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21/04/1999 | SUISSE | N°1P.465/1998

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 avril 1999, 1P.465/1998


125 I 227

22. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 21 avril
1999 dans la cause G. contre Grand Conseil du canton de Genève
(recours de droit public)
L'initiative populaire IN 109 «Genève, République de paix»
(ci-après: l'initiative 109) a été déposée le 28 août 1996 à la
Chancellerie d'Etat genevoise. Elle tend à modifier la Constitution
genevoise du 24 mai 1847 (RS 131.234, ci-après: Cst./GE) de la façon
suivante: l'actuel art. 127 Cst./GE (intitulé «Service actif
extraordinaire») serait abrogé; un nouveau t

itre X E, intitulé
«Politique de Paix», serait inséré et comprendrait un art. 160 D
nouveau a...

125 I 227

22. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 21 avril
1999 dans la cause G. contre Grand Conseil du canton de Genève
(recours de droit public)
L'initiative populaire IN 109 «Genève, République de paix»
(ci-après: l'initiative 109) a été déposée le 28 août 1996 à la
Chancellerie d'Etat genevoise. Elle tend à modifier la Constitution
genevoise du 24 mai 1847 (RS 131.234, ci-après: Cst./GE) de la façon
suivante: l'actuel art. 127 Cst./GE (intitulé «Service actif
extraordinaire») serait abrogé; un nouveau titre X E, intitulé
«Politique de Paix», serait inséré et comprendrait un art. 160 D
nouveau ainsi rédigé:
Extrait des considérants:
3.- (Unité de la matière)
a) Sur le fond, le recourant fait valoir en premier lieu que
l'initiative 109 serait contraire au principe de l'unité de la
matière, exigence posée tant par le droit fédéral que, en droit
cantonal, par l'art. 66 al. 2 Cst./GE. L'initiative aurait pour
objectif général une politique de sécurité et de paix (art. 160 D al.
1) dont les moyens de mise en oeuvre relèveraient à la fois de la
politique étrangère et de la politique militaire. Le recourant voit
une confirmation de son point de vue dans le fait que les Chambres
fédérales, à la différence du Conseil fédéral (FF 1994 III 1188-1191)
déclarèrent nulle, en 1995, l'initiative fédérale intitulée «Pour
moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix» (FF
1995 III 563/564; voir sur ce point E. GRISEL, Initiative et
référendum populaires, 2e éd., Berne 1997, p. 238/239, no 616).
b) Le Tribunal fédéral a eu récemment l'occasion de rappeler que
l'unité de la matière est une notion relative, dont les exigences
doivent être appréciées en fonction des circonstances concrètes (ATF
123 I 63 consid. 4 p. 70 ss). Une initiative se présentant comme un
ensemble de propositions diverses, certes toutes orientées vers un
même but (dans cette espèce de 1997 la protection de l'emploi), mais
recouvrant des domaines aussi divers qu'une politique économique,
4.- (Conformité au droit supérieur; aspects généraux; art. 160 D
al. 1)
a) De manière générale, une initiative populaire cantonale ne doit
rien contenir qui viole le droit supérieur, qu'il soit cantonal,
intercantonal, fédéral ou international (cf. ATF 124 I 107 consid. 5b
p. 118/119). L'autorité appelée à statuer sur la validité matérielle
d'une initiative doit en interpréter les termes dans le sens le plus
5.- (Intervention des autorités genevoises auprès des institutions
internationales - art. 160 D al. 2, 2e phrase)
a) L'initiative invite sur ce point le canton de Genève à soutenir
toute démarche visant le désarmement global, la coopération et la
solidarité entre les peuples et le respect des droits de l'homme et
de la femme. Dans la deuxième phrase de l'art. 160 D al. 2,
l'initiative confère un mandat impératif précis au canton: «Il
intervient dans ce sens auprès des institutions nationales et
internationales compétentes».
b) Le recourant voit dans cette disposition, en tant qu'elle exige
des interventions cantonales auprès des institutions internationales
compétentes, une violation de l'art. 8 Cst. Cette disposition
fonderait la compétence de la Confédération en matière de politique
extérieure, domaine qui comprend traditionnellement les relations
avec les organisations internationales. Il estime que la disposition
litigieuse violerait également l'art. 10 Cst., selon lequel les
rapports officiels avec les gouvernements étrangers ou leurs
représentants ont lieu par l'intermédiaire du Conseil fédéral, sauf
le cas des rapports entre les cantons et les autorités inférieures et
les employés d'un Etat étranger, dans les domaines qui relèvent de la
compétence internationale des cantons (art. 9 Cst.).
c) Pour sa part, l'autorité intimée estime que les cantons
conservent, en matière de politique étrangère, et plus
particulièrement de relations extérieures, une compétence concurrente
à celle de la Confédération, en particulier pour le soutien d'efforts
humanitaires internationaux et pour l'aide au développement.
L'autorité intimée se réfère à l'art. 12 de la loi fédérale du 19
