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27/10/1999 | SUISSE | N°1P.712/1998

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 octobre 1999, 1P.712/1998


125 I 458

43. Arrêt de la Ière Cour de droit public du 27 octobre 1999 dans
la cause Canton de Vaud contre République et canton de Genève
(réclamation de droit public)
A.- Dans une lettre du mois de novembre 1998, le Département
genevois des finances informa plusieurs centaines de contribuables
domiciliés dans le canton de Vaud qu'ils allaient recevoir une
formule genevoise de déclaration d'impôt. Selon le département, les
personnes physiques domiciliées hors du canton de Genève, mais y
exerçant une activité dépendante avec une

fonction dirigeante, se
créaient un domicile fiscal secondaire dans le canton de Genève.
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125 I 458

43. Arrêt de la Ière Cour de droit public du 27 octobre 1999 dans
la cause Canton de Vaud contre République et canton de Genève
(réclamation de droit public)
A.- Dans une lettre du mois de novembre 1998, le Département
genevois des finances informa plusieurs centaines de contribuables
domiciliés dans le canton de Vaud qu'ils allaient recevoir une
formule genevoise de déclaration d'impôt. Selon le département, les
personnes physiques domiciliées hors du canton de Genève, mais y
exerçant une activité dépendante avec une fonction dirigeante, se
créaient un domicile fiscal secondaire dans le canton de Genève.
En réponse à divers contribuables vaudois, le département genevois
précisa, dans des lettres individuelles, que son intention était de
chercher à modifier la jurisprudence du Tribunal fédéral fixant
l'assujettissement fiscal des pendulaires au lieu de leur domicile.
Dans une lettre du 14 décembre 1998 adressée au Conseil d'Etat
vaudois, le Conseil d'Etat genevois précisa le but de sa démarche: il
s'agissait d'élaborer une politique fiscale tenant compte des
réalités actuelles et du principe de justice fiscale. Le canton de
Genève fournissait de plus en plus de prestations, d'équipements et
de services. Les personnes travaillant à Genève mais résidant hors du
canton bénéficiaient de ces avantages, dont le coût incombait
exclusivement aux contribuables genevois. La jurisprudence suisse
actuelle accordait trop d'importance au lieu de résidence,
contrairement aux règles actuelles du droit fiscal international qui
favoriseraient le pays du lieu de travail. Le substrat fiscal devrait
être partagé entre l'Etat du domicile et celui du lieu de travail. A
ce sujet, le dialogue avec le canton de Vaud était au point mort
depuis plus de 10 ans.

B.- Agissant par la voie de la réclamation de droit public fondée
sur l'art. 83 let. b OJ, le canton de Vaud prend les conclusions
suivantes:

