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12/11/1997 | SUISSE | N°2P.419/1996

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 novembre 1997, 2P.419/1996


123 I 296

31. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 12
novembre 1997 dans la cause X. contre Conseil d'Etat du canton de
Genève (recours de droit public)
X., ressortissante suisse, a été nommée par le Conseil d'Etat du
canton de Genève dans la fonction d'institutrice de la division
élémentaire dès le 1er septembre 1990. Depuis la rentrée scolaire
1995, elle est titulaire d'une classe à l'école primaire de C., où
elle enseigne depuis 1989.
Le 23 mars 1991, X. s'est convertie du catholicisme à l'islam et,
le 19

octobre suivant, elle a épousé un ressortissant algérien.
Voulant respecter les prescription...

123 I 296

31. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 12
novembre 1997 dans la cause X. contre Conseil d'Etat du canton de
Genève (recours de droit public)
X., ressortissante suisse, a été nommée par le Conseil d'Etat du
canton de Genève dans la fonction d'institutrice de la division
élémentaire dès le 1er septembre 1990. Depuis la rentrée scolaire
1995, elle est titulaire d'une classe à l'école primaire de C., où
elle enseigne depuis 1989.
Le 23 mars 1991, X. s'est convertie du catholicisme à l'islam et,
le 19 octobre suivant, elle a épousé un ressortissant algérien.
Voulant respecter les prescriptions du Coran, elle a alors commencé à
porter des vêtements amples lui cachant les parties du corps autres
que le visage et les mains, en particulier un voile ou un foulard lui
couvrant le cou et les cheveux (ci-après: le foulard).
En mai 1995, la Directrice générale de l'enseignement primaire a
été informée par l'inspectrice scolaire que X. portait "régulièrement
le foulard islamique à l'école".
Le 11 juillet 1996, la Directrice générale a confirmé à
l'intéressée l'entrevue qu'elles avaient eue le 27 juin précédent -
en présence du Directeur du service du personnel enseignant - par un
courrier libellé comme suit:

"- le port du foulard islamique est en contradiction avec le
respect de
l'art. 6 de la loi sur l'instruction publique;
- pour les raisons invoquées, dès la prochaine rentrée, vous
renoncerez à
porter le foulard dans l'exercice de vos activités et de vos
responsabilités professionnelles;
- vous n'aurez pas recours à des attributs vestimentaires
investis d'un
sens confessionnel incompatible avec les impératifs de notre système
scolaire."

X. ayant requis une décision formelle à cet égard, la Directrice
générale lui a notifié le 23 août 1996 une décision déclarée
"exécutoire dès la présente rentrée, même en cas de recours",
confirmant les termes de la lettre du 11 juillet 1996 et précisant
que, dans le cas
Extrait des considérants:
2.- a) Préalablement, il faut observer que la recourante déclare à
titre principal que son habillement, dont les éléments peuvent être
acquis en grande surface, ne doit pas être traité comme un symbole
religieux, mais comme n'importe quel vêtement plus ou moins anodin
qu'un enseignant déciderait de porter pour des motifs qui lui
seraient propres, notamment pour des raisons esthétiques ou pour
mettre en valeur, voire cacher, une partie de son anatomie (foulard
autour du cou, gilet, petit chapeau...). La décision attaquée
reviendrait ainsi à interdire à un enseignant, sans justification
suffisante, de s'habiller selon son désir.
Toutefois, il ne fait aucun doute que la recourante porte le
foulard et des vêtements amples non pas pour des raisons esthétiques
mais afin d'obéir à une exigence religieuse, qu'elle tire des
passages suivants du Coran (Le Coran, essai de traduction par Jacques
Berque, 2e éd., Paris 1995):

