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24/02/1993 | SUISSE | N°1P.575/1992

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 24 février 1993, 1P.575/1992


119 Ia 88

14. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 24 février
1993 dans la cause La Genevoise, compagnie d'assurances sur la vie,
contre Conseil d'Etat du canton de Vaud (recours de droit public)
A.- La Genevoise, compagnie d'assurances sur la vie, est
propriétaire de la parcelle no 549 du Registre foncier de Lausanne,
sur laquelle s'élève le bâtiment Bel-Air Métropole (ci-après: le
Métropole).
Ce bâtiment, construit de 1929 à 1931, est une maison-tour, dont la
conception s'inspirait de celle des grands immeubles urb

ains aux
fonctions multiples, édifiés dans les métropoles américaines dès la
fin du ...

119 Ia 88

14. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 24 février
1993 dans la cause La Genevoise, compagnie d'assurances sur la vie,
contre Conseil d'Etat du canton de Vaud (recours de droit public)
A.- La Genevoise, compagnie d'assurances sur la vie, est
propriétaire de la parcelle no 549 du Registre foncier de Lausanne,
sur laquelle s'élève le bâtiment Bel-Air Métropole (ci-après: le
Métropole).
Ce bâtiment, construit de 1929 à 1931, est une maison-tour, dont la
conception s'inspirait de celle des grands immeubles urbains aux
fonctions multiples, édifiés dans les métropoles américaines dès la
fin du XIXe siècle selon les principes architecturaux de l'école de
Chicago. Dans la partie inférieure de la tour avait été aménagée à
l'origine une salle de spectacle de mille six cents places avec une
fosse d'orchestre pour la sonorisation des films muets qui y étaient
alors projetés. Cette salle - connue sous le nom de "Cinéma-théâtre
Métropole" - a accueilli par la suite notamment des spectacles de
variétés et des concerts. En 1985, la Genevoise l'a remise à bail à
la société Métrociné S.A.
Le 13 novembre 1989, la Genevoise et Métrociné S.A. ont déposé
auprès de la Direction des travaux de la Commune de Lausanne un
projet de réaménagement du Métropole prévoyant notamment la
suppression de la salle du cinéma-théâtre Métropole et son
réaménagement en un "complexe multi-salles, comprenant quatre salles
de cinéma distinctes d'une capacité totale de mille deux cent
vingt-cinq places".
Le 23 mars 1990, le Département des travaux publics, de
l'aménagement et des transports du canton de Vaud (ci-après: le
Département) a décidé de s'opposer au projet en lui appliquant l'art.
47 de la loi cantonale du 10 décembre 1969 sur la protection de la
nature, des monuments et des sites (LPNMS), en vertu duquel il
appartient à cette autorité de prendre les mesures nécessaires à la
sauvegarde des monuments historiques protégés lorsqu'un danger
imminent les menace. Il soulignait que le projet litigieux impliquait
"la destruction de la salle de spectacle et de l'essentiel de son
foyer", qui présenteraient selon lui un intérêt historique et
artistique indéniable. Le 8 juin 1990, le Conseil d'Etat a prolongé
de six mois cette mesure conservatoire, conformément à l'art. 48
LPNMS.
Extrait des considérants:
1.- La recourante soulève pour la première fois dans le recours de
droit public le grief tiré de la violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.
a) La novelle du 4 octobre 1991 modifiant la loi d'organisation
judiciaire a généralisé l'exigence de l'épuisement des instances pour
tous les recours, sous réserve d'une seule exception qui n'entre pas
en ligne de compte en l'espèce (art. 86 OJ). La jurisprudence admet
cependant la recevabilité de moyens de droit nouveaux lorsque
l'autorité cantonale de dernière instance disposait d'un pouvoir
d'examen libre et devait appliquer le droit d'office. Cette exception
3.- Sous l'angle de l'art. 6 par. 1 CEDH, la recourante soutient
que la décision attaquée devrait pouvoir être déférée à une
juridiction ordinaire jouissant d'une cognition illimitée en fait et
en droit.
a) L'art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa
cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la
loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle. Cette disposition
est applicable sans réserve en Suisse, le Tribunal fédéral ayant
constaté l'invalidité de la nouvelle déclaration interprétative qu'en
a donnée le Conseil fédéral
4.- a) La LPNMS a notamment pour but, "dans l'intérêt de la