mars 1976 sur la coopération
6.- (Encouragement d'un canton à la réduction des dépenses
militaires - art. 160 D al. 2 let. a)
a) Pour le recourant, les dépenses militaires relèvent de la
compétence des Chambres fédérales, sans consultation auprès des
cantons. Ces derniers ne seraient pas légitimés à intervenir dans ce
domaine.
b) Les compétences de la Confédération dans le domaine militaire
(art. 8, 19, 20, 22 Cst.; cf. art. 58 à 60 nCst.) font, à côté de la
protection civile (art. 22bis Cst.; cf. art. 61 nCst.), partie du
concept général de sécurité du pays et de protection de la population
(art. 2 Cst.; cf. art. 57 al. 1 nCst.); la Confédération et les
cantons pourvoient à la sécurité du pays et à la protection de la
population «dans les limites de leurs compétences respectives».
La portée concrète de ces règles de compétence doit être appréciée
en tenant compte des règles constitutionnelles générales relatives à
la collaboration entre la Confédération et les cantons. Cette
collaboration est fondée sur l'entraide, le respect et l'assistance
(cf.
7.- (Encouragement d'un canton à la restitution à des usages
civils des terrains affectés à l'armée - art. 160 D al. 2 let. b)
a) Pour le recourant, soit cette disposition empiéterait sur les
compétences
8.- (Encouragement à la conversion civile des activités
économiques, financières et institutionnelles en relation avec le
domaine militaire [art. 160 D al. 2 let. c])
a) Le recourant estime que cet aspect de l'initiative viole l'art.
20 al. 3 Cst., qui dispose que la fourniture et l'entretien de
l'habillement et de l'équipement restent dans la compétence
cantonale, ainsi que les art. 11 et 106 LAAM, qui fixent la
répartition des frais et les compétences pour l'acquisition de
matériel. De surcroît, l'art. 160 D al. 2 let. c serait contraire à
la liberté économique (art. 31 Cst.), car on ne verrait pas quel
motif de police pourrait justifier l'obligation imposée à des
particuliers de renoncer à des activités économiques.
b) Même supposés présentés avec une précision suffisante (art. 90
al. 1 let. b OJ), ces griefs doivent être eux aussi écartés. L'art.
160 D al. 2 let. c se borne en effet à prévoir que le canton de
Genève «encourage» la conversion civile des activités en relation
avec le domaine militaire. La disposition litigieuse ne prévoit par
ailleurs aucune obligation, contrairement à ce que laisse entendre le
recourant, de sorte que son grief fondé sur l'art. 31 Cst. est
manifestement mal fondé. L'art. 11 LAAM, dont l'alinéa 4 prévoit la
répartition entre les cantons et la Confédération des frais de
recrutement des conscrits, n'est pas pertinent non plus. Reste l'art.
106 LAAM, relatif à l'acquisition du matériel de l'armée, qui en
répartit la charge financière entre la Confédération (l'armement
personnel, souliers d'ordonnance, matériel de corps et le reste du
matériel de l'armée) et les cantons (autres effets personnels dont
sont équipées les troupes cantonales et fédérales).
9.- (Accueil des victimes de la violence - art. 160 D al. 3 let. d)
a) Pour le recourant, cette clause violerait à trois égards le
principe de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 2 Disp.
trans. Cst.): elle empiéterait sur les compétences constitutionnelles
de la Confédération en matière d'accueil des étrangers sur le sol
suisse (art. 69ter Cst.); elle consacrerait une nouvelle sorte
d'asile, pour les personnes qui n'entrent pas dans la définition de
réfugié de l'art. 3 de la loi sur l'asile du 5 octobre 1979 (LAsi, RS
142.31), définition qui serait exhaustive et ne laisserait aucune
place à une interprétation extensive par les cantons; enfin, cette
disposition prétendrait conférer un pouvoir de décision au canton de
Genève, alors que les autorités fédérales sont seules compétentes
pour accorder l'asile (art. 10 ss LAsi).
b) Ces griefs tombent eux aussi à faux. L'initiative prévoit que,
dans la mesure de ses moyens, le canton oeuvre pour la prévention
10.- (Promotion du service civil - art. 160 D al. 3 let. e)
a) L'art. 160 al. 3 let. e de l'initiative oblige le canton à
oeuvrer, dans le cadre de la prévention des conflits et le
développement d'une culture de paix, en faveur de la promotion du
service civil, à travers la diffusion de toute information utile et
le développement de projets et d'activités permettant la réalisation
de ce service. L'accès volontaire à ceux-ci est ouvert à toute
personne établie dans le canton.
b) Le recourant estime qu'une action cantonale officielle
unilatérale ne serait manifestement pas conforme à l'esprit de l'art.
18 Cst. et de la loi fédérale sur le service civil du 6 octobre 1995
(LSC, RS 824.0), notamment ses art. 3, 4 et 16 ss: le terme de
«promotion» irait au-delà d'une information objective, et viserait
une propagande destinée à influencer le public et à déjouer
