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20/08/1998 | SUISSE | N°4C.52/1998

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 août 1998, 4C.52/1998


124 III 382

68. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour civile du 20 août 1998 dans la
cause Banque Bruxelles Lambert (Suisse) SA et huit consorts contre
République du Paraguay et Sezione speciale per l'assicurazione del
credito all'esportazione (recours en réforme)
Dans le cadre de projets industriels développés au Paraguay, deux
sociétés italiennes ont conclu des contrats de construction d'usines
avec deux sociétés paraguayennes. Le financement de ces opérations,
incluant le prix des fournitures et équipements étrangers, a fait
l'objet

de deux contrats de prêts accordés par deux syndicats de
banques, comprenant la Banque ...

124 III 382

68. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour civile du 20 août 1998 dans la
cause Banque Bruxelles Lambert (Suisse) SA et huit consorts contre
République du Paraguay et Sezione speciale per l'assicurazione del
credito all'esportazione (recours en réforme)
Dans le cadre de projets industriels développés au Paraguay, deux
sociétés italiennes ont conclu des contrats de construction d'usines
avec deux sociétés paraguayennes. Le financement de ces opérations,
incluant le prix des fournitures et équipements étrangers, a fait
l'objet de deux contrats de prêts accordés par deux syndicats de
banques, comprenant la Banque Bruxelles Lambert (Suisse) SA, à Genève
(BBL), et divers établissements à l'étranger. Les prêts ont été mis
en place par Overland Trust Bank, à Genève (ci-après: OTB), en
qualité d'agent des banques.
Deux contrats de garantie sont venus se greffer sur ces contrats de
prêts: d'une part, Gustavo Gramont Berres, Consul à Genève, au nom de
la République du Paraguay, a émis deux garanties le 5 juin 1986 et le
1er septembre 1987 à l'égard des deux syndicats de banques, avec
élection de for, de la part de la République du
Extrait des considérants:
1.- a) Les trois recours en réforme sont formés dans le cadre
d'une même cause civile; ils sont dirigés contre le même arrêt
impliquant les parties dans diverses constellations. Il convient de
statuer sur eux par un arrêt unique (ATF 111 II 270 consid. 1, p.
272; 123 II 16 consid. 1 p. 20) rendu par la section de céans du
Tribunal fédéral (art. 8 al. 2 du Règlement du Tribunal fédéral, RS
173.111.1). La recevabilité des différents recours fera l'objet des
considérants spécifiques ci-dessous.
b) Le sort du recours I, formé par les banques, dépend en partie de
l'issue réservée à l'exception d'immunité soulevée par la République
du Paraguay dans son recours II. Par ailleurs, le recours I est formé
pour violation de l'art. 8 CL et suppose résolue la question de
l'application de cet instrument, question soulevée dans le recours
III de la SACE à l'appui de son exception d'incompétence ratione loci
des tribunaux suisses. Il convient dès lors de statuer successivement
sur le recours II, sur le recours III, puis sur le recours I.
Recours II (Immunité de juridiction invoquée par la République du
Paraguay)
2.- La République du Paraguay reprend son argumentation relative à
l'immunité de juridiction, dont elle se prévalait devant les
instances genevoises. Elle reproche d'une part au Tribunal de
première instance, et, à sa suite, à la cour cantonale, d'avoir
différé l'examen de cette question qui, selon elle, devait être
résolue d'entrée de cause. Elle persiste en outre à considérer que
les contrats de garantie auraient été signés en son nom par un
représentant sans pouvoirs, soit Gramont Berres, de sorte que la
renonciation à l'immunité de juridiction, figurant dans ces contrats,
ne la lierait pas.
a) Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 124 I 11 consid. 1
p. 13). En l'espèce, l'arrêt entrepris constitue une décision
incidente, prise séparément du fond par la juridiction suprême du
canton. Une telle
3.- La cour cantonale a présumé, au stade de la recevabilité de la
demande, l'existence des pouvoirs de représentation de Gramont Berres
et, partant, de l'élection de for et de la renonciation à l'immunité
de juridiction figurant dans les actes de garantie. A l'instar du
Tribunal de première instance, la Cour de justice a en effet
considéré que, lorsque la question des pouvoirs de représentation se
pose à la fois pour déterminer la compétence du juge saisi et pour la
solution au fond de la prétention litigieuse, ce fait doublement
pertinent doit être résolu une fois pour toutes à l'occasion de
l'examen du fond. Certes peu satisfaisante du point de vue de la
méthode, cette manière de procéder permettrait au défendeur d'opposer
l'exception de chose jugée à une action qui pourrait être introduite
ultérieurement à un for alternatif (ATF 122 III 249 consid. 3b/bb p.
252).
4.- a) Le principe de l'immunité de juridiction permet aux Etats
étrangers qui en invoquent le bénéfice d'exclure à leur égard la
compétence des tribunaux suisses dans les domaines relevant de leur
souveraineté. Ainsi compris, le principe de l'immunité de juridiction
détermine, au sens de l'art. 49 al. 1 OJ, "la compétence à raison de
la matière" des tribunaux suisses lorsqu'un Etat étranger est partie
à un litige international (POUDRET, COJ II 1990, ch. 1.62 ad art. 49
OJ, p. 332).
