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07/05/2020 | SéNéGAL | N°05

Sénégal | Sénégal, Cour suprême, 07 mai 2020, 05


Texte (pseudonymisé)
Ordonnance
n°05
Du 7/5/2020
Administrative
Affaire
n°J/188/RG/20
5/5/2020
- Ad Aq et 10 autres
(Mes Adnan Yahya,
Assane Dioma Ndiaye, Amadou Aly Kane,
Issakha Ndiaye,
Alioune Ndiaye,
Papa Djibril Kanté)
CONTRE
- Etat du Sénégal
(Agent judiciaire de
l’Etat)
RAPPORTEUR
Abdoulaye Ndiaye
PAR UET GENERAL Jean Aloïse Ndiaye
GREFFIER:
An Ai
C
Administrative
RECOURS
Référé-liberté REPUBLIQUE DU SENEGAL
AU NOM DU PEUPLE SENEGALAIS
COUR SUPREME
LE PRESIDENT DE LA CHAMBRE
ADMINISTRATI

VE DÉSIGNÉ EN QUALITÉ DE JUGE DES RÉFÉRÉS
SUR LA PROCEDURE DE REFERE-LIBERTE
A L’AUDIENCE PUBLIQUE SPECIALE
DE REFERE DU SEPT MAI DEUX MILLE VING...

Ordonnance
n°05
Du 7/5/2020
Administrative
Affaire
n°J/188/RG/20
5/5/2020
- Ad Aq et 10 autres
(Mes Adnan Yahya,
Assane Dioma Ndiaye, Amadou Aly Kane,
Issakha Ndiaye,
Alioune Ndiaye,
Papa Djibril Kanté)
CONTRE
- Etat du Sénégal
(Agent judiciaire de
l’Etat)
RAPPORTEUR
Abdoulaye Ndiaye
PAR UET GENERAL Jean Aloïse Ndiaye
GREFFIER:
An Ai
C
Administrative
RECOURS
Référé-liberté REPUBLIQUE DU SENEGAL
AU NOM DU PEUPLE SENEGALAIS
COUR SUPREME
LE PRESIDENT DE LA CHAMBRE
ADMINISTRATIVE DÉSIGNÉ EN QUALITÉ DE JUGE DES RÉFÉRÉS
SUR LA PROCEDURE DE REFERE-LIBERTE
A L’AUDIENCE PUBLIQUE SPECIALE
DE REFERE DU SEPT MAI DEUX MILLE VINGT
ENTRE :
e Ad Aq, né le … … … à GUEDIAWAYE, de nationalité sénégalaise, agent de sécurité incendie, demeurant 7 rue ancienne Gare militaire 91120 -France, agissant en qualité de fils de feu Ac Aq, né le … … … à Ao As ZAjB, titulaire d’un passeport sénégalais n°A01606810, décédé le 4 avril 2020 à Paris ;
Aa Ae épouse Lo, née le … … …, de nationalité sénégalaise, responsable de ménage, demeurant VIA ANTINIA GRAMSCI 22 GAGGIANO MIL (Italie), agissant en qualité d’épouse de feu Ah AJ, né le … … … à KEUR MBOUCKY (Sénégal), titulaire d’une carte d’identité sénégalaise numéro 11219690901000014 décédé le 30 mars 2020 en Italie ;
Y A X IN AL Al AG, ayant son siège social à VIA LODI VECCHIO 33 26900 LODI (Italie) représentée par son Président Monsieur Mamadou Lamine Diop, né le … … … à AG, de nationalité sénégalaise, demeurant VIA DELLA PRESONALA N44 BRESCIA (Italie) ;
Omar Ba né le … … … à Thiès, de nationalité sénégalaise, Chef d'entreprise, demeurant à Evry (France), 6 Ab At AI, titulaire de la carte d'identité sénégalaise, n°010719820902000221 ;
PENC MI SEN ACTIV, association soumise à la loi du 1” juillet 1901, dont le siège social est à La Celle-Saint-Cloud (78170 France) avenue de la Furie, immatriculée au Siret n°800 425 415, représentée par Meïssa Mbaye, en sa qualité de Président ;
Meïssa Mbaye né le … … … à MEKHE, de nationalité sénégalaise, Biologiste, demeurant à CELLE SAINT CLOUD (78170) 2 avenue Furie, titulaire de la carte d’identité sénégalaise, n°10719700617000085 ;
Aa AH né le …… … … à … de nationalité sénégalaise, Avocat inscrit au Barreau de Paris, demeurant … … … … …Paris), titulaire de la carte d'identité sénégalaise n°1 0719780801000158 ;
Ag Am né le … … … à …, … … … … … … … (France) titulaire de la carte d'identité sénégalaise n°10119750914000350 ;
Ar Af, né le … … … à Ap, de nationalité sénégalaise, employé de société, demeurant VIA LEONE 13 N°18 VERCURAGO LECCO (Italie), titulaire de la carte d’identité sénégalaise n°10719690302000518 ;
AM AK ITALIA SEZONE, association de droit italien, ayant son siège VIA MASSARITTI 46B 26100 CREMONA (Italie), représentée par son Président Ba Tamsir Ousmane ;
Ba Tamsir Ousmane, né le … … … à NDANDE, domicilié VIA MASSARITTI 46B 26100 CREMONA (Italie), de nationalité sénégalaise, titulaire de la carte d’identité sénégalaise n°10819611227000033 ;
Ayant pour Avocats Maître Adnan Yahya, Avocat à la Cour/Barreau du Sénégal, 32 rue Victor Hugo — BP 14.622 Dakar-Sénégal-Tel. 33 822 34 O9, maîtreyahya@gmail.com;
