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35. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 22 mars
1995 dans la cause Alliance de gauche et consorts contre Conseil
d'Etat du canton de Genève (recours de droit public)
A.- Le 9 janvier 1986, une initiative populaire cantonale non
formulée dite "pour une traversée de la rade" a été déposée auprès de
la Chancellerie d'Etat du canton de Genève. L'initiative demandait au
Grand Conseil d'adopter une loi ouvrant un crédit pour la réalisation
d'une liaison routière nouvelle dans la ville de Genève, entre les
rives du lac, propre à décharger les quais d'une part importante de
leur trafic.
Le Grand Conseil a refusé d'entrer en matière sur cette initiative
et a décidé de la soumettre au corps électoral. Celui-ci l'a acceptée
lors de la votation populaire du 12 juin 1988. Par une loi du 15 mai
1992, le Grand Conseil a ouvert au Conseil d'Etat un crédit de huit
millions de francs pour l'étude de deux avant-projets de l'ouvrage
demandé par l'initiative, correspondant chacun à une implantation
déterminée.
Dans les éditions du 12 septembre 1994 de la Tribune de Genève et
du Journal de Genève, le Département cantonal des travaux publics et
de l'énergie a fait insérer une page de publicité sous le titre "Info
RADE Pour mieux vivre Genève", portant le numéro un. Un symbole
graphique
Extrait des considérants:
1.- a) Les recourants considèrent la dépense de fonds publics
engagée pour la campagne "Info rade" comme contraire à leurs droits
constitutionnels. Or, selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ,
le recours de droit public pour violation des droits constitutionnels
des citoyens est ouvert seulement à celui qui est atteint dans ses
intérêts personnels et juridiquement protégés; le recours formé pour
sauvegarder l'intérêt général, ou visant à préserver de simples
intérêts de fait, est en revanche
2.- Le droit de vote garanti conformément à l'art. 5 Cst. autorise
tout électeur à exiger que le résultat d'une votation ou d'une
élection ne soit reconnu que s'il est l'expression fidèle et sûre
d'une volonté librement exprimée par le corps électoral. La validité
du scrutin suppose en outre la libre formation de cette volonté; cela
implique que chaque électeur puisse se déterminer dans le cadre d'un
processus d'élaboration de l'opinion publique comportant une
discussion et une confrontation des points de vue les plus libres et
les plus ouvertes possibles. Le résultat peut donc être faussé par
une influence inadmissible exercée sur l'opinion publique (ATF 119 Ia
271 p. 272 consid. 3a; 118 Ia 259 p. 261 consid. 3; 117 Ia 452 p.
455/456).
En matière de votations, il est admis que l'autorité compétente
recommande au peuple d'accepter le projet qu'elle lui soumet et
qu'elle lui adresse un message explicatif, tandis qu'une intervention
plus importante dans le
3.- A Genève, les dispositions actuelles sur l'initiative
populaire ont été introduites par une loi constitutionnelle datée du
25 septembre 1992, adoptée en votation populaire le 7 mars 1993. Aux
termes de son art. 2, cette loi ne s'applique pas aux initiatives
déposées avant son entrée en vigueur. L'initiative "pour une
traversée de la rade" demeure donc régie par les art. 64 et ss aCst.
gen., dans leur teneur adoptée en votations populaires du 7 février
1960 et du 18 décembre 1966.
Cette initiative non formulée a été approuvée par le corps
électoral le 12 juin 1988. En vertu de l'art. 67 al. 2 aCst. gen., le
Grand Conseil est tenu d'élaborer un projet de loi sur l'objet de
l'initiative et de le soumettre à une nouvelle votation populaire.
A première vue, la campagne de presse "Info rade" se rapporte à
cette votation qui, selon le libellé de l'initiative, devrait porter
sur l'ouverture du crédit nécessaire à la réalisation de l'ouvrage.
Le texte fait certes allusion à une consultation qui permettra aux
électeurs de choisir entre un pont ou un tunnel, mais on ne discerne
pas si le corps électoral sera appelé à se prononcer simultanément ou
successivement sur ce choix entre deux variantes et sur le crédit
autorisant la réalisation de l'une d'elles. De toutes manières, la
campagne révèle sans équivoque que le gouvernement cantonal prend
position en faveur d'une liaison routière nouvelle au travers de la
rade de Genève, et qu'il a pour objectif d'obtenir l'adhésion de la
population à ce projet. Elle a pour but explicite d'influencer une
décision populaire future, et elle est effectivement apte à
développer, dans l'opinion publique, l'idée que la