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23/10/1996 | SUISSE | N°4C.97/1996

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 octobre 1996, 4C.97/1996


122 III 469

85. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 23 octobre 1996
dans la cause Chanel S.A. Genève et Chanel S.A. contre EPA AG
(recours en réforme)
A.- Chanel S.A., à Neuilly-sur-Seine (France) (ci-après: Chanel
Paris) est titulaire de la marque internationale Chanel avec effet de
protection en Suisse; sous cette marque, elle fabrique et vend ses
produits de parfumerie, d'hygiène et de beauté. Chanel S.A. Genève
(ci-après: Chanel Genève) est le distributeur exclusif en Suisse des
produits de la marque Chanel.
Chanel S

.A., à Glaris (ci-après: Chanel Glaris) est titulaire en
Suisse de la marque verbale Cha...

122 III 469

85. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 23 octobre 1996
dans la cause Chanel S.A. Genève et Chanel S.A. contre EPA AG
(recours en réforme)
A.- Chanel S.A., à Neuilly-sur-Seine (France) (ci-après: Chanel
Paris) est titulaire de la marque internationale Chanel avec effet de
protection en Suisse; sous cette marque, elle fabrique et vend ses
produits de parfumerie, d'hygiène et de beauté. Chanel S.A. Genève
(ci-après: Chanel Genève) est le distributeur exclusif en Suisse des
produits de la marque Chanel.
Chanel S.A., à Glaris (ci-après: Chanel Glaris) est titulaire en
Suisse de la marque verbale Chanel ainsi que des marques Chanel
apposées, respectivement, sur un flacon et un emballage cartonné
blanc aux arêtes noires; ces trois marques se trouvent en classe
internationale 3 (produits de parfumerie, de beauté, de savonnerie,
fards, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux,
dentifrices).
Comme dans les autres pays européens, les produits de la marque
Chanel sont commercialisés en Suisse à travers un réseau de
distribution sélective composé de détaillants agréés. Ces derniers
sont liés à Chanel Genève par un contrat de distributeur agréé. Afin
de contrôler le cheminement de ses produits, Chanel Paris appose
différents codes sur les emballages des articles offerts sur le
marché.
EPA AG, à Zurich (ci-après: EPA) ne fait pas partie des
distributeurs agréés Chanel. Elle vend néanmoins dans ses magasins, à
des prix avantageux, des produits de la marque Chanel qu'elle a
acquis sur le marché dit parallèle. Certains des articles vendus par
EPA sont décodés; il devient ainsi impossible d'identifier leur
provenance.

