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18/07/1994 | SUISSE | N°2P.395/1992

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 18 juillet 1994, 2P.395/1992


120 Ia 190

28. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 18 juillet
1994 dans la cause E. Z. et consorts contre Tribunal administratif du
canton du Valais (recours de droit public)
A.- Le 2 novembre 1988, la société United International Pictures
(Schweiz) GMBH, à Zurich, distributrice d'un film de Martin Scorsese
intitulé "La dernière tentation du Christ", a demandé au Département
de la justice, de la police et des affaires militaires du canton du
Valais (ci-après: le Département cantonal) de faire visionner ce film
par la

Commission cantonale de censure, afin que celle-ci accorde le
visa autorisant sa rep...

120 Ia 190

28. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 18 juillet
1994 dans la cause E. Z. et consorts contre Tribunal administratif du
canton du Valais (recours de droit public)
A.- Le 2 novembre 1988, la société United International Pictures
(Schweiz) GMBH, à Zurich, distributrice d'un film de Martin Scorsese
intitulé "La dernière tentation du Christ", a demandé au Département
de la justice, de la police et des affaires militaires du canton du
Valais (ci-après: le Département cantonal) de faire visionner ce film
par la Commission cantonale de censure, afin que celle-ci accorde le
visa autorisant sa représentation publique en Valais.
E. Z. exploite à Sierre la salle de cinéma Casino, où elle
entendait projeter le film susmentionné. La prénommée n'est pas
intervenue devant la Commission de censure.
Le 22 décembre 1988, la Commission cantonale de censure a interdit
la projection publique du film en question sur tout le territoire
valaisan. Cette décision a été notifiée uniquement à United
International Pictures (Schweiz) GMBH, qui n'a pas recouru.
Le 25 janvier 1989, E. Z., ainsi que douze consorts, soit des
spectateurs potentiels du film, ont recouru au Département cantonal
contre la décision de la Commission cantonale de censure, en
dénonçant une atteinte à leur liberté d'expression.
Par décision du 6 mars 1990, le Département cantonal a rejeté les
recours, après les avoir jugés entièrement recevables.
Par arrêt du 15 octobre 1992, le Tribunal administratif du canton
du Valais a rejeté le recours formé contre la décision du Département
cantonal par E. Z. et consorts. Le Tribunal administratif a estimé
que l'autorité intimée avait violé les règles de procédure cantonale
en déclarant recevables les recours dont elle était saisie.
S'agissant des spectateurs potentiels du film, l'atteinte à leur
liberté d'expression devait être relativisée, car la décision de la
Commission cantonale de censure ne concernait que la projection
publique d'un film dans les salles de cinéma mais non sa projection
privée, en particulier au moyen de vidéocassettes, que les intéressés
pouvaient légalement et sans difficulté obtenir et utiliser. C'était
donc à tort que le Département cantonal avait admis leur qualité pour
recourir sur un objet qui ne touchait ainsi ni directement, ni
spécialement leurs intérêts au sens de l'art. 44 al. 1 de la loi
valaisanne du 6 octobre 1976 sur la procédure et la juridiction
administratives [ci-après: LPJA]. Le Tribunal administratif a rejeté
le recours pour ces motifs, sans examiner les griefs formulés contre
le principe même de la censure et son application dans le cas
particulier.
Extrait des considérants:
2.- a) Les recourants autres qu'E. Z. font valoir comme
spectateurs potentiels du film incriminé une atteinte à leur liberté
d'expression, garantie par le droit constitutionnel fédéral non écrit
et par l'art. 10 CEDH. La liberté d'expression protège la
communication entre les personnes (J.-P. MULLER, Commentaire de la
Constitution, n. 3 ad liberté d'expression avant art. 55 Cst.) et le
cinéma est un mode d'expression. Par ailleurs, la liberté
d'expression garantit à chacun le droit de se former une opinion,
celui d'avoir sa propre opinion et celui de la communiquer à autrui
par tous les moyens licites (J.-P. MULLER, op.cit., n. 15 ibidem). La
liberté d'information, comprise dans la liberté d'expression,
garantit aussi le droit de recevoir des nouvelles et des opinions
sans contrôle des autorités et de se renseigner aux sources
généralement accessibles ou disponibles (cf. ATF 105 Ia 181 consid.
2a p. 182; 104 Ia 88 ss). Celui qui désire voir un film comme
spectateur peut donc en principe se prévaloir de cette liberté (cf.
art. 10 par. 1 CEDH qui mentionne expressément la liberté de recevoir
des informations ou des idées: à ce sujet MARK E. VILLIGER, Handbuch
der europäischen Menschenrechtskonvention, Zurich 1993, n. 599, p.
353; sur la censure et les droits fondamentaux, cf. aussi MARCO
BORGHI, Commentaire de la Constitution fédérale, n. 42 ss ad art.
27ter).
b) En l'occurrence, l'autorité intimée voudrait relativiser la
liberté d'expression; plus exactement, le spectateur potentiel
valaisan souhaitant voir le film n'aurait pas d'intérêt digne de
protection, puisqu'il pourrait facilement réaliser son désir en se
procurant une vidéocassette. Ce raisonnement est insoutenable et
partant arbitraire. En effet, indépendamment du fait que tous les
spectateurs potentiels ne disposent pas nécessairement des appareils
permettant de voir chez eux une vidéocassette et que la location
pourrait cas échéant être


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2P.395/1992
Date de la décision : 18/07/1994
2e cour de droit public

Analyses

Liberté d'expression et liberté d'information en matière de censure cinématographique (droit constitutionnel non écrit et art. 10 CEDH); art. 4 Cst.: qualité pour recourir sur le plan cantonal. Les spectateurs potentiels d'un film dont la projection publique a été interdite par une autorité cantonale de censure sont habilités à se prévaloir de la liberté d'information (comprise dans la liberté d'expression) qui garantit notamment le droit de recevoir des informations ou des idées sans contrôle des autorités et de se former une opinion. En tant que destinataires du film en cause, ils ont qualité pour recourir sur le plan cantonal contre la décision de l'autorité de censure (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1994-07-18;2p.395.1992 ?
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