Maître Assane Dioma Ndiaye, Avocat à la Cour/Barreau du Sénégal, Route de l’Hôpital en face ANCAR -— Diourbel, Tel. 33 971 19 91, djigaconsulting@yahoo.fr ;
Maitre Amadou Aly Kane, Avocat à la Cour/Barreau du Sénégal, 12, Rue Marsat, Avenue Ak AH, amalikane2@gmail.com ;
Maître Issakha Ndiaye, Avocat à la Cour inscrit au Barreau de Paris, 6, rue Duret - 75116 Paris - issakha.juris@gmail.com, élisant domicile … cabinet de Maître Adnan Yahya Avocat à la Cour, 32 rue Victor Hugo — BP 14.622 Dakar-Sénégal — Tel. 33 822 34 09, maîtreyahya@gmail.com;
Maître Alioune Ndiaye, Avocat à la Cour aux Barreaux de Milan et Madrid, via Ed. De Amicis, n.61 — Milano (Italie) Tel 0039 329 409 5797-alnmb@gmail.com, élisant domicile … cabinet de Maître Adnan Yahya, Avocat à la Cour, 32 rue Victor Hugo-BP 14.622 Dakar-Sénégal — Tel. 33 822 34 09, maîtreyahya@gmail.com;
Maître Papa Djibril Kanté, Avocat/Lawyer au Barreau du Québec/Canada, n°3082059, 338, rue St Antoine Est, bureau 400 Montréal (Québec) H2Y 1A3 — Tel (514) 679-2206 -Copieur (514) 221-2453 — info@kanteavocat.com;
Les requérants élisant domicile … cabinet de Maître Adnan Yahya, pour les besoins de la précédente procédure ;
Demandeurs, D’une part,
e L’Etat du Sénégal, pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat, en ses bureaux sis au Ministère de l'Economie et des Finances, Boulevard de la République à Dakar ;
Défendeur, D’autre part,
Le Président de la Chambre administrative, désigné en qualité de juge des référés ;
Vu la requête reçue le 5 mai 2020 au greffe central par laquelle Ad Aq, Aa Ae, l’Y A X in AL Al AG, Omar Bâ, Penc mi Sen Activ, Meïssa Mbaye, Mbaye Diagne, Bocar Kanté, Ndiouga Mbow, Raddho Diaporo Italia Sezone, Ba Tamsir Ousmane, ayant comme Conseils Maîtres Adnan Yahya, Assane Dioma Ndiaye, Amadou Aly Kane, Issakha Ndiaye, Alioune Ndiaye, Papa Djibril Kanté, mais élisant domicile … l'étude de Maître Adnan Yahya, ont saisi le juge des référés aux fins :
- de juger qu’ils sont recevables et bien fondé en leur action ;
- de juger que la mesure de l’État du Sénégal du 9 avril 2020, par le biais du Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur interdisant le rapatriement au Sénégal des corps des ressortissants sénégalais décédés à l'étranger du Covid-19, porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales, notamment la liberté religieuse, la liberté de conscience, les libertés culturelles, l'intégrité physique ainsi qu'à la protection de la personne humaine ;
- de préserver les libertés fondamentales que sont la liberté religieuse et la liberté de conscience, ainsi que le principe de la protection de la personne humaine, en suspendant la mesure du Ministre de la Santé et de l'Action sociale et du Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur interdisant le rapatriement, au Sénégal, des corps des personnes décédées à l'étranger du Covid-19 ;
- d’enjoindre à l’État du Sénégal et le Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur d'autoriser le rapatriement et l'innumation au Sénégal, des dépouilles des Sénégalais décédés du Covid-19 :
° Ac Aq, né le … … … à Ao As ZAjB titulaire d’un passeport sénégalais n°’A0160 6810, décédé le 4 avril 2020 à Paris ;
° Ah AJ, né le … … … à Keur Mboucky, titulaire de la carte d’identité sénégalaise n°1121 96909010.00014 décédé le 30 mars 2020 en Italie,
dans le respect des protocoles sanitaires applicables pour les personnes décédées au Sénégal du Covid-19 au pays de départ et au Sénégal ;
- d’enjoindre à l’État du Sénégal et le Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur de prendre toutes mesures d'accompagnement utiles permettant, à chaque fois que les familles le demandent, le rapatriement au Sénégal des corps des ressortissants sénégalais décédés à l'étranger du Covil-19 ;