B.- Chanel Genève (demanderesse no 1) et Chanel Glaris
(demanderesse no 2) ont introduit contre EPA une action tendant, en
particulier, à faire constater le caractère illicite des importations
parallèles de produits Chanel par la défenderesse, au regard du droit
des marques et du droit de la concurrence déloyale.
Extrait des considérants:
3.- a) Selon l'arrêt attaqué, les importations parallèles par
lesquelles la défenderesse s'est approvisionnée en produits Chanel
consistent à écouler des biens originaux, munis de leur marque par le
titulaire lui-même ou un ayant droit; les produits ainsi vendus ne
sont donc pas revêtus de signes identiques à une marque antérieure au
sens de l'art. 3 al. 1 let. a de la loi fédérale sur la protection
des marques et des indications de provenance (LPM; RS 232.11). La
Cour de justice considère que la jurisprudence du Tribunal fédéral
rendue sous la loi fédérale concernant la protection des marques de
fabrique et de commerce (LMF; abrogée le 1er avril 1993 par l'entrée
en vigueur de la LPM) demeure valable sous le nouveau droit: les
importations parallèles sont licites sauf s'il existe un risque de
confusion quant à la provenance du produit. Il résulte implicitement
de la décision entreprise qu'un tel risque n'existe pas en
l'occurrence.
b) Les demanderesses se plaignent d'une violation des art. 3 al. 1
let. a et 13 al. 2 let. b ou d LPM. Elles estiment que les
importations parallèles reprochées à la défenderesse tombent sous le
coup de ces dispositions. A l'appui de leur thèse, elles citent
plusieurs auteurs, qu'elles considèrent comme la doctrine
majoritaire, ainsi qu'un arrêt rendu le 6 octobre 1993 par la Cour
d'appel du canton de Berne.
4.- Chanel Paris et les demanderesses appartiennent au même
groupe. La marque Chanel fait l'objet à la fois d'un enregistrement
national, au bénéfice de la demanderesse no 2, et d'un enregistrement
international, avec effet de protection en Suisse, au bénéfice de
Chanel Paris, société au nom de laquelle la demanderesse no 1 prétend
agir. Déposée en plusieurs lieux par deux entreprises étroitement
liées l'une à l'autre, la marque Chanel entre dans la catégorie des
marques de groupe (ou marques de konzern) (cf. KAMEN TROLLER, Manuel
du droit suisse des biens immatériels, 2e éd. [ci-après: Manuel],
tome I, p. 131).
La commercialisation, en Europe, des produits de la marque Chanel
repose sur un système dit de distribution sélective: dans chaque
pays, un distributeur exclusif de Chanel Paris - en Suisse,
5.- Selon l'art. 13 al. 2 LPM, le titulaire de la marque peut
interdire à des tiers d'user des signes dont la protection est exclue
en vertu de l'art. 3 al. 1 LPM, en particulier d'utiliser le signe
concerné pour offrir des produits, les mettre dans le commerce ou les
détenir à cette fin (let. b) ou pour importer ou exporter des
produits (let. d). Parmi les signes exclus de la protection légale,
l'art. 3 al. 1 let. a LPM range les signes identiques à une marque
antérieure et destinés à des produits ou services identiques; l'art.
3 al. 2 let. a LPM qualifie d'antérieure la marque déposée ou
enregistrée qui donne naissance à un droit de priorité au sens de la
LPM.
6.- a) Appliquant la jurisprudence de l'arrêt publié aux ATF 114
II 91 ("Dior") en matière de concurrence déloyale, la cour cantonale
a considéré que la défenderesse n'agissait pas de manière déloyale en
exploitant la violation de leurs obligations contractuelles par un ou
plusieurs membres du réseau de distribution sélective mis en place
par le groupe Chanel. En effet, ni la vente au-dessous du prix fixé
par le fabricant, ni le maquillage des codes de contrôle, ni
l'absence de prospectus ne constituent des circonstances
particulières qui sont de nature à rendre déloyal et, partant,
illicite le comportement de la défenderesse.
b) Les demanderesses reprochent à la Cour de justice une violation
de la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD; RS 241). A
leur avis, le comportement de la défenderesse se révèle déloyal à
plusieurs titres. Premièrement, les altérations subies par les
emballages vendus dans les magasins EPA constitueraient une atteinte
considérable à l'image de marque des produits Chanel et tomberaient
par conséquent sous le coup de la clause générale de l'art. 2 LCD.
Par ailleurs, en utilisant systématiquement et régulièrement les
