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14. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 23 avril
1993 dans la cause D. SA contre Commission cantonale des recours du
canton du Jura et Service des contributions du canton du Jura
(recours de droit administratif)
A.- La société D. SA, à Delémont, est détenue par la société I. H.
SA, également à Delémont, qui est elle-même dans les mains de F. W.,
domicilié à Courtételle. D. SA est l'unique actionnaire de la société
immobilière L. SA, à Lausanne.
Au cours de l'année 1981, la société L. SA a procédé à une
opération boursière sur métal-argent qui s'est soldée par une perte
de 1'011'013 fr. 85, montant dont elle demeurait débitrice envers son
courtier, C.I.T., à Andorre. Dès la fin 1981, D. SA a repris les
engagements de sa filiale envers le courtier, celle-ci demeurant sa
débitrice pour un montant égal. Dans le courant de 1984, F. W.
acquittait les dettes de D. SA envers le courtier d'Andorre grâce aux
garanties obtenues auprès de deux autres sociétés de son groupe.
Devenu créancier par substitution de D. SA pour un montant de
1'148'714 fr. 40 (soit la dette initiale [1'011'013 fr. 85] augmentée
des intérêts courus [137'700 fr. 65]), il compensait sa créance avec
les dettes qu'il avait envers cette société.
B.- Dans ses déclarations des périodes de taxation 1983/1984 et
1985/1986, D. SA a annoncé des pertes (1981: 77'185 francs; 1982:
652'490 francs; 1983: 74'224 francs; 1984: 72'444 francs). En
particulier, elle comptabilisait en 1982 une perte de 819'230 fr. 60
sur la participation L. SA. En outre, elle déclarait un capital
imposable et un capital proportionnel de 50'000 francs pour chacune
des périodes.
Par taxation du 31 mars 1988, confirmée par décision sur
réclamation du 12 avril 1990, le Service des contributions du canton
du Jura a procédé à diverses corrections des déclarations de D. SA;
pour la période 1983/1984, il a fixé son bénéfice et son capital
imposables respectivement à 138'700 francs et 547'000 francs pour
l'impôt cantonal et à 134'800 francs et 645'000 francs pour l'impôt
fédéral direct, le capital proportionnel étant arrêté à 793'200
francs pour les deux impôts; pour la période 1985/1986, le bénéfice
imposable était arrêté à zéro, une perte moyenne de ./. 3'803 francs
étant admise pour les deux impôts; le capital imposable était fixé Ã
434'000 francs pour l'impôt fédéral direct et à 277'000 francs pour
l'impôt cantonal de 1985.
Extrait des considérants:
2.- Selon l'article 49 al. 1 Arrêté du Conseil fédéral du 9
décembre 1940 sur la perception d'un impôt fédéral direct (AIFD; RS
642.11), le bénéfice imposable des sociétés anonymes se détermine
d'après le solde du compte de pertes et profits, y compris le solde
reporté de l'année précédente. A ce solde sont ajoutés tous les
prélèvements opérés avant le calcul de celui-ci, qui ne servent pas Ã
couvrir des frais généraux autorisés par l'usage commercial.
Comptent au nombre des prélèvements qui entrent dans le calcul du
solde du compte de pertes et profits les "libéralités en faveur de
tiers" mentionnées à la lettre b de l'article 49 al. 1 AIFD. D'après
la doctrine et la jurisprudence, cette notion comprend notamment les
prestations appréciables en argent faites par la société, sans
contre-prestation, Ã ses actionnaires, aux membres de
l'administration ou à d'autres organes, ou encore à toute personne la
ou les touchant de près et qu'elle n'aurait pas faites dans les mêmes
circonstances à des tiers non participants. Ainsi entrent en
considération les prestations faites par une société non seulement Ã
une personne physique mais aussi à une autre personne morale qui lui
est proche (Archives 59 p. 412; KÄNZIG, Die direkte Bundessteuer,
Bâle 1992, n. 104 ad art. 49 al. 1 let. b). Lorsque des libéralités
interviennent entre sociétés faisant partie d'un même groupe, en
particulier entre sociétés soeurs, il y a lieu de reconstituer les
relations existant entre ces sociétés - qui sont des contribuables
distincts - et d'évaluer les prestations comme si celles-ci
intervenaient entre tiers. Ainsi, la libéralité que fait une filiale
à une société soeur représente d'abord une prestation appréciable en
argent à la société mère, dans la mesure où elle n'aurait pas été
faite dans les mêmes circonstances à un tiers; pour cette dernière,
il s'agit d'une recette imposable, sous réserve de la réduction pour
participations importantes de l'article 59 AIFD; enfin, pour la
société soeur finalement gratifiée, la prestation constitue une forme
de financement (souvent occulte) (JUNG/AGNER, Kommentar zur direkten
Bundessteuer, Zurich 1989, n. 260 ad art. 49;
ZUPPINGER/SCHÄRRER/FESSLER/REICH, Kommentar zum Zürcher Steuergesetz,
Ergänzungsband, 2e éd., § 45, n. 78a et 106a; YERSIN, Apports et
retraits du capital propre et bénéfice imposable, thèse Lausanne
1977, p. 151; YVES NOËL, La double imposition internationale
résultant des redressements comptables entre sociétés apparentées et
son élimination, thèse Lausanne 1990, p. 151; contra: M. REICH,
Verdeckte Vorteilszuwendungen zwischen verbundenen
3.- a) La recourante demande tout d'abord que soit déduit de son
bénéfice de l'année 1982 un amortissement de 819'230 francs sur sa
participation à la société L. SA; elle invoque la perte de 1'011'013
fr. 85 qu'a subie cette dernière en 1981 lors de l'opération
boursière sur métal-argent, perte qui diminuerait sensiblement la
substance de la participation.
Dans une motivation pour le moins lapidaire renvoyant à un arrêt
rendu le 13 février 1989 par le Tribunal fédéral en la cause S.I. W.
B., l'autorité intimée a considéré que l'opération en cause n'a pas
été réellement effectuée par L. SA, mais bien par F. W. à titre
personnel; la perte subie à cette occasion aurait été abusivement
comptabilisée dans cette société, de sorte qu'elle représenterait une
prestation appréciable en argent imposable faite par L. SA à la
recourante, son actionnaire, avant de l'être à F. W., de sorte que
l'amortissement de la participation L. SA devrait être annulé.
En fait, l'autorité intimée a implicitement opéré une compensation
entre l'amortissement prétendu et la prestation appréciable en argent
qu'aurait obtenue la recourante à l'occasion de l'opération boursière
sur métal-argent. Dès lors, il y a lieu de vérifier séparément si
l'un et l'autre de ces éléments ont été correctement appréciés par
l'autorité intimée.
Il est sans importance à cet égard que la taxation de la société L.
SA soit litigieuse, en particulier quant à la déduction de la perte
qu'elle a subie lors de l'opération boursière, et qu'une procédure
soit pendante devant les autorités vaudoises. Comme la recourante et
L. SA sont des contribuables distinctes ayant chacune ses bases
d'impositions propres, le présent arrêt n'a de portée que pour la
recourante et ne saurait lier les autorités vaudoises qui conservent
leur indépendance de jugement dans la cause de L. SA.