- de prendre toutes autres mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales, notamment la liberté religieuse, la liberté de conscience, les libertés culturelles, l'intégrité physique ainsi qu’à la protection de la personne humaine permettant le rapatriement et l'inhumation au Sénégal des dépouilles des sénégalais décédés du Covid-19 à l’étranger, dans le respect des normes d'hygiène et de sécurité applicables ;
Vu la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême ;
Vu l'exploit du 6 mai 2020 de Maître Malick Sèye Fall, huissier de justice à Dakar, portant signification de la requête ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Ouï Monsieur l’Agent judiciaire de l'État en ses conclusions à l’audience tendant au rejet du recours ;
Ouï Monsieur Abdoulaye Ndiaye, Président de chambre, en son rapport ;
Ouï Monsieur Jean Aloïse Ndiaye, avocat général, en ses conclusions tendant au rejet du recours ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que, selon les requérants, le 9 avril 2020 lors d’une conférence de presse commune, tenue dans le cadre de la lutte contre la propagation du Covid-19, par le Ministre de la Santé et de l'Action sociale et le Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur, ce dernier a pris la décision d'interdire le rapatriement des dépouilles des Sénégalais décédés à l'étranger du Covid-19 en affirmant notamment « Pareille occasion me permet d'attirer l'attention sur la nécessité d’un respect scrupuleux des directives sanitaires émises par les autorités des pays d'accueil renforcées par celles de l'Organisation mondiale de la Santé sans oublier les recommandations du Comité national de Lutte contre les Épidémies au Sénégal. C’est pourquoi, instruction a été données à toutes nos missions diplomatiques et consulaires de se rapprocher, sans délai, des autorités administratives et municipales des villes de résidence pour disposer, à chaque fois que de besoin, pendant cette période exceptionnelle, et que nous espérons bientôt derrière nous une sépulture dans les cimetières musulmanes ou catholiques pour nos fidèles défunts du Coronavirus » ;
Que dans son communiqué n°37 versé au dossier, le Ministre de la Santé et de l'Action sociale a indiqué que le Comité national de Gestion des Épidémies au sortir de sa séance du 6/04/2020 a émis les recommandations suivantes :
- les Comités régionaux de Gestion des Epidémies, avec l'appui des forces de défense et de sécurité doivent systématiquement mettre en œuvre leurs propres stratégies pour endiguer la propagation communautaire du Covid-19 ;
- au regard du fort risque de contagion liée à la manipulation des dépouilles, aucun transfert de corps provenant de pays infectés ne sera permis ;
Que les requérants, considérant que cette mesure pose une interdiction absolue et définitive du rapatriement des corps des ressortissants sénégalais décédés à l'étranger du Covid-19, ont introduit la présente procédure de référé-liberté ;
Considérant qu’à l’appui de leur recours, les requérants font valoir une urgence caractérisée, une atteinte grave à des libertés fondamentales, une atteinte manifestement illégale subdivisée en quatre points relatifs respectivement à la disproportion entre le contenu de la mesure et les buts poursuivis, à l'erreur manifeste d'appréciation, à l’erreur de fait : motifs factuels matériellement inexacts et enfin à l'atteinte à l’article 71 de la Convention Internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille;
Considérant que, pour établir l'urgence, les requérants soutiennent qu'elle est justifiée :
- par la nécessité de prendre une mesure visant à sauvegarder les libertés fondamentales à laquelle la décision ministérielle a porté atteinte de manière grave et illégale, la nécessité de lever la mesure contestée dans les plus brefs délais compte tenu du fait que les corps ne peuvent pas être indéfiniment conservés au risque d’une incinération, procédé insupportable pour les familles ;
