COUR D’APPEL DE DAKAR (SÉNÉGAL)
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE HORS CLASSE DE DAKAR
CHAMBRE CRIMINELLE SPÉCIALE
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AUDIENCE PUBLIQUE SPÉCIALE
Du 10 avril 2019
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A l’audience publique ordinaire de la première chambre criminelle du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Dakar (Sénégal) en date du dix avril deux mille dix-neuf, tenue par : Monsieur Massamba SENE, Juge au siège, Président de séance ;
Assisté de Messieurs Boubacar Ndiaye FALL, Tamsir NDIAYE, Madame Aude Marguerite Mbaye BADIANE et de Monsieur Cheikh Mbacké GUISSE, membres ;
En présence de Madame Adji Fatou DIOUF, Substitut de Monsieur le Procureur de la République ;
Et avec l’assistance de Maître Massamba Alassane NDIAYE, Greffier ;
A été rendu le jugement ci-après :
ENTRE :
Monsieur le Procureur de la République demandeur, suivant ordonnance de renvoi du doyen des juges d’instruction en date du 18 avril 2018 ;
D’UNE PART
ET LE NOMME :
Ad Y : né le […] à […], de A et de feue Ma D, élève domicilié à […];
Accusé : d’actes de terrorisme par menaces et d’apologie du terrorisme ;
Faits prévus et punis par les articles : 279-01 et 279-05 du code pénal
Suivant mandat de dépôt en date du 08.05.2015 ;
D’AUTRE PART
A l’appel de la cause à l’audience spéciale du 27 mars 2019, l’affaire y a été utilement retenue.
A ce jour, Monsieur le Procureur de la République a exposé que, par ordonnance de renvoi sus énoncée, il a fait citer l’accusé à comparaître par devant le tribunal, pour se défendre des accusations ci-dessus indiquées ;
Le Greffier a fait lecture des pièces du dossier et tenu notes des débats ;
Le Ministère Public a fait ses réquisitions ;
L’accusé et ses conseils ont présenté leurs moyens de défense ;
Les débats ont été clos et l’affaire mise en délibéré pour jugement être rendu à l’audience du 10 avril 2019 ;
Advenue l’audience de ce jour, le Tribunal, vidant son délibéré conformément à la loi, a statué en ces termes.
LE TRIBUNAL
Vu les pièces du dossier ;
Ouï l’accusé en son interrogatoire ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que par ordonnance datée du 18 avril 2018, le doyen des juges d’instruction a renvoyé Ad Y devant la formation spéciale du Tribunal de céans statuant en matière criminelle sous les accusations d’actes de terrorisme par menaces et d’apologie du terrorisme ;
Faits prévus et punis par les articles 279-01 du Code Pénal ;
SUR LES FAITS :
Attendu qu’il est constant comme résultant tant de la procédure écrite que de l’instruction de la cause à l’audience que le 27 avril 2015, Mi L, Directeur régional de la sécurité de l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Dakar a dénoncé à la police nationale l’envoi sur la page Facebook de ladite Représentation diplomatique, le 24 avril 2015 à 13h14, d’un post ainsi libellé : « Vous soutenez Israël mais vous le regretterez et nous les jeunes sénégalais révolutionnaires nous attaquerons tous vos intérêts et Israël sera détruit. Vous êtes des terroristes. Nous préparons des attentats contre l’ambassade d’Israël au Sénégal à Dakar le …/05/2015 et vous serez détruit. Vive le Hamas » ;
Que l’auteur du message a agi sous le nom de Ar G;
Attendu que l’enquête subséquente ouverte à la suite de cette dénonciation a permis de découvrir que le post a été émis par un jeune sénégalais du nom de Ad Y, élève en classe de Terminale au lycée Demba DIOP de Mbour ;
Que l’exploitation de son ordinateur portable a révélé que ce même jour, Ad Y a aussi envoyé sur la page Facebook de Israël Defence Forces un message à 13h06 en ces termes : « Israël is nation terroriste. Fuck you Israël and fuck sionisme » et à 17h59mm sur la page Facebook de Tsahal-Armée de défense d’Israël deux autres messages suivants : « Vous êtes voués à l’échec et êtes des terroristes. Vive le Hamas et le Hezbollah. Mort aux sionistes », « Nous préparons des attentats contre l’ambassade d’Israël au Sénégal le …/Mai/2015 à…heure et vous subirez de lourdes pertes. Vive la résistance, vive la Palestine »,
