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01/04/1997 | SUISSE | N°1A.413/1996

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 01 avril 1997, 1A.413/1996


123 II 134

18. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 1er avril
1997 dans la cause L. contre Chambre d'accusation du canton de Genève
(recours de droit administratif)
Le 13 décembre 1994, le Juge d'instruction près le Tribunal de
grande instance de Grasse a adressé à l'Office fédéral de la police
une demande d'entraide judiciaire pour les besoins de l'enquête
pénale ouverte en France pour le vol de ce tableau. Le magistrat
français a requis diverses investigations, ainsi que la saisie du
tableau.
Le 13 juin 1996, l

e Juge d'instruction genevois a ordonné la remise
du tableau aux autorités françaises, ai...

123 II 134

18. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 1er avril
1997 dans la cause L. contre Chambre d'accusation du canton de Genève
(recours de droit administratif)
Le 13 décembre 1994, le Juge d'instruction près le Tribunal de
grande instance de Grasse a adressé à l'Office fédéral de la police
une demande d'entraide judiciaire pour les besoins de l'enquête
pénale ouverte en France pour le vol de ce tableau. Le magistrat
français a requis diverses investigations, ainsi que la saisie du
tableau.
Le 13 juin 1996, le Juge d'instruction genevois a ordonné la remise
du tableau aux autorités françaises, ainsi que des procès-verbaux
d'audition des personnes interrogées dans le cadre de son enquête.
Par ordonnance du 1er novembre 1996, la Chambre d'accusation du
canton de Genève a rejeté le recours formé par L. contre la décision
du 13 juin 1996. La Chambre d'accusation a considéré en bref, au
regard des art. 59 al. 1 let. b et 74 al. 3 EIMP dans leur teneur de
l'époque (aEIMP), que L. n'avait pas rendu vraisemblable qu'il avait
acquis de bonne foi le tableau volé.
Agissant le 16 décembre 1996 par la voie du recours de droit
administratif, L. demande principalement au Tribunal fédéral
d'annuler l'ordonnance du 1er novembre 1996 et de déclarer la demande
d'entraide "nulle et non avenue". A titre subsidiaire, il requiert
que le tableau litigieux ne soit pas remis à l'Etat requérant; à
défaut, une garantie devrait être fournie. Encore plus
subsidiairement, L. demande à ce que la cause soit renvoyée au Juge
d'instruction pour nouvelle décision au sens des considérants. Il
invoque l'art. 4 Cst., ainsi que les art. 5, 59 al. 1 let. b aEIMP et
74 al. 3 et 74a EIMP dans leur teneur du 4 octobre 1996, entrée en
vigueur le 1er février 1997 (nEIMP). Il reproche en outre à la
Chambre d'accusation d'avoir constaté les faits de manière incomplète
et inexacte (art. 105 al. 2 OJ).
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Extrait des considérants:
1.- a) La Confédération suisse et la République française sont
toutes deux parties à la Convention européenne d'entraide judiciaire
en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), conclue à Strasbourg le 20
avril 1959, entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la Suisse et le 21
août 1967 pour la France. Les dispositions de ce traité l'emportent
sur le droit interne qui régit la matière, soit la loi fédérale sur
l'entraide internationale en matière pénale, du 20 mars 1981 (EIMP)
et son ordonnance d'exécution (OEIMP), qui sont applicables aux
questions non réglées explicitement ou implicitement par le droit
conventionnel et lorsque le droit interne est plus favorable à
l'entraide que la Convention (cf. ATF 122 II 140 consid. 2 p. 142;
120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, 189 consid. 2a p. 191/192; 118 Ib
269 consid. 1a p. 271, et les arrêts cités). Dans la mesure où la
demande tend à la remise à l'Etat requérant du tableau volé, il
convient d'envisager aussi l'application au cas d'espèce de la
Convention no 141 du Conseil de l'Europe, relative au blanchiment, au
dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
(ci-après: Convention no 141; RS 0.311.53, conclue à Strasbourg le 8