- les difficultés de conservation des dépouilles, le risque d’inhumation définitive à l'étranger et la nécessité d’alléger la souffrance des familles éplorées exigent une réponse particulièrement rapide, les familles demeurant dans l'attente humainement très difficile d’une levée de l'interdiction de rapatriement des corps ;
Considérant que, se fondant sur les dispositions des articles 8 et 24 de la Constitution, les requérants font valoir que la décision a porté une atteinte grave à la liberté religieuse, à la liberté de conscience et aux libertés culturelles en faisant obstacle à la réalisation de la dernière volonté des défunts ou à la décision des familles des défunts de les inhumer au Sénégal ;
Qu'en outre, ils invoquent l’article 7 de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en ce que, le risque d’incinération des dépouilles constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux et les risques de contagion post mortem sont pris en compte dans les règles juridiques en matière de transport international de corps pour les États européens ;
Que les requérants ajoutent qu'il y a rupture d'égalité devant la loi et les règlements dès lors que les personnes décédées sur le territoire bénéficient du droit d’innumation dans les cimetières, l'interdiction de rapatriement des dépouilles de sénégalais décédés à l'étranger alors qu'ils sont protégés et transportés dans des conditions sécurisées constitue une rupture d'égalité et une mesure discriminatoire ; Que par ailleurs, selon les requérants la mesure viole l’article 13.2 de la Déclaration universelles des droits de l'homme de 1948 et l’article 12.4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 en ce qu’elle prive arbitrairement le droit de quitter son pays ou d’y revenir et porte une atteinte grave au droit du sol ;
Qu'’enfin les requérants invoquent l’article L 5 du Code de l'hygiène qui renvoie aux dispositions des règlements sanitaires pris par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) en citant les articles 21, 22 et 23 de la Constitution de l'OMS dont les dispositions n’interdisent pas le rapatriement des corps et en déduisent que la mesure attaquée est dépourvue de fondement juridique ;
Considérant que les requérants soutiennent qu’il y a une disproportion entre le contenu de la mesure et les buts poursuivis en ce que, les restrictions ou interdictions décidées par le Ministre devraient être strictement nécessaires et ne pas excéder de par leur nature ou leurs modalités d’une part et le but poursuivi étant d'éviter des risques de contamination, d'autre part ;
Que ce risque n'est pas établi et ne justifie en aucun cas l'obstacle définitif à l'exercice des libertés fondamentales ;
Qu'ils articulent également une erreur manifeste d’appréciation en ce que, le rapatriement est possible avec une préparation du corps et l'inhumation qui seront effectuées dans le respect de certaines précautions dont certaines sont déjà prises par des professionnels avant le départ pour le Sénégal ;
Considérant que les requérants soulèvent, par ailleurs, une erreur de fait : des motifs factuels matériellement inexacts en ce que, le Ministre des Affaires étrangères et des sénégalais de l'extérieur se réfère pour motiver son acte aux recommandations d'experts du gouvernement en matière de santé et de l'OMS alors que cette dernière n'a jamais recommandé ni directement, ni indirectement, le non- rapatriement vers leurs pays d’origine de corps de personnes décédées à l'étranger du Covid-19 ;
Qu'ils soulèvent, enfin, l’atteinte à l’article 71 en estimant que l'interdiction de rapatriement des corps de migrants sénégalais décédés du Covid-19 viole le droit au rapatriement des corps des migrants décédés reconnu par la Convention précitée ;
Sur l’urgence
Considérant qu’aux termes de l’article 85 de la loi organique sur la Cour suprême « Saisi d’une demande justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté dans l'exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;
