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12/07/1995 | SUISSE | N°E.40/1989

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 12 juillet 1995, E.40/1989


121 II 317

50. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 12 juillet
1995 dans les causes Jeanneret et consorts contre Etat de Genève et
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement (recours de
droit administratif)
A.- En 1920, l'Office aérien fédéral a octroyé au canton de Genève
une concession pour l'exploitation d'un aérodrome au lieu-dit
"Cointrin"; la première piste en béton a été construite en 1937.
Pendant la seconde guerre mondiale, le trafic aérien commercial
international a très fortement diminué.

Le 22 juin 1945, l'Assemblée
fédérale a adopté l'arrêté fédéral concernant le développement...

121 II 317

50. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 12 juillet
1995 dans les causes Jeanneret et consorts contre Etat de Genève et
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement (recours de
droit administratif)
A.- En 1920, l'Office aérien fédéral a octroyé au canton de Genève
une concession pour l'exploitation d'un aérodrome au lieu-dit
"Cointrin"; la première piste en béton a été construite en 1937.
Pendant la seconde guerre mondiale, le trafic aérien commercial
international a très fortement diminué. Le 22 juin 1945, l'Assemblée
fédérale a adopté l'arrêté fédéral concernant le développement des
aérodromes civils (RO 1945 p. 867). Des subventions fédérales
allouées sur cette base ont permis au canton de
Extrait des considérants:

II. Expropriation formelle des droits de voisinage
4.- Dans leurs recours, tous les expropriés font valoir qu'ils ont
droit à une indemnité pour expropriation des droits de voisinage. Or,
dans ces causes, la Commission fédérale a considéré que les
conditions à l'octroi d'une telle indemnité n'étaient pas réunies.
Elle n'a alloué une indemnité à ce titre qu'aux consorts H., qui
n'ont, quant à eux, pas formé de recours contre la décision de
première instance. L'expropriant demande cependant l'annulation de
celle-ci, en soutenant que les conditions à l'octroi d'une telle
indemnité ne sont pas non plus remplies dans cette affaire. Il
convient, en premier lieu, de se prononcer sur la question de
principe de l'application des règles de l'expropriation formelle en
cas d'immissions provenant de l'exploitation d'un aéroport.
a) Aux termes de l'art. 50 LA, pour la construction et
l'exploitation d'aérodromes publics ou pour l'aménagement
d'installations de navigation aérienne, le département fédéral des
transports, des communications et de l'énergie peut, conformément à
la législation fédérale sur l'expropriation, exercer le droit
d'expropriation ou le conférer à des tiers. En vertu de l'art. 5 LEx,
les droits résultant des dispositions sur la propriété foncière en
matière de rapports de voisinage peuvent faire l'objet de
l'expropriation et être supprimés ou restreints temporairement ou
définitivement. Cette norme se réfère notamment à l'art. 684 CC, qui
a la teneur suivante:

1 "Le propriétaire est tenu, dans l'exercice de son droit,
spécialement
dans ses travaux d'exploitation industrielle, de s'abstenir de tout
excès
au détriment de la propriété du voisin.
2 Sont interdits en particulier les émissions de fumée ou de
suie, les
émanations incommodantes, les bruits, les trépidations qui ont un
effet
dommageable et qui excèdent les limites de la tolérance que se
doivent les
voisins eu égard à l'usage local, à la situation et à la nature des
immeubles."

