124 V 90
14. Extrait de l'arrêt du 19 janvier 1998 dans la cause R. R.
contre Caisse cantonale genevoise de compensation et Commission
cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève
A.- Fondée en 1930, la société R. SA, (...) avait pour but le
commerce de toutes machines et outillages.
La société a été dissoute par la faillite prononcée par jugement du
Tribunal de première instance de Genève. En dernier lieu, elle a
notamment eu pour administrateurs C. R. et son épouse R. R.
Par deux décisions du 17 novembre 1995, la Caisse cantonale
genevoise de compensation a réclamé à C. R. et à R. R. le paiement,
respectivement, de 34'775 fr. 30 et de 32'800 fr. 90 au titre de
réparation du dommage qu'elle avait subi dans cette faillite.
Les deux destinataires de ces décisions ont formé opposition.
Extrait des considérants:
2.- La recourante soulève plusieurs griefs d'ordre formel contre
le déroulement de la procédure de première instance. Dans la mesure
où elle se prévaut d'une violation de règles essentielles de
procédure (art. 105 al. 2 en corrélation avec l'art. 132 OJ),
notamment du droit d'être entendu, ces griefs doivent être examinés
en premier lieu, car il se pourrait que le tribunal accueille le
recours sur ce point et renvoie la cause à l'autorité cantonale sans
examen du litige au fond (ATF 119 V 210 consid. 2).
3.- La recourante reproche tout d'abord à la commission de recours
de ne pas avoir suspendu la procédure à la suite du décès de C. R.,
le 10 février 1997.
La suspension du procès, qui n'est pas réglée à l'art. 85 al. 2
LAVS (auquel renvoie l'art. 81 al. 3 RAVS), relève du droit cantonal
de procédure. L'application de ce droit ne peut être revue à
l'occasion d'un recours de droit administratif que pour violation du
droit fédéral (art. 104 let. a OJ), y compris le droit
constitutionnel fédéral. Cela implique, pratiquement, que le Tribunal
fédéral des assurances examine, non pas librement, mais uniquement
sous l'angle restreint de l'arbitraire, l'interprétation et
l'application du droit cantonal (ATF 115 Ib 208 consid. 3, 114 V 205
sv. consid. 1a et les références).
En l'occurrence, les premiers juges ont estimé qu'il n'y avait pas
de motif de suspension en se fondant sur l'art. 78 let. b de la loi
cantonale genevoise sur la procédure administrative (LPA gen.; RS GE
E 5 10). Selon cette disposition, l'instruction est suspendue par le
décès d'une partie. Il n'est pas arbitraire de considérer, comme l'a
fait la commission de recours, que l'instruction du cas était déjà
close au moment du décès de C. R. et que cet événement, par
conséquent, ne faisait pas obstacle au prononcé d'un jugement. Au
demeurant, la disposition en cause repose manifestement sur l'idée
que, aussi longtemps que la succession peut être répudiée, on ne peut
pas dire, en l'absence d'un représentant de la succession, qui est
autorisé à continuer le procès à la place de la partie décédée.
Logiquement, rien ne s'oppose à ce que la procédure soit reprise
4.- La recourante se prévaut en outre d'une violation des art. 6
par. 1 CEDH et 4 al. 1 Cst. Elle reproche en particulier aux premiers
juges de ne pas lui avoir donné la possibilité de participer à
l'administration des preuves testimoniales.
a) Il est établi que le mandataire de la recourante a demandé à
participer à l'audition du témoin F. et que seul un rôle
d'"observateur" lui a été reconnu, ce qu'il semble avoir accepté dans
un premier temps, pour le contester vigoureusement par la suite.
Selon la conception défendue par la greffière de la commission
cantonale (lettre du 24 mai 1996 au mandataire de la recourante),
l'audition d'un témoin a en principe lieu sans que les parties soient
convoquées. A sa demande, l'avocat peut être présent, mais son rôle
se limite à celui d'un observateur.
Cette conception restrictive du droit des parties de participer à
l'administration des preuves testimoniales n'est pas compatible avec
les exigences du droit fédéral. Certes, l'art. 18 al. 1 PA n'est pas
directement applicable à la procédure cantonale (art. 1er al. 3 PA).
Et l'on ne peut déduire du droit d'être entendu garanti par l'art. 4
al. 1 Cst. le droit inconditionnel d'assister à l'audition des
témoins, si ce n'est en procédure pénale (HAEFLIGER, Alle Schweizer
sind vor dem Gesetze gleich, Berne 1985, p. 141 sv.). Mais ce droit
ne peut être supprimé en procédure administrative que dans des
circonstances tout à fait particulières, par exemple pour cause
d'urgence (GRISEL, Traité de droit administratif, Neuchâtel 1984,
vol. I, p. 385; cf. aussi l'art. 18 al. 2 PA). Au demeurant, le droit
des parties d'assister à l'audition des témoins peut aussi se déduire
du principe de l'oralité, qui s'applique plus particulièrement à la
preuve testimoniale (ATF 92 I 262 sv. consid. 3c; KÖLZ/HÄNER,
Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, Zürich
1993, n. 55 p. 42 sv.; cf. aussi MEYER-BLASER, Die Bedeutung von Art.
4 Bundesverfassung für das Sozialversicherungsrecht, in: RDS 111/1992
II p. 461). Il comporte naturellement la possibilité de poser ou de
faire poser au témoin des questions complémentaires; sur ce point,
l'art. 18 al. 1 PA ne fait qu'exprimer un aspect du droit d'être
entendu selon l'art. 4 al. 1 Cst. (cf. KÖLZ/HÄNER, op.cit., n. 141 p.
92 sv. et n. 127 p. 86).
6.- La recourante se plaint enfin d'une violation du principe de
la publicité des débats au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH.
Ce moyen est fondé. La recourante a formellement requis
l'organisation de débats publics et il n'y avait pas de raison de ne
pas donner suite à cette demande. Certains motifs peuvent, il est
vrai, justifier un refus par le juge cantonal d'une telle requête,
par exemple si l'on se trouve dans l'un des cas d'exception à la
publicité prévus à l'art. 6 par. 1 CEDH, si le recours ou l'action
est manifestement infondé ou irrecevable ou encore si le différend
porte sur une matière hautement technique (ATF 122 V 47; voir aussi
MICHEL HOTTELIER, La portée du principe de la publicité des débats
dans le contentieux des assurances sociales, in: SJ 1996 p. 650). En
l'espèce, aucun de ces motifs n'entrait en ligne de compte et la
commission, du reste, ne soutient pas le contraire.
7.- En conclusion, il convient d'annuler le jugement attaqué et de
renvoyer la cause à l'autorité cantonale afin qu'elle en reprenne
l'instruction, en respectant le droit des parties de participer
activement à l'administration des preuves testimoniales, puis donne
suite à la demande de la recourante d'organiser des débats publics.