La recourante invoque le bénéfice de la Convention européenne du 16
mai 1972 sur l'immunité des Etats (RS 0.273.1), tout en reconnaissant
que cette convention, ratifiée par la Suisse, n'est pas applicable en
l'espèce, faute pour le Paraguay d'y être partie. Même si les traités
internationaux sont considérés, par la jurisprudence, comme couverts
par la notion de prescriptions de "droit fédéral" au sens de l'art.
49 al. 1 OJ (POUDRET, COJ II, 1990, p. 330 ch. 1.6.1 ad art. 49 OJ),
la convention précitée n'est effectivement pas applicable en
l'espèce. Seules le sont les règles générales du droit international
relatives à l'immunité de juridiction.
Depuis 1918 (ATF 44 I 49), le Tribunal fédéral s'est rallié à une
conception restrictive de l'immunité des Etats. Selon cette
jurisprudence, le principe de l'immunité de juridiction des Etats
étrangers n'est pas une règle absolue. Si l'Etat étranger a agi en
vertu de sa souveraineté (jure imperii), il peut invoquer le principe
de l'immunité de juridiction; si, en revanche, il a agi comme
titulaire d'un droit privé ou au même titre qu'un particulier (jure
gestionis), l'Etat étranger peut être assigné devant les tribunaux
suisses, à condition toutefois que le rapport de droit privé auquel
il est partie soit rattaché de manière suffisante au territoire
suisse ("Binnenbeziehung"; ATF 120 II 400 consid. 4 p. 406). La
distinction des actes jure gestionis et jure imperii ne saurait se
faire sur la seule base de leur rattachement au droit public ou au
droit privé. Ce critère dépend en effet de la définition, malaisée,
du droit public, laquelle diffère selon les Etats; il ne saurait être
pris en considération qu'à titre d'indice, parmi d'autres (JOLANTA
KREN KOSTKIEWICZ, Staatenimmunität im Erkenntnis- und im
Vollstreckungsverfahren nach schweizerischem Recht, Berne 1998, p.
286 ss). De même, le but poursuivi par l'Etat dans
5.- a) La SACE, défenderesse et recourante sur incident, soulève
l'exception d'incompétence ratione loci des tribunaux genevois, au
motif que le litige l'opposant à BBL ne saurait être assimilé à une
"matière civile et commerciale" au sens de l'art. 1er CL. Elle
demande à ce titre l'annulation de l'arrêt de la Cour de justice du
14 novembre 1997, en tant qu'il admet la compétence des autorités
judiciaires genevoises pour connaître de la demande formée par BBL.
b) Déposé dans les forme et délai (art. 34 al. 1 let. c OJ) utiles,
le recours est dirigé contre une décision incidente, rendue par la
juridiction suprême du canton, relative à la compétence territoriale
(art. 49 al. 1 OJ; ATF 124 III 134 consid. 2b/aa/ccc, p. 140). Il y a
donc lieu en principe d'entrer en matière.
c) La recourante ne prétend pas que des dispositions fédérales en
matière de preuves aient été violées; elle se borne, dans l'essentiel
de sa partie en fait, à une présentation appellatoire des faits. Dans
cette mesure, le recours est irrecevable.
d) Dans son mémoire de recours, puis dans une écriture du 24 juin
1998, la recourante demande de pouvoir répliquer et, en application
de l'art. 62 OJ, de plaider l'affaire devant le Tribunal fédéral. Il
n'y a pas lieu de donner suite à ces requêtes. Selon l'art. 59 al. 4
seconde phrase OJ, il n'est en règle générale pas procédé à un
échange ultérieur d'écritures. Il n'est fait exception à cette règle
que dans les cas où la réponse au recours contiendrait des arguments
nouveaux et pertinents justifiant, en vertu du droit d'être entendu,
que la partie recourante puisse s'exprimer à nouveau (Poudret, COJ
II, 1990, no 2.6 ad art. 59 et 61 OJ). En l'espèce, la recourante ne
se prévaut pas de son droit d'être entendue, mais évoque la "question
de principe posée par l'affaire" et ses "répercussions possibles",
motifs qui ne sauraient justifier à eux seuls un droit de répliquer,
ou de plaider.
6.- Reprenant largement les arguments soutenus devant la cour
cantonale, la SACE conteste l'application ratione materiae de la
7.- a) Dans leur recours en réforme, les recourantes I,
demanderesses, demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la
Cour de justice du canton de Genève du 14 novembre 1997 en ce qu'il
déclare irrecevable, pour cause d'incompétence ratione loci des
tribunaux genevois, l'action dirigée par elles contre la SACE; elles
requièrent le Tribunal fédéral de dire et constater que les tribunaux
genevois sont compétents pour connaître de leur action.
b) Déposé en temps utile, le recours remplit en outre les
conditions de recevabilité posées par les art. 48 al. 1 et 49 al. 1
OJ. Par ailleurs, le moyen tiré de la violation de la Convention de
Lugano est recevable dans le cadre du recours en réforme (art. 43 al.
1 OJ), ce traité posant des règles de compétence d'application
directe, en particulier de for, dans une contestation pour laquelle
le recours en réforme est ouvert.
8.- Les recourantes font grief à l'arrêt querellé d'avoir violé
l'art. 8 al. 1 ch. 2 CL. Elles reprochent à la Cour de justice
d'avoir considéré qu'elles étaient elles-mêmes "preneurs d'assurance"
au sens de cette disposition, autrement dit qu'elles avaient conclu
elles-mêmes le contrat d'assurance, de sorte qu'elles ne pouvaient (à
la différence de la Banque Bruxelles Lambert, domiciliée à Genève)
agir contre la SACE à Genève.
a) L'art. 8 al. 1 ch. 2 CL a la teneur suivante:

