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14/03/1995 | SUISSE | N°4C.364/1994

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 mars 1995, 4C.364/1994


121 III 109

27. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 14 mars 1995 dans
la cause W. contre Banque X. (recours en réforme)
A.- A., domicilié à Nicosie (Chypre), est titulaire d'un compte
auprès de la Banque X., à Genève. Le 4 juillet 1989, il a émis un
ordre de paiement écrit, portant sur les sommes de 14'000 US$ et de
30'000 fr., en faveur de W., domicilié à Genève, et destiné à la
Banque X.; il a remis ledit ordre à son bénéficiaire.
Dans le courant de l'été 1989, W. s'est présenté aux guichets de la
Banque X. en vu

e d'obtenir l'exécution de l'ordre de paiement. Il
s'est vu opposer un refus motivé par l'insuff...

121 III 109

27. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 14 mars 1995 dans
la cause W. contre Banque X. (recours en réforme)
A.- A., domicilié à Nicosie (Chypre), est titulaire d'un compte
auprès de la Banque X., à Genève. Le 4 juillet 1989, il a émis un
ordre de paiement écrit, portant sur les sommes de 14'000 US$ et de
30'000 fr., en faveur de W., domicilié à Genève, et destiné à la
Banque X.; il a remis ledit ordre à son bénéficiaire.
Dans le courant de l'été 1989, W. s'est présenté aux guichets de la
Banque X. en vue d'obtenir l'exécution de l'ordre de paiement. Il
s'est vu opposer un refus motivé par l'insuffisance des fonds déposés
sur le compte du donneur d'ordre.
Par télex du 16 octobre 1989, A. a révoqué l'ordre de paiement. Il
n'est pas établi que W. ait eu connaissance de cette révocation,
laquelle n'a pas été enregistrée dans le système informatique de la
Banque X. en raison d'une erreur commise par un employé de celle-ci.
Le 7 mars 1990, W. s'est rendu à nouveau à la Banque X. A l'époque,
le compte de A. était suffisamment provisionné. Aussi W. a-t-il pu
obtenir le versement des deux sommes susmentionnées sur la base de
l'ordre de paiement du 4 juillet 1989.
Le lendemain, A. a contesté la validité de cette opération, en se
prévalant de la révocation antérieure de l'ordre de paiement.
Admettant la réclamation de son client, la Banque X. a crédité le
compte de l'intéressé, le 15 mars 1990, des deux sommes dont elle
l'avait débité. Elle s'est ensuite retournée contre W. et lui a
demandé la restitution de celles-ci. W. n'a pas obtempéré.

