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24/03/1993 | SUISSE | N°E.16/1989

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 mars 1993, E.16/1989


119 Ib 348

36. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 24 mars
1993 dans la cause Etat de Fribourg contre Hoirs B. et Commission
fédérale d'estimation du 2e arrondissement (recours de droit
administratif)
A.- Pour l'acquisition du terrain nécessaire à la construction de
la route nationale N 12 sur le territoire des communes de Vuadens,
Vaulruz, Sâles et Semsales, le canton de Fribourg a eu recours à une
procédure de remembrement. Des terrains agricoles appartenant à Léon
B., au lieu-dit "La Gissetta" sur le territoire de

la commune de
Sâles, ont été inclus dans le périmètre. Ces quatre biens-fonds, dont
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119 Ib 348

36. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 24 mars
1993 dans la cause Etat de Fribourg contre Hoirs B. et Commission
fédérale d'estimation du 2e arrondissement (recours de droit
administratif)
A.- Pour l'acquisition du terrain nécessaire à la construction de
la route nationale N 12 sur le territoire des communes de Vuadens,
Vaulruz, Sâles et Semsales, le canton de Fribourg a eu recours à une
procédure de remembrement. Des terrains agricoles appartenant à Léon
B., au lieu-dit "La Gissetta" sur le territoire de la commune de
Sâles, ont été inclus dans le périmètre. Ces quatre biens-fonds, dont
la surface totale représentait 109'445 m2, étaient attenants; la
ferme de cette exploitation agricole, bâtie en 1952, se trouvait sur
l'une de ces parcelles. Le projet définitif de la route nationale a
été mis à l'enquête en 1973; selon ces plans, l'axe de cette route
est situé à 33 m de la façade nord de la ferme de Léon B. et le bord
de la chaussée se trouve
Extrait des considérants:
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine
cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 118 Ib
329 consid. 1, 358 consid. 1).
b) Dans la procédure de recours de droit administratif, le Tribunal
fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties: il ne peut
pas accorder à l'exproprié une indemnité totale supérieure à celle
qu'il a demandée, ni du reste inférieure à celle offerte par
l'expropriant
2.- Pour l'acquisition du terrain nécessaire à la construction de
routes nationales, le législateur fédéral a laissé aux cantons, pour
les cas où l'acquisition ne pourrait se faire de gré à gré, la
faculté de procéder par voie de remembrement ou d'expropriation (art.
30 de la loi fédérale sur les routes nationales - LRN; RS 725.11),
donnant à la première de ces procédures une certaine priorité sur la
seconde (ATF 105 Ib 96/97 consid. 5a et les arrêts cités). A
certaines conditions, l'art. 23 de l'ordonnance sur les routes
nationales (ORN; RS 725.111) permet, en adjonction à la procédure de
remembrement, l'ouverture d'une procédure d'expropriation. Cette
procédure n'est cependant pas destinée à remettre en question les
résultats du remaniement parcellaire ni à donner aux propriétaires
intéressés la possibilité de présenter des prétentions qu'ils
auraient négligé de faire valoir en temps utile; elle a pour seul
objet d'ouvrir une voie dans laquelle il pourra être statué sur des
questions que la procédure
4.- L'expropriant ne conteste pas le droit des intimés d'obtenir
une indemnité en raison du bruit du trafic sur la route nationale,
auquel est exposé le bâtiment d'habitation dont ils sont les
propriétaires. La prétention des intimés est en effet fondée dans son
principe, que l'on applique les règles régissant le remaniement ou
que l'on tienne compte uniquement des dispositions relatives aux
droits des voisins.
a) Comme la jurisprudence l'a relevé, le canton occupe une position
spéciale lorsqu'il participe à une entreprise de remaniement aux fins
de se procurer les terrains nécessaires à la construction d'une route
nationale; d'une part il peut imposer une réduction générale de la
surface des biens-fonds compris dans le périmètre, d'autre part ses
prétentions en terrains dans le nouvel état ne dépendent de ses
propres apports ni quant à la superficie, ni quant à leur valeur, ni
quant à leur situation, mais sont prédéterminées par le projet
d'exécution de la route, aux exigences prioritaires de laquelle le
projet de nouvelle répartition doit s'adapter (ATF 110 Ia 148 consid.
1, 105 Ib 12 consid. 3b, 99 Ia 497 consid. 4b). Le canton doit dès
lors non seulement payer à leur valeur vénale les terrains ainsi
obtenus (art. 31 al. 2 let. b LRN), mais doit encore indemniser les
membres du syndicat pour les "inconvénients subsistant malgré
l'attribution de nouveau terrain" (art. 21 ORN); ces inconvénients
peuvent être comparés à ceux que mentionne l'art. 19 let. b et c LEx.
Les indemnités dues à ce titre par le canton se déterminent également
en fonction de la valeur vénale des terrains et en fonction des
préjudices effectifs (art. 31 al. 2 let. b LRN, art. 21 ORN; ATF 110
Ia 148/149 consid. 1 et les arrêts cités).