violations du système de distribution sélective commises par un ou
plusieurs détaillants agréés, la défenderesse se rendrait coupable de
parasitisme, acte déloyal au sens de l'art. 2 LCD. Cette attitude
réaliserait au surplus les conditions d'application de l'art. 5 let.
b LCD, qualifiant de déloyale l'exploitation d'une prestation
d'autrui. Enfin, le comportement de la défenderesse serait également
déloyal au regard de la jurisprudence rendue sous l'ancienne loi
fédérale sur la concurrence déloyale (aLCD). En effet, la vente de
produits Chanel dans les magasins EPA est entourée de circonstances
aggravantes - comme l'altération de la marque et de l'emballage ou
encore la suppression des numéros de contrôle et du prospectus -,
propres à mettre en danger le bon renom de la marque.
7.- Comme l'aLCD, la LCD fournit tout d'abord une définition
générale du comportement déloyal (art. 2) avant de dresser une liste
exemplative de cas de concurrence déloyale (art. 3 à 8). L'art. 2 LCD
qualifie de déloyal et illicite tout comportement ou pratique
commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière
aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre
concurrents ou entre fournisseurs et clients. Pour sa part, l'art.
1er al. 1 aLCD considérait comme déloyal tout abus de la concurrence
économique résultant d'une tromperie ou d'un autre procédé contraire
aux règles de la bonne foi.
L'arrêt "Dior" déjà cité présente un état de fait similaire à la
présente espèce. Prononcé le 24 mars 1988, le même jour que deux
autres arrêts non publiés dans les causes C.467/1987 et C.487/1987
("Jil Sander"), il a été rendu en application de l'ancien droit; le
nouveau droit, entré en vigueur trois semaines plus tôt, a toutefois
été pris en compte pour interpréter l'aLCD, en particulier pour mieux
discerner la frontière entre concurrence licite et concurrence
déloyale au sens de la clause générale (ATF 114 II 91 consid. 1 p.
94). Tout en reconnaissant le caractère licite du système de
distribution sélective, le Tribunal fédéral a rejeté l'argument selon
lequel n'importe quelle atteinte à un tel réseau serait illicite
(même arrêt consid. 2 p. 95). Il a constaté ensuite que la partie
défenderesse ne pouvait vendre des produits Dior que si des
partenaires de la maison Dior violaient leurs obligations
contractuelles envers celle-ci. Après un examen approfondi, il est
parvenu à la conclusion, conforme à une jurisprudence constante et à
la doctrine dominante, qu'une atteinte portée par un tiers à des
droits relatifs ne constituait un acte de concurrence déloyale au
sens de l'art. 1er al. 1 aLCD que si des circonstances particulières
faisaient apparaître le comportement du tiers comme contraire aux
règles de la bonne foi (même arrêt consid. 4a/dd p. 100/101). La
simple exploitation de la violation d'engagements contractuels liés à
un réseau de distribution fermé n'est dès lors pas contraire à l'art.
1er al. 1 aLCD (même arrêt consid. 4b p. 101 et les arrêts cités). Le
Tribunal fédéral a nié au surplus l'existence de circonstances
propres à rendre un comportement contraire à la bonne foi en cas
d'enlèvement des codes de contrôle, pour autant que la qualité de la
marchandise ne subisse pas de modifications ou que le fabricant ne
puisse pas faire valoir un intérêt digne de protection à une
présentation intacte de son produit (même arrêt consid. 5a p. 103;
cf. également ATF 86 II 108 consid. 2a p. 112). De même, le maintien,
sur les produits importés parallèlement, de la mention selon
8.- Avant d'examiner si la jurisprudence relative à la clause
générale reste valable sous l'empire du nouveau droit, il convient de
se demander si le comportement reproché à la défenderesse ne tombe
pas sous le coup d'une disposition spéciale, soit l'art. 4 let. a LCD
ou, comme les demanderesses le prétendent, l'art. 5 let. b LCD.
a) L'art. 4 let. a LCD englobe dans les comportements déloyaux
celui qui consiste à inciter un client à rompre un contrat en vue
d'en conclure un autre avec lui. Selon l'interprétation déjà donnée
par la jurisprudence, les autres cas d'incitation à violer un contrat
rentrent, le cas échéant, dans le cadre de la clause générale, comme
sous l'ancien droit (ATF 114 II 91 consid. 4a/bb p. 99; cf. BÄR, Die
privatrechtliche Rechtsprechung des BGer 1988, in RJB/ZBJV 126
(1990), p. 288). L'art. 4 let. a LCD n'est dès lors pas applicable en
