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20/12/1995 | SUISSE | N°1A.156/1995

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 décembre 1995, 1A.156/1995


121 II 369

53. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 20
décembre 1995 dans la cause C. contre Tribunal administratif du
canton de Genève (recours de droit administratif)
A.- C., né le 12 mai 1966, sans profession, domicilié à Genève, a
exercé une activité rémunératrice de façon irrégulière; il est
toxicomane et séropositif (selon un rapport médical établi en
novembre 1993, l'affection était considérée comme un "sida au stade
IV C2"), et souffre d'éthylisme. Il a été poursuivi et condamné à de
nombreuses

reprises, spécialement pour des infractions à la loi
fédérale sur les stupéfiants et pour des infrac...

121 II 369

53. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 20
décembre 1995 dans la cause C. contre Tribunal administratif du
canton de Genève (recours de droit administratif)
A.- C., né le 12 mai 1966, sans profession, domicilié à Genève, a
exercé une activité rémunératrice de façon irrégulière; il est
toxicomane et séropositif (selon un rapport médical établi en
novembre 1993, l'affection était considérée comme un "sida au stade
IV C2"), et souffre d'éthylisme. Il a été poursuivi et condamné à de
nombreuses reprises, spécialement pour des infractions à la loi
fédérale sur les stupéfiants et pour des infractions contre le
patrimoine.
Le 6 avril 1993, à la recherche de sa dose quotidienne d'héroïne à
la Place du Molard à Genève, il rencontra S., qu'il connaissait pour
lui avoir acheté de la drogue quelques jours auparavant. Il se rendit
en sa compagnie dans un endroit retiré pour procéder à la
transaction. S. le saisit par surprise, le traîna au sol et lui
asséna plusieurs coups de genou au visage, en exigeant qu'il lui
remît son argent; C. dut s'exécuter. Malgré les soins qui lui furent
prodigués, il perdit définitivement la vue de l'oeil droit.
Le 16 juin 1994, la Cour d'assises de la République et canton de
Genève a condamné S. à trois ans de prison, pour brigandage. Il
résulte du jugement que les causes du conflit entre l'agresseur et la
victime n'ont pas pu être élucidées. Après l'agression du 6 avril
1993, la situation personnelle de C. s'est encore dégradée. En raison
de son mauvais état général, il a reçu une rente AI de 100%. Il a
continué à consommer des stupéfiants. Il a été condamné à quatre
reprises pour des cambriolages et tentatives de cambriolages. En
1993, une expédition punitive (mise à sac de l'appartement de S.) a
été décidée par son frère M. C. n'y a pas participé activement; une
plainte pénale dirigée contre lui a été classée par le Ministère
public.
En raison de l'insolvabilité de S., C. a requis, le 13 septembre
1993, l'octroi de prestations fondées sur la loi fédérale sur l'aide
aux victimes d'infractions, du 4 octobre 1991 (LAVI).
Par décision du 25 avril 1994, l'Instance cantonale d'indemnisation
prévue par la LAVI a refusé l'octroi de toute prestation. Il n'y
avait pas lieu de réparer un dommage matériel consistant dans une
perte de gain, C. ne travaillant plus depuis cinq ans. Les
circonstances ne justifiaient pas non
Extrait des considérants:
1.- Interjeté à temps et dans les formes contre un arrêt cantonal
de dernière instance rendu en application du droit public fédéral -
sans que la cause relève d'une des exceptions prévues par la loi -,
le recours de droit administratif est recevable (ATF 121 II 116
consid. 1).
Le Tribunal fédéral est en principe lié par les faits tels qu'ils
ont été constatés par la cour cantonale, autorité judiciaire (art.
105 al. 2 OJ). Il examine librement l'application du droit fédéral,
alors qu'il respecte le pouvoir d'appréciation des autorités
cantonales, dont il ne sanctionne que l'abus ou l'excès (art. 104
let. a OJ).
2.- Selon l'art. 64ter Cst., la Confédération et les cantons
veillent à ce que les victimes d'infractions contre la vie et
l'intégrité corporelle bénéficient d'une aide comprenant une
indemnisation équitable lorsqu'en raison de l'infraction, ces
victimes connaissent des difficultés matérielles. Entrée en vigueur
le 1er janvier 1993, la LAVI répond à ce mandat constitutionnel en
prévoyant une aide aux victimes sous trois aspects: les conseils et
assistance (section 2), la protection et la sauvegarde des droits
dans la procédure pénale (section 3) et l'indemnisation et la
réparation morale (section 4). En même temps que la loi, le Conseil
fédéral a proposé la ratification de la Convention européenne
relative au dédommagement des victimes d'infractions violentes, du 24
novembre 1983 (ci-après: la Convention; cf. FF 1990 II 911). Entrée
en vigueur le 1er janvier 1993 (RS 0.312.5), celle-ci impose aux
Etats signataires, en son art. 4, un dédommagement de la victime
couvrant au moins la perte de revenu, les frais médicaux ou
d'hospitalisation, les frais funéraires et, en ce qui concerne les
personnes à charge, la perte d'aliments.
Selon l'art. 12 al. 2 LAVI, une somme peut être versée à la victime
d'une infraction à titre de réparation morale, indépendamment de son
revenu, lorsque celle-ci a subi une atteinte grave et que des
circonstances particulières le justifient. En prévoyant une telle
indemnisation, le législateur est - comme il le pouvait - allé plus
loin que ce qu'imposaient la Constitution et la Convention, puisque