"L'assureur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant
peut être
attrait: (...) 2. dans un autre Etat contractant, devant le
tribunal du
lieu où le preneur d'assurance a son domicile".

b) La SACE, intimée, conteste, outre l'application de la CL
elle-même, celle des dispositions relatives aux contrats d'assurance.
Elle estime qu'il s'agirait en l'espèce de simples garanties de
paiement, qui ne seraient pas assimilables à un contrat d'assurance
privée


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.52/1998
Date de la décision : 20/08/1998
1re cour civile

Analyses

Immunité de juridiction d'un Etat. Même si elle relève également du fond, la question de l'immunité de juridiction d'un Etat doit être tranchée d'entrée de cause (consid. 3). Distinction entre les actes accomplis jure gestionis et jure imperii (consid. 4a). En l'espèce, en accordant des garanties analogues à celles d'un établissement bancaire, l'Etat a agi jure gestionis (consid. 4b). Pouvoirs de représentation d'un consul en Suisse (consid. 4c). Convention de Lugano (CL): critères d'interprétation; Protocole no 2 et déclarations annexées à la CL; champ d'application matériel, art. 1 CL; for en matière d'assurances, art. 7 ss, 8 al. 1 ch. 2, 11 al. 1, 12 ch. 2 et ch. 5 CL. Critères d'interprétation (consid. 6c, 6e et 8b); notion de "matière civile et commerciale" de l'art. 1 al. 1 CL (consid. 6d et e). Les contrats d'assurance passés par un organisme étatique d'assurance crédit ressortissent en l'espèce à cette notion (consid. 6f). Notion de preneur d'assurance au sens de l'art. 8 al. 1 ch. 2 CL: le for du domicile du preneur d'assurance, au sens de cette disposition, est à la disposition non seulement du preneur d'assurance, mais de toute autre partie (assuré; bénéficiaire) qui a un droit à faire valoir contre l'assureur (consid. 8).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1998-08-20;4c.52.1998 ?
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