l'espèce, puisque l'importateur ou le revendeur parallèle n'incite
pas son fournisseur à rompre un contrat pour en conclure un autre
avec lui.
En outre, les constatations souveraines de la cour cantonale ne
contiennent aucun élément donnant à penser que la défenderesse aurait
incité un membre du réseau de distribution sélective Chanel à violer
ses obligations contractuelles pour lui fournir des produits de
marque. Sous cet angle-là, la clause générale n'entre pas non plus en
ligne de compte.
b) L'art. 5 let. b LCD qualifie de déloyale l'action de celui qui
exploite le résultat du travail d'un tiers, par exemple des offres,
des calculs ou des plans, bien qu'il sache que ce résultat lui a été
remis ou rendu accessible de façon indue.
Selon certains auteurs, cette disposition s'applique au
comportement parasitaire des importateurs parallèles, qui utilisent
systématiquement et de façon continue la violation d'un système de
distribution sélective commise par un ou plusieurs distributeurs
agréés. Dans cette perspective, la réputation du produit de marque,
découlant des efforts du producteur, doit être qualifié de "résultat
d'un travail" au sens de l'art. 5 LCD (DUTOIT, Comparativa, p. 102;
le même, op.cit., in RDS/ZSR 112 (1993), p. 388-389; le même, Note
sur les trois arrêts précités du 24 mars 1988, in SAS/SAG 1989, p.
114; KAMEN TROLLER, Aperçu de divers problèmes juridiques au sujet de
la protection des systèmes de distribution sélective notamment dans
le domaine des produits de consommation de luxe, in RSPI/SMI 1987, p.
38-39).
9.- a) Selon l'approche fonctionnelle, la distinction entre
concurrence loyale et concurrence déloyale doit se faire en tenant
compte des résultats qu'on est en droit d'escompter dans un système
où la concurrence fonctionne bien. Ainsi, un acte de concurrence
devient déloyal lorsqu'il met en péril la concurrence en tant que
telle ou lorsqu'il déjoue les résultats attendus par ladite
concurrence (Message précité, in FF 1983 II, p. 1068 et les
références doctrinales). Par rapport à l'ancien droit, la LCD
accentue l'orientation fonctionnelle de la loi (FF 1983 II, p. 1069).
Ainsi, l'art. 1er LCD énonce expressément le but de la loi, soit
garantir une concurrence loyale et qui ne soit pas faussée, dans
l'intérêt de toutes les parties concernées; quant
10.- Il n'y a pas lieu de revenir sur la jurisprudence consacrée
dans l'arrêt "Dior", selon laquelle l'exploitation par un tiers d'une
violation d'obligations contractuelles n'est déloyale au sens de
l'art. 2 LCD que si des circonstances particulières la font
apparaître comme contraire à la bonne foi. Pour tenir compte de
l'approche fonctionnelle voulue par le législateur, il conviendra
toutefois de prendre en considération, au titre de circonstances
particulières, des éventuels effets négatifs sur la concurrence
induits par le comportement de l'importateur ou du revendeur
parallèle.
a) En l'occurrence, la suppression des codes de contrôle interne et
les altérations de l'emballage qui s'en sont suivies ainsi que
l'absence de prospectus ne rendent pas déloyal le comportement de la
défenderesse. D'une part, l'arrêt attaqué ne contient aucun indice


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.97/1996
Date de la décision : 23/10/1996
1re cour civile

Analyses

Importations parallèles en marge d'un réseau de distribution sélective - droit des marques - concurrence déloyale. L'art. 13 al. 2 LPM en liaison avec l'art. 3 al. 1 let. a LPM ne permet pas au titulaire d'une marque protégée en Suisse de s'opposer à l'importation parallèle et à la mise en vente en Suisse de produits munis licitement de la même marque à l'étranger et rigoureusement semblables à ceux offerts par les détaillants agréés (consid. 3 à 5). L'exploitation par un tiers d'une violation d'obligations contractuelles n'est déloyale au sens de l'art. 2 LCD que si des circonstances particulières la font apparaître comme contraire à la bonne foi (confirmation de la jurisprudence rendue sous l'aLCD). Des effets négatifs sur la concurrence, induits par le comportement du tiers, peuvent constituer de telles circonstances, ce qui n'est toutefois pas le cas des importations parallèles de produits de parfumerie (consid. 6 à 10).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1996-10-23;4c.97.1996 ?
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