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05/01/2000 | SUISSE | N°1P.539/1999

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 05 janvier 2000, 1P.539/1999


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1P.539/1999

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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5 janvier 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Catenazzi. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Me X.________, avocat et notaire, à Saxon, représenté par Me
Jean-François Sarrasin, avocat à Martigny,

contre

la décision rendue le 14 juillet 1999 par la Chambre pénale
du Tribunal cantonal du canton du

Valais, dans la cause oppo-
sant le recourant à l'Etat du Valais;

(indemnisation consécutive à un non-lieu)

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1P.539/1999

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

5 janvier 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay et Catenazzi. Greffier: M. Jomini.

Statuant sur le recours de droit public
formé par

Me X.________, avocat et notaire, à Saxon, représenté par Me
Jean-François Sarrasin, avocat à Martigny,

contre

la décision rendue le 14 juillet 1999 par la Chambre pénale
du Tribunal cantonal du canton du Valais, dans la cause oppo-
sant le recourant à l'Etat du Valais;

(indemnisation consécutive à un non-lieu)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- X.________, avocat et notaire, a instrumenté le
3 juillet 1987 l'acte de fondation de la société anonyme
E.________. Après quelque temps d'activité, la situation fi-
nancière de cette société s'est dégradée et une procédure
pénale a été ouverte sur dénonciation de divers créanciers
et
intéressés.

Dans cette procédure, Me X.________ a été entendu le
25 février 1994 par le Juge d'instruction pénale du Valais
central (ci-après: le Juge d'instruction) en tant que "tiers
appelé à fournir des renseignements" (l'"audition à titre de
renseignement" est réglée à l'art. 83bis du code de
procédure
pénale du canton du Valais - CPP val.). Il a notamment été
interrogé au sujet d'un contrat de licence en faveur de
E.________ et, dans ce contexte, sur une éventuelle reprise
de biens par la société lors de sa constitution, voire sur
des avantages particuliers attribués aux fondateurs, opéra-
tions qui auraient le cas échéant dû être mentionnées dans
l'acte notarié (cf. art. 628 CO).

Par décision du 9 juin 1994, le Juge d'instruction a
ouvert une instruction pénale contre Me X.________, pour
faux
dans les titres (cf. art. 46 ch. 2 CPP val.).

Le 4 octobre 1994, Me X.________ a été entendu par
le Juge d'instruction en tant que prévenu. Par ordonnance du
17 février 1995, ce magistrat l'a inculpé de faux au sens de
l'art. 317 CP (dans sa teneur antérieure à la révision du 17
juin 1994).

L'instruction a été déclarée close le 15 février
1996 et le dossier a été transmis au Ministère public du Va-
lais central. Celui-ci a présenté son préavis le 28 octobre

1996 et, sur cette base, le Juge d'instruction a rendu le 15
novembre 1996 un arrêt de non-lieu. Il a mis les frais d'en-
quête à la charge du fisc et prononcé que chaque partie gar-
dait ses propres frais d'intervention.

Me X.________, qui avait été assisté par un confrère
avocat, Me Jean-François Sarrasin, au cours de la procédure
pénale, a interjeté appel de l'arrêt de non-lieu en tant
qu'il lui refusait des dépens. Le Tribunal du IIIe arrondis-
sement pour le district de Martigny a admis l'appel par juge-
ment rendu le 3 août 1998 et il a dit que les dépens de Me
X.________ seraient mis à la charge du fisc. Me Sarrasin a
en
conséquence déposé un état de frais et le montant réclamé,
de
1'325.65 fr. (frais et honoraires judiciaires), lui a été
versé.

B.- Le 18 septembre 1998, Me X.________ a déposé
devant la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton du
Valais une requête en indemnisation fondée sur l'art. 114
CPP
val. L'indemnité demandée s'élève à 43'000 fr., pour les
frais d'avocat et le tort moral liés à la procédure pénale
ouverte à son encontre et close par un non-lieu.

La Chambre pénale a rejeté la requête par une déci-
sion rendue le 14 juillet 1999. En substance, elle a consi-
déré que le droit cantonal ne prévoyait l'allocation d'une
indemnité qu'en cas de détention ou d'autres actes d'instruc-
tion d'une certaine gravité; l'intéressé n'ayant dû subir
que
de simples interrogatoires, il n'en remplissait pas les con-
ditions.

C.- Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, Me X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la
décision de la Chambre pénale. Il se plaint principalement
d'une violation de l'art. 4 al. 3 de la Constitution du Can-
ton du Valais (Cst./VS; RS 131.232) et, en invoquant l'art.
4

aCst., d'une application arbitraire et contraire à l'égalité
de traitement de l'art. 114 CPP val.

Le Tribunal cantonal a renoncé à formuler des obser-
vations.