B.- Le 11 février 1991, la Banque X. a ouvert une action en
enrichissement illégitime contre W. aux fins d'obtenir le
remboursement des 30'000 fr. et des 14'000 US$ qu'elle lui avait
versés par erreur. Le défendeur a conclu au rejet de la demande.
Par jugement du 28 octobre 1993, le Tribunal de première instance
du canton de Genève a condamné le défendeur à payer à la demanderesse
la somme de
Extrait des considérants:
2.- L'ordre de paiement émis le 4 juillet 1989 par le client de la
demanderesse en faveur du défendeur constituait, en droit, une
assignation, à savoir un acte juridique par lequel l'assignant
autorise l'assigné à remettre à l'assignataire une somme d'argent,
entre autres choses, que l'assignataire est autorisé par le même
assignant à recevoir chez l'assigné (ENGEL, Contrats de droit suisse,
p. 534). Le point n'est pas litigieux. Que l'assignant ait été
domicilié à l'étranger lorsqu'il a émis l'ordre en question importe
peu au regard du droit international privé. Sans doute le fait que
les parties à la présente procédure ont toutes deux leur domicile en
Suisse n'est-il pas non plus décisif, s'agissant de déterminer le
droit applicable, puisque, aux termes de l'art. 128 al. 1 LDIP (RS
291), les prétentions pour cause d'enrichissement illégitime sont
régies par le droit qui régit le rapport juridique, existant ou
supposé, en vertu duquel l'enrichissement s'est produit. Cependant,
en matière d'assignation, la prestation caractéristique, au sens de
l'art. 117 LDIP, est celle de l'assigné (KELLER/KREN KOSTKIEWICZ,
IPRG Kommentar, n. 67 ad art. 117), si bien que la loi de l'Etat dans
lequel l'assigné a sa résidence habituelle ou son établissement
s'applique à ses relations avec l'assignant et l'assignataire (ATF
100 II 200 consid. 5b et les références). Or, l'établissement de la
demanderesse et assignée se trouve en Suisse (cf.
3.- Le défendeur conteste la validité de la révocation. Il
invoque, à ce sujet, une violation de l'art. 468 al. 1 CO et soutient
que l'assignée, une fois exécuté l'ordre de paiement, ne pouvait plus
lui opposer des exceptions dérivant de ses relations avec
l'assignant. Ce premier moyen ne résiste pas à l'examen.
a) L'art. 470 al. 2 CO permet à l'assignant de révoquer
l'assignation, à l'égard de l'assigné, tant que celui-ci n'a pas
notifié son acceptation à l'assignataire. Ce droit de révocation peut
être exercé par l'assignant même dans l'hypothèse où les conditions
d'une révocation de l'assignation à l'égard de l'assignataire (art.
470 al. 1 CO) ne sont pas remplies (TERCIER, Les contrats spéciaux,
2e éd., n. 4595; OR-TH. KOLLER, n. 5 ad art. 470). L'acceptation de
l'assigné, au sens de l'art. 470 al. 2 CO, est une manifestation de
volonté adressée à l'assignataire; elle n'a pas besoin de revêtir une
forme spéciale et peut résulter d'actes concluants (TERCIER, op.cit.,
n. 4598; OR-TH. KOLLER, n. 5 ad art. 468 et les arrêts cités).
L'acceptation a pour effet de créer une dette nouvelle, qualifiée
d'"abstraite" et fondée sur le rapport d'assignation ou de prestation
(Leistungsverhältnis) liant directement l'assigné et l'assignataire.
Dans ce cas, l'assigné ne peut plus opposer à l'assignataire les
exceptions dérivant des rapports de provision (Deckungsverhältnis) ou
de valeur (Valutaverhältnis), conformément à l'art. 468 al. 1 CO
(TERCIER, op.cit., n. 4599 et 4600; OR-TH. KOLLER, n. 5 et 6 ad art.
470).
b) En l'occurrence, il ressort des constatations de fait
souveraines de la cour cantonale que la demanderesse n'a pas fait
connaître à l'assignataire son acceptation avant de le payer. Il y a
donc eu ici concomitance entre l'acceptation de l'assignation et son
exécution, autrement dit acceptation de l'assignation par l'acte
concluant consistant dans le paiement de la somme d'argent qui en
formait l'objet (cf. l'ATF 105 II 104 consid. 3d). Ce paiement a été
opéré le 7 mars 1990, soit postérieurement à la révocation de
l'assignation qui était intervenue le 16 octobre 1989. On objecterait
en vain que la demanderesse avait signifié au défendeur son
acceptation de l'assignation dans le courant de l'été 1989 déjà, du
fait qu'elle s'était uniquement prévalue, à cette époque, de
l'insuffisance des fonds déposés
4.- A la suite d'une erreur de l'un de ses employés, la
demanderesse a payé le défendeur, nonobstant la révocation antérieure
de l'assignation. Les juges précédents lui ont reconnu le droit
d'agir directement contre le bénéficiaire de la prestation, au titre
de l'enrichissement illégitime. Le défendeur lui dénie, au contraire,
un tel droit. Il convient donc d'examiner plus avant quels sont, à
l'égard de l'assignataire, les effets de l'inobservation par
l'assigné d'une révocation de l'assignation. Cette question n'a
apparemment pas été approfondie par la jurisprudence et la doctrine
suisses, comme le souligne la cour cantonale. En revanche, elle a
retenu l'attention des tribunaux et des auteurs allemands.
a) Dans les attributions indirectes, chacune des deux relations
causales sur lesquelles se fonde la prestation peut être entachée
d'un vice. Le droit de répétition naît donc pour ou contre chacune
des personnes entre lesquelles s'est opérée l'attribution viciée
parce que sans cause (VON TUHR/PETER, Allgemeiner Teil des
Schweizerischen Obligationenrechts, vol. I, p. 477). Partant de cette
prémisse, le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence la plus récente
en matière d'assignation, a exclu, en principe, la possibilité d'une
action directe de l'assigné pour enrichissement illégitime de
l'assignataire en cas de vices affectant le rapport de couverture, le
rapport de valeur ou les deux rapports à la fois (ATF 117 II 405
consid. 3a, 116 II 689 consid. 3b/aa). Dans le dernier arrêt en date,
il a cependant réservé le droit de l'assigné de rechercher
directement l'assignataire lorsque l'attribution faite par le premier
au second est viciée en soi. A titre d'exemples d'une telle situation
exceptionnelle, ledit arrêt cite le cas où l'attribution de l'assigné
procède d'une méconnaissance des instructions de l'assignant, voire
celui


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.364/1994
Date de la décision : 14/03/1995
1re cour civile

Analyses

Art. 466 ss CO; révocation d'une assignation. Action en enrichissement illégitime de l'assigné contre l'assignataire: droit applicable (consid. 2). Le droit de révocation peut être exercé par l'assignant même si les conditions d'une révocation de l'assignation à l'égard de l'assignataire ne sont pas réalisées (consid. 3). Effets, envers l'assignataire de bonne foi, de l'inobservation par l'assigné d'une révocation de l'assignation. Droits de l'assigné à l'encontre de l'assignant (consid. 4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1995-03-14;4c.364.1994 ?
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