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16/07/1993 | SUISSE | N°B.34/92

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 16 juillet 1993, B.34/92


119 V 277

39. Arrêt du 16 juillet 1993 dans la cause Caisse de pensions de
l'Etat de Vaud contre T. et Tribunal des assurances du canton de Vaud
A.- Pierrette T., née en 1919, mariée, était affiliée à la Caisse
de pensions de l'Etat de Vaud (CPEV) en sa qualité de fonctionnaire.
A partir du 1er août 1978, elle a bénéficié d'une pension de
retraite, jusqu'à son décès survenu le 24 octobre 1991.
Le mari de la défunte, Philippe T., né en 1919, lui-même
fonctionnaire retraité de l'Etat de Vaud depuis 1981, a fait valoir
auprès d

e la CPEV son droit à une pension de conjoint survivant en
application de l'art. 60 let. b de ...

119 V 277

39. Arrêt du 16 juillet 1993 dans la cause Caisse de pensions de
l'Etat de Vaud contre T. et Tribunal des assurances du canton de Vaud
A.- Pierrette T., née en 1919, mariée, était affiliée à la Caisse
de pensions de l'Etat de Vaud (CPEV) en sa qualité de fonctionnaire.
A partir du 1er août 1978, elle a bénéficié d'une pension de
retraite, jusqu'à son décès survenu le 24 octobre 1991.
Le mari de la défunte, Philippe T., né en 1919, lui-même
fonctionnaire retraité de l'Etat de Vaud depuis 1981, a fait valoir
auprès de la CPEV son droit à une pension de conjoint survivant en
application de l'art. 60 let. b de la loi du 18 juin 1984 sur la
Caisse de pensions de l'Etat de Vaud, en vigueur depuis le 1er
janvier 1985 (RSV 1.7; en abrégé: LCPV), qui dispose ce qui suit:

"Le conjoint d'un assuré ou d'un pensionné qui décède a droit à
une
pension jusqu'à sa mort ou son remariage,
(...)
b) s'il a 45 ans révolus; (...)"

La CPEV a refusé de faire droit à cette demande en se fondant sur
l'art. 132 al. 1 LCPV d'après lequel:

"Lorsque la retraite, l'invalidité définitive ou la mort est
survenue
avant l'entrée en vigueur de la présente loi, les pensions et les
suppléments temporaires servis par la Caisse, ainsi que les
pensions qui
en découleront, sont dus sans modification conformément à la
législation
abrogée."

Or, selon l'art. 50 de la loi du 12 décembre 1951 sur la Caisse de
pensions (aLCPV), le veuf d'une assurée ou pensionnée n'avait pas
droit à une pension, sauf dans des cas exceptionnels d'invalidité
totale ou de ressources notoirement insuffisantes.