Qu'il résulte de ce texte quatre conditions : une urgence, un acte ou comportement émanant d'une personne morale de droit public ou organisme privé chargé de la gestion d’un service public, un acte portant atteinte à une liberté fondamentale et une atteinte grave et manifestement illégale ;
Considérant qu’il y a urgence lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend ;
Qu'’en l'espèce, il y a urgence pour les requérants qui sont dans l'impossibilité de rapatrier les dépouilles, d’être fixés sur le sort définitivement réservé aux personnes décédées du Covid-19 à l’étranger ;
Sur l’acte ou le comportement de la personne morale de droit public
Considérant que le Ministre des Affaires Étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur a affirmé qu'instruction a été donnée à toutes nos missions diplomatiques et consulaires de se rapprocher sans délai des autorités administratives et municipales des villes de résidences pour disposer, à chaque fois que de besoin, pendant cette période exceptionnelle et que nous espérons bientôt derrière nous une sépulture dans les cimetières musulmans et catholiques pour nos fidèles décédés du coronavirus ; qu'il a ajouté qu’on ne peut rapatrier au Sénégal les personnes décédées du covid-19 ;
Que ce comportement de l'autorité administrative s’analyse en une décision d'interdiction de rapatriement des dépouilles des Sénégalais décédés à l’étranger du covid-19 ;
Sur l’atteinte grave à une liberté
Considérant qu’en vertu de l’article 24 de la Constitution, la liberté de conscience qui inclut la liberté religieuse, les libertés et pratiques religieuses ou cultuelles sont garanties à tous sous réserve de l'ordre public ;
Que la liberté d’organiser des funérailles relève des libertés individuelles ;
Qu'ainsi les libertés et droits prévus par la Constitution s'exercent dans les conditions fixées par la loi et leur exercice ne doit porter atteinte ni à l'honneur et à la considération d'autrui ni à l’ordre public ;
Considérant qu’en interdisant le rapatriement des corps des personnes décédées du covid-19 la décision attaquée porte atteinte nécessairement aux libertés invoquées ;
Sur l’atteinte manifestement illégale
Considérant qu’il y a erreur manifeste d'appréciation lorsque l’administration s’est trompée de manière grossière dans l'appréciation des faits qui ont motivé sa décision ;
Considérant que le principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi n'implique pas que des personnes placées dans des situations différentes soient traitées de manière identique et ne saurait être invoqué sur le fondement d’une ilégalité ;
Qu'en matière de pouvoir discrétionnaire comme c'est le cas, en l'espèce, le droit laisse à l'administration un libre pouvoir d'appréciation ;
Que l'opportunité de prendre les mesures de nature à sauvegarder la santé des populations relève de l'appréciation souveraine de l'autorité administrative, le juge administratif ne contrôlant que l'erreur manifeste d'appréciation et la proportionnalité ;
Que le risque de contagion ne peut être discuté sur le plan médical ou scientifique dès lors que des mesures de précaution et de sécurité particulières doivent être prises lors de la mise en bière ;
Que les corps des personnes décédées au Sénégal du Covid-19 préparées et transportées de Dakar vers d’autres villes du Sénégal par les services compétents aux fins d’innumation par rapport notamment au lieu, au transport et au suivi et contrôle par l'autorité administrative de la manipulation ne se trouvent pas dans la même situation que les corps des personnes décédées à l'étranger ;
Considérant que le moyen tiré de l'erreur de fait découlant des motifs factuels matériellement inexacts manque en fait puisque l'autorité administrative ne s’est pas fondée sur les recommandations de l'OMS pour prendre sa décision dont la motivation est le risque de contagion liée à la manipulation des dépouilles ;
