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25/07/2018 | SéNéGAL | N°30

Sénégal | Sénégal, Cour suprême, 25 juillet 2018, 30


Texte (pseudonymisé)
ARRÊT N°30 DU 25 JUILLET 2018



A B C

c/

ONOMO HOTEL





CONTRAT DE TRAVAIL – RUPTURE – LICENCIEMENT ABUSIF – SANCTION – ALLOCATION DE DOMMAGES ET INTéRÊTS – INTERDICTION DE FIXER LE MONTANT SUR LA BASE D’UN SEUL CRITèRE



N’a pas suffisamment caractérisé les éléments qui ont servi de base à l’évaluation des dommages et intérêts pour licenciement abusif, la cour d’Appel qui s’est déterminée sur la base, uniquement, de l’ancienneté.





La Cour suprême,



Après en

avoir délibéré conformément à la loi ;



Attendu, selon l’arrêt attaqué, que A B C, employé de la société AHD depuis le 1er septembre 2012 a été mis à pied pour huit jour...

ARRÊT N°30 DU 25 JUILLET 2018

A B C

c/

ONOMO HOTEL

CONTRAT DE TRAVAIL – RUPTURE – LICENCIEMENT ABUSIF – SANCTION – ALLOCATION DE DOMMAGES ET INTéRÊTS – INTERDICTION DE FIXER LE MONTANT SUR LA BASE D’UN SEUL CRITèRE

N’a pas suffisamment caractérisé les éléments qui ont servi de base à l’évaluation des dommages et intérêts pour licenciement abusif, la cour d’Appel qui s’est déterminée sur la base, uniquement, de l’ancienneté.

La Cour suprême,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que A B C, employé de la société AHD depuis le 1er septembre 2012 a été mis à pied pour huit jours, le 6 mars 2013, puis licencié le même jour pour faute lourde consécutive au contenu d’une lettre anonyme dont il serait l’auteur ; que la rupture a été qualifiée d’abusive ;

Sur le premier moyen, en sa première branche, pris du défaut de base légale ;

Attendu qu’ayant énoncé et relevé que « toutefois, même si le licenciement a été déclaré abusif, il ne peut être contesté que l’indemnité de licenciement qui n’est concevable que dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée ne pouvait être appréciée que pour la période du 1er septembre 2012 au 6 mars 2013, période durant laquelle les parties exécutaient un contrat à durée indéterminée », la cour d’Appel qui en a déduit que « pour cette période de 06 mois et 06 jours, A B C n’a pas accompli la durée de présence minimum de 12 mois donnant droit au paiement de l’indemnité de licenciement et ne pouvait pas avoir droit, en conséquence, à ladite indemnité » a fait l’exacte application de la loi ;

Sur le premier moyen, en sa seconde branche, pris du défaut de base légale ;

Attendu que c’est dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 196 du code des obligations civiles et commerciales, que les juges du fond ont refusé d’assortir la remise du certificat de travail d’une astreinte ;

D’où il suit, qu’en cette branche, le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen tiré de la violation de l’article L 56 du code du travail ;

Vu ledit article ;

Attendu que pour réformer de 5 000 000 frs à 1 500 000 frs le montant des dommages et intérêts, la cour d’Appel a énoncé que «( …) tout en soutenant un tel préjudice matériel et moral, A B C n’en a nullement rapporté les éléments de justification mais surtout le montant de 5 000 000 F déjà alloué par le premier juge étant incontestablement excessif dans la mesure où le préjudice qu’il est censé réparer n’a pas été établi à cette hauteur et n’était né que dans le cadre du contrat à durée indéterminée qui n’a duré que 6 mois et 6 jours du 1er septembre 2012 au 6 mars 2013 » ;

Qu’en se déterminant ainsi, au vu du seul critère portant sur l’ancienneté, la cour d’Appel n’a pas suffisamment caractérisé les éléments qui ont servi à l’évaluation des dommages et intérêts ;

Par ces motifs :

Casse, mais seulement, en ce qu’il a réformé le montant des dommages et intérêts, l’arrêt n° 486 rendu le 10 août 2016 par la cour d’Appel de Dakar ;

Renvoie la cause et les parties devant la cour d’Appel de Thiès ;

Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre sociale de la Cour suprême, en son audience publique tenue les jour, mois et an que dessus et où étaient présents Madame et Messieurs :

PRÉSIDENT : JEAN LOUIS PAUL TOUPANE ; RAPPORTEUR : JEAN LOUIS PAUL TOUPANE ; CONSEILLERS : AMADOU HAMADY DIALLO, AMINATA LY NDIAYE, AMADOU LAMINE BATHILY, IBRAHIMA SY ; AVOCAT GÉNÉRAL : OMAR DIèYE ; GREFFIER : MAÎTRE MACODOU NDIAYE.