Que poursuivant leurs investigations, les enquêteurs ont retrouvé dans l’ordinateur du mis en cause, un autre message publié à nouveau dans la page Facebook de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique le même jour du 24 mai 2015 à 13h15 : « Nous préparons des attentats contre l’ambassade d’Israël au Sénégal à Dakar le …/05/2015 et vous serez détruits. Vive le Hamas (2 fois) et votre ambassade sera à son tour attaquée. Les sénégalais se sont réveillés. Les ambassades d’Israël et USA seront bientôt attaquées. Nous ne voulons plus de vous »,
Qu’il a été, aussi relevé sur la page Facebook de l’accusé, des injures contre des personnalités américaines et israéliennes ainsi que la publication suivante : « Vive la Shoah, vive Hitler » ;
Attendu qu’entendu à l’enquête préliminaire, Ad Y a reconnu qu’il est l’auteur de tous les messages incriminés;
Qu’il a ajouté que dans le cadre de la préparation d’un exposé portant sur la décolonisation au Proche-Orient, il s’est rendu compte, au cours de ses recherches, des atrocités commises par les israéliens sur le peuple palestinien, et du puissant soutien que leur accordent les américains ;
Que c’est donc sous le coup de la colère et du dépit qu’il a posté ces messages ;
Que sur interpellation des enquêteurs, il a soutenu qu’il ne fait partie d’aucune organisation terroriste et que l’expression « les jeunes sénégalais révolutionnaires » utilisée dans un de ses posts est une pure invention dont le but était de donner de la crédibilité à ses messages ;
Attendu qu’inculpé d’acte de terrorisme et d’apologie du terrorisme, Ad Y a nié les faits en maintenant ses déclarations faites lors de l’enquête préliminaire ;
Attendu que devant la barre du Tribunal, l’accusé a notamment déclaré qu’il n’avait aucune intention d’intimider un quelconque gouvernement ou organisation ;
Que son seul objectif était de dénoncer l’injustice et la violence dont sont victimes les palestiniens de la part de l’Etat d’Israël avec l’appui inconditionnel des Etats Unis d’Amérique ;
Qu’il a cependant regretté les termes excessifs à travers lesquels il s’est exprimé, en invoquant la colère qui habitait au moment de poster les messages ;
Qu’il a reconnu à cet égard avoir commis une erreur et sollicité la clémence du Tribunal ;
Attendu que prenant la parole pour son réquisitoire, la Représentante du Ministère public a soutenu d’une part, que l’existence des menaces ne fait l’objet d’aucune contestation, étant entendu que l’accusé les a reconnues tout au long de la procédure ;
Que Madame la Procureure a ajouté que Ad Y s’est même permis d’envoyer un message à West African Democracy Radio (WADR), une antenne panafricaniste qui diffuse dans la sous-région, dans le but d’obtenir une amplification de ses menaces à travers la radio ;
Qu’elle a fait remarquer que Ad Y a volontairement omis de préciser les jours et heures des prétendus attentas projetés, afin d'accroître la pression sur les destinataires des messages objets des poursuites ;
Que, d’autre part, le délit d’apologie du terrorisme est aussi caractérisé aux yeux de Madame la Procureure de République ;
Qu’elle a requis qu’il plaise au Tribunal de déclarer Ad Y coupable d’actes de terrorisme par menaces et d’apologie du terrorisme et de le condamner à cinq (05) ans de travaux forcés après avoir invoqué des circonstances atténuantes relatives à la jeunesse de l’accusé et des regrets qu’il a exprimés ;
Attendu que les avocats de Ad Y ont déclaré que l’accusé a pêché par immaturité car au moment de son arrestation il n’était âgé que de dix-neuf (19) ans et quatre (04) mois ;
Qu’il menait une vie rangée jusqu’à ce jour où, dans le cadre de la préparation d’un exposé portant sur le thème de la décolonisation au Proche-Orient, il a découvert les atrocités commises par l’Etat d’Israël en Palestine fortement soutenu par l’administration américaine, qui l’ont choqué et fait réagir de façon si maladroite et irréfléchie ;
Qu’au demeurant les menaces qu’il a proférées ne sont absolument pas sérieuses dans la mesure où les perquisitions effectuées dans sa chambre ont permis de constater qu’il ne disposait d’aucun outil ou instrument qui auraient pu lui permettre de les mettre en exécution ;
Que pour les avocats de l’accusé, il n’existe, en l’espèce, aucune entreprise à but terroriste qu’elle soit individuelle ou collective étant entendu que Ad Y n’est affilié à aucune organisation de cette nature, et qu’aucune intention malveillante n’a été caractérisée ;