novembre 1990, entrée en vigueur le 1er septembre 1993 pour la Suisse
et le 1er février 1997 pour la France).
b) La révision de l'EIMP du 4 octobre 1996 et de l'OEIMP du 9
décembre 1996 est entrée en vigueur le 1er février 1997 (RO 1997 p.
114 ss et 132 ss). Conformément à l'art. 110a nEIMP, ces
modifications s'appliquent à la présente procédure qui était - entre
le prononcé de l'ordonnance attaquée et celui du présent arrêt -
pendante au moment de l'entrée en vigueur de la novelle. Le recourant
a eu l'occasion, dans sa réplique, de se déterminer sur l'application
du nouveau droit au cas d'espèce.
c) Le recours, dirigé contre la décision de l'autorité cantonale de
dernière instance relative à la clôture de la procédure et à la
remise du tableau volé à l'Etat requérant, est recevable au regard de
l'art. 80f al. 1 EIMP, mis en relation avec l'art. 25 al. 1 de la
même loi. Le recourant, touché personnellement et directement par la
mesure de saisie et de remise à l'Etat requérant du tableau dont il
se prétend acquéreur de bonne foi, a qualité pour agir au sens de
l'art. 80h let. b EIMP.
d) Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les conclusions des
parties (art. 25 al. 6 EIMP). Il examine librement si les conditions
pour accorder l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la
collaboration internationale doit être prêtée (ATF 118 Ib 269 consid.
2e p. 275). Il statue avec une cognition pleine sur les griefs
soulevés sans être
5.- Avant d'examiner si le recourant peut opposer à l'ordonnance
attaquée sa qualité d'acquéreur de bonne foi, il convient de
déterminer les règles applicables en matière de remise du produit de
l'infraction dans le cadre de l'entraide judiciaire internationale en
matière pénale.
a) La CEEJ ne régit pas la remise d'objets représentant le produit
de l'infraction (cf. art. 1 par. 2 et 3 par. 1 CEEJ; ATF 120 Ib 167
consid. 3b p. 171/172; 115 Ib 517 consid. 6d p. 529; 112 Ib 576
consid. 12a p. 597).
b) aa) La Convention no 141 est une convention spéciale complétant
la CEEJ au sens de l'art. 26 par. 2 et 3 CEEJ. La Convention no 141 a
notamment pour but d'améliorer la coopération internationale en
matière d'investigations, de séquestre et de confiscation de valeurs
patrimoniales d'origine délictueuse (art. 7). Au sens de la
Convention, le terme "bien" comprend un bien de toute nature, qu'il
soit corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, ainsi que les actes
juridiques ou documents attestant d'un titre ou d'un droit sur le
bien (art. 1 let. b). Cette définition n'exclut pas que des objets ou
des valeurs puissent être saisis auprès de tiers auxquels ils
auraient été cédés (Message du 19 août 1992, FF 1992 VI p. 8 ss, 13).
La confiscation désigne une peine ou une mesure ordonnée par un
tribunal à la suite d'une procédure portant sur une ou des
infractions pénales, peine ou mesure aboutissant à la privation
permanente du bien (art. 1 let. d). Il n'est pas indispensable que la
confiscation soit prononcée dans une procédure pénale principale;
elle peut aussi être ordonnée dans une décision de classement ou
rendue au terme d'une procédure de confiscation indépendante; dans
tous les cas, la procédure pénale doit
6.- Pour la Chambre d'accusation, le recourant n'aurait pas rendu
vraisemblable la thèse selon laquelle il aurait acquis de bonne foi
le tableau litigieux. Elle a considéré qu'au moment de l'achat, le
recourant, homme rompu aux affaires et connaisseur d'art, ne s'était
soucié ni de l'authenticité, ni de la provenance du tableau; en
outre, le recourant avait pris le risque de traiter avec des inconnus
et ne s'était assuré de la régularité de l'importation du tableau en
Suisse que le 19 décembre 1994, soit après la conclusion de la
transaction et le versement du prix convenu.
a) Selon l'art. 74a al. 4 let. c EIMP, l'objet peut être retenu en
Suisse notamment si une personne étrangère à l'infraction, dont les
prétentions ne sont pas garanties par l'Etat requérant, rend