Qu'il a plutôt attiré l’attention sur la nécessité d’un respect scrupuleux des directives sanitaires émises par les autorités des pays d'accueil renforcées par celles de l'OMS sans oublier les recommandations du Comité national de Lutte contre les Épidémies au Sénégal (CNLES) relativement aux mesures barrières ;
Considérant que la proportionnalité doit s'analyser dans un rapport entre la mesure prise et la protection de la santé des populations, but poursuivi par l'autorité administrative qui doit opérer un choix entre l'intérêt général et les intérêts des requérants pour l'exercice de leur liberté ;
Considérant que l’article 71 de la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille n’a pas vocation à s'appliquer pour autant qu’en temps normal l’État facilite le rapatriement des corps des travailleurs migrants ou des membres de leur famille décédés, tel n’étant pas le cas en période de covid-19 ;
Considérant qu’il y a lieu de relever que par décret n°2020-830 du 23 mars 2020 l’état d'urgence a été proclamé sur le territoire national du Sénégal ; que le décret 2020-925 du 3 avril 2020 porte prorogation de cet état d’urgence sur l'étendue du territoire national ;
Considérant que la loi n°69-29 du 29 avril 1969 relative à l’État d'urgence et à l’État de siège donne pouvoir à l'autorité administrative de prendre des mesures restrictives de la liberté individuelle ;
Que l’état d’urgence constitue un régime de légalité, en cas de crise, destiné à mettre à la disposition de l'administration les pouvoirs nécessaires au maintien de l’ordre ;
Considérant que pour motiver sa décision, le Ministre s'est fondé sur les risques de contagion liée à la manipulation des dépouiles (Communiqué n°37), les recommandations du CNLES en attirant l'attention sur la nécessité d’un respect scrupuleux des directives sanitaires émises par les autorités des pays d'accueil renforcées par celles de l'OMS ;
Considérant que le droit à la santé est consacré par l’article 8 de la Constitution du Sénégal ; qu’il appartient à l'autorité administrative de protéger le droit à la santé, de préserver l'ordre public et de garantir l'exercice des libertés et pour ce faire de prendre les dispositions prudentielles nécessaires dès lors que le risque de préjudice pour la santé est vraisemblable ;
Considérant qu’il ressort de l'examen des pièces du dossier que le risque de contagion liée à la manipulation des dépouilles des personnes décédées du Covid- 19 fait l’objet de controverses dans les milieux médicaux ;
Qu'il n'appartient pas à la Cour suprême encore moins au juge des référés de trancher une telle controverse ; qu'elle peut seulement constater qu’il existe des éléments permettant raisonnablement de suspecter un risque pour la santé quand bien même les normes existantes ou projetées, les mesures de précaution et de sécurité envisagées en cette matière seraient largement respectées ; que si ce risque ne peut être affirmé avec certitude, il ne peut non plus être exclu péremptoirement ;
Que dès lors que le risque est plausible, l'autorité administrative sur qui pèse l’obligation de protection de la santé prévue à l’article 8 de la Constitution et qui, en période d'état d'urgence, s'est fondée sur l'avis du CNLES, a légalement justifié sa décision ;
Qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter le recours ;
Par ces motifs,
Rejette la requête en référé-liberté introduite par Ad Aq et 10 Autres contre la décision du Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur d'interdire le rapatriement des dépouilles des Sénégalais décédés à l'étranger du Covid-19 ;
Fait en notre cabinet le 7 mai 2020
Le Président Le Greffier
Abdoulaye Ndiaye Cheikh Diop


Synthèse
Numéro d'arrêt : 05
Date de la décision : 07/05/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;sn;cour.supreme;arret;2020-05-07;05 ?
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