Que l’accusé est plutôt antisioniste qu’autre chose ;
Attendu que selon la défense, pour que le délit d’apologie du terrorisme soit caractérisé il aurait fallu au préalable, d’une part, un acte terroriste déclaré comme tel par une décision de justice définitive, et d’autre part une glorification de cet acte par l’accusé ;
Qu’or en l’espèce, l’accusateur ne produit aux débats aucune décision de justice qui consacre les propos tenus par l’accusé sur le sionisme comme acte terroriste ;
Que le crime d’apologie de terrorisme reproché à Ad Y n’est donc pas établi ;
Attendu que les avocats de la défense ont en outre relevé qu’en vertu du principe de la non rétroactivité des lois pénales plus sévères, les dispositions relatives aux actes de terrorisme, introduites par la loi n°2016-29 du 08 janvier 2016 ne sont pas applicables à la présente cause dans la mesure où elles sont intervenues postérieurement aux faits objets des poursuites, et sont plus sévères que celles de la loi de 2007 pour avoir élargi le champ d’application de la loi en y ajoutant d’autres incriminations, tout en aggravant certaines peines ;
Qu’ils ont sollicité au principal l’acquittement pur et simple de l’accusé et à titre subsidiaire qu’il bénéfice du doute qui traverse tout le dossier ;
SUR LA LOI APPLICABLE :
Attendu que les faits reprochés à Ad Y se sont déroulés le 24 avril 2015 ;
Qu’à cette époque le texte applicable était le Code Pénal dans sa version fixée par la loi n°2007-01 du 12 février 2007 ;
Attendu que l’article 04 du Code Pénal dispose que : « Nul crime, nul délit, nulle contravention ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prévues par la loi ou le règlement avant qu’ils fussent commis »,
Qu’il est ainsi de principe, que seules les lois de fond plus douces rétroagissent au profit de la personne poursuivie à l’exception des autres ;
Attendu que la loi n°2016-29 du 08 novembre 2016, tout en gardant la même peine encourue pour les crimes d’actes de terrorisme prévus à l’article 279-1, a élargi le champ d’application de cette catégorie d’infractions en prévoyant d’autres incriminations qui n’existaient pas dans le Code Pénal dans sa version de 2007 ;
Qu’elle a aussi aggravé les peines en ce qui concerne le délit d’apologie du terrorisme ;
Qu’elle est en conséquence plus sévère que la loi n°2007-01 du 12 février 2007 ;
Qu’il s’ensuit dès lors, qu’elle n’est pas applicables aux faits reprochés à Ad Y ;
Qu’il échet, au regard de ce qui précède de dire et juger que c’est la loi n°2007-01 du 12 février 2007 qui est retenue pour le règlement de cette procédure ;
SUR LE DÉLIT D’APOLOGIE DU TERRORISME :
Attendu que l’article 279-05 du code pénal dispose : « Sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 francs quiconque aura, par les moyens énoncés à l’article 248 du présent code fait l’apologie des crimes visés par les articles 279-01, 279-02, 279-03 du même code… »,
Qu’il ressort de cet article que l’apologie du terrorisme suppose la réunion au moins de trois éléments à savoir : un acte terroriste tel que défini par les articles 279-01, 279-02, 279-03 du Code Pénal, un éloge ou glorification de cet acte, et enfin l’utilisation d’un moyen de diffusion publique tel que défini par l’article 248 du Code Pénal ;
Attendu qu’en l’espèce le seul éloge qui a été relevé figure dans le message à travers lequel Ad Y s’exprime en ces termes : « Vive la shoah, vive Hitler » ;
Attendu qu’il est de principe que la loi pénale est d’interprétation stricte ;
Attendu qu’il résulte des écrits historiques, et de la jurisprudence du Tribunal international de Nuremberg que les actes commis par les Allemands sous l’autorité et le commandement de Hitler ont été qualifiés de crimes contre la paix et complot, de crimes de guerre, et de crimes contre l’humanité ;
Que ces actes n’ont jamais reçu la qualification d’actes de terrorisme ;
Attendu qu’en l’espèce ni l’acte de terrorisme, ni à fortiori la glorification d’un acte de cette nature n’ont été caractérisés ;
Qu’il échet, en conséquence, d’acquitter Ad Y de ce chef ;
SUR LE CRIME D’ACTES DE TERRORISME :