communauté ou de la science", de protéger et de conserver les
monuments de la préhistoire, de l'histoire, de l'art ou de
l'architecture (art. 1 let. c LPNMS). Dans la mesure où ils
présentent un intérêt archéologique, historique, artistique,
scientifique ou éducatif, ces monuments bénéficient d'une protection
générale (art. 46 al. 1 LPNMS), dont la portée est faible, car les
objets protégés ne sont pas définis avec précision (PHILIPPE GARDAZ,
La protection du patrimoine bâti en droit vaudois, RDAF 48/1992 p. 1
ss, 6). La protection spéciale des monuments historiques est
garantie, le cas échéant, par l'inscription à l'inventaire (art. 49
ss LPNMS) ou par le classement (art. 52 ss LPNMS). Le classement
intervient par la voie d'un arrêté de classement, assorti au besoin
d'un plan de classement (art. 52 al. 2 LPNMS). Cet arrêté définit
l'objet classé, le cas échéant ses abords et l'intérêt qu'il
présente, ainsi que les mesures de protection déjà prises et les
mesures de conservation ou de restauration
5.- Il reste à examiner si cette exigence a été respectée en
l'espèce.
a) La décision attaquée émane non d'un tribunal mais d'un
gouvernement cantonal statuant en instance unique et qui n'a pas la
qualité d'une juridiction indépendante et impartiale (ATF 117 Ia
385/386 consid. 5c, 115 Ia 69 consid. 2c, 187).
b) A teneur de l'art. 4 LJPA, le Tribunal administratif connaît en
dernière instance cantonale de tous les recours contre les décisions
administratives cantonales et communales lorsque aucune autre
autorité n'est expressément désignée pour en connaître (al. 1). Le
recours au Tribunal administratif est cependant exclu contre les
décisions du Grand Conseil, du Conseil d'Etat, du Tribunal cantonal
ou des commissions de recours spéciales, ou lorsque la loi précise
que l'autorité statue définitivement (al. 2). En matière de permis de
bâtir, les compétences juridictionnelles du Conseil d'Etat et de la
Commission cantonale de recours ont été supprimées par une
modification de la LATC du 18 décembre 1989, parallèlement à
l'adoption de la LJPA (cf. Recueil annuel de la législation vaudoise
186/1989 p. 596 ss). Cette nouvelle a abrogé notamment l'art. 9 let.
d LATC, relatif à la compétence du Conseil d'Etat, et les art. 20 ss
LATC, régissant la Commission cantonale de recours. Depuis l'entrée
en vigueur, le 1er juillet 1991 (RALV 188/1991 p. 162) de la LJPA et
des modifications de la LATC, le Tribunal administratif est
l'autorité de recours pour toutes les décisions relatives aux
autorisations de construire. En revanche, le Conseil d'Etat a
conservé la compétence de statuer définitivement sur les oppositions
formées contre un arrêté de classement selon l'art. 26 LPNMS. Au
regard de l'art. 4 al. 2 LJPA, le Tribunal administratif ne peut
procéder au contrôle préjudiciel de l'arrêté de classement dans le
cadre de l'examen d'un recours dirigé, par hypothèse, contre le refus
d'un permis de bâtir portant sur la démolition de la salle de
cinéma-théâtre du Métropole.
c) De même, la procédure du recours de droit public pour violation
des droits constitutionnels des citoyens au sens des art. 84 ss OJ ne
suffit pas pour réparer les défauts de la procédure cantonale.
aa) Le contrôle judiciaire exigé par l'art. 6 par. 1 CEDH n'a pas à
porter sur l'opportunité de la mesure critiquée. Il faut en revanche
que ce contrôle soit libre sur toutes les questions décisives de fait
et
6.- Cette solution s'impose aussi au regard de l'art. 33 LAT.
a) L'autorité compétente peut édicter des mesures de protection des
monuments dans le cadre d'un plan d'affectation (cf. art. 17 al. 1
let. c LAT; art. 47 let. b LATC; GARDAZ, op.cit., p. 9 ss); elle peut
aussi, comme en l'espèce, prendre dans ce but des décisions
concrètes. Dans un cas comme dans l'autre, la procédure cantonale
doit respecter les exigences minimales de l'art. 33 LAT en matière de
protection juridique (ATF 116 Ia 47 consid. 4c/cb; 118 Ia 386 cité,
consid. 3). En vertu de cette disposition, les mesures fondées sur la
LAT et sur des dispositions cantonales et fédérales d'exécution
doivent être mises à l'enquête publique et le droit cantonal doit
aménager contre elles au moins une voie de recours auprès d'une
autorité ayant un libre pouvoir d'examen et à laquelle puissent
s'adresser tous ceux qui ont la qualité pour agir par la voie d'un