A titre provisionnel:
- interdire au canton de Genève, jusqu'à droit jugé, de
poursuivre les
procédures fiscales entamées contre les personnes physiques
domiciliées et
régulièrement assujetties dans le canton de Vaud, qui exercent une
activité lucrative dépendante à Genève mais n'y disposent pas d'une
résidence et retournent quotidiennement à leur domicile vaudois
(pendulaires);
- suspendre toute procédure fiscale entreprise par le canton de
Genève
contre les pendulaires;
Considérant en droit:
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la
recevabilité d'une réclamation de droit public dont il est saisi (ATF
118 Ia 195 consid. 2 p. 200).
a) Selon l'art. 83 let. b OJ, le Tribunal fédéral connaît des
différends de droit public entre les cantons, lorsqu'un gouvernement
cantonal le saisit de l'affaire. L'art. 113 al. 1 ch. 2 Cst., qui
fonde cette disposition légale, se borne à relever que le différend
intercantonal doit ressortir au domaine du droit public, ce qui est
le cas du droit fiscal, comme l'attestent d'ailleurs une quinzaine de
précédents relevant de cette matière depuis 1874 (ATF 117 Ia 233
consid. 2b p. 240 et les arrêts cités; cf. aussi l'art. 189 al. 1
let. d de la nouvelle Constitution fédérale du 18 avril 1999 - nCst.
-, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2000 - RO 1999, 2556).
b) La réclamation de droit public, dont le dépôt n'est soumis à
aucun délai et ne requiert pas l'épuisement des instances cantonales
(voir sur ces deux points W. HALLER, Commentaire de la Constitution
fédérale, 1995, ad art. 113 Cst., nos 35/36; M. GUT, Staatsrechtliche
Streitigkeiten zwischen den Kantonen und ihre Beilegung, thèse,
Zurich 1942, p. 167), a été formée en l'espèce par un gouvernement
cantonal, comme l'exige l'art. 83 let. b OJ (voir également l'art. 26
de la loi vaudoise du 11 février 1970 sur l'organisation du Conseil
d'Etat).
c) Le canton qui forme une réclamation de droit public doit avoir
un intérêt juridique actuel au règlement d'un différend relevant du
droit public (ATF 106 Ib 154 consid. 1a). La presque totalité des cas
de réclamations de droit public entre cantons soumises au Tribunal
fédéral concernait des différends qui avaient pour origine un cas
individuel. Mais ni l'art. 113 al. 1 ch. 2 Cst. (cf. art. 189 al. 1
let. d nCst.), ni l'art. 83 let. b OJ n'excluent qu'une réclamation
de droit public puisse servir à résoudre un différend intercantonal
dont la cause revêt un caractère plus général. La règle invoquée,
qu'elle soit écrite ou non, doit relever du droit fédéral, notion qui
comprend dans ce contexte les règles générales du droit international
applicables à titre de droit public fédéral supplétif (ATF 106 Ib 154
consid. 3 p. 159/160 et 4d p. 162; 117 Ia 221 consid. 4 p. 244 et les
références).
aa) En l'espèce, le litige porte sur la souveraineté fiscale
cantonale. Le canton de Vaud se prévaut des règles posées par le
Tribunal fédéral en matière de double imposition sur la base de
l'art. 46 al. 2 Cst.; il demande pour l'essentiel au Tribunal fédéral
de confirmer
2.- a) Le législateur fédéral n'ayant pas rempli le mandat que lui
a conféré l'art. 46 al. 2 Cst. en 1874, le Tribunal fédéral a
directement déduit de cette disposition le principe de l'interdiction
de la double imposition. Ce principe constitutionnel (cf. art. 127
al. 3 1ère phrase nCst.) s'oppose à ce qu'un contribuable soit
concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même
objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double
imposition effective) ou qu'un canton excède les limites de sa
souveraineté fiscale
3.- a) Le canton de Vaud soutient que la décision de l'autorité
fiscale genevoise d'assujettir un nombre important de pendulaires
vaudois l'empêcherait d'exercer sa souveraineté fiscale conformément
à la jurisprudence actuelle. Il demande au Tribunal fédéral de
confirmer la situation de ces pendulaires, qui rentrent
quotidiennement à leur domicile vaudois où ils ont les attaches
personnelles les plus étroites, quelle que soit leur situation
familiale; il demande également que soit maintenue la jurisprudence
relative à la notion d'activité dirigeante.
Pour sa part, le canton de Genève propose au Tribunal fédéral de
consacrer une nouvelle approche dans l'imposition intercantonale des
travailleurs pendulaires. Il met l'accent sur la catégorie des
personnes qui exercent une fonction dirigeante, mais souligne en même
temps l'importance du phénomène des pendulaires en relevant qu'on
estime à environ 17'000 le nombre de contribuables pendulaires qui
travaillent dans le canton de Genève tout en étant domiciliés dans le
canton de Vaud, ce dernier relevant pour sa part que cette estimation
remonte à 1990. Le canton de Genève préconise un partage du droit
d'imposition et, subsidiairement, le versement d'une rétrocession par
le canton de domicile au canton d'exercice du travail, solution qui
serait inspirée du régime actuellement applicable aux frontaliers
selon l'accord de 1983 entre le canton de Genève et la France. Le
Tribunal fédéral pourrait, sur la base de l'art. 46 al. 2 Cst.,
trouver, "à la place du législateur" une règle de partage équitable,
compatible avec l'art. 42ter Cst., selon lequel la Confédération
encourage la péréquation financière entre les cantons. Enfin, le
canton de Genève propose au Tribunal fédéral d'élargir la notion de
fonction dirigeante, en reconnaissant l'assujettissement fiscal à
Genève des personnes domiciliées dans le canton de Vaud qui, ayant un