Lorsque les émissions normales et inévitables provenant de
l'exploitation d'une entreprise d'intérêt public ont pour effet de
paralyser les droits de
5.- Dans la première des décisions attaquées (cause Jeanneret), la
Commission fédérale a considéré que les nuisances provoquées par le
trafic aérien présentaient certaines particularités, par rapport au
bruit du trafic routier ou ferroviaire, mais qu'il ne se justifiait
pas de soumettre à des conditions distinctes l'indemnisation des
voisins en application de l'art. 5 LEx. La Commission fédérale a
confirmé sa jurisprudence dans ses décisions ultérieures, en
précisant que les caractéristiques du bruit provenant des avions
seraient prises en compte dans l'examen de la gravité ou de la
spécialité du dommage (cf. notamment décision attaquée dans la cause
W.). Dans ses recours, l'Etat de Genève ne critique pas les décisions
attaquées à ce propos. Les expropriés recourants soutiennent en
revanche, à titre principal, que les trois conditions
jurisprudentielles (cf. supra, consid. 4d) ne seraient pas
applicables à cet égard.
a) Dans l'arrêt Werren (ATF 94 I 286; cf. supra consid. 4d), le
Tribunal fédéral a relevé que l'augmentation constante du nombre des
véhicules à moteur exigeait l'ouverture de nouvelles voies et
l'agrandissement des routes existantes; si les collectivités
publiques étaient tenues de réparer tous les dommages qu'entraînent
ces ouvrages indispensables, elles seraient dans la plupart des cas
hors d'état de les entreprendre (consid. 8a, p. 300). C'est pourquoi
aucune indemnité ne doit en principe être allouée, sous réserve du
droit à la protection de la bonne foi ou de l'existence d'un dommage
spécial, imprévisible et grave (consid. 8b p. 301). Selon cet arrêt,
la condition de la spécialité se justifie d'elle-même: si le
préjudice est normal, c'est qu'il est conforme à l'usage habituel et
doit être toléré (consid. 9a p. 301). Le dommage doit au surplus
atteindre une certaine gravité car, tant que le tort causé est bénin,
il ne procède pas d'un excès qui engendre le droit à une indemnité
(consid. 9c p. 302). En ce qui concerne la troisième condition -
l'imprévisibilité -, le Tribunal fédéral s'est référé à une
jurisprudence ancienne, selon laquelle le propriétaire d'une maison
située à proximité d'une voie ferrée doit s'attendre à supporter plus
de bruit que l'habitant d'un quartier tranquille de villas; il n'a
aucun droit à une indemnité si l'agrandissement normal et prévisible
des installations ferroviaires ou des routes entraîne une
augmentation du bruit (consid. 9b p. 302). Dans un arrêt Buob, rendu
en 1984 (ATF 110 Ib 43), le Tribunal fédéral a justifié à
6.- La Commission fédérale a considéré qu'il fallait appliquer la
condition de l'imprévisibilité dans chacun des cas, et que cette
condition n'était pas remplie dans les causes Jeanneret, consorts L.,
W., R., G., hoirie P., et consorts M.. Elle a en revanche admis
l'imprévisibilité du dommage dans les causes hoirie H. et T. et
consorts, au regard de la date d'acquisition des fonds litigieux par
les ascendants de leurs propriétaires actuels. Enfin, la Commission
fédérale a laissé la question indécise dans la cause consorts Favre.
a) Pour statuer sur le caractère prévisible du dommage, et partant
de l'exploitation provoquant des immissions excessives, le juge de
l'expropriation se fonde sur l'appréciation du "tiers neutre" ou du
"citoyen moyen", au moment déterminant (par exemple au moment de
l'acquisition de l'immeuble touché); c'est aussi sur cette base que
le juge civil examine si les immissions doivent être tolérées par les
voisins, selon l'art. 684 CC (cf. ATF 119 II 411 consid. 4c). Il ne
s'agit pas, en effet, de se prononcer en fonction des prévisions des
autorités voire des spécialistes de l'aviation, ou de l'appréciation
des voisins de l'aéroport, généralement plus intéressés à l'évolution
du trafic aérien que la moyenne de la population. En l'occurrence, le
juge de l'expropriation n'est pas dans la même situation que
lorsqu'il est chargé d'apprécier le rôle de phénomènes naturels
complexes dans un rapport de causalité, la jurisprudence admettant
alors qu'il ne suffit pas de se fonder sur l'avis du profane (cf. ATF
119 Ib 334 consid. 5b et les références).
7.- (Résumé: Condition de la gravité: elle se rapporte au dommage
provoqué par les immissions, entraînant une diminution de la valeur
de l'immeuble; rappel de la jurisprudence [ATF 119 Ib 348 consid. 5c,
117 Ib 15 consid. 2b et les arrêts cités]. On doit admettre que cette
condition est remplie en ce qui concerne les fonds déjà construits et
occupés par des maisons d'habitation [immeubles des consorts L., de
W., de R., de G., de l'hoirie P., et, sous certaines réserves, de
l'hoirie H.]. Il ne s'agit pas, à ce stade, d'estimer la dévaluation
de ces immeubles; il suffit de constater que les conditions
d'habitation dans ces villas se sont dégradées de manière très
significative. En ce qui concerne les autres biens-fonds, non bâtis
ou très partiellement bâtis, le Tribunal fédéral ne pourra se
prononcer sur la gravité du dommage qu'après de nouvelles mesures
d'instruction.)
8.- Selon la jurisprudence, la condition de la spécialité est
remplie lorsque les immissions atteignent une intensité qui excède la
limite de ce qui est usuel et tolérable. Il faut distinguer cette
condition de celle de la gravité, qui se rapporte, elle, à
l'importance du dommage provoqué par les immissions; suivant les
caractéristiques de l'immeuble, des immissions
11.- (Résumé: Dans certaines causes, la Commission fédérale a
alloué une indemnité pour expropriation matérielle en raison de
l'entrée en vigueur, le 2 septembre 1987, du plan des zones de bruit
de l'aéroport [causes hoirie H., consorts M., T et consorts ainsi que
consorts F.]; elle a considéré en substance que, par leurs effets
conjoints, les restrictions découlant de la législation fédérale sur
l'aviation et du plan d'affectation cantonal équivalaient à une
expropriation. L'Etat de Genève conteste cette appréciation; quant
aux expropriés recourants, ils soutiennent que le classement de leurs
fonds dans la zone de bruit B justifie, dans tous les cas, l'octroi
d'une indemnité pour expropriation matérielle.)
12.- Aux termes de l'art. 44 al. 1 LA, "la restriction de la
propriété foncière par le plan de zone donne droit à une indemnité si
elle équivaut dans ses effets à une expropriation"; cette règle vise
aussi bien les zones de sécurité que les zones de bruit. La loi se
réfère à ce propos à la notion d'expropriation matérielle (art. 22ter
al. 3 Cst.; cf. ATF 119 Ib 124 consid. 2 et les références).
a) En ce qui concerne les zones de bruit, les restrictions de la
propriété foncière ont leur fondement à l'art. 42 LA. Selon cette
disposition, le Conseil fédéral peut prescrire, par voie
d'ordonnance, que des bâtiments ne peuvent plus être utilisés ou
élevés dans un rayon déterminé autour d'aérodromes publics que si
leur genre de construction et leur destination sont compatibles avec
les inconvénients causés par le bruit des aéronefs (art. 42 al. 1
let. b LA); des plans de zone, établis par l'exploitant de
l'aéroport, doivent fixer l'étendue territoriale et la nature des
restrictions apportées à la propriété (art. 42 al. 3 LA). Ces règles,
qui poursuivent en premier lieu un but d'hygiène sociale - améliorer
les conditions d'habitation dans le périmètre des aéroports -, ont
été introduites dans la loi fédérale lors de la réforme de 1971, la
novelle étant entrée en vigueur en 1974 (cf. Message du Conseil
fédéral, FF 1971 I 287, 295; cf. ATF 110 Ib 368 consid. 2b). Sur la
base de cette clause de délégation, le Conseil fédéral a adopté les
art. 61 ss ONA (qui correspondent aux actuels art. 40 ss OSIA), et il
a chargé le Département fédéral des transports, des communications et
de l'énergie d'édicter des prescriptions sur la manière de déterminer
l'exposition au bruit - en tenant compte du développement prévisible
des constructions et de l'exploitation de l'aéroport - et de fixer
les valeurs limites du bruit pour délimiter les zones (art. 61 al. 2
et 3 ONA). Ce département fédéral a dès lors adopté l'ordonnance
concernant les zones de bruit des aéroports de
13.- (Résumé: Dans la zone C, la législation fédérale sur
l'aviation n'interdit, en définitive, que la construction de nouveaux
bâtiment d'habitation ou d'écoles non insonorisés [en plus des
hôpitaux et des homes; cf. art. 42 al. 1 et 2 OSIA]. Il ne s'agit pas
de restrictions particulièrement graves et constitutives
d'expropriation matérielle. En outre, les restrictions temporaires
auxquelles les propriétaires ont été soumis, entre la date de
l'entrée en vigueur des zones de bruit et celle à


