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10/04/1996 | SUISSE | N°1P.111/1996

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 10 avril 1996, 1P.111/1996


122 I 109

20. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 10 avril 1996 dans la
cause L., dame M. et Me D. contre X. et Chambre supérieure du
Tribunal des mineurs du canton de Vaud (recours de droit public)
A.- Une poursuite pénale est actuellement en cours devant le
Tribunal des mineurs du canton de Vaud contre L., dont le défenseur
est Me D., avocat à Neuchâtel, autorisé à pratiquer dans le canton de
Vaud par une décision du Tribunal cantonal du 22 juillet 1992.
Le 13 décembre 1995, Me D. a demandé la communication du dossier à
son

étude, pour consultation. Cette demande faisait suite à un
échange de correspondance da...

122 I 109

20. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 10 avril 1996 dans la
cause L., dame M. et Me D. contre X. et Chambre supérieure du
Tribunal des mineurs du canton de Vaud (recours de droit public)
A.- Une poursuite pénale est actuellement en cours devant le
Tribunal des mineurs du canton de Vaud contre L., dont le défenseur
est Me D., avocat à Neuchâtel, autorisé à pratiquer dans le canton de
Vaud par une décision du Tribunal cantonal du 22 juillet 1992.
Le 13 décembre 1995, Me D. a demandé la communication du dossier à
son étude, pour consultation. Cette demande faisait suite à un
échange de correspondance dans lequel l'avocat faisait valoir son
droit de bénéficier, pour la consultation du dossier, des mêmes
facilités que les avocats vaudois, à quoi la Présidente du Tribunal
des mineurs répondait que "le juge a la faculté de communiquer le
dossier à un avocat pour quelques jours, sans qu'il en résulte un
droit pour le conseil", et que "la communication du dossier hors du
canton n'est pas envisageable". La requête de Me D. fut ainsi rejetée
par décision du 18 décembre 1995; afin que le défenseur n'eût pas à
se déplacer jusqu'au siège du Tribunal des mineurs à Lausanne, il fut
seulement autorisé à prendre connaissance du dossier dans les locaux
de l'office du juge d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois
à Yverdon.
Agissant en son propre nom, pour le prévenu L. et pour la mère et
représentante légale de ce dernier, dame M., Me D. a déféré cette
décision à la Chambre supérieure du Tribunal des mineurs. Statuant le
24 janvier 1996, celle-ci a rejeté le recours pour les motifs déjà
retenus par le magistrat intimé.
Les recourants, représentés par un autre avocat, ont saisi le
Tribunal fédéral d'un recours de droit public tendant à l'annulation
de l'arrêt du 24 janvier 1996. Ils le tiennent pour incompatible avec
la libre
Considérant en droit:
1.- a) En vertu de l'art. 87 OJ, le recours de droit public pour
violation de l'art. 4 Cst. n'est recevable que contre une décision
finale; il n'est recevable contre une décision incidente que lorsque
celle-ci cause à l'intéressé un préjudice irréparable. Cette
disposition n'est cependant pas applicable aux recours dénonçant,
outre une violation de l'art. 4 Cst., la violation d'autres droits
constitutionnels, lorsque ceux-ci ont une portée indépendante et que
les griefs tirés de ces droits ne sont pas manifestement irrecevables
ou mal fondés (ATF 117 Ia 247 consid. 2, 116 Ia 181 consid. 3, 115 Ia
311 consid. 2b).
b) Selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ, le recours de
droit public est ouvert seulement à la personne atteinte par l'acte
attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés (ATF
118 Ia 51 consid. 3; 117 Ia 93 consid. 2).
Exerçant la profession d'avocat, Me D. a qualité pour invoquer les
art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst. Le prononcé attaqué se rapporte
directement à
2.- a) L'art. 4 Cst. garantit à toute personne le droit d'être
entendue avant qu'une décision ne soit prise à son détriment. Il
protège d'abord l'intéressé contre une application arbitraire des
règles cantonales relatives au droit d'être entendu; en outre,
lorsque celles-ci n'offrent pas une protection plus étendue, les
règles déduites directement de l'art. 4 Cst. constituent une garantie
minimale (ATF 121 I 54 consid. 2a, 230 consid. 2b). L'intéressé doit
notamment avoir la possibilité de prendre connaissance des pièces du
dossier, de faire administrer des preuves sur des faits importants
pour la décision envisagée, de participer à l'administration de
l'ensemble des preuves et de faire valoir ses arguments (ATF 120 Ia
379 consid. 3b, 119 Ia 260 consid. 6a, 119 Ib 12 consid. 4).
b) Selon la jurisprudence, l'accès au dossier ne comprend, en règle
générale, que le droit de consulter les pièces au siège de
l'autorité, de prendre des notes (ATF 115 Ia 293 p. 302/303, 112 Ia
377 consid. 2b) et, pour autant que cela n'entraîne aucun
inconvénient excessif pour l'administration, de faire des photocopies
(ATF 117 Ia 424 consid. 28, 116 Ia 325 consid. 3d/aa).
En pratique, les personnes représentées par un avocat bénéficient
couramment de facilités plus étendues, adaptées aux besoins
professionnels de ces mandataires et à la confiance que justifie leur
statut (ATF 108 Ia 8 consid. 3): les pièces sont simplement envoyées
à l'étude de l'avocat, cela même si le droit de procédure applicable,
fédéral ou cantonal, ne le prévoit pas expressément. Cette solution
est notamment admise par le Juge d'instruction cantonal vaudois,
selon sa directive concernant l'art. 100
3.- a) Aux termes de l'art. 6 par. 3 let. b CEDH (sur ce point
identique à l'art. 14 par. 3 let. b Pacte ONU II), toute personne
accusée d'une infraction doit disposer notamment "du temps et des
facilités nécessaires à la préparation de sa défense"; dans sa
jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme a souligné
que l'accès de l'avocat au dossier fait partie de ces "facilités
nécessaires", mais elle n'a pas considéré comme incompatible avec les
droits de la défense le fait que l'accusé lui-même n'ait pas pu
compulser personnellement le dossier (arrêts de la Cour européenne
des droits de l'homme dans les causes Kamasinski, du 19 décembre
1989, Série A no 168, p. 39, par. 87 et 88, et Kremzow, du 21
septembre 1993, Série A no 268 B, p. 42, par. 51 et 52). De manière
générale, l'art. 6 par. 3 let. b CEDH est tenu pour respecté si
l'accusé "a la possibilité d'organiser sa défense de manière
appropriée et sans restriction quant à la possibilité de présenter au
juge tous les moyens de défense pertinents, et par là même
d'influencer l'issue de la procédure" (avis de la Commission
européenne des droits de l'homme du 12 juillet 1984 dans l'affaire
Can, Série A no 96, p. 13 ss, p. 17 par. 53; voir également
VELU/ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles
1990, p. 486 ch. 585).
b) La Commission européenne des droits de l'homme a admis, au
regard de l'art. 6 par. 1 CEDH, qu'un avocat établi à Bellinzone,
mandaté dans une affaire vaudoise, ne puisse pas obtenir que le
dossier de l'affaire soit communiqué à son étude et qu'il doive le
consulter dans les locaux du Département tessinois de l'intérieur.
Elle a relevé qu'il n'était pas
4.- a) Les recourants soutiennent que l'arrêt attaqué viole de
surcroît les art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst. La profession
d'avocat est une activité lucrative privée dont le libre exercice,
sur tout le territoire de la Confédération, est garanti par l'art. 31
Cst. (ATF 119 Ia 41 consid. 4a, 112 Ia 318 consid. 2a). Elle fait
partie des professions libérales pour lesquelles les cantons ont la
faculté d'exiger, sur la base de l'art. 33 al. 1 Cst., une preuve de
capacité de la part des personnes qui veulent l'exercer. Jusqu'à
l'entrée en vigueur de la loi fédérale prévue par l'art. 33 al. 2
Cst. (voir à ce propos l'esquisse d'une loi-cadre fédérale sur la
libre circulation des avocats, du 22 avril 1993, élaborée par la
Commission "Reconnaissance des brevets d'avocats" de la Fédération
suisse des avocats, Bulletin de la FSA 147/1993, p. 11-13), les
certificats de capacité


