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10/03/2022 | SéNéGAL | N°8

Sénégal | Sénégal, Cour suprême, 10 mars 2022, 8


FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS- MAGISTRAT DU SIEGE TITULAIRE-DEPLACEMENT- DEFAUT DE CONSENTEMENT PREALABLE, DE CARACTERISATION DE L’URGENCE ET DE LA NECESSITE DE SERVICE – SANCTION- ANNULATION DU DECRET D’AFFECTATION

A méconnu le sens et la portée des dispositions de l’article 6 de la loi organique portant statut des magistrats, le décret qui a déplacé un magistrat du siège, titulaire du poste de par son grade, n’ayant pas fait l’objet de sanctions disciplinaires du premier degré et n’étant pas dans les cas de suppléances de chefs des Cours et tribunaux et aut

res emplois, sans établir l’existence de nécessités de service, ni caractéri...

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS- MAGISTRAT DU SIEGE TITULAIRE-DEPLACEMENT- DEFAUT DE CONSENTEMENT PREALABLE, DE CARACTERISATION DE L’URGENCE ET DE LA NECESSITE DE SERVICE – SANCTION- ANNULATION DU DECRET D’AFFECTATION

A méconnu le sens et la portée des dispositions de l’article 6 de la loi organique portant statut des magistrats, le décret qui a déplacé un magistrat du siège, titulaire du poste de par son grade, n’ayant pas fait l’objet de sanctions disciplinaires du premier degré et n’étant pas dans les cas de suppléances de chefs des Cours et tribunaux et autres emplois, sans établir l’existence de nécessités de service, ni caractériser une urgence ni recueillir son consentement préalable encore moins déterminer la durée de son déplacement.

La Cour suprême ;
Vu la loi organique N°2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême ;
Vu la loi organique N°2017-10 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats ;
Vu la loi organique N°2017-11 du 17 janvier 2017 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que par décret n°2020-1526 du 17 juillet 2020 portant nomination de Conseillers de Cours d’Appel, pris sur le rapport du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et après avis favorable du Conseil supérieur de la Magistrature, en sa consultation à domicile, Y..., matricule de solde n°611558/B, magistrat du 1er grade, 1er groupe, 4ième échelon, indice 3837, précédemment Président du Tribunal d’instance de Podor, a été nommé Conseiller à la Cour d’Appel de Thiès, même grade, même indice ;

Que Y..., estimant que cette décision constitue une sanction déguisée faisant suite à son refus de satisfaire la demande qui lui avait été faite par des autorités judiciaires de mettre en liberté provisoire un prévenu, en sollicite l’annulation en soulevant dix moyens tirés de l’exception d’inconstitutionnalité, de vices de procédure, d’une insuffisance de motivation, d’un détournement de procédure, d’un détournement de pouvoir, de la violation de la loi et de l’erreur de droit ;

Considérant que l’Etat du Sénégal conclut au rejet du recours ;

Sur l’exception d’inconstitutionnalité ;

Considérant que le requérant soulève l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 6 alinéa 3 de la loi organique portant Statut des magistrats en ce que la possibilité que ce texte accorde à l’autorité de nomination de déplacer un magistrat du siège, pour nécessités de service, même sans son consentement, est, d’une part, une modulation des principes de l’inamovibilité des magistrats du siège et de l’indépendance du pouvoir judiciaire consacrés aux articles 88, 89, 90 et 94, alors que la Constitution, en prévoyant l’intervention de lois organiques, a limitativement énuméré les matières dans lesquelles ces lois doivent intervenir et ne lui a pas donné ce pouvoir, d’autre part, constitue une atteinte au droit à l’égalité de traitement au regard des dispositions des articles 1er et 6 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et enfin, introduit une discrimination dans le traitement des magistrats au regard du fait qu’en vertu des mêmes principes constitutionnels de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de l’inamovibilité des juges, aucun membre du Conseil constitutionnel, de la Cour suprême et de la Cour des Comptes ne peut être déplacé si ce n’est sur sa demande ou pour incapacité physique ou faute professionnelle ;