D.- En cours de procédure, Me X.________ a demandé
la récusation des Juges fédéraux Aemisegger, Aeschlimann,
Jacot-Guillarmod et Favre. Cette requête a été rejetée par
une décision prise le 23 septembre 1999 par la Ie Cour de
droit public.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le recourant se réfère aux art. 5 et 6 par. 2
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales (CEDH; RS 0.101), sans
toutefois expliquer en quoi ces normes pourraient fonder un
droit à une indemnité dans le cas particulier. S'il
entendait
se plaindre d'une violation de ces normes, la motivation du
recours serait manifestement insuffisante à cet égard -
compte tenu des exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, qui
requiert un exposé succinct des droits constitutionnels vio-
lés, précisant en quoi consiste la violation -, de sorte
qu'il n'y a pas lieu d'examiner la portée de ces garanties
du
droit conventionnel (cf. ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76 et
les
arrêts cités).

Le recourant évoque un droit de rang constitutionnel
(fédéral) à une indemnité pour la personne victime d'une ar-
restation injustifiée. Il reconnaît aussi qu'un tel droit
n'a
actuellement été consacré ni par le constituant fédéral ni
par le Tribunal fédéral. Tel est bien l'état de la jurispru-
dence (cf. arrêt du 12 novembre 1997 reproduit in SJ 1998 p.

33 consid. 1, 4 et 5, et les références; cf. aussi Robert
Hauser/Erhard Schweri, Schweizerisches Strafprozessrecht, 4e
éd. Bâle 1999, § 109 n. 2 p. 501), que le recourant ne criti-
que pas de façon concluante. Au reste, il ne s'agit pas en
l'occurrence de se prononcer sur les conséquences d'une dé-
tention injustifiée, mais sur celles d'autres opérations,
moins graves pour l'intéressé, d'une enquête pénale.

2.- Le recourant invoque l'art. 4 al. 3 Cst./VS,
aux termes duquel l'Etat est tenu d'indemniser équitablement
toute personne victime d'une erreur judiciaire ou d'une ar-
restation illégale, la loi réglant l'application de ce prin-
cipe. Le recourant n'ayant pas été arrêté, cette disposition
constitutionnelle ne pourrait ici entrer en considération
que
s'il avait été victime d'une erreur judiciaire. Or on entend
généralement par là une condamnation définitive se révélant
a
posteriori non fondée, et non pas une inculpation par un
juge
d'instruction suivie directement d'une ordonnance de
non-lieu
rendue dans le cours de la même enquête.

Il n'y a pas lieu de déterminer si cette dernière
hypothèse peut également être qualifiée d'"erreur judiciai-
re", car ce n'est pas le point décisif. Le refus de l'indem-
nité, en instance cantonale, est fondé non pas sur la
réalité
des faits ayant justifié l'inculpation puis le non-lieu (en
d'autres termes sur l'existence ou non d'une erreur judiciai-
re), mais bien sur la nature ou le degré de gravité de l'at-
teinte subie par le recourant (cf. infra, consid. 3b). La
Constitution cantonale ne s'oppose à ce qu'un tel critère
entre en considération - le recourant ne présente du reste
aucun argument à ce sujet - : la réparation prévue à l'art.
4
al. 3 Cst./VS est en effet limitée à une indemnisation équi-
table. Il en découle que la juridiction compétente jouit
d'un
large pouvoir d'appréciation, qui est cependant limité par
l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (cf.
Antoine

Thélin, L'indemnisation du prévenu acquitté en droit
vaudois,
JdT 1995 III 99).

Cela étant, le régime d'indemnisation du prévenu in-
culpé puis mis au bénéfice d'un non-lieu est réglé plus en
détail à l'art. 114 CPP val.; l'art. 4 al. 3 in fine Cst./VS
renvoie en effet à la loi pour la mise en oeuvre du principe
constitutionnel. C'est cette disposition légale que la Cham-
bre pénale du Tribunal cantonal a en définitive interprétée
et appliquée. Le recourant se plaint d'arbitraire à ce pro-
pos.

3.- A l'appui de son grief d'arbitraire, le recou-
rant invoque en substance, pour son propre cas, l'importance
des conséquences de l'instruction pénale: il fait valoir à
la
fois le coût des honoraires d'avocat et le tort moral. A ce
sujet, il critique la durée de la procédure jusqu'à l'ordon-
nance de non-lieu et relève qu'en tant qu'homme politique -
président de commune, ancien député - et officier public, il
a subi une atteinte grave à sa personnalité, d'autant plus
que son inculpation a été révélée par la presse. Il reproche
à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de réserver en
somme, par sa jurisprudence, l'indemnisation selon l'art.
114
ch. 1 CPP val. aux personnes qui ont été arrêtées ou
détenues
préventivement, alors que le législateur cantonal a prévu,
selon lui, une réparation pour toute forme de préjudice maté-
riel et moral. Sur ce point, le recourant se plaint d'une
inégalité de traitement entre les prévenus détenus et les
autres prévenus mais, tel qu'il est formulé, ce grief se
confond avec celui d'arbitraire.

a) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une
décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une
norme
ou un principe juridique clair et indiscuté, ou contredit
d'une manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte donc de la
solution

retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si
sa décision apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs
ou
en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas
que les motifs de la décision soient insoutenables; encore
faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A
cet
égard, il ne suffit pas non plus qu'une solution différente
de celle retenue par l'autorité cantonale puisse être tenue
pour également concevable, ou apparaisse même préférable
(ATF
125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II 10 consid. 3a p. 15, 129
consid. 5b p. 134; 124 V 137 consid. 2b p. 139; 124 IV 86
consid. 2a p. 88 et les arrêts cités).

