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13/12/1995 | SUISSE | N°K.129/92

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 décembre 1995, K.129/92


121 V 302

46. Arrêt du 13 décembre 1995 dans la cause Chrétienne-Sociale
Suisse Assurance contre T. et Tribunal des assurances du canton de
Vaud
A.- T., née en 1955, est affiliée à la caisse-maladie
Chrétienne-Sociale Suisse, notamment pour l'assurance des soins
médicaux et pharmaceutiques. Depuis 1981, elle vit maritalement avec
C. Après trois ans de vie commune, le couple a décidé d'avoir des
enfants. Il est apparu que T. souffrait de stérilité primaire
d'origine multifactorielle. Entre les mois de février et juillet
1990,

elle a subi, mais sans succès, plusieurs tentatives
d'insémination artificielle homologue a...

121 V 302

46. Arrêt du 13 décembre 1995 dans la cause Chrétienne-Sociale
Suisse Assurance contre T. et Tribunal des assurances du canton de
Vaud
A.- T., née en 1955, est affiliée à la caisse-maladie
Chrétienne-Sociale Suisse, notamment pour l'assurance des soins
médicaux et pharmaceutiques. Depuis 1981, elle vit maritalement avec
C. Après trois ans de vie commune, le couple a décidé d'avoir des
enfants. Il est apparu que T. souffrait de stérilité primaire
d'origine multifactorielle. Entre les mois de février et juillet
1990, elle a subi, mais sans succès, plusieurs tentatives
d'insémination artificielle homologue au Département de gynécologie
et d'obstétrique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Par décision du 15 mars 1991, la Chrétienne-Sociale Suisse a refusé
de prendre en charge diverses factures en relation avec ce
traitement, pour un montant total de 2'915 fr. 05. Elle a considéré
que l'insémination artificielle n'était pas une mesure thérapeutique
au sens de la LAMA, car elle ne permettait pas de guérir les troubles
de la fertilité.
Considérant en droit:
1.- (Pouvoir d'examen)
2.- A dire de médecin (rapport du docteur G. du 6 novembre 1990),
l'intimée souffre d'une stérilité primaire d'origine multifactorielle
(tubaire, cervicale, facteur cervical). Les inséminations ont été
entreprises après dépistage du moment de l'ovulation, au vu du
caractère cervical. Ces faits ne sont pas contestés et le litige
porte sur la prise en charge par la recourante des frais en relation
avec ces inséminations.
3.- Les prestations obligatoires en vertu de l'art. 12 LAMA ne
sont dues que si l'assuré souffre d'une maladie (art. 14 al. 1 Ord.
III sur l'assurance-maladie du 15 janvier 1965; RS 832.140). Savoir
s'il existe une
4.- a) Selon l'art. 12 al. 2 ch. 1 LAMA, les caisses-maladie
doivent prendre en charge, dans l'assurance des soins médicaux et
pharmaceutiques, en cas de traitement ambulatoire, au moins les soins
donnés par un médecin (let. a) et les traitements scientifiquement
reconnus auxquels procède le personnel paramédical sur prescription
d'un médecin (let. b). Par soins donnés par un médecin
obligatoirement à la charge des caisses conformément à la loi, il
faut entendre toute mesure diagnostique ou thérapeutique, reconnue
scientifiquement, qui est appliquée par un médecin; ces mesures
doivent être appropriées à leur but et économiques (art. 21 al. 1 de
l'ordonnance III sur l'assurance-maladie). Si le caractère
scientifique, la valeur diagnostique ou thérapeutique ou le caractère
économique d'une mesure est contesté, le Département fédéral de
l'intérieur (DFI), sur préavis de la Commission de spécialistes
prévue à l'art. 26 Ord. III, décide si la mesure doit être prise en
charge obligatoirement par les caisses (art. 21 al. 2 Ord. III).
b) Les décisions du DFI, en cas de contestation sur le caractère
scientifique, la valeur diagnostique ou thérapeutique ou encore le
caractère approprié ou économique d'une mesure sont publiées dans
l'annexe à l'Ordonnance 9 de ce même département du 18 décembre 1990,
concernant certaines mesures diagnostiques ou thérapeutiques à la
charge des caisses-maladie reconnues (RS 832.141.13).
Dans sa version modifiée par l'ordonnance du 23 décembre 1992,