Considérant que le Conseil constitutionnel, par décision n°2-C-2017 du 9 janvier 2017, a jugé que « l’article 6, après avoir posé le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège y a apporté une réserve en autorisant leur déplacement pour nécessité de service et après avis du Conseil supérieur de la Magistrature, pour une durée n’excédant pas trois années », puis a affirmé que « cet article n’est pas contraire à l’article 90 alinéa 3 de la Constitution » ;

Considérant que selon l’article 92 de la Constitution, la décision du Conseil constitutionnel n’est susceptible d’aucune voie de recours, qu’elle s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;

Considérant, par ailleurs, que le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi n’implique pas que des personnes placées dans des situations différentes soient traitées de manière identique ;

Que le requérant, magistrat des cours et tribunaux, ne saurait invoquer une rupture d’égalité en se fondant sur les dispositions spéciales applicables aux membres du Conseil constitutionnel, de la Cour suprême et de la Cour des comptes pour demander le renvoi préjudiciel devant le Conseil constitutionnel ;

Que dès lors, il n’y a pas lieu à renvoi ;

Sur le quatrième moyen pris d’une insuffisance de motivation au d’une part, des dispositions de l’article 6 de la loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature et, d’autre part, de l’article 6 alinéa 3 de la loi organique portant Statut des magistrats en ce que l’autorité de nomination n’a ni justifié l’existence d’une nécessité de service ni caractérisé une urgence ;

Sur le septième moyen tiré de la violation du principe de l’inamovibilité des juges rappelé par les dispositions de l’article 6 de la loi organique n°2017-10 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats, ensemble les dispositions de l’article 3 de ladite loi, du décret n°2015-35 du 20 juillet 2015 portant aménagement de l’organisation judiciaire et du décret n°2018-2163 du 12 décembre 2018 portant nomination de Présidents par intérim de Tribunaux d’Instance en ce que l’autorité de nomination l’a déplacé de son poste pour l’affecter en qualité de conseiller de Cour d’appel sans avoir recueilli au préalable son consentement alors, qu’en application des dispositions de l’article 3 de la loi organique portant statut des magistrats, le recours à l’intérim pour les postes de chef de juridiction visés par ce texte ne s’applique pas aux juridictions de deuxième classe comme le Tribunal d’Instance de Podor, et que nommé chef de cette juridiction suivant le décret n°2018-2163 du 12 décembre 2018 , il avait dès lors, de plein droit, la qualité de titulaire à ce poste, nonobstant que le décret de nomination l’ait qualifié de Président par intérim pour une durée de trois ans, et en admettant qu’il s’est agi d’un intérim au poste de Président du Tribunal d’Instance de Podor, il ne pouvait, sans son consentement préalable, être déplacé de ce poste pendant la durée de l’intérim ;

Sur le neuvième moyen tiré de la violation de l’article 6 alinéa 3 de la loi organique portant Statut des magistrats en ce que le décret l’a déplacé de son poste de Président du Tribunal d’Instance de Podor pour nécessités de service alors qu’aucun avis motivé du Conseil supérieur de la Magistrature ne spécifie lesdites nécessités dont l’inexistence est établie par le fait qu’il a été remplacé par un magistrat du même grade ;

Sur le dixième moyen tiré de la violation de l’article 6 de la loi organique portant Statut des magistrats en ce que le décret attaqué l’a déplacé de son poste pour l’affecter à la Cour d’Appel de Thiès sans spécifier la durée alors qu’aux termes du texte susvisé, dans les cas de déplacement d’un magistrat justifié par les nécessités du service, ce déplacement a lieu de manière provisoire, la durée de ce déplacement doit être spécifiée dans la décision et ne doit pas excéder trois ans ;

Les moyens étant réunis

Et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens
Considérant que sous ces moyens, le requérant fait grief au décret attaqué d’avoir méconnu les dispositions de l’article 6 de la loi organique portant Statut des magistrats, en ce qu’il a été déplacé de son poste sans que soient établis l’existence de nécessités de service, la caractérisation d’une urgence, son consentement préalable et la durée de son déplacement ;

Considérant que la loi organique portant Statut des magistrats dispose, en son article 6, que : « Les magistrats du siège sont inamovibles. En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré, ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable, sous réserve des dispositions des articles 90 et suivants de la présente loi organique.
Toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, après avis conforme et motivé du Conseil supérieur de la Magistrature spécifiant lesdites nécessités de service ainsi que la durée du déplacement.
Cette durée ne peut en aucun cas excéder trois ans. » ;