vraisemblable qu'elle a acquis de bonne foi en Suisse des droits sur
cet objet.
7.- a) L'entraide devant être accordée, il reste à déterminer à
quel titre le tableau volé sera remis à l'Etat requérant. Selon le
nouvel art. 74a al. 3 EIMP, la remise de l'objet saisi à titre
conservatoire par l'Etat requis peut intervenir à tous les stades de
la procédure étrangère, en règle générale sur décision définitive et
exécutoire de l'Etat requérant. Cette disposition confère un large
pouvoir d'appréciation à l'autorité d'exécution, laquelle pourra
exceptionnellement remettre l'objet en l'absence d'une décision
définitive et exécutoire lorsque, comme en l'espèce, la demande tend
directement à la restitution de l'objet à son ayant droit, au sens de
l'art. 74a al. 1 in fine EIMP. W. étant le propriétaire légitime du
tableau volé, rien ne commande d'attendre l'issue de la procédure
pénale ouverte dans l'Etat requérant pour procéder à une restitution
à l'ayant droit. Une telle solution est au demeurant conforme au voeu
du législateur d'accélérer la procédure d'entraide; elle s'inscrit de
surcroît dans l'esprit et le système de la Convention no 141 (cf.
notamment ses art. 8, 9, 11 à 15; ainsi que ses art. 18 et 19, a
contrario).
b) De même, il n'y a pas lieu de subordonner l'exécution de la
demande à des conditions particulières (art. 20 de la Convention no
141). Le recourant a bénéficié en Suisse, pour ce qui concerne le
séquestre du tableau volé, des garanties procédurales offertes par
l'art. 6 par. 1 CEDH. S'agissant des prétentions civiles qu'il
pourrait faire valoir, le cas échéant, contre l'un ou l'autre des
intermédiaires impliqués dans la vente successive du tableau, tant en
Suisse, en France, en Italie qu'au Royaume-Uni, tous parties à la
Convention no 141, le recourant peut, devant les tribunaux de ces
Etats, se prévaloir du droit, garanti par l'art. 5 de cet instrument,
de disposer des "recours juridiques effectifs pour préserver (ses)
droits", conformément aussi aux art. 6 et 13 CEDH. Aucun motif lié à
la protection des droits fondamentaux ne s'oppose ainsi à la
restitution du tableau à l'ayant droit dans le cadre de la procédure
d'entraide, en application de l'art. 74a al. 1 in fine EIMP,
considéré à la lumière des normes du droit international pertinent
(cf. art. 1a et 2 let. a EIMP; art. 5, 18 ch. 1 let. a et b, 19, 20,
22 ch. 2 let a et c de la Convention no 141).
c) Enfin, il n'incombe pas au juge de l'entraide de procéder à un
examen approfondi des prescriptions du droit étranger supposées
applicables. Lorsque, comme en l'espèce, la demande porte sur la
restitution d'un bien culturel, le juge de l'entraide doit veiller à
prendre en compte l'intérêt public international, commun à la Suisse
et à la France, lié à la protection de ces biens (voir, outre la
Convention no 141 précitée, pour la France: les art. 1 let. g, 2, 3,
13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.413/1996
Date de la décision : 01/04/1997
1re cour de droit public

Analyses

Entraide judiciaire; CEEJ; Convention no 141 du Conseil de l'Europe, de 1990, relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime; remise du produit de l'infraction; art. 5 et 74a EIMP. Recevabilité du recours de droit administratif (consid. 1). Objet volé à l'étranger et vendu en Suisse. Droit applicable à la remise à un Etat étranger de cet objet, en vue de sa restitution (consid. 5). Protection de l'acquéreur qui rend vraisemblable sa bonne foi (consid. 6a et b). Fardeau de la preuve à cet égard (consid. 6c). En l'occurrence, l'acquéreur n'a pas rendu vraisemblable sa bonne foi (consid. 6d). Conditions de la remise à l'Etat requérant. Prise en considération conjointe de l'ordre public international à la protection des biens culturels et des garanties procédurales nécessaires à la protection, dans l'Etat requérant, des intérêts légitimes du possesseur de bonne foi (consid. 7).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1997-04-01;1a.413.1996 ?
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