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03/02/1993 | SUISSE | N°E.51/1989

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 03 février 1993, E.51/1989


119 Ib 334

35. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 3 février
1993 dans la cause Electricité de la Lienne S.A. contre Etat du
Valais et Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement
(recours de droit administratif)
A.- En application de l'art. 11 de la loi fédérale du 8 mars 1960
sur les routes nationales (LRN - RS 725.11), l'Assemblée fédérale a
adopté le 21 juin 1960 un arrêté fixant le réseau des routes
nationales (cf. RS 725.113.11). La route nationale N 6
Berne-Sion/Sierre figurait dans la liste annex

ée à cet arrêté; le
trajet de sa dernière section était le suivant: Thoune (Gwatt) -
Zw...

119 Ib 334

35. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 3 février
1993 dans la cause Electricité de la Lienne S.A. contre Etat du
Valais et Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement
(recours de droit administratif)
A.- En application de l'art. 11 de la loi fédérale du 8 mars 1960
sur les routes nationales (LRN - RS 725.11), l'Assemblée fédérale a
adopté le 21 juin 1960 un arrêté fixant le réseau des routes
nationales (cf. RS 725.113.11). La route nationale N 6
Berne-Sion/Sierre figurait dans la liste annexée à cet arrêté; le
trajet de sa dernière section était le suivant: Thoune (Gwatt) -
Zweisimmen - tunnel du Rawyl - Sion/Sierre (accès à la N 9). Le 2
septembre 1966, le Conseil fédéral a approuvé un projet général de
cette section, qui prévoyait la réalisation d'un tunnel de faîte au
Rawyl. Il se révéla, à l'occasion de l'élaboration du projet
définitif (cf. art. 21 ss LRN), que la construction du tunnel à une
altitude inférieure serait mieux à même de garantir le passage dans
des conditions hivernales. Plusieurs variantes ont été examinées,
dont l'une - tunnel d'une longueur de 9800 m à une altitude de 1200 m
environ, reliant la gorge de la Lienne au vallon de Pöschenried - a
été retenue pour faire l'objet d'études plus poussées. Par décision
prise le 18 juin 1973, le Conseil fédéral a autorisé les cantons de
Berne et du Valais à réaliser une galerie de sondage, destinée en
particulier à déterminer les conditions géologiques et hydrauliques
le long du tracé envisagé pour le tunnel routier. Les travaux de
percement de cette galerie de sondage ont débuté en juillet 1976 au
portail sud, sur le versant valaisan; le Département des travaux
publics du canton du Valais, maître de l'ouvrage, en assurait la
surveillance.