l'application d'une législation fédérale qui est exhaustive, dans le
cadre d'une compétence exclusive.
c) La disposition litigieuse est susceptible d'une interprétation
conforme au droit fédéral.
aa) La LSC est articulée selon le principe que les personnes
astreintes au service militaire «qui démontrent de manière crédible
qu'elles ne peuvent concilier le service militaire avec leur
conscience» doivent accomplir un service civil hors du cadre
institutionnel de l'armée (art. 1er et art. 2 al. 2 LSC). L'admission
au service civil est fondée sur une démarche individuelle (art. 16
LSC), de sorte que la loi elle-même n'impose pas d'obligation
générale d'information. L'ordonnance sur le service civil, du 11
septembre 1996 (OSCi, RS
11.- (Renonciation à faire appel à la troupe pour assurer le
service d'ordre - art. 160 D al. 4 let. b)
a) Le recourant estime que cette disposition viole l'obligation
faite aux cantons de maintenir l'ordre public sur leur territoire, et
représente une renonciation anticipée illégitime au recours à
l'armée, envisagé tant par l'art. 19 al. 4 Cst. que par les art. 77,
76 al. 1 let. b et 83 LAAM. L'art. 16 al. 1 Cst. empêcherait un
canton, en cas de troubles intérieurs, de renoncer à aviser
immédiatement le Conseil fédéral et à requérir l'engagement des
troupes de l'armée pour assurer le service d'ordre. Il serait licite,
pour un canton, de faire tout son possible pour garantir la sécurité
de la population par des moyens non militaires, mais il ne serait pas
admissible qu'un canton s'impose un renoncement pur et simple à
l'engagement de la troupe.
b) Pour l'autorité intimée, le maintien de l'ordre devrait être
prioritairement assuré par les forces de police. Par ailleurs, le
texte de l'initiative 109 ne mettrait nullement en cause l'obligation
d'un canton menacé en raison de troubles à l'intérieur d'aviser
immédiatement le Conseil fédéral afin que celui-ci puisse prendre les
mesures nécessaires dans les limites de sa compétence (art. 16 al. 1
Cst.).
c) Le maintien de la sécurité intérieure est une tâche qui relève
de la responsabilité conjointe de la Confédération et des cantons, et
requiert la coordination de leurs efforts (cf. art. 16 Cst. et 57
nCst.).
aa) Le service d'ordre est l'une des deux branches du service
actif. Il consiste dans le soutien apporté par la troupe aux
autorités civiles en cas de menace grave contre la sécurité
intérieure (art. 76 al. 1 let. b LAAM). Cet appel à la troupe n'est
autorisé que «lorsque les moyens des autorités civiles ne suffisent
plus pour faire face à des menaces graves contre la sécurité
intérieure» (art. 83 al. 1 LAAM). L'obligation principale du
gouvernement du canton menacé, selon l'art. 16 al. 1, 1ère phrase
Cst., est d'aviser immédiatement le Conseil fédéral, afin qu'il
puisse prendre les mesures nécessaires dans les limites de sa
compétence (art. 102 ch. 3, 10 et 11 Cst.) ou convoquer l'Assemblée
fédérale. En cas d'urgence, le gouvernement cantonal
12.- (Garantie de la sécurité des conférences internationales par
des moyens non militaires - art. 160 D al. 4 let. c)
a) Selon cette disposition, le canton disposerait d'un délai de
cinq ans pour garantir la sécurité des conférences internationales
par des moyens non militaires.
aa) Pour le recourant, cette clause violerait les art. 8 et 102 ch.
8 Cst., car c'est la Confédération elle-même qui assumerait la
responsabilité des conférences internationales, de leur organisation
et de leur sécurité. Dans ce domaine, le recours à l'armée ne serait
nullement une ultima ratio, mais une nécessité fréquemment démontrée
en raison de l'importance des effectifs à engager. La disposition
litigieuse empêcherait le canton de Genève de remplir un mandat donné
par le Conseil fédéral dans ce contexte, de sorte qu'elle ne serait
pas compatible avec le droit fédéral.
bb) Pour l'autorité intimée, le texte de l'initiative n'obligerait
pas le canton à s'opposer au Conseil fédéral si celui-ci exigeait la
présence de l'armée pour garantir la sécurité d'une conférence
internationale. La disposition constitutionnelle projetée viserait
plutôt, dans l'esprit général de l'initiative 109, à permettre au
canton d'utiliser la marge de manoeuvre dont il dispose dans la mise
en oeuvre du droit fédéral, en recourant prioritairement à des moyens
non militaires pour garantir la sécurité des conférences
internationales. Le Comité d'initiative relève pour sa part que le
recours à des moyens non militaires dans de telles circonstances
serait particulièrement opportun à Genève, qui accueille fréquemment
des conférences internationales dans les domaines de la paix, du
désarmement et du droit humanitaire.
b) Comme cela est rappelé ci-dessus (consid. 5d), les affaires
étrangères relèvent de la compétence de la Confédération (art. 8 Cst.;
14.- Le recours doit ainsi être pour l'essentiel rejeté,
l'initiative 109 étant - sous réserve de l'art. 160 D al. 4 let. b et