Moyens annexés

1. Du premier moyen tiré du défaut de base légale

1ère branche

Attendu pour débouter M. A B C de sa demande en paiement d’indemnité de licenciement la cour d’Appel a énoncé ce qui suit : « Considérant que pour solliciter la confirmation du jugement attaqué sur le point de l’indemnité de licenciement, A B C s’est prévalu d’une présence de 2 ans 5 mois au sein de la société ;

Que toutefois, même si le licenciement a été déclaré abusif, il ne peut être contesté que l’indemnité de licenciement qui n’est concevable que dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée ne pouvait être appréciée que pour la période du 1er septembre 2012 au 06 mars 2013, période durant laquelle les parties exécutaient un contrat à durée indéterminée ».

Qu’en d’autres termes, le juge d’appel considère que l’indemnité de licenciement ne pouvait être réclamée que pour la période ou les parties exécutaient un contrat de travail à durée indéterminée ;

Qu’il en tire comme conséquence que M. A B C n’a pas accompli la période de référence ouvrant droit à l’indemnité de licenciement ;

Qu’en se déterminant ainsi, le juge d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Qu’en effet, l’article 30 de la CCNI dispose très clairement :

« en cas de licenciement par l’employeur, le travailleur ayant accompli dans l’entreprise une durée de service au moins égale à la période de référence ouvrant droit de jouissance au congé telle que fixée par la réglementation en vigueur, a droit à une indemnité de licenciement distincte du préavis.

Les travailleurs sont admis au bénéfice de l’indemnité de licenciement lorsqu’ils atteignent la durée de présence nécessaire à son attribution à la suite de plusieurs embauches dans la même entreprise, si leurs départs précédents ont été provoqués par une compression d’effectifs ou une suppression d’emploi. Dans ce cas, le montant de l’indemnité de licenciement est déterminé, déduction faite des sommes qui ont pu être versées, à ce titre, lors de licenciements antérieurs.

Cette indemnité est représentée, pour chaque année de présence accomplie dans l’entreprise, par un pourcentage déterminé du salaire global mensuel moyen des douze derniers mois d’activité qui ont précédé la date de licenciement.

On entend par salaire global, toutes les prestations constituant une contrepartie du travail, à l’exclusion de celles présentant le caractère d’un remboursement de frais.

Le pourcentage est fixé par année de services à :

- 25 % pour les 5 premières années

- 30 % pour les 5 années suivantes

-40 % pour la période s’étendant au-delà de la 10ème année.

Dans le décompte effectué sur les bases indiquées ci-dessus, il doit être tenu compte des fractions d’année ».

Que cet article est clair et ne fait aucune distinction en ce qui concerne l’ancienneté servant de base de calcul de l’indemnité de licenciement puisque c’est la totalité du temps de présence dans l’entreprise qui est prise en compte.

De plus, l’article 44 de la CCNI prévoit « qu’on entend par ancienneté le temps pendant lequel le travailleur a été occupé de façon continue pour le compte de l’entreprise quel qu’ait été le lieu d’emploi»

Qu’en l’espèce, aucune des parties n’a contesté que M. A B C a exercé ses activités de façon continue du 21 octobre 2010 au 06 mars 2013.

Qu’en décidant de ne pas prendre en compte la période antérieure au 1er septembre 2012 alors que les articles 30 et 44 ne font aucune distinction entre le CDD et le CDI en ce qui concerne le calcul du temps de présence dans l’entreprise, la cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Que pour toutes ces raisons, l’arrêt de la cour d’Appel doit être cassé pour défaut de base légale puisqu’il a ajouté à l’article 30 de la CCNI une condition non prévue par la loi pour la détermination de l’ancienneté dans l’entreprise ;

2ème branche

Attendu que débouter M. A B C de sa demande de remise ce certificat de travail sous astreinte, le juge d’appel a motivé sa décision comme suit :

 

Considérant que même si le certificat de travail n’a pas été délivré au moment du départ de l’entreprise et n’a pas contenu toutes les mentions exigées par l’article L 58 du code du travail, il n’a été nulle part rapporté la preuve d’un quelconque refus de remise du certificat de travail conforme de la part de la société AHD pour la demande de remise sous astreinte de cette pièce puisse être ordonnée ».

Attendu qu’en se déterminant ainsi, le juge d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision dans la mesure où il résulte de cet article L 58 du code du travail que le certificat de travail est portable et non quérable.

En effet, l’article L 58 du code du travail dispose que : « à l’expiration du contrat, l’employeur doit, sous peine de dommages et intérêts, remettre au travailleur, au moment de son départ définitif de l’entreprise ou de l’établissement, un certificat de travail contenant exclusivement la date de son entrée, celle de sa sortie, la nature et les dates des emplois successivement occupés, la catégorie de la convention collective dont le travailleur relève ».

Que la jurisprudence de la haute Cour est unanime sur ce point.