Que l’article 90 du même texte précise que : « La suppléance des chefs de cours et tribunaux s’établit ainsi qu’il suit : le premier président de la Cour d’appel est remplacé de plein droit par le vice-premier président ou à défaut par le président de chambre le plus ancien ; le procureur général près une Cour d’appel est remplacé de plein droit par le premier avocat général, à défaut par l’avocat général ou le substitut général le plus ancien ; le président de chambre est remplacé par le conseiller le plus ancien ; le président du tribunal est remplacé par le premier vice-président ou à défaut par le vice-président le plus ancien ; le procureur de la République est suppléé de plein droit par le procureur adjoint ou à défaut par le premier substitut. » ;

Que l’article 91 dudit texte ajoute que : « Les suppléances des autres emplois non prévues aux articles précédents, sont assurées, selon les cas, par des magistrats du siège ou du parquet de la même juridiction. Elles sont constatées par arrêté du Ministre de la Justice, après avis des chefs de cours. Si le nombre des magistrats disponibles dans la juridiction ne permet pas de combler toutes les vacances d’emploi, le service peut être assuré par un intérimaire choisi parmi les magistrats des cours et tribunaux selon qu’il est du siège ou du parquet par le Premier président ou le Procureur général de la Cour d’appel du ressort de ladite juridiction. L’intérim ne saurait dépasser une période de six (06) mois. » ;

Considérant que par correspondances des 11 novembre 2021 et 31 janvier 2022, le président de la chambre administrative a réclamé la production de l’avis du Conseil supérieur de la Magistrature visé par le décret attaqué ; Que par lettre du 10 février 2022, l’agent judiciaire de l’Etat a produit ledit document ;

Considérant que pour procéder à l’affectation du magistrat Y..., le décret attaqué s’est borné à énoncer dans ses visas que la mesure a été prise sur le rapport du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et après avis favorable du Conseil supérieur de la Magistrature, en sa consultation à domicile du 10 juillet 2020 ;

Qu’il ne résulte ni de l’examen du décret attaqué ni de celui de l’avis du Conseil supérieur de la Magistrature produit au dossier la motivation de la décision, la spécification des nécessités de service et la durée du déplacement comme prescrit par l’article 6 susvisé ;

Considérant que la qualité de magistrat du siège de Ngor Diop, titulaire, de par son grade, du poste d’un tribunal de deuxième classe est établie ; Que le requérant qui n’a pas fait l’objet de sanctions disciplinaires du premier degré, n’est pas non plus dans les cas prévus aux articles 90 et 91 précités ;

Que, dès lors, le décret attaqué n’ayant pas respecté les prescriptions légales, l’annulation est encourue ;

Par ces motifs :

Dit n’y avoir lieu à renvoi devant le Conseil constitutionnel ;

Annule le décret n°2020-1526 du 17 juillet 2020 portant nomination de Conseillers de Cours d’appel uniquement en ce qu’il a nommé Y..., matricule de solde n°611558/B, magistrat du 1er grade, 1er groupe, 4ième échelon, indice 3837, précédemment président du Tribunal d’Instance de Podor, comme conseiller à la Cour d’Appel de Thiès, même grade, même indice ;

Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre administrative de la Cour suprême, en son audience publique ordinaire tenue les jour, mois et an que dessus et où étaient présents :

PRESIDENT : ABDOULAYE NDIAYE ; CONSEILLERS : OUMAR GAYE, MBACKE FALL, JEAN ALOISE NDIAYE, IDRISSA SOW ; AVOCAT GENERAL : JEAN KANDE ; AVOCATS : MAITRES OUSMANE SEYE, IBRAHIMA DIAWARA, ASSANE DIOMA NDIAYE, MACODOU NDOUR, SAMBA AMETTI, MOÏSE MAMADOU NDIOR ; GREFFIER : CHEIKH DIOP


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8
Date de la décision : 10/03/2022

Parties
Demandeurs : M. Y...
Défendeurs : Etat du Sénégal

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;sn;cour.supreme;arret;2022-03-10;8 ?
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