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23/05/1996 | SUISSE | N°U.184/93

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 mai 1996, U.184/93


122 V 230

34. Arrêt du 23 mai 1996 dans la cause B. contre La Bâloise,
compagnie d'assurances et Tribunal administratif du canton de Fribourg
A.- B., née en 1969, travaille au service de la société fiduciaire
d'expertises et de revision A. SA. Par son employeur, elle est
assurée contre les accidents auprès de la compagnie d'assurance La
Bâloise.
Au début d'octobre 1991, B. fut piquée à la jambe droite par une
tique. Il s'ensuivit une plaie inflammatoire avec érythème migrant,
soignée par la doctoresse Z. dès le 6 novembre 1991.

Un prélèvement
de sang, effectué le 23 novembre 1991, mit en évidence une borréliose
(Bo...

122 V 230

34. Arrêt du 23 mai 1996 dans la cause B. contre La Bâloise,
compagnie d'assurances et Tribunal administratif du canton de Fribourg
A.- B., née en 1969, travaille au service de la société fiduciaire
d'expertises et de revision A. SA. Par son employeur, elle est
assurée contre les accidents auprès de la compagnie d'assurance La
Bâloise.
Au début d'octobre 1991, B. fut piquée à la jambe droite par une
tique. Il s'ensuivit une plaie inflammatoire avec érythème migrant,
soignée par la doctoresse Z. dès le 6 novembre 1991. Un prélèvement
de sang, effectué le 23 novembre 1991, mit en évidence une borréliose
(Borrelia burgdorferi) en phase aiguë avec une tendance à la guérison
(rapport du laboratoire d'analyses médicales M. SA). La patiente
séjourna à la Clinique de médecine de l'Hôpital cantonal de Fribourg
du 24 au 25 novembre 1991, puis du 26 novembre au 4 décembre 1991, où
les médecins diagnostiquèrent notamment la maladie de Lyme
(borréliose) stade I.
Le cas fut annoncé comme accident à La Bâloise par le médecin
traitant de l'assurée. Selon le rapport médical initial LAA, du 30
décembre 1991, B. avait été piquée par une tique à Estavayer vers le
2 octobre 1991.
Considérant en droit:
1.- Selon l'art. 9 al. 1 OLAA, on entend par accident toute
atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps
humain par une cause extérieure extraordinaire. Cette définition
correspond à celle que la jurisprudence constante avait donnée de
l'accident, sous réserve d'une modification d'ordre purement
rédactionnel (ATF 118 V 61 consid. 2a, 283 consid. 2a et les
références).
Depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1996, de la loi fédérale
sur l'assurance-maladie (LAMal) du 18 mars 1994, il existe désormais
- et pour la première fois - une définition légale de l'accident, qui
figure à l'art. 2 al. 2 de cette loi. Cette définition, qui reprend
celle de l'art. 9 al. 1 OLAA, avec une précision relativement aux
effets de l'atteinte corporelle, est la suivante: "Par accident, on
entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée
au corps humain par une cause extérieure
2.- a) En Suisse, notamment, la tique du genre Ixodes (ixodidés:
Ixodes ricinus) est le vecteur de la maladie de Lyme (W. BURGDORFER,
A.G. BARBOUR, S.F. HAYES, O. PÉTER, A. AESCHLIMANN, Erythema
chronicum migrans - a tickborne spirochetosis, in Acta Tropica
40[1983] 79-83 p. 79 sv.; A.G. BARBOUR, W. BURGDORFER, S.F. HAYES,
feu O. PÉTER, et A. AESCHLIMANN, Isolation of a Cultivable Spirochete
from Ixodes ricinus Ticks of Switzerland, in Current Microbiology,
8[1983] p. 123 à 126).
L'agent causal de la maladie de Lyme est un spirochète, le Borrelia
burgdorferi isolé en 1982 sur la tique et en 1983 chez les patients
atteints par cette maladie. Transmis à l'homme lors de la morsure
d'une tique du genre Ixodes, un acarien hématophage, ce
micro-organisme spiralé appartient à la famille des spirochétales
(comme le tréponème de la syphilis; L. ROSSANT/J. ROSSANT-LUMBROSO,
Votre santé. Encyclopédie médicale à l'usage de tous, éd. Laffont,
Paris 1993, p. 222 sv.).
La maladie de Lyme est une infection évoluant comme la syphilis en
trois grandes phases séparées par des périodes d'accalmie. Les signes
