
n'avoir pas d'enfants, alors qu'il en laissait quatre en
Turquie quand il a quitté ce pays. C'est ainsi par de faus-
ses déclarations que le recourant a pu épouser une Suissesse
et c'est grâce à ce mariage qu'il a pu acquérir une autori-
sation de séjour, puis d'établissement, en Suisse. Un tel
comportement constitue un abus de droit, parce que le recou-
rant utilise son mariage avec une Suissesse à des fins qui
sont contraires à l'institution du mariage.

D'après l'art. 9 al. 4 lettre a LSEE, l'autorisation
d'établissement est révoquée lorsque l'étranger l'a obtenue
par surprise, en faisant de fausses déclarations ou en dis-
simulant des faits essentiels. Alors que les faits susmen-
tionnés figuraient au dossier, la Commission cantonale de
recours n'en a pas tenu compte. C'est donc à tort qu'elle a
annulé la révocation de l'autorisation d'établissement de
l'intéressé au regard de la disposition précitée. Toutefois,
comme ce problème dépasse l'objet du présent litige, l'auto-
rité de céans ne peut revenir sur la révocation de l'autori-

sation d'établissement du recourant, car il s'agirait d'une
reformatio in pejus non prévue par la loi (cf. consid. 2).

5.- L'intéressé reproche à la Commission cantonale de
recours d'avoir violé les art. 17 al. 2 LSEE et 8 CEDH, dans
la mesure où elle a confirmé la décision refusant une auto-
risation de séjour à sa femme d'une part et à ses enfants
d'autre part.

a) L'art. 17 al. 2 LSEE qui traite du regroupement fa-
milial, comme on l'a vu (cf. consid. 1a/aa), subordonne le
droit à une autorisation de séjour à la condition, d'abord,
que le conjoint en Suisse ait droit à une autorisation
d'établissement - cf. l'art. 8 CEDH qui exige un droit ferme
à y séjourner - et, ensuite, que les époux vivent ensemble
(1ère phrase). Il tend à permettre la vie commune des époux,
comme d'ailleurs l'art. 8 CEDH qui garantit le droit au res-
pect de la vie familiale intacte et vivante. L'art. 17 al. 2
3ème phrase LSEE, quant à lui, a pour but de permettre à
l'ensemble de la famille, parents et enfants, de se rejoin-
dre et de vivre en commun (à la condition évidemment que les
deux parents soient encore en vie). Il vise donc avant tout
le cas où la relation entre les parents est intacte. La seu-
le condition prévue explicitement par l'art. 17 al. 2 3ème
phrase LSEE est que les enfants vivent auprès de leurs pa-
rents. Toutefois, d'autres exigences doivent être tirées de
la loi, de sorte que cette disposition ne confère pas de
droit inconditionnel à faire venir en Suisse des enfants vi-
vant à l'étranger. On impose les mêmes conditions dans l'ap-
plication de l'art. 8 CEDH, qui peut être invoqué lorsqu'une
mesure d'éloignement empêche ou rend très difficile le main-
tien de la vie familiale et entraîne de fait la séparation
de la famille. Cette disposition ne crée cependant pas de
droit absolu à l'entrée ou au séjour en Suisse de membres de
la famille (ATF 124 II 361 consid. 3a p. 366).

b) Il y a abus de droit notamment lorsqu'une institu-
tion juridique est utilisée à l'encontre de son but pour
réaliser des intérêts que cette institution juridique ne
veut pas protéger. L'existence d'un éventuel abus de droit
doit être appréciée dans chaque cas particulier et avec re-
tenue, seul l'abus manifeste pouvant être pris en considéra-
tion (ATF 121 II 97 consid. 4 p. 103).

L'intéressé est au bénéfice d'une autorisation d'éta-
blissement obtenue par des déclarations mensongères; en in-
voquant son mariage avec une Suissesse, il commet un abus de
droit, puisqu'il a utilisé l'institution du mariage dans un
but de police des étrangers.

