119 II 183
37. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 7 mai 1993 dans la
cause S. S.A. contre dame I. (recours en réforme)
A.- Dans le cadre d'un différend en matière de contrat de travail,
la Commission cantonale d'arbitrage du canton du Valais, statuant le
21 février 1990, a condamné S. S.A. à payer un montant brut de 16'800
fr., plus intérêts, à dame I.
Par jugement du 18 mai 1992, la Cour civile I du Tribunal cantonal
valaisan a déclaré irrecevable l'appel interjeté par S. S.A., motif
pris de ce que le droit de procédure cantonal ne prévoit aucun
recours à l'encontre des jugements de la Commission cantonale
d'arbitrage.
B.- Par la voie d'un recours en nullité, S. S.A. demande au
Tribunal fédéral d'annuler le jugement du Tribunal cantonal.
Dame I. propose le rejet du recours. Le Tribunal cantonal se réfère
aux considérants de son jugement.
Traitant le recours en nullité comme recours en réforme, le
Tribunal fédéral admet le recours, annule le jugement attaqué et
renvoie la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement.
Extrait des considérants:
3.- L'objet du présent recours n'est pas la décision de la
Commission cantonale, mais le jugement par lequel le Tribunal
cantonal a refusé d'entrer en matière sur un moyen de droit
ordinaire. Pour la recourante, l'irrecevabilité de son appel équivaut
à une violation du droit fédéral.
Le jugement attaqué est une décision finale prise par le tribunal
suprême d'un canton, au sens de l'art. 48 al. 1 OJ. Il est
susceptible d'un recours en réforme, les droits contestés dans la
dernière instance cantonale atteignant une valeur de 16'800 fr. (art.
46 OJ). Par conséquent, la violation du principe de la force
dérogatoire du droit fédéral pouvait être invoquée en l'espèce dans
le cadre d'un tel recours (ATF 116 II 217 consid. 2b et les
références), ce qui exclut la possibilité d'interjeter un recours en
nullité (art. 68 al. 1 OJ). Cependant, la désignation erronée du
présent recours ne nuit pas à son auteur. En effet, du moment qu'il
en remplit toutes les conditions, le recours en nullité sera traité
comme recours en réforme (ATF 110 II 56 consid. 1a).
4.- a) L'art. 58 al. 1 aOJ admettait la recevabilité du recours en
réforme "contre les jugements au fond rendus en dernière instance
cantonale". La dernière instance cantonale, telle que l'entendait
cette disposition, était celle dont la décision ne pouvait être
attaquée par aucun moyen ordinaire de droit cantonal comportant effet
suspensif et dévolutif (ATF 63 II 326 ss). Ainsi, le recours en
réforme était recevable contre les jugements rendus par des tribunaux
inférieurs statuant en dernière instance cantonale. Dans les cantons
des Grisons et de Vaud, les actions matrimoniales et en paternité
(dans le canton de Vaud, les affaires d'interdiction également)
étaient jugées par les tribunaux de district en instance cantonale
unique, de sorte qu'il n'y avait, en ces matières, aucun recours
ordinaire au tribunal cantonal. Cette situation avait valu au
Tribunal fédéral un surcroît de travail. Elle est à l'origine de
l'introduction, à l'art. 48 al. 1 OJ, d'une limitation à l'exercice
du droit de recours, en ce sens que, désormais, le recours en réforme
n'est plus recevable, en règle générale, que contre les jugements
rendus par les "tribunaux ou autres autorités suprêmes des cantons".
Le législateur fédéral a considéré, à ce propos, que le rôle de la
loi fédérale d'organisation judiciaire n'était pas de permettre au
canton de supprimer le recours ordinaire au tribunal cantonal contre
les jugements des juridictions inférieures, eu égard à l'existence du
recours en réforme au Tribunal fédéral. Cela était d'autant plus vrai
que la suppression du recours ordinaire au tribunal cantonal avait
aussi des inconvénients pour les parties, étant donné que le jugement
de la juridiction inférieure pouvait présenter des lacunes que le
Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, n'avait pas le
pouvoir de corriger puisqu'il devait se borner à vérifier si le droit
fédéral avait été appliqué correctement. Aussi, avec le nouvel art.
48 al. 1 OJ, ne serait-il plus possible d'éviter le recours ordinaire
au tribunal cantonal (Message du Conseil fédéral à l'appui de l'OJ,
FF 1943 126/127; pour l'historique de l'art. 48 OJ, voir aussi
POUDRET, COJ, n. 1.2.1 ad art. 48, et surtout SACHS, Die
Voraussetzungen für die Berufung an das Bundesgericht gegen
Entscheide nach Art. 48-50 OG unter besonderer Berücksichtigung des
bernischen Rechts, thèse Berne 1947, p. 11 ss).
b) La limitation, prévue à l'art. 48 OJ, en ce qui concerne la
décision attaquable, permet aux cantons, à s'en tenir à la lettre de
cette disposition, d'attribuer à un tribunal inférieur statuant comme
juridiction unique la compétence exclusive de jugement
5.- a) L'obligation ainsi faite aux cantons d'organiser la
compétence de leurs autorités judiciaires de manière à ne pas exclure
la recevabilité du recours en réforme dans les causes pouvant en
faire l'objet resterait souvent lettre morte si l'on ne reconnaissait
pas directement aux justiciables le droit d'en invoquer la violation.
Il n'est donc plus possible d'admettre, comme par le passé, que
semblable obligation ne consiste qu'en une simple invitation faite
aux législateurs cantonaux. Il faut poser, au contraire, que le
tribunal suprême du canton qui refuse - en application du droit de
procédure cantonal - d'entrer en matière sur un recours ordinaire
formellement recevable et de rendre un jugement au fond pouvant être
attaqué par la voie du recours en réforme viole le principe de la
force dérogatoire du droit fédéral. Cette violation peut être
sanctionnée par le Tribunal fédéral, soit sur recours de droit
public, dans le cadre de la procédure du contrôle abstrait des normes
(WURZBURGER, op.cit., p. 174), soit sur recours en réforme interjeté
dans un cas concret par celui qui la subit (POUDRET, COJ, n. 1.2.4 ad
art. 48). Ce dernier moyen de droit permet donc au Tribunal fédéral
d'obliger le tribunal suprême d'un canton à entrer en matière sur un
recours ordinaire déposé contre un jugement rendu en instance unique
par un tribunal inférieur dans l'une des causes visées aux art. 44 à
46 OJ.
b) Au vu de ce qui précède, il apparaît que le Tribunal cantonal
valaisan s'est fondé sur des motifs contraires au droit fédéral pour
déclarer irrecevable l'appel interjeté par la recourante. Le présent
recours doit, en conséquence, être admis, ce qui entraîne
l'annulation dudit jugement et le renvoi de la cause à la cour
cantonale pour qu'elle examine les moyens soulevés par l'appelante.
Il va de soi qu'elle ne le fera que si les conditions formelles de
recevabilité sont remplies en l'espèce.
Peu importe, enfin, qu'une révision des dispositions topiques de la
loi cantonale sur le travail soit en cours. La recourante n'en
conserve pas moins le droit d'exiger que le jugement de la Commission
cantonale soit revu par le Tribunal suprême du canton et que celui-ci
rende un jugement qui puisse être déféré au Tribunal