Dans l'ancien état de propriété, avant l'attribution à l'Etat de
Fribourg des terrains destinés à l'emprise de la route nationale, le
bâtiment des intimés, au centre du domaine, était entouré d'un vaste
espace libre de constructions et d'installations, qui le protégeait
5.- a) Dès qu'un projet de construction routière ou ferroviaire
est connu, les voisins de la future voie ou route doivent en tenir
compte et s'y adapter en prenant les mesures propres à éviter ou à
limiter le dommage; seules les immissions d'un projet "imprévisible"
peuvent justifier une indemnisation (ATF 117 Ib 18/19 consid. 2b et
les arrêts cités). La réalisation de la route nationale N 12 sur le
territoire de la commune de Sâles n'était pas prévisible lorsque Léon
B. a édifié la ferme de la Gissetta, à l'écart du village et loin de
toute agglomération importante (cf. ATF 111 Ib 236). Les intimés ont
acquis en commun la propriété de cet immeuble par voie successorale;
dans ces conditions, la date déterminante est celle de la
construction du bâtiment et ils peuvent, au même titre que leur
prédécesseur, se prévaloir de l'imprévisibilité du projet (ATF 111 Ib
235 consid. 2a).
b) La condition de la spécialité est remplie lorsque les immissions
atteignent une intensité qui excède la limite de ce qui est usuel et
tolérable; il faut distinguer cette condition de celle de la gravité,
qui se rapporte, elle, au dommage provoqué par les immissions (ATF
117 Ib 18 consid. 2b, 116 Ib 21 consid. 3a et les arrêts cités).
aa) Dans sa jurisprudence développée à partir de l'arrêt de
principe rendu en 1968 en la cause Werren (ATF 94 I 286 ss), le
Tribunal fédéral s'est fondé, quant aux méthodes de mesure des
immissions et quant au seuil déterminant pour admettre leur
spécialité, sur les connaissances scientifiques et sociologiques
résultant des rapports et propositions des commissions spéciales
instituées par les autorités fédérales (en particulier: le rapport de
la Commission fédérale d'experts au Conseil fédéral, établi en 1963
et intitulé "La lutte contre le bruit en Suisse" [ci-après: rapport
de 1963]; cf. ATF 94 I 301 consid. 9a/aa), ou des rapports des
experts qu'il avait spécialement désignés, la jurisprudence étant
adaptée au fur et à mesure du développement de ces connaissances.
L'arrêt rendu le 16 juillet 1984 en la cause Ammann et consorts (ATF
110 Ib 340 ss) décrit cette évolution pour la période précédant
l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1985, de la loi fédérale sur la
protection de l'environnement (LPE; RS 814.01).
Dans cet arrêt Ammann, le Tribunal fédéral avait rappelé qu'en
Suisse, les situations de bruit avaient généralement été décrites au
moyen des niveaux sonores statistiques "L1" et "L50" (soit des
valeurs de niveaux qui ne sont dépassées que pendant 1% ou 50% du
temps d'une période d'observation déterminée). Il avait aussi relevé
qu'un nouveau procédé, par lequel l'intensité moyenne du bruit est
mesurée, avait été élaboré: le niveau, exprimé également en décibels
6.- Le fondement de l'indemnité étant établi, il reste à
déterminer sous quelle forme elle doit être allouée.
a) En vertu de l'art. 64 al. 1 let. a LEx, la commission
d'estimation statue en particulier sur la nature et le montant de
l'indemnité (art. 16 à 18 LEx); il n'est pas nécessaire que les
parties lui présentent une demande formelle et expresse,
contrairement aux exigences posées pour d'autres prétentions (art. 64
al. 1 let. b, c, e, f et g LEx). En principe, selon l'art. 17 LEx,
l'indemnité est payable en argent sous la forme d'un capital ou d'une
rente, mais la prestation en argent peut être remplacée en tout ou
partie par un équivalent en nature (art. 18 al. 1 LEx). L'attribution
d'un immeuble à titre d'indemnité en nature n'est admissible qu'avec
le consentement de l'exproprié et des créanciers gagistes (art. 18
al. 3 LEx); pour d'autres formes de réparation en nature, le
consentement de l'exproprié n'est pas nécessaire si ses intérêts sont
suffisamment sauvegardés (art. 18 al. 2 LEx). Selon la jurisprudence,
la réparation en nature demeure toutefois l'exception par rapport au
principe selon lequel l'indemnité est payable en argent (ATF 105 Ib
90, 196).
Devant la Commission fédérale d'estimation, les intimés ont conclu
principalement au déplacement de la totalité de leur ferme, ou
éventuellement du logement s'y trouvant; cette demande de réparation
en nature a été écartée. En l'absence de recours de droit
administratif des intimés, ces conclusions n'ont plus à être
examinées. De son côté, l'autorité recourante avait proposé de
procéder à l'isolation
8.- (A ce stade, il se justifie, pour des raisons d'opportunité et
d'économie de la procédure, de rendre un jugement partiel (cf. ATF
116 Ib 13 consid. 1 et les arrêts cités). Il sera statué
ultérieurement sur les mesures d'assainissement qu'il convient
d'ordonner pour la ferme de la Gissetta ainsi que sur l'éventuelle
indemnité complémentaire en argent qui pourrait être allouée aux
intimés afin que leur préjudice soit intégralement couvert.)