c - conforme au droit supérieur ou susceptible d'une interprétation
conforme à celui-ci. La plus grande partie de l'initiative
apparaissant admissible, celle-ci peut subsister comme telle et être
soumise au vote du constituant genevois, car elle forme encore un
tout cohérent qui peut être considéré comme correspondant à la
volonté centrale des initiants (ATF 124 I 107 consid. 5b p. 117; 121
I 334 consid. 2a p. 338 et la jurisprudence citée). Cette conclusion
s'impose d'autant plus qu'en cas d'acceptation par le peuple, la
nouvelle disposition fera encore l'objet d'une concrétisation
législative (art. 160 D al. 5), propre à assurer le respect du droit
fédéral.

Par ces motifs,
le Tribunal fédéral:

1. Admet partiellement le recours dans la mesure où il est
recevable, et annule partiellement la décision du Grand Conseil de la
République et canton de Genève du 26 juin 1998, déclarant
intégralement recevable l'initiative no 109 intitulée «Genève,
République de paix». Sont retranchés du texte de l'initiative:
- l'art. 160 D al. 4 let. b;
- l'art. 160 D al. 4 let. c.
2. Rejette le recours pour le surplus.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.465/1998
Date de la décision : 21/04/1999
1re cour de droit public

Analyses

Art. 85 let. a OJ; recevabilité de l'initiative cantonale «Genève, République de Paix». Unité de la matière (consid. 3). Conformité de l'initiative au droit supérieur; aspects généraux; portée d'une réserve générale en faveur du droit fédéral (consid. 4). Interprétée restrictivement, la disposition de l'initiative qui prévoit une intervention du canton auprès d'»institutions internationales», ne porte pas atteinte aux compétences de la Confédération dans le domaine des affaires étrangères (consid. 5). L'encouragement du canton à la réduction des dépenses militaires (consid. 6), à la restitution à des usages civils des terrains affectés à l'armée (consid. 7), à la conversion civile des activités économiques en relation avec le domaine militaire (consid. 8), et à l'accueil des victimes de la violence (consid. 9), ne viole pas le droit fédéral. La promotion du service civil, entendue comme une information objective et la mise en place de structures adéquates, est également admissible (consid. 10). En revanche, le canton ne pourrait valablement renoncer à faire appel à la troupe pour assurer le service d'ordre sur son territoire (consid. 11), ou la sécurité des conférences internationales (service d'appui; consid. 12).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1999-04-21;1p.465.1998 ?
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