sont très polymorphes (cutanés, cardiaques, ostéo-articulaires,
neurologiques), isolés ou associés entre eux. Le début de la maladie
a lieu entre mai et octobre, période d'activité des arthropodes en
milieu tempéré. A partir du point d'inoculation, le germe est
responsable d'une lésion cutanée, "érythème chronique migrant" (ECM)
- ou érythème de Lipschütz (LE GARNIER
3.- Une atteinte à la santé due à une infection est en principe
une maladie et concerne donc l'assurance-maladie. Or, lorsqu'il
s'agit comme en l'espèce d'une morsure de tique, se pose la question
du caractère accidentel de l'infection, question qui remonte à des
temps relativement anciens.
a) Selon la jurisprudence parue aux ATFA 1934 p. 75 et 1938 p. 112
consid. 1, la Cour de céans a toujours exigé, pour qu'on puisse
admettre une infection "accidentelle" (ou traumatique) assurée,
l'existence bien établie et reconnue, ou du moins nécessaire en
quelque sorte d'après les circonstances établies en fait, d'une
plaie, d'une blessure ou d'une lésion déterminée au moment de
l'infection prétendue. Cette condition doit être appliquée de manière
d'autant plus stricte que l'admission de l'infection (Wundinfektion)
dans la notion de l'"accident" constitue en soi déjà une application
extensive de celle-ci. Par ailleurs, l'entrée des germes ou des
bactéries dans l'organisme par le canal de la blessure ou de la plaie
- autre condition essentielle de l'admission - n'est en soi jamais
tout à fait sûre, mais ne peut être retenue comme vraisemblable que
là où un autre mode d'infection doit être tenu pour improbable
d'après l'expérience.
Dans les arrêts non publiés R. du 16 février 1945 et H.-R. du 12
décembre 1945, cités dans l'arrêt N. du 14 janvier 1947 (ATFA 1947 p.
5 sv.), le Tribunal fédéral des assurances a précisé qu'il ne suffit
pas que les germes d'infection aient pu s'infiltrer à l'intérieur du
corps humain par de petites écorchures, éraflures ou excoriations
banales et sans importance comme il s'en produit journellement, mais
que la pénétration doit s'être faite par une lésion déterminée ou
tout au moins dans des circonstances telles qu'elles représentent un
fait typiquement "accidentel" et reconnaissable pour tel.
4.- Les auteurs mentionnés ci-dessous, dont l'opinion est résumée,
ont examiné de manière particulièrement approfondie la question du
facteur extérieur et du caractère extraordinaire de l'atteinte en cas
de piqûres d'insectes et de morsures d'animaux:
Selon ZOLLINGER/MOOSER (op.cit., p. 55 sv.), les phénomènes
inflammatoires dus aux piqûres d'insectes sont provoqués par des
toxines, élément caractéristique d'une intoxication et non pas d'une
infection. La transmission de germes pyogènes peut être causée par
l'insecte lui-même ou par les doigts de l'intéressé. Dans la plupart
des cas, la piqûre d'insecte se signale par l'existence d'une papule
avec une rougeur aux alentours, ce symptôme disparaissant d'habitude
très rapidement, de sorte que le cas n'est pas annoncé à
l'assureur-accidents. Les piqûres d'abeilles, de guêpes et de frelons
constituent une exception à ce principe, lesquelles, même sans
l'inoculation d'agents purulents, peuvent provoquer de graves
troubles de la santé, voire la mort du patient (anaphylaxie). En ce
qui concerne la malaria, ces auteurs mentionnaient PICCARD
(Haftpflichtpraxis und Soziale Unfallversicherung, 1917, p. 21 sv.),
d'après lequel il s'agit non pas d'un accident mais d'une maladie,
parce que la piqûre d'anophèle constitue le mode ordinaire de sa
transmission. Ils citaient en outre SANDBERG (Der
Nichtbetriebsunfall, Diss. Zürich 1927, p. 89 sv.), qui était d'avis
que l'assureur-accidents n'a pas à intervenir lorsque la malaria est
transmise dans une région où la maladie est endémique ou épidémique,
alors qu'il doit prendre en charge le cas lorsque la malaria est
transmise dans une région où cette maladie est étrangère et donc
"accidentelle". Ils en concluaient que la malaria est une maladie
étrangère à la Suisse et qu'elle tombe donc sous le coup de