recours de droit administratif au Tribunal fédéral. Selon la
jurisprudence, les exigences du droit fédéral sont satisfaites par
l'institution en faveur des intéressés d'une simple voie d'opposition
auprès de l'autorité qui approuve le plan litigieux (ATF 116 Ia 45
consid. 4b, 440 consid. 4b, 114 Ia 119 consid. 4c/ca, 235-237 consid.
2b, 247/248 consid. 2a et b, 114 Ib 88, 112 Ib 169, 109 Ib 123
consid. 5b, 109 Ia 2 et arrêts cités); cette autorité doit toutefois
être indépendante de celle qui a établi le plan et avoir la
compétence de réexaminer l'opportunité des mesures contestées (ATF
114 Ia 247/248 consid. 2a et b, 114 Ib 88, 109 Ia 2, 109 Ib 124/125
consid. 5b et c).
b) En l'espèce, le Département a mis à l'enquête publique,
conformément aux art. 24 et 35 LPNMS, un projet d'arrêté portant sur
le classement de diverses parties du Métropole. La recourante et
Métrociné S.A. ont formé une opposition, dont le Département a
partiellement tenu compte, dans son "avis motivé" du 8 juillet 1991,
en proposant au Conseil d'Etat de limiter la mesure de classement à
la salle de cinéma-théâtre et au foyer. Les opposantes ont requis le
Conseil d'Etat de réexaminer la décision du Département. Le 21 août
1992, le Conseil d'Etat, statuant sur la base des art. 26 LPNMS et 73
al. 2 à 4 LATC, a rejeté cette requête et adopté simultanément
l'arrêté de classement, conformément à l'art. 52 LPNMS. La recourante
n'a donc pas été en mesure de soumettre ses arguments à une autorité
de recours indépendante, en violation de l'art. 33 LAT. La situation
est ici différente de celle de l'ATF 108 Ib 479 ss où le Grand
Conseil genevois avait statué sur les oppositions en même temps qu'il
approuvait un plan d'affectation, à l'issue d'une procédure
comportant une inspection des lieux et une audition des opposants par
une commission
7.- En conclusion, le propriétaire touché par une mesure de
classement au sens de la LPNMS doit pouvoir porter ce litige devant
un tribunal indépendant et impartial ayant une cognition illimitée,
sous réserve des questions d'opportunité. Il doit pouvoir aussi, en
vertu de l'art. 33 LAT, contester la mesure de classement devant une
autorité de recours compétente pour connaître de l'ensemble de
l'affaire, y compris des questions d'opportunité qu'elle soulève.
Pour satisfaire à toutes ces exigences, il incombe au législateur
cantonal d'adapter la LPNMS. L'art. 6 par. 1 CEDH étant directement
applicable (ATF 118 Ia 227 consid. 1c; cf. consid. 2d non publié de
l'ATF 118 Ia 331 ss et la note de YVO HANGARTNER, in: PJA 2/1993 p.
79-81), le canton de Vaud est invité à mettre à la disposition de la
recourante une autorité judiciaire au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH,
pour connaître d'un recours contre la décision attaquée. Sous l'angle
de l'art. 33 LAT, rien ne s'oppose au maintien de la voie de la
requête au Conseil d'Etat contre le projet d'arrêté de classement mis
à l'enquête par le Département, pourvu que le requérant puisse porter
ce litige, le cas échéant, devant un tribunal indépendant disposant
d'un pouvoir d'examen libre en fait et en droit.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.575/1992
Date de la décision : 24/02/1993
1re cour de droit public

Analyses

Art. 6 par. 1 CEDH, art. 4 et 22ter Cst.; art. 33 LAT; classement d'une salle de cinéma-théâtre. 1. Art. 86 OJ; recevabilité de griefs nouveaux (consid. 1). 2. Portée de la notion de "droits et obligations de caractère civil" au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH; rappel de la jurisprudence (consid. 3). 3. La décision par laquelle le Conseil d'Etat vaudois a procédé, en vertu de l'art. 52 LPNMS/VD, au classement d'une salle de cinéma-théâtre, de ses annexes et de son foyer, touche, sur le vu des circonstances de l'espèce, aux droits de caractère civil visés à l'art. 6 par. 1 CEDH (consid. 4). 4. La recourante, qui conteste l'état de fait et le bien-fondé de cette mesure, n'a pas eu la faculté de soumettre le litige à un tribunal indépendant et impartial au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH (consid. 5). 5. La procédure cantonale ne répond pas en outre aux exigences de l'art. 33 LAT (consid. 6). Effet de l'admission du recours (consid. 7).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1993-02-24;1p.575.1992 ?
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