Attendu qu’en vertu de l’article 279-01 les menaces notamment, sont des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont proférées intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective dans le but de troubler l’ordre public ou le fonctionnement normal des institutions nationales ou internationales, par l’intimidation ou la terreur ;
Attendu en l’espèce que le 24 avril 2015 Ad Y a envoyé les messages évoqués ci-dessus dans les pages Facebook de l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique, de Israël Défense Forces, et de Tsahal-Armée de défense d’Israël ;
Que ces messages avertissaient de la commission d’attentats contre les Représentations diplomatiques de ces pays à Dakar, dans le courant du mois de mai 2015, à des jours et heures volontairement tus ;
Attendu que ces messages, qui annoncent à la fois l’éminence des attaques et des conséquences dommageables qui en découleront en terme de pertes en vies humaines et de dégâts matériels constituent effectivement des menaces ;
Qu’en ne contenant ni ordre, ni condition, lesdites menaces sont à ranger parmi celles prévues et punies par les dispositions de l’article 291 du Code Pénal ;
Attendu que l’entreprise individuelle ou collective est un concept nommé et non défini au sens des dispositions de l’article 279-01 du Code Pénal;
Qu’elle peut cependant être analysée comme un projet mûrement réfléchi, planifié, organisé, ayant une logique interne, se traduisant par des actes matériels et tendant à des buts terroristes ;
Qu’il en est ainsi, lorsque le ou les agents pénaux ont été trouvés en possession d’explosifs ou d’instruments pouvant servir à un attentat, ou ont procédé à des repérages des lieux qu’ils comptaient attaquer, ou ont commencé à se former à des techniques de destruction ;
Attendu qu’en l’espèce les perquisitions opérées dans la chambre de Ad Y n’ont permis de retrouver aucun outil ou instrument capable de servir à un attentat ;
Que l’exploitation de son ordinateur portable n’a permis de retrouver aucun procédé de fabrication d’engin explosif, ou de méthodes pour faire un attentat ;
Qu’il est ressorti des débats d’audience qu’il ne connaissait même pas les lieux exacts où se situent les Ambassades des Etats-Unis d’Amérique et d’Israël à Dakar ;
Qu’il n’est ressorti ni de la procédure d’instruction ni des débats d’audience qu’il consultait des sites de terroristes ou qu’il faisait partie d’un groupe structuré ayant pour but de concevoir un projet terroriste ;
Attendu, en définitive, qu’il n’a pas été rapporté la preuve que Ad Y a organisé ou planifié le projet contenu dans les messages qu’il a envoyés aux Représentations diplomatiques précitées ;
Qu’il est apparu, au contraire, que son prétendu projet était plutôt superficiel et dénué de tout soutien conceptuel, logistique, et pragmatique nécessaire à sa réalisation ;
Qu’il échet ainsi de dire et juger qu’il n’existe pas, en l’espèce, d’entreprise individuelle ou collective et que l’accusé Ad Y ne peut être convaincu d’actes de terrorisme ;
Attendu, cependant que comme démontré ci-dessus, les messages envoyés contiennent effectivement des menaces au sens de l’article 291 du Code Pénal ;
Qu’il échet, en conséquence, de disqualifier les faits d’actes de terrorisme initialement reprochés à Ad Y en menaces sans ordre ni condition, de le déclarer coupable de ce chef et de le condamner à une peine d’emprisonnement de trois (03) mois assortis du sursis, au regard de son statut de délinquant primaire et des regrets exprimés devant la barre du Tribunal ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière criminelle et en premier ressort :
Acquitte Ad Y du chef d’apologie du terrorisme ;
Disqualifie les faits d’actes de terrorisme par menaces qui lui sont
reprochés en menaces sans ordre ni condition au sens de l’article 291 du Code Pénal ;
Le déclare coupable de ce chef ;
Le condamne à trois (03) mois assortis du sursis ;
Met les dépens à sa charge. /.
L’avise de son droit d’interjeter appel contre cette décision dans un délai de quinze (15) jours à partir de son prononcé ;
Passé ce délai, il n’y sera plus recevable.
Ainsi fait jugé et prononcé publiquement, les jours, mois et an que dessus ;
Et ont signé ;
LE PRÉSIDENT : LE GREFFIER :