pied-à-terre dans le canton de Genève, y exercent une activité
lucrative dépendante avec d'importantes responsabilités, sans égard
au nombre d'employés qui leur sont subordonnés ("fonction dirigeante
privée") ou exercent dans ce canton une activité lucrative en tant
que hauts fonctionnaires indépendamment du nombre de leurs
subordonnés ("fonction dirigeante publique").
Le différend fiscal qui oppose le canton de Vaud au canton de
Genève se résume donc à une remise en cause par le canton de
4.- a) Pour être compatible avec l'art. 4 Cst., et en particulier
pour justifier une dérogation au principe de la sécurité du droit, un
changement de jurisprudence doit s'appuyer sur des motifs sérieux et
objectifs (ATF 122 I 57 consid. 3c/aa p. 59; 111 Ia 161 consid. 1 p.
162), par exemple lorsqu'il s'agit de rétablir une pratique conforme
au droit, ou de mieux tenir compte des divers intérêts en présence,
de l'évolution des conceptions juridiques ou des moeurs. Les motifs
de changement doivent être d'autant plus sérieux que la pratique
suivie jusque-là est ancienne. La nouvelle jurisprudence doit pouvoir
s'appliquer à tous les cas identiques à venir, et respecter
cumulativement les principes constitutionnels régissant le droit
administratif, en particulier les principes de la légalité, de
l'intérêt public et de la bonne foi (ATF 125 II 152 consid. 4c/aa p.
162-163 et les références; 122 I 57 consid. 3c/aa p. 59/60).
b) Le canton de Genève souligne les incidences fiscales de
l'évolution du mode de vie contemporain, qui est à l'origine d'une
plus grande circulation intercantonale des personnes; le droit fiscal
ne saurait entraver cette circulation, au sein du marché intérieur
voulu par la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995
(LMI, RS 943.02), entrée en vigueur le 1er juillet 1996. En d'autres
termes, les cantons ne sauraient entraver la libre circulation dans
le marché intérieur suisse par des mesures fiscales sans remettre en
question la portée fédérative de la liberté économique. Par ailleurs,
il conviendrait de faire participer les contribuables pendulaires aux
coûts d'infrastructure induits au lieu où ils exercent leur travail,
en tenant compte des modèles de rétrocession fiscale mis en place
dans les relations transfrontalières (avec la France, l'Allemagne,
l'Autriche et l'Italie), ainsi que de l'évolution en cours au sein de
l'Union européenne en matière d'imposition des travailleurs
frontaliers.
c) Ces arguments, de caractère général, ne sont pas pertinents à
eux seuls pour justifier une modification de la jurisprudence du
Tribunal fédéral. Comme l'observe le canton de Vaud, le canton intimé
opère une confusion entre le problème de la double imposition, seul
en cause ici, et celui de la péréquation financière intercantonale,
problème économique et politique qu'il n'appartient pas au juge
constitutionnel de trancher.
De même, la comparaison faite par le canton intimé entre le régime
intercantonal et le régime international des pendulaires n'est pas
5.- a) Sur le vu de ce qui précède, la réclamation de droit public
du canton de Vaud doit être admise, dans la mesure où elle est
recevable.
Le Tribunal fédéral constate que la prétention générale du fisc
genevois d'imposer le revenu des pendulaires vaudois salariés,
destinataires de la lettre du mois de novembre 1998, est - sous
réserve de cas particuliers qu'il ne saurait être question d'examiner
dans le cadre de la présente procédure - contraire aux règles
actuelles de conflit en matière de double imposition. Il reste en
revanche loisible au canton de Genève, en dehors de toute démarche
collective pouvant créer l'insécurité chez les administrés, de
démontrer que les conditions concrètes d'un assujettissement à Genève
de certains contribuables sont réalisées, ou que, pour des motifs
qu'il lui appartiendra d'exposer, un réexamen de la jurisprudence du
Tribunal fédéral en matière de double imposition s'impose. Faute de
l'existence de motifs généraux de revision de la jurisprudence
actuelle, la démarche du canton de Genève, qui postule un changement
général de pratique applicable à des centaines de contribuables,
porte atteinte à la souveraineté fiscale du canton de Vaud.
b) Selon la pratique applicable aux différends de droit public
relevant de l'art. 83 let. a ou let. b OJ (ATF 125 II 152 consid. 6
p. 167),
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral:
Admet, au sens des considérants, la réclamation de droit public du
canton de Vaud, dans la mesure où elle est recevable.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.712/1998
Date de la décision : 27/10/1999
1re cour de droit public

Analyses

Art. 83 let. b OJ, 46 al. 2 Cst.; délimitation de la compétence fiscale cantonale à l'égard des travailleurs pendulaires. Recevabilité de la réclamation de droit public; intérêt actuel; conclusions (consid. 1). Résumé de la jurisprudence relative au domicile fiscal des salariés; principe de l'assujettissement au lieu du domicile (consid. 2). Les références à la loi sur le marché intérieur, aux régimes des travailleurs frontaliers et au droit communautaire ne justifient pas un changement général de pratique (consid. 3 et 4). Sous réserve de cas particuliers, la prétention du fisc genevois d'imposer le revenu des pendulaires vaudois viole la souveraineté fiscale du canton de Vaud (consid. 5).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1999-10-27;1p.712.1998 ?
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