valable depuis le 1er janvier 1993 (RO 1993 I 351 ss), l'annexe
comprend, sous chiffre 3 (gynécologie et obstétrique), une
disposition selon laquelle l'insémination artificielle n'est pas une
prestation obligatoire des caisses-maladie (disposition reprise sans
changement dans l'annexe lors des
5.- a) Les avis de la Commission des prestations ne lient pas le
juge. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'apprécier des situations qui
relèvent exclusivement de considérations d'ordre médical, le juge
n'est généralement pas en mesure de se prononcer sur la pertinence
des conclusions auxquelles sont arrivés les spécialistes en la
matière. Aussi doit-il alors s'en remettre à l'opinion de ceux-ci, à
moins qu'elle ne paraisse insoutenable (ATF 118 V 110 et les
références).
L'Ordonnance 9 du 18 décembre 1990, édictée par le DFI en
application de l'art. 21 al. 2 et 3 de l'Ord. III sur
l'assurance-maladie, est une réglementation qui repose sur une
subdélégation et qui lie en principe le juge, pour autant qu'elle
soit conforme à la loi. En ce domaine, un certain pouvoir
d'appréciation doit être réservé au Département. Par conséquent, le
juge ne déclarera contraire à la loi une décision du DFI et n'en
censurera l'application que si elle repose sur une erreur
d'appréciation évidente, en particulier en cas d'arbitraire dans
l'appréciation du caractère scientifiquement reconnu de la mesure
(ATF 105 V 184 consid. 2c).
b) Il résulte du préavis de la Commission des prestations, qui est
à la base de la réglementation correspondante de l'annexe à
l'Ordonnance 9 du DFI (dans sa version en vigueur depuis le 1er
janvier 1993; voir aussi l'annexe 1 à l'ordonnance sur les
prestations de l'assurance des soins [OPAS] du 29 septembre 1995),
que le refus d'une prise en charge par les caisses-maladie est
motivé, exclusivement, par le fait qu'il ne s'agit pas d'une mesure
thérapeutique au sens de la LAMA, parce qu'elle ne permet pas une
guérison des troubles existants (c'est-à-dire la stérilité).
Toutefois, comme le relèvent avec raison les juges cantonaux, cette
motivation n'apparaît pas fondée. Sans doute est-il vrai que le but du
6.- a) Le but de la mesure médicale, en cas de stérilité, n'est
pas tant de remédier à la stérilité comme telle que de rendre
possible une grossesse et donc de permettre à un couple d'avoir une
progéniture.
Le fait que le traitement a pour but, non de combattre la
stérilité, mais de satisfaire le désir d'enfant des parents, ne
suffit pas, à lui seul, pour lui dénier le caractère de mesure
thérapeutique. Du point de vue de son but, l'insémination
artificielle ne se distingue pas des autres méthodes destinées à
remédier à la stérilité - en particulier le traitement opératoire ou
médicamenteux - et qui sont, quant à eux, obligatoirement à la charge
des caisses-maladie. L'insémination artificielle vise, comme les
autres méthodes citées, à provoquer dans le corps de la femme une
fécondation naturelle qui n'a pu avoir lieu, pour des raisons
médicales, par la voie de la conception naturelle. Il n'y a pas, dans
ce cas, de fécondation artificielle; la fécondation intervient par
voie naturelle, le seul procédé qui soit artificiel étant
l'introduction du sperme dans l'appareil génital de la femme (FRANK,
Die künstliche Fortpflanzung beim Menschen im geltenden und im
künftigen Recht, Zurich 1989, p. 26;
7.- Il faut encore examiner si l'insémination artificielle
homologue pratiquée sur l'intimée est une mesure scientifiquement
reconnue, appropriée à son but et économique (art. 21 al. 1 Ord. III
sur l'assurance-maladie).
a) Selon la jurisprudence, une méthode de traitement est considérée
comme éprouvée par la science médicale, c'est-à-dire réputée
scientifiquement reconnue, si elle est largement admise par les
chercheurs et les praticiens. L'élément décisif à cet égard réside
dans le résultat des expériences et dans le succès d'une thérapie
déterminée (ATF 120 V 122 consid. 1a, 211 consid. 7a).
L'insémination artificielle est pratiquée en Suisse depuis des
décennies et elle est, depuis longtemps déjà, médicalement éprouvée.