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.111/1996
Date de la décision : 10/04/1996
1re cour de droit public

Analyses

Discrimination de l'avocat établi dans un autre canton: refus d'envoyer le dossier de la cause pénale à l'étude du défenseur établi à Neuchâtel, alors que cette facilité est accordée aux avocats vaudois. Qualité pour recourir de l'avocat, du prévenu mineur et de son représentant légal (consid. 1b). L'envoi du dossier à l'avocat mandaté est-il une modalité essentielle de l'accès au dossier, garantie en principe par l'art. 4 Cst. (consid. 2)? La décision attaquée comporte une discrimination inadmissible dans l'exercice des droits de la défense; elle viole dès lors, en particulier, l'art. 6 par. 3 let. b CEDH en liaison avec l'art. 14 CEDH, l'art. 14 par. 1 Pacte ONU II, l'art. 14 par. 3 let. b Pacte ONU II en liaison avec l'art. 2 par. 1 Pacte ONU II (consid. 3a-c) et, dans les circonstances de l'espèce, l'art. 4 Cst. (consid. 3d). Portée du concordat sur l'entraide judiciaire et la coopération intercantonale en matière pénale; droit de non-discrimination procédurale garanti par l'art. 60 Cst. (consid. 3e). La décision attaquée est en outre contraire aux droits garantis à l'avocat par les art. 31 Cst. et 5 Disp. trans. Cst. (consid. 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1996-04-10;1p.111.1996 ?
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