c) Le recourant prétend qu'il avait contracté un maria-
ge coutumier avec C.________ et que quatre enfants étaient
nés de cette union avant son départ de Turquie. Il fait va-
loir qu'au moment où il est arrivé en Suisse, il n'avait pas
été légalement marié avec C.________ et qu'il n'avait aucune
raison de parler de sa relation avec elle lorsqu'il vivait
une véritable union conjugale avec B.________. Il soutient
avoir gardé des contacts avec C.________ durant leur sépara-
tion et l'avoir rencontrée lors des fréquents voyages qu'il
a effectués dans sa patrie pour rendre visite à sa famille.
Il compare la situation dans laquelle ils se trouvaient à
celle d'un couple divorcé. Par ailleurs, il explique que,
jusqu'en 1991, la législation turque interdisait au père de
reconnaître des enfants nés hors mariage. Il invoque, comme
preuve des liens affectifs réels qu'il entretient actuelle-
ment avec sa femme, le combat qu'il mène depuis plus de
trois ans pour obtenir de vivre avec elle en Suisse. Il af-
firme, en outre, que maintenant qu'il a divorcé de
B.________, il ne peut plus se contenter de voir sa famille
une fois par an.

d) En réalité, l'intéressé a vraisemblablement maintenu
des relations étroites et effectives avec C.________ depuis
qu'il vit en Suisse. Etant régulièrement retourné seul en
Turquie, il ne l'a pas rencontrée uniquement au hasard de
ses visites à ses enfants. En effet, c'est au cours d'un de
ces séjours qu'a été conçue H.________ et le fait que la
naissance de cette enfant n'avait pas été voulue ne change
rien à la nature des relations que le recourant entretenait
encore avec C.________, alors qu'il était marié à une Suis-
sesse depuis plusieurs années. D'ailleurs, ces relations dé-
coulaient naturellement du mariage coutumier, existant en
Turquie, qui liait encore l'intéressé à C.________, puisque
rien au dossier ne prouve que ledit mariage aurait été rompu
un jour. Durant son mariage avec une Suissesse, le recourant
a toutefois pris quelque distance, en tout cas géographique-
ment, par rapport à la famille qu'il avait fondée en Tur-
quie. Il est vrai qu'il n'a pas reconnu ses enfants dès que
le droit turc le lui a permis, soit en 1991 pour les quatre
premiers et à sa naissance en 1994 pour la cinquième. Ce
comportement n'indique cependant pas un éloignement vérita-
ble, mais s'explique par l'objectif poursuivi par l'intéres-
sé: obtenir une autorisation d'établissement par son mariage
avec une Suissesse pour pouvoir faire venir en Suisse la fa-
mille qu'il avait créée dans sa patrie. En fait, depuis que
le recourant a épousé B.________ le 17 mars 1990 et jusqu'à
leur divorce qui a passé en force de chose jugée dès le 30
avril 1996, il a mené de front deux unions conjugales, l'une
coutumière en Turquie, l'autre civile reconnue de façon gé-
nérale. Une telle attitude est contraire à l'ordre public
suisse, car elle se fonde sur une bigamie de fait, qui ne
peut certes pas être sanctionnée par l'art. 215 CP, mais qui
tombe sous le coup de l'art. 10 al. 1 lettre b LSEE; selon
cette disposition, l'étranger peut être expulsé de Suisse ou
d'un canton si sa conduite, dans son ensemble, et ses actes
permettent de conclure qu'il ne veut pas s'adapter à l'ordre
établi dans le pays qui lui offre l'hospitalité ou qu'il

n'en est pas capable. Ainsi, l'intéressé, dont le comporte-
ment est contraire à l'ordre public suisse, se prévaut en
vain d'une autorisation d'établissement acquise d'ailleurs
par un abus de droit (cf. consid. 4b) grâce à un mariage
avec une Suissesse reposant sur des mensonges pour revendi-
quer une autorisation de séjour pour la famille qu'il a fon-
dée en Turquie, avec qui il n'a vraisemblablement pas cessé
d'entretenir des contacts étroits et effectifs durant ledit
mariage.

e) Compte tenu de ce qui vient d'être dit, c'est à jus-
te titre que l'intéressé s'est vu refuser le regroupement
familial qu'il avait demandé pour vivre en Suisse avec sa
femme et leurs cinq enfants. Le grief tiré d'une violation
des art. 17 al. 2 LSEE et 8 CEDH n'est pas fondé.

6.- Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté.

Succombant, le recourant doit supporter les frais judi-
ciaires (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ) et n'a pas droit à
des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours.

2. Met à la charge du recourant un émolument judiciaire
de 2'000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
du recourant, à l'Office cantonal de la population et à la
Commission cantonale de recours de police des étrangers du
canton de Genève, ainsi qu'au Département fédéral de justice
et police.

Lausanne, le 6 janvier 2000
DAC/mnv

Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

La Greffière,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2A.364/1999
Date de la décision : 06/01/2000
2e cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-01-06;2a.364.1999 ?
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