B.- Après être intervenu en vain auprès du conseil d'administration
de la CPEV, Philippe T. a ouvert action, le 13 février 1992, devant
le Tribunal des assurances du canton de Vaud en concluant, notamment,
à l'allocation de la pension litigieuse.
Par jugement du 18 juin 1992, la Cour cantonale a admis la demande,
avec suite de dépens, et a invité la caisse défenderesse à statuer
Considérant en droit:
1.- (Recevabilité et pouvoir d'examen).
2.- En procédure cantonale, l'intimé s'était fondé sur un premier
moyen qui a toutefois été écarté par les juges cantonaux. Il
soutenait qu'aux termes de l'art. 132 al. 1 LCPV, le fait déterminant
son droit à une pension de survivant n'était pas la retraite de son
épouse, antérieure au 1er janvier 1985, mais la mort de celle-ci
survenue, elle, après cette date. Il en résulterait que la règle de
droit transitoire ne lui serait pas opposable dans le cas particulier.
C'est avec raison que le tribunal cantonal n'a pas retenu cette
interprétation de la disposition légale en cause. En effet, la norme
de base, c'est-à-dire l'art. 60 LCPV distingue clairement deux
catégories de personnes dont le décès ouvre droit, à des conditions
déterminées, à une pension de conjoint survivant: les assurés et les
pensionnés. Or, il est constant que depuis le 1er août 1978, feue
Pierrette T. faisait partie de la seconde catégorie. C'est donc bien
une pension de survivant "découlant" de la pension de retraite servie
à son épouse que l'intimé réclame à la recourante. A cet égard et
contrairement à ce que celui-ci allègue de manière répétée dans ses
mémoires, le fait qu'il est lui-même un ancien fonctionnaire de
l'Etat de Vaud ayant cotisé à la caisse de pension pendant près de
quarante ans avant de bénéficier d'une pension de retraite est sans
incidence sur son droit à une pension de conjoint survivant. Dès
lors, s'il est bien exact que le droit éventuel de l'intimé à une
pension de survivant résulte du décès de Pierrette T., il n'en
demeure pas moins qu'au regard de l'art. 132 al. 1 LCPV, c'est la
date à laquelle est né le droit de la défunte à une pension de
retraite, c'est-à-dire le jour où elle a troqué
3.- a) Aussi bien, pour accueillir la demande, les juges cantonaux
ont-ils suivi un autre raisonnement: se référant aux principes
développés par la Cour de céans dans l'arrêt ATF 116 V 198, ils ont
considéré que l'art. 132 al. 1 LCPV avait pour effet, en ce qui
concerne le droit à une pension de conjoint survivant, de prolonger
de manière indue une situation inégalitaire contraire au principe
constitutionnel de l'égalité entre les sexes (art. 4 al. 2 Cst.)
puisque sous l'empire de l'aLCPV de 1951 les conditions du droit à
une rente de veuf étaient plus restrictives que celles du droit à une
rente de veuve, inégalité que la loi de 1984 a précisément supprimée.
Or, dans la mesure où cette disposition légale est postérieure au
14 juin 1981, date à laquelle le constituant a adopté l'art. 4 al. 2
Cst., elle est inconstitutionnelle puisqu'elle consacre une inégalité
de traitement entre les sexes dont les effets se prolongeront durant
de nombreuses années, ce qui serait inadmissible au regard des
principes jurisprudentiels relatifs à la mise en oeuvre, par le
législateur cantonal, de cette règle du droit constitutionnel fédéral
(ATF 116 V 198, 215-216 consid. 3b et les références, ainsi que les
commentaires relatifs à cet arrêt: VIRET, RSA 1991 p. 107;
MEYER-BLASER, RDS 111/1992 II p. 410; SCHWEIZER, in Mélanges pour le
75e anniversaire du TFA, p. 50; GREBER, in op.cit., p. 262; KÜNG, SPV
1991 pp. 17 ss; ISAAK-DREYFUS, Das Verhältnis des schweizerischen
Ehescheidungsrechts zum Sozialversicherungsrecht (1. und 2. Säule) de
lege lata und de lege ferenda, thèse Zurich 1992, pp. 140 ss).
b) La recourante conteste ce raisonnement en faisant valoir d'une
part un argument général de nature actuarielle: le 1er janvier 1985,
date de l'entrée en vigueur du nouveau droit et plus particulièrement
de l'art. 60 LCPV, la caisse servait 614 pensions d'invalidité et
2868 pensions de retraite. En admettant que la rente de veuf allouée
aux conditions du nouveau droit aux conjoints survivants de
pensionnées décédées après cette date soit égale à 60% de la pension
de retraite que touchait l'épouse décédée, le montant à financer se
serait élevé, en date du 1er janvier 1992, à 2'114'270 francs. Or,
par définition, aucune réserve destinée à couvrir cette éventualité
n'a été constituée avant le 1er janvier 1985 de sorte qu'en suivant
le raisonnement des premiers juges, la caisse recourante serait
amenée à servir des prestations qui n'ont jamais été financées, ce
qui est intolérable du point de vue actuariel.
4.- a) Si l'aspect actuariel ne saurait être négligé, le recours
doit cependant être admis pour une raison purement juridique, ainsi
qu'on va le voir.
En effet, la situation qui se présente en l'espèce diffère
fondamentalement de celle qui existait dans l'arrêt ATF 116 V 198.
Dans ce dernier cas, le gouvernement saint-gallois avait expressément
maintenu une inégalité de traitement entre les sexes dans une
disposition réglementaire nouvelle promulguée postérieurement au 14
juin 1981, ce qui justifiait une intervention du juge après
l'expiration du "délai de grâce" concédé aux cantons pour se
conformer à l'art. 4 al. 2 Cst. (ATF 116 V 215 consid. 3b). Au
contraire, le législateur vaudois a pleinement respecté cette
exigence du droit fédéral en promulguant à partir du 1er janvier 1985
une règle (l'art. 60 LCPV) qui élimine toute inégalité de traitement
entre les sexes en ce qui concerne le droit à une pension de conjoint
survivant.
Mais bien entendu, il n'a jamais été question d'étendre les effets
de la nouvelle norme constitutionnelle à toutes les situations
consacrant une inégalité de traitement entre les sexes qui sont nées
en vertu de règles de droit antérieures au 14 juin 1981 (ATF 116 Ia
381 consid. 10d; ZBl 87/1986 p. 485 consid. 2c). Ainsi, dans le cas
particulier,
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
prononce:

Le recours est admis et le jugement du Tribunal des assurances du
canton de Vaud du 18 juin 1992 est annulé. La demande du 13 février
1992 est rejetée.


Synthèse
Numéro d'arrêt : B.34/92
Date de la décision : 16/07/1993
Cour des assurances sociales

Analyses

Art. 4 al. 2 Cst.: droit à une rente de veuf; droit transitoire. - Loi du 18 juin 1984 sur la Caisse de pensions de l'Etat de Vaud, en vigueur depuis le 1er janvier 1985. Depuis cette date, le conjoint survivant d'un fonctionnaire affilié à la Caisse de pensions de l'Etat de Vaud a droit à une pension de survivant, à des conditions déterminées, sans distinction de sexe (art. 60). Auparavant, le veuf ne pouvait prétendre une telle pension qu'à des conditions très restrictives. - Légalité d'une disposition de droit transitoire de la loi précitée (art. 132 al. 1), d'après laquelle le veuf d'une assurée qui avait pris sa retraite avant le 1er janvier 1985, mais qui est décédée après cette date, ne peut bénéficier d'une pension de survivant qu'aux conditions de l'ancien droit. - L'art. 4 al. 2 Cst. ne déploie pas d'effet rétroactif.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1993-07-16;b.34.92 ?
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