"Dis aux croyantes de baisser les yeux et de contenir leur sexe;
de ne
pas faire montre de leurs agréments, sauf ce qui en émerge, de
rabattre
leur fichu sur les échancrures de leur vêtement. Elles ne
laisseront voir
leurs agréments qu'à leur mari, à leurs enfants, à leurs pères,
beaux-pères, fils, beaux-fils, frères, neveux de frères ou de
soeurs, aux
femmes (de leur communauté), à leurs captives, à leurs dépendants
hommes
incapables de l'acte, ou garçons encore ignorants de l'intimité des
femmes.
Qu'elles ne piaffent pas pour révéler ce qu'elles cachent de leurs
agréments." (sourate 24, verset 31)
3.- La recourante prétend que l'arrêté entrepris ne repose pas
sur une base
légale suffisante.
Le Tribunal fédéral examine librement, lorsqu'elle est grave, si
une
atteinte à une liberté constitutionnelle se fonde sur une base
légale
suffisante (ATF 122 I 236 consid. 4a p. 244, 360 consid. 5b/bb p.
363 et
les arrêts cités). En l'espèce, peu importe que l'arrêté attaqué
implique
une atteinte grave ou non à la liberté de conscience et de croyance
de la
recourante, car même un examen libre conduit à admettre l'existence
d'une
base légale suffisante.
Les atteintes graves portées à une liberté constitutionnelle
doivent être
réglées, pour l'essentiel, de manière claire et non équivoque dans
une loi
au sens formel (ATF 122 I 360 consid. 5b/bb p. 363; 118 Ia 305
consid. 2a
p. 309/310). Toutefois, lorsqu'une atteinte à la liberté de
conscience et
de croyance est constituée par une prescription de comportement très
particulière, voire secondaire à l'aune du citoyen moyen (ici,
l'interdiction faite à un enseignant de porter le foulard à
l'école), on ne
saurait exiger une base légale trop précise. Il suffit dans ces
circonstances que la prescription de comportement découle d'une
obligation
plus générale contenue dans la loi au sens formel.
De plus, en l'espèce, la décision querellée concerne la
recourante en tant
que fonctionnaire de l'Etat de Genève. Or, les fonctionnaires sont
soumis à
un rapport de puissance publique spécial, auquel ils ont librement
adhéré
et auquel ils trouvent un intérêt, ce qui justifie qu'ils ne
puissent
bénéficier des libertés publiques que dans une mesure limitée.
Notamment,
il n'est pas nécessaire que la base légale qui doit fonder les
restrictions
à ces libertés soit particulièrement précise. En effet, la
multiplicité et
la variété des rapports quotidiens entre l'agent et l'autorité dont
il
dépend excluent que les comportements à limiter ou à interdire
puissent
être prévus dans une nomenclature exhaustive. Il suffit dès lors
que la loi
indique de manière générale, par des concepts juridiques
indéterminés, les
valeurs qui doivent être respectées et qui pourront être
concrétisées par
ordonnance ou par décision individuelle. En revanche, dans leur
contenu,
les restrictions aux libertés publiques doivent être justifiées par
le
4.- a) Puis, la recourante déclare que la décision attaquée ne
répond pas à
un intérêt public.
En arborant un signe religieux fort dans l'enceinte de l'école,
voire en
classe, la recourante peut porter atteinte aux sentiments religieux
de ses
élèves, des autres élèves de l'école et de leurs parents. Certes, ni
parents ni élèves ne se sont plaints jusqu'ici. Mais cela ne
signifie pas
qu'aucun d'entre eux n'ait été heurté. Il est possible que certains
aient
renoncé à intervenir directement pour ne pas envenimer la
situation, en
espérant une réaction spontanée des autorités scolaires. Du reste,
l'opinion publique s'est émue de ce problème, la recourante a fait
l'objet
de nombreuses interviews et le Grand Conseil a adopté une
résolution dans
le sens de la décision prise par le Conseil d'Etat. De même, s'il
est vrai
que les autorités scolaires ne sont pas intervenues par voie de
décision
immédiatement après que l'inspectrice les a informées de la tenue
de la
recourante, cette attitude ne doit pas être entendue comme un
assentiment
implicite. Il est compréhensible que les autorités scolaires aient
d'abord
tenté de régler la question sans épreuve de force.
La décision attaquée est en droite ligne du principe de la
neutralité
confessionnelle de l'école, dont le but est non seulement de
protéger les
convictions religieuses des élèves et des parents, mais également
d'assurer
la paix religieuse qui, sous certains aspects, reste fragile. A cet
égard,
il faut relever que l'école risquerait de devenir un lieu
d'affrontement
religieux si les maîtres étaient autorisés par leur comportement,
notamment
leur habillement, à manifester fortement leurs convictions dans ce
domaine.
Il existe donc un intérêt public important à interdire à la
recourante de
porter le foulard musulman.
b) Encore faut-il examiner si l'arrêté entrepris respecte le
principe de la
proportionnalité et peser avec le plus grand soin les intérêts en
jeu
(HÄFELIN, op.cit., n. 139 ad art. 49).
A cet égard, il convient de comparer la liberté de conscience et
de
croyance de la recourante à l'intérêt public à la neutralité
confessionnelle de l'école, c'est-à-dire de confronter l'intérêt de
la
recourante à respecter un commandement de sa religion à l'intérêt
des


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.419/1996
Date de la décision : 12/11/1997
2e cour de droit public

Analyses

Art. 27 al. 3 Cst., art. 49 Cst. et art. 9 CEDH: neutralité confessionnelle de l'école, liberté de conscience et de croyance d'une enseignante. Le port de vêtements particuliers fondé sur des motifs religieux est protégé par la liberté de conscience et de croyance. La liberté personnelle, subsidiaire, ne s'applique pas. Noyau intangible de la liberté de conscience et de croyance (consid. 2). L'interdiction faite à une enseignante d'une école publique, de porter à l'école un foulard répondant à ses yeux aux exigences du Coran, se fonde en l'espèce sur une base légale suffisante (consid. 3). Cette interdiction correspond à un intérêt public important (neutralité et paix confessionnelles à l'école notamment) et respecte le principe de la proportionnalité (consid. 4).


Références :

15.02.2001 42393/98


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1997-11-12;2p.419.1996 ?
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