Cette jurisprudence a été développée sur la base de
l'art. 4 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874 (aCst.),
où l'interdiction de l'arbitraire était une règle implicite.
Elle figure maintenant explicitement à l'art. 9 de la Consti-
tution fédérale du 18 avril 1999 (Cst.), entrée en vigueur
le
1er janvier 2000 (voir l'arrêté fédéral du 28 septembre 1999
sur l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution
fédérale,
RO 1999 2555). La mise à jour de la Constitution fédérale
n'entraîne en l'occurrence aucune modification de la défini-
tion de l'arbitraire, telle qu'elle vient d'être exposée
(cf.
Message du Conseil fédéral relatif à une nouvelle Constitu-
tion fédérale, FF 1997 I 146).

b) L'art. 114 ch. 1 al. 1 CPP val. dispose ce qui
suit:

" Une indemnité pour la détention préventive et
les autres préjudices subis est allouée, s'il en fait
la demande, au prévenu qui est mis au bénéfice d'un
non-lieu ou qui est seulement puni pour inobservation
de prescriptions d'ordre; toutefois, cette indemnité
peut être refusée en tout ou en partie au prévenu qui
a provoqué l'instruction par sa faute ou qui a, sans
raison, entravé ou prolongé la procédure. Pour le
surplus, les dispositions du code des obligations
sont applicables par analogie."

Cette indemnité est versée par l'Etat (art. 114 ch.
4 CPP val.), le plaignant ou le dénonciateur pouvant éven-
tuellement être condamnés au remboursement (art. 114 ch. 5
CPP val.).

Le texte de l'art. 114 ch. 1 CPP val. n'exclut pas
une indemnisation du prévenu mis au bénéfice d'un non-lieu
qui n'a pas été détenu, mais qui a néanmoins subi d'"autres
préjudices". Il faut alors, selon l'arrêt attaqué, que les
opérations de l'instruction présentent une certaine gravité
objective et que le préjudice soit important. Il n'est pas
arbitraire d'interpréter ainsi la règle du droit cantonal;
elle se réfère du reste aux dispositions du code des obliga-
tions, qui subordonnent à la gravité de l'atteinte l'octroi
d'une indemnité à titre de réparation morale (art. 49 al. 1
CO; cf. Thélin, op. cit., p. 99-101).

Dans le cas particulier, la Chambre pénale du Tribu-
nal cantonal a considéré que le recourant, n'ayant subi que
de simples interrogatoires, ne remplissait pas les
conditions
à l'octroi d'une indemnité selon l'art. 114 ch. 1 CPP val.
Depuis l'ouverture de l'instruction pénale le 9 juin 1994,
le
recourant n'a été entendu qu'une seule fois en tant que pré-
venu. Il a ensuite été formellement inculpé, sans devoir su-
bir d'autres opérations d'instruction, plus incisives (per-
quisition, séquestre, etc.). Jusqu'à l'arrêt de non-lieu, la
procédure a duré près de deux ans et demi, ce qui n'est pas
excessivement long compte tenu de la nature de l'affaire,
impliquant d'autres intéressés. On peut sans arbitraire en
déduire que ni les opérations de l'instruction ni le préjudi-
ce ne présentent le caractère de gravité requis. En raison
de
ses mandats et office publics, le recourant a certes été
plus
exposé qu'un autre prévenu à l'attention de la presse et de
la population, sans pourtant - selon les faits allégués -
avoir été l'objet d'un traitement spécial ni d'une campagne
de dénigrement. La notoriété du recourant pouvait alors, éga-

lement sans arbitraire, ne pas être considérée comme décisi-
ve. En définitive, le jugement de la Cour cantonale n'est en
rien insoutenable, compte tenu
du large pouvoir d'apprécia-
tion dont elle jouit en la matière.

4.- Le recourant dénonce enfin une prétendue iné-
galité de traitement entre les notaires et les autres
"sujets
de responsabilité", les premiers étant selon lui traités,
dans le canton du Valais, avec une rigueur excessive lorsque
des manquements leur sont reprochés. Ces considérations géné-
rales sur la responsabilité civile sont sans pertinence dans
le cas présent.

5.- Il s'ensuit que le recours de droit public, en-
tièrement mal fondé, doit être rejeté. Le recourant, qui suc-
combe, doit payer l'émolument judiciaire (art. 153 al. 1,
153a al. 1 et 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours de droit public;

2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 2'000 fr.;

3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant et au Tribunal cantonal du canton du
Valais.

Lausanne, le 5 janvier 2000
JIA/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.539/1999
Date de la décision : 05/01/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-01-05;1p.539.1999 ?
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