Synthèse
Numéro d'arrêt : E.40/1989
Date de la décision : 12/07/1995
1re cour de droit public

Analyses

Expropriation de droits de voisinage; immissions de bruit d'un aéroport; expropriation matérielle - art. 5 LEx, art. 679, 684 CC, art. 42 ss LA, art. 42 ss OSIA. Application des règles de l'expropriation formelle en cas d'immissions provenant de l'exploitation d'un aéroport. Conditions posées par les art. 679 et 684 CC (consid. 4b-c). Procédure d'expropriation lorsque les immissions proviennent de l'utilisation d'un ouvrage d'utilité publique (consid. 4d-e). Rappel de la jurisprudence développée à propos des immissions de bruit provoquées par le trafic routier et ferroviaire. Conditions de l'imprévisibilité, de la gravité et de la spécialité du dommage (consid. 5a). Ces conditions s'appliquent aussi, en principe, lorsque les immissions proviennent du trafic aérien (consid. 5b). Les exigences de l'art. 8 CEDH peuvent être respectées dans une telle procédure (consid. 5c). Condition de l'imprévisibilité: elle n'est pas opposable aux propriétaires voisins d'un aéroport national ayant acquis leurs immeubles avant la fin de l'année 1960 (consid. 6). Condition de la spécialité; critère des valeurs limites d'immissions prévues par la législation fédérale sur la protection de l'environnement (consid. 8c/aa). Nonobstant l'absence, dans l'ordonnance sur la protection contre le bruit, de valeurs limites d'exposition au bruit des aéroports nationaux, la condition de la spécialité est en l'espèce considérée comme remplie, sur la base de calculs du niveau moyen "Leq" (consid. 8c/bb-cc). Règles de la législation fédérale sur l'aviation relatives aux zones de bruit A, B et C (consid. 12a). Ces plans de zones règlent partiellement l'utilisation du sol, en imposant des interdictions de construire et de transformer; ils doivent être adaptés en cas d'évolution des circonstances (consid. 12b). Conditions auxquelles le contrôle incident ou préjudiciel de tels plans est admissible (consid. 12c). Expropriation matérielle à la suite de l'entrée en vigueur du plan des zones de bruit de l'aéroport de Genève; moment déterminant pour apprécier la portée des restrictions (consid. 12d/aa-bb). Les zones de bruit A et B se révélant surdimensionnées, sur la base de nouveaux calculs, les biens-fonds litigieux doivent être soumis à la réglementation de la zone C (consid. 12d/cc-dd); les restrictions découlant du droit fédéral de l'aviation, dans cette zone, ne sont pas constitutives d'expropriation matérielle (Résumé, consid. 13).


Références :

10.01.1996 E.34/1995


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1995-07-12;e.40.1989 ?
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