B.- La société anonyme Electricité de la Lienne S.A. (ci-après:
Lienne S.A.) produit de l'énergie hydroélectrique. Elle est
propriétaire du barrage du lac d'accumulation de Zeuzier, construit
entre
Extrait des considérants:
2.- a) En règle générale, une procédure ne peut être ouverte
devant une commission fédérale d'estimation qu'à la requête de
l'expropriant; la jurisprudence a admis des exceptions à ce principe,
qui ne sont pas réalisées ici (ATF 115 Ib 412/413 consid. 2a, 114 Ib
145 consid. 3a, 112 Ib 126 consid. 2). En l'espèce, c'est néanmoins
par Lienne S.A. que la Commission fédérale a été saisie; l'Etat du
Valais, en prenant des conclusions et en se déterminant sans réserve
à cet égard, s'est rallié à ce mode d'introduction de la procédure
(cf. ATF 106 Ib 234/235 consid. 2b). Le vice éventuel peut être
considéré comme réparé et, dans les circonstances particulières de la
cause, il faut reconnaître que la Commission fédérale a ainsi permis
à Lienne S.A. de soumettre ses prétentions à un juge, conformément
aux garanties du droit constitutionnel fédéral (cf. ATF 118 Ib 227
consid. 1b, 116 Ib 253 consid. 2b).
3.- a) L'art 7 al. 3 LEx astreint l'expropriant à exécuter les
ouvrages qui sont propres à mettre les fonds voisins, notamment, à
l'abri des dangers et des inconvénients qu'impliquent nécessairement
l'exécution et l'exploitation de son entreprise et qui ne doivent pas
être tolérés d'après les règles du droit de voisinage (cf. aussi art.
42 al. 1 LRN). L'expropriant est donc tenu, en principe, de respecter
à l'égard de ses voisins les obligations découlant pour le
propriétaire des art. 684 ss CC (cf. HESS/WEIBEL, op.cit., n. 38 ad
art. 7). En vertu de l'art. 5 LEx, les droits résultant des
dispositions sur la propriété foncière en matière de rapports de
voisinage peuvent faire l'objet de l'expropriation et être supprimés
ou restreints temporairement ou définitivement, moyennant le respect
du principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 1er al. 2 LEx. Dès
lors, si les immissions proviennent de la construction, conforme au
droit applicable, d'un ouvrage d'intérêt public pour la réalisation
duquel la collectivité dispose du droit d'expropriation, le voisin ne
peut pas exercer les actions du droit privé, à raison du trouble ou
en responsabilité, prévues par l'art. 679 CC. La prétention en
versement d'une indemnité se substitue à ces actions et il appartient
non plus au juge civil, mais au juge de l'expropriation de statuer
sur l'existence du droit et le montant de l'indemnité (ATF 116 Ib
253/253 consid. 2a, 113 Ib 37/38 consid. 2 et les arrêts cités). Ces
conditions sont réunies en l'espèce: l'exécution de la galerie de
sondage a été autorisée par le Conseil fédéral et le préjudice
invoqué ne résultait pas d'une violation des règles de l'art ou d'un
autre acte manifestement fautif des constructeurs de nature à engager
d'emblée leur responsabilité aquilienne (cf. ATF 96 II 350 consid.
6c).
b) Aux termes de l'art. 685 al. 1 CC, le propriétaire qui fait des
fouilles ou des constructions ne doit pas nuire à ses voisins en
ébranlant leur terrain, en l'exposant à un dommage ou en
compromettant les ouvrages qui s'y trouvent. Cette disposition est
une concrétisation du principe de l'art. 684 CC, qui prescrit à
chaque propriétaire de s'abstenir, dans l'exercice de son droit, de
tout excès qui constituerait pour les voisins une gêne intolérable. A
la différence de cette dernière disposition, l'art. 685 CC ne parle
pas d'excès. Selon la doctrine dominante toutefois, seules les
atteintes excessives aux droits des voisins sont interdites en vertu
de l'art. 685 al. 1 CC (cf. ARTHUR MEIER-HAYOZ, Das Grundeigentum,
Berner Kommentar, T. IV/1/3, 3e éd. Berne 1975, n. 68 ss ad art.
685/686; PAUL-HENRI STEINAUER,
4.- La recourante soutient en premier lieu qu'il existe un lien de
causalité naturelle entre le percement de la galerie de sondage du
Rawyl et les dégâts causés au barrage de Zeuzier.
a) (Caractéristiques géologiques de la région de Zeuzier; grosses
venues d'eau lorsque la galerie de sondage a pénétré dans une couche
de Malm, après avoir franchi une couche de Dogger)
b) (Caractéristiques de l'eau ayant jailli dans la galerie, en
quantités très importantes et, par moments, avec une forte pression
initiale; provenance de cette eau: ensemble hydrologique souterrain,
drainage d'un énorme volume de roche)
c) (Cause directe de la fissuration du barrage, non contestée:
pincement ou resserrement des rives de la vallée, lié à un
enfoncement des couches profondes sous le barrage)
aa) (Hypothèse de l'Etat du Valais quant à l'origine de
l'enfoncement: poussée tectonique; hypothèse non démontrée et
hautement improbable comme cause naturelle du dommage)
bb) (Explication de la recourante: phénomène hydrogéologique,
diminution de la pression interstitielle dans la roche; explication
complémentaire de l'expert Habib, critiquée par la recourante:
singularité mécanique exceptionnelle sous le barrage)
dd) (Accord des experts fédéraux et de l'expert Habib sur le fait
que le drainage du massif rocheux provoqué par le percement de la
galerie de sondage constitue à tout le moins une cause du tassement
de la couche profonde située sous le barrage)
Ces éléments amènent à la conclusion que le drainage provoqué par
le percement de la galerie de sondage constitue très probablement une
cause de l'accident, en ce sens qu'à défaut de drainage l'événement
ne se serait pas produit. Cela suffit pour considérer comme établi un
rapport de causalité naturelle (cf. supra consid. 3b). Le Conseil
fédéral est d'ailleurs parvenu à la même conclusion, à lire la
réponse qu'il a donnée le 27 novembre 1989 à la question ordinaire
5.- La Commission fédérale, après avoir admis l'existence d'un
lien de causalité naturelle, a libéré l'Etat du Valais de toute
responsabilité, sans examiner explicitement l'adéquation juridique de
ce rapport de cause à effet. Elle a d'abord retenu qu'une violation
des règles de l'art ne pouvait être imputée ni à l'Etat du Valais,
lorsqu'il a réalisé la galerie de sondage, ni à Lienne S.A.,
lorsqu'elle a construit le barrage. Ensuite, pour admettre les
conclusions libératoires de l'Etat du Valais, elle a considéré, d'une
part, que l'ouvrage de la recourante était entaché de graves défauts
et, d'autre part, que la survenance d'un dommage était totalement
imprévisible pour l'auteur des travaux de la galerie du Rawyl.
a) (Modification du régime hydrologique: constituait un des buts
essentiels des travaux de réalisation de la galerie; atteinte en soi
prévisible pour l'auteur des travaux, qui ne pouvait ignorer que les
conséquences précises de cette modification)
b) La Commission fédérale a accordé à la prévisibilité subjective
un caractère décisif; or si cet aspect joue un rôle dans la
responsabilité aquilienne pour apprécier la faute de l'auteur, il
n'entre pas en considération en matière de responsabilité causale
(cf. HENRI DESCHENAUX/PIERRE TERCIER, La responsabilité civile, 2e
éd. Berne 1982, p. 58). Il est donc indifférent, pour statuer sur la
responsabilité