Synthèse
Numéro d'arrêt : E.16/1989
Date de la décision : 24/03/1993
1re cour de droit public

Analyses

Expropriation de droits de voisinage et législation fédérale sur la protection de l'environnement; art. 5 LEx; art. 679 ss CC. 1. Dans la procédure de recours de droit administratif, le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (consid. 1b - c). 2. Lorsque l'acquisition du terrain nécessaire à la construction d'une route nationale se fait par voie de remembrement, l'autorité compétente peut ouvrir, en outre, une procédure d'expropriation pour statuer sur des questions que la procédure d'améliorations foncières ne permet pas de résoudre (consid. 2). 3. La suppression, à la suite d'un remaniement, d'un terrain constituant un "écran protecteur" pour un bâtiment représente un inconvénient pour lequel le propriétaire est fondé, en principe, à demander une indemnité d'expropriation (consid. 4a). 4. Rappel des principes de la jurisprudence relatifs à l'expropriation de droits de voisinage (consid. 4b): - Condition de l'imprévisibilité (consid. 5a). - Condition de la spécialité (consid. 5b); rappel de la jurisprudence du Tribunal fédéral quant aux méthodes de mesure des immissions de bruit et quant aux seuils déterminants à cet égard (consid. 5b/aa). Actuellement, la législation fédérale sur la protection de l'environnement définit une méthode d'évaluation et, sur cette base, des valeurs limites d'immission; pour le bruit du trafic routier, celles-ci doivent être considérées comme le seuil à partir duquel la condition de la spécialité des nuisances est remplie (consid. 5b/bb - ff). - Condition de la gravité (consid. 5c). 5. L'indemnité d'expropriation est en principe payable en argent. Une réparation en nature est toutefois possible à certaines conditions (consid. 6a), par exemple sous forme d'isolation acoustique d'un bâtiment existant (consid. 6b). La loi sur la protection de l'environnement et la loi sur l'expropriation, qui poursuivent des buts différents, protègent à certains égards les mêmes biens juridiques (consid. 6c/aa - bb). Le juge de l'expropriation a le devoir d'ordonner des prestations en nature lorsqu'un tel mode d'indemnisation est propre à réparer, à tout le moins en partie, le préjudice subi par le propriétaire exproprié et qu'en même temps il permet de protéger efficacement le bien-être des personnes habitant un bâtiment exposé à des nuisances (consid. 6c/cc).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1993-03-24;e.16.1989 ?
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