l'assurance-accidents obligatoire, la piqûre de moustique étant en
soi déjà un accident.
D'après MAURER (Recht und Praxis, p. 114; Schweizerisches
Unfallversicherungsrecht, p. 187 ad let. a), les piqûres d'insectes
peuvent provoquer des empoisonnements. Il n'est pas rare que les
piqûres d'abeilles et de guêpes soient annoncées aux
assureurs-accidents, celles-ci pouvant même causer la mort par choc
anaphylactique, lors d'hypersensibilité ou d'allergie au venin
inoculé. De tels événements ont les caractéristiques d'un accident,
ce qui vaut aussi p. ex. pour les morsures de serpents ou les
blessures dues aux poulpes. Le fait d'être contaminé par des maladies
s'attrapant normalement de manière endémique ou épidémique seulement
dans les pays lointains, mais exceptionnellement aussi dans notre
pays, ne saurait être qualifié d'accident; cela, à la condition que
la contamination
5.- Sur la base de ce qui précède, il y a lieu d'examiner si la
morsure de la tique du genre Ixodes remplit toutes les
caractéristiques d'un accident.
a) La jurisprudence précitée (ATFA 1947 p. 5/6), relative au
facteur extérieur, s'applique en cas de morsure de tique. En effet,
cet acarien hématophage, lorsqu'il devient un parasite de l'homme,
provoque par sa morsure une lésion déterminée. Or, cette lésion se
distingue de petites écorchures, éraflures ou excoriations banales et
sans importance comme il s'en produit journellement. Elle est donc en
soi une atteinte portée au corps humain, atteinte sans laquelle les
germes d'infections véhiculés par la tique du genre Ixodes ne
sauraient pénétrer dans l'organisme.
Il n'est juridiquement pas décisif que la tique en question, à la
différence des insectes (p. ex. abeilles, guêpes, frelons) inoculant
dans le corps leur propre venin, soit uniquement le vecteur des
germes (bactérie ou virus) de la maladie de Lyme (borréliose) et de
la méningo-encéphalite verno-estivale
("Frühsommer-Meningoenzephalitis" [FSME]). En effet, cela ne joue
aucun rôle dans l'appréciation du facteur extérieur. Qu'il s'agisse
des germes d'infections transmis par la tique incriminée ou des
venins inoculés par les insectes précités, chacun d'eux pénètre dans
l'organisme par une lésion déterminée due à la morsure ou à la
piqûre, et non pas par un orifice naturel du corps. Les premiers,
comme les seconds, sont dès lors un facteur extérieur au sens de la
définition légale et jurisprudentielle de l'accident (sur l'infection
microbienne en tant que cause extérieure, cf. TOLUNAY, La notion de
l'accident du travail dans l'assurance-accidents obligatoire en droit
suisse, allemand et français, thèse Neuchâtel, 1977, p. 84).
Or, selon la jurisprudence précitée, le fait typiquement
"accidentel" doit être reconnaissable comme tel et pouvoir être
vérifié. Il s'ensuit que
6.- En l'espèce, les premiers juges ont établi que la recourante a
été victime d'une morsure de tique à la jambe droite le 2 octobre
1991, au bord du lac. Elle a consulté la doctoresse Z., médecin, qui
a diagnostiqué un érythème migrant, puis, après examen sérologique,
la maladie de Lyme.
L'état de fait n'est pas contesté. Il s'ensuit que la recourante
est atteinte d'une infection "accidentelle" au sens de la
jurisprudence précitée. Au moment déterminant, elle était assurée
contre les accidents auprès de l'intimée. Le jugement entrepris et la
décision sur opposition doivent dès lors être annulés et la cause
renvoyée à l'assureur-accidents pour qu'il prenne en charge le cas de
la recourante et qu'il rende une nouvelle décision au sens des motifs.
7.- (Dépens)


Synthèse
Numéro d'arrêt : U.184/93
Date de la décision : 23/05/1996
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 6 LAA, art. 9 al. 1 OLAA, art. 2 al. 2 LAMal: notion d'infection "accidentelle". La morsure de la tique du genre Ixodes remplit toutes les caractéristiques d'un accident.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1996-05-23;u.184.93 ?
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