1re cour de droit public

Analyses

Expropriation de droits de voisinage; art. 5 LEx; art. 679 ss, art. 685 al. 1 CC. 1. La réalisation d'une galerie de sondage en vue de la construction d'une route nationale n'est pas un acte préparatoire au sens de l'art. 15 LEx; en outre, tant que le projet définitif n'est pas approuvé par l'autorité fédérale compétente, la procédure pour l'acquisition des droits nécessaires à la construction d'une route ne peut pas être valablement ouverte. Lacune de la loi au sujet de la compétence pour statuer sur une demande d'indemnité présentée par un propriétaire voisin à la suite des travaux de sondage; compétence attribuée à la Commission fédérale d'estimation (consid. 2). 2. L'art. 685 al. 1 CC interdit au propriétaire qui fait des fouilles ou des constructions de provoquer des atteintes excessives aux droits de ses voisins; ces droits de voisinage peuvent faire l'objet d'une expropriation (consid. 3a/b). La responsabilité du propriétaire, objective, suppose un rapport de causalité, naturelle et adéquate, entre l'excès dans l'utilisation du fonds et l'atteinte aux droits du voisin (consid. 3c). 3. Lien de causalité naturelle (consid. 4). 4. Rapport de causalité adéquate; en matière de responsabilité objective, la prévisibilité subjective n'est pas décisive, le juge devant procéder à un "pronostic rétrospectif objectif". En présence de phénomènes naturels complexes, la causalité adéquate peut s'étendre à des "conséquences extraordinaires", c'est-à-dire à des conséquences qui n'apparaissent comme telles qu'aux yeux d'un profane, mais non pas à ceux de l'expert (consid. 5b). En l'espèce, l'éventuel défaut de l'ouvrage touché n'est pas propre à interrompre le rapport de causalité; tout au plus pourrait-il constituer un motif de réduction de l'indemnité (consid. 5c). 5. A l'inverse de l'art. 684 CC, l'art. 685 CC confère une protection en priorité aux constructions déjà existantes situées sur des fonds voisins; limites de cette protection (consid. 5d).


Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 03/02/1993
Date de l'import : 14/10/2011

Numérotation
Numéro d'arrêt : E.51/1989
Numéro NOR : 37981 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;1993-02-03;e.51.1989 ?
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