Contrairement à d'autres méthodes de procréation assistée (voir à ce
sujet ATF 119 V 29 consid. 3b), elle n'en est plus au stade
expérimental et ne comporte pas de risques particuliers. Selon le
rapport explicatif de l'avant-projet de loi sur la médecine humaine,
il est largement recouru à l'insémination artificielle homologue
(plusieurs milliers de cas par année), tandis que le nombre des
inséminations artificielles hétérologues est en régression (p. 27 ch.
151.2).
Le caractère scientifiquement reconnu de l'insémination
artificielle doit aussi être admis au regard du critère - déterminant
selon la jurisprudence - de son taux de réussite. Le rapport de la
Commission d'experts pour la génétique humaine et la médecine de la
reproduction du 19 août 1988 indique que le taux de grossesse en cas
d'insémination artificielle homologue, qui est fonction des causes de
la stérilité, oscille entre 3 et 10 pour cent par tentative; il se
situe entre 10 et 15 pour cent par tentative en cas d'insémination
hétérologue. La proportion de succès du traitement dans son ensemble
est plus élevée; elle est de 50 à 90 pour cent pour l'insémination
hétérologue (FF 1989 III 997 sv.). Le rapport explicatif de
l'avant-projet de loi sur la médecine humaine, qui se fonde
manifestement sur des données plus récentes, mentionne un taux de
succès qui varie entre 3 et 15 pour cent par tentative pour
l'insémination homologue. On remarque donc que le taux de réussite de
l'insémination artificielle a plutôt augmenté ces derniers temps;
aujourd'hui, il peut sans conteste être qualifié d'appréciable. A la
différence de la FIVETE, pour laquelle le Tribunal fédéral des
assurances a jugé qu'un taux de réussite de 25 pour cent n'était pas
suffisant (ATF 119 V 30 consid. 3d), il faut considérer, pour ce qui
est de l'insémination artificielle, que la fécondation, ainsi qu'on
l'a rappelé, intervient par la voie naturelle, ce qui aboutit à un
plus faible taux de grossesse. En conséquence, on doit admettre que
8.- La recourante invoque des arguments d'ordre éthique. Elle fait
valoir que l'intimée n'est pas mariée et qu'il importe de ne pas
augmenter le nombre des enfants qui n'ont pas de père légal. Le
traitement par insémination artificielle aurait en l'occurrence été
pratiqué en passant outre à des "règles de déontologie claires et
largement admises."
Il est cependant généralement admis, contrairement à ce qu'affirme
la recourante, qu'aucun motif d'ordre éthique ne s'oppose à
l'insémination artificielle, en tout cas homologue, lorsque son accès
est réservé aux couples mariés et aux couples stables non mariés. Les
recommandations et directives d'éthique médicale de l'Académie suisse
des sciences médicales (ASSM) en matière de procréation assistée, de
1981 et de 1985 (Bulletin des médecins suisses 1982 p. 623, 1985 p.
1127; également publiées par Frank, op.cit., annexe no 1 et 2) ne
contenaient aucune indication au sujet de l'insémination artificielle
homologue, ce qui donne à penser que cette mesure ne soulevait aucun
problème particulier d'ordre éthique (voir également le rapport de la
Commission d'experts pour la génétique humaine
9.- En conclusion, l'insémination artificielle pratiquée sur
l'intimée constitue une prestation obligatoire des caisses-maladie au
sens de l'art. 12 al. 2 ch. 1 let. a LAMA et 21 al. 1 Ord. III sur
l'assurance-maladie. C'est donc à bon droit que les premiers juges
ont condamné la recourante à verser à l'intimée des prestations à ce
titre.
10.- (Frais de justice)


Synthèse
Numéro d'arrêt : K.129/92
Date de la décision : 13/12/1995
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 12 al. 2 ch. 1 let. a LAMA, art. 21 al. 1 Ord. III: Insémination artificielle homologue. En l'occurrence il s'agit d'une mesure obligatoirement à la charge des caisses-maladie. Application des principes développés dans l'arrêt ATF 121 V289.


Références :

13.12.1995 K 111/92


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1995-12-13;k.129.92 ?
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