ces textes ne prévoient pas la réparation du tort moral subi par la
victime.
3.- a) Ayant subi une atteinte à son intégrité corporelle par la
perte définitive de la vue de l'oeil droit, ensuite d'un acte de
brigandage commis contre sa personne après l'entrée en vigueur de la
loi (art. 12 al. 3 OAVI), le recourant a la qualité de victime au
sens de l'art. 2 LAVI (ATF 120 Ia 157 consid. 2d/aa); il est
incontesté, à juste titre, qu'il peut se prévaloir des dispositions
de cette loi.
b) L'auteur de la lésion corporelle est apparemment insolvable et
il n'a pas fourni de prestations à la victime (art. 1 OAVI). Celle-ci
peut s'adresser à l'organisme cantonal au lieu du délit (art. 11 al.
1 LAVI) en vue d'obtenir les prestations prévues à l'art. 12 LAVI. Si
une réparation morale est allouée de ce chef - le cas échéant après
déduction des sommes déjà reçues à ce titre, art. 14 al. 1 3ème
phrase LAVI -, le canton est subrogé, à concurrence, dans les
prétentions que la victime peut faire valoir en raison de
l'infraction (art. 14 al. 2 LAVI).
4.- a) Pour les motifs indiqués ci-dessus, la participation
volontaire à une activité illicite, comportant le risque certain
d'actes de violence et de propre justice, est une circonstance que le
canton peut en soi opposer au requérant en tant que faute concurrente
ou acceptation du risque. Cette situation se présente notamment pour
les personnes s'adonnant au commerce et à la consommation de la
drogue (cf. P. STEIN, in Gomm/Stein/Zehntner, Kommentar zum
Opferhilfegesetz, Berne 1995 p. 201 ad art. 13 n. 33 et 34).
b) Invité à répondre au recours, le DFJP est de l'avis que le mode
de vie de la victime et la société marginale dans laquelle elle
évolue ne devraient pas être pris en considération, car ils sont
étrangers à la souffrance physique et morale éprouvée par elle, qui
justifie l'octroi d'une réparation. Cette réflexion ne saurait
toutefois libérer la victime
5.- a) La victime ne saurait non plus exiger du canton une
réparation morale qu'elle ne pourrait, pour des motifs qui lui sont
propres, demander à l'auteur de l'infraction. Tel serait le cas si la
victime avait obtenu de l'auteur un autre mode de réparation, jugé
suffisant, ou le lui avait imposé. A cet égard, la cour cantonale
pouvait en soi également - en tout cas sous l'angle de l'équité -
prendre en compte un acte illicite de justice propre par lequel la
victime se serait vengée de l'auteur en lui causant un dommage. En
fait, elle met partiellement au compte du recourant un acte de
représailles accompli par son frère qui a mis à sac l'appartement de
S.
b) Les indications de fait données à ce sujet par le Tribunal
administratif permettent cependant difficilement de se rendre compte
quelle fut la participation effective du recourant: "il est apparu
que l'intéressé n'avait participé que de façon passive à l'expédition
punitive (mise à sac de l'appartement) décidée par son frère M. pour
venger le recourant de l'agression de S. De ce fait, la procédure
dirigée contre C. a été classée par le Procureur général pour
prévention insuffisante de complicité et par souci de paix, tandis
que son frère M. a fait l'objet d'une ordonnance de condamnation à
trente jours d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans"; "en ne
s'opposant pas au projet de son frère M. de mettre à sac
l'appartement de S. en novembre 1993, le recourant a accepté l'idée
d'être en partie vengé par les dégâts causés au patrimoine de son
agresseur". Au surplus, on ignore quelle a été la "participation
passive" du recourant; ayant bénéficié d'un classement faute de
charges, il n'a été considéré ni comme instigateur, ni comme
coauteur, ni comme complice ou receleur; il semble seulement établi
qu'il a été informé au préalable et qu'il ne s'est pas opposé à
l'action punitive, de sorte qu'il paraît difficile de lui imputer une
activité illicite à ce sujet. Par ailleurs, on ignore totalement
l'importance des dégâts commis, ce qui empêche d'apprécier
l'importance du sacrifice imposé sur ce point à l'auteur de
l'agression.
Si donc la circonstance invoquée par le Tribunal administratif
mériterait en soi d'être prise en considération, il est difficile
d'en apprécier l'importance objective et subjective. Sur ce point, le
fardeau de la preuve eût incombé à l'autorité intimée.
6.- Il y a lieu de rechercher si, globalement, l'équité exige
encore que le recourant obtienne une réparation morale.
a) En soi, une réparation morale serait justifiée par la gravité de
l'atteinte et la gravité de l'infraction commise, en l'occurrence un
acte de brigandage (art. 140 CP); compte tenu de l'importance de
l'atteinte, la


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.156/1995
Date de la décision : 20/12/1995
1re cour de droit public

Analyses

Art. 12 al. 2 LAVI. Principes régissant la réparation morale allouée à la victime d'une infraction (consid. 2 et 3). Le mode de vie de la victime peut en l'espèce être pris en compte, à titre de faute concurrente pour réduire l'indemnité, mais non pour la supprimer (consid. 4). Un acte illicite de justice propre commis par la victime pourrait également conduire à une réduction de l'indemnité, mais les conditions n'en sont pas réalisées en l'espèce (consid. 5). Evaluation du tort moral subi après la perte de la vue d'un oeil (consid. 6).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1995-12-20;1a.156.1995 ?
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