En effet, ce n’est que lorsque la remise n’est pas possible du fait du travailleur (abandon de poste par exemple), que la remise du certificat de travail dévient quérable.

Attendu qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que depuis le début de la procédure, M. C réclame son certificat de travail conforme.

Que le refus de remettre le certificat de travail au mémorant est manifeste puisque la société AHD avait également la possibilité de respecter cette prescription lors de la tentative de conciliation prévue par la loi ou même en cause d’appel ... mais elle ne l’a pas fait.

De plus, le juge ne pouvait pas renverser la charge de la preuve pour exiger du demandeur à l’action et au pourvoi la preuve que la société ABD n’a pas refusé de lui remettre un certificat de travail alors la loi prévoit qu’il appartient à l’employeur de remettre à M. C son certificat de travail au moment de la rupture de leurs relations contractuelles.

Qu’en exigeant du travailleur qu’il rapporte la preuve du refus de l’employeur de remettre un certificat de travail, le juge d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision qui de ce fait, encourt la cassation.

Sur le second moyen tiré de la violation de l’article l 56 du code du travail

Attendu que M. C a sollicité à titre de réparation la somme de 15 000 000 FRS.

Qu’à l’appui de sa réclamation, il a rappelé avoir été engagé pendant plus de deux ans dans la plus grande précarité.

Pis, il a été licencié brutalement sans aucun motif légitime alors qu’ils n’a jamais reçu la moindre sanction de son employeur.

Que le premier juge lui a alloué 500 000 Frs à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Attendu que pour fixer à 1 500 000 Frs le montant des dommages-intérêts dus à M A B C, la cour d’Appel a statué ainsi qu’il suit :

« que toutefois, non seulement tout en soutenant un tel préjudice matériel et moral A B C n’en a nullement rapporté les éléments de justification mais surtout le montant de 5 000 000 Frs déjà alloué par le premier juge étant incontestablement excessif dans la mesure où le préjudice qu’il est censé réparer n’a pas été établi à cette hauteur et n’étant né que dans le cadre du contrat à durée indéterminée qui n’a duré que 06 mois et 06 jours du 1er septembre 2012 au 06 mars 2013 ».

Attendu que cette motivation viole la loi ;

Qu’en effet, la cour d’Appel en fixant le préjudice matériel et moral subi par M. A C n’a tenu compte ni de tous les éléments, ni des droits acquis prévus par l’article L 56 du code du travail.

Qu’en effet, s’il est vrai que les juges du fond apprécient souverainement le montant des dommages et intérêts, il n’en demeure pas moins qu’ils doivent suffisamment motiver leur décision.

Or, en l’espèce, la cour d’Appel, a décidé que M. C n’a pas justifié le préjudice matériel et moral qu’il invoque alors qu’il est incontestable que le licenciement lui a causé un préjudice direct et certain.

Que ce faisant, elle a violé l’article L 56 du code du travail qui dispose que « le montant des dommages intérêts est fixé compte tenu de tous les éléments qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice causé et notamment lorsque la responsabilité incombe à l’employeur, des usages, de la nature des services engagés, de l’ancienneté du travailleur, de l’âge du travailleur et des droits acquis à quelque titre que ce soit ». Cf. Cour de Cassation 25 juillet 2001. TPOM n° 919 novembre 2002. Cote jurisprudence.

Qu’en effet, la cour d’Appel devait fixer les dommages et intérêts en tenant compte du préjudice matériel et moral incommensurable subi par M. C qui, il faut le rappeler, a été licencié sans aucun motif réel et sérieux.

Qu’en effet, après plus de deux années de bons et loyaux services rendu à son ex-employeur, M. C s’est retrouvé, du jour au lendemain, injustement privé de son emploi et sa rémunération ;

Que cet honnête père de famille et fidèle employé s’est donc retrouvé dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de sa famille, dans un contexte marqué par le chômage et la cherté de la vie.

Qu’à cela s’ajoute le préjudice moral incommensurable subi par M. C du fait de son licenciement intempestif ;

Qu’en effet, au-delà du caractère abusif du licenciement, c’est l’intention de nuire qui a caractérisé l’attitude de la société AHD, puisque les circonstances du licenciement du mémorant sont tant imprévisibles que vexatoires.

Que sur ce point, la Haute cour constatera que n’eut été son absence des lieux le jour où le vol aurait été perpétré dans l’hôtel, son employeur l’aurait rendu coupable.

De plus, son employeur l’a accusé d’avoir émis une lettre anonyme mettant en cause sa supérieure hiérarchique.

Pis, c’est durant sa mise à pied que M. C a été rappelé pour recevoir en main propre sa lettre de licenciement.

Par ailleurs, il convient de relever que M. C ne pourra jamais bénéficier d’une pension de retraite du fait qu’il a été employé pendant deux ans dans une extrême précarité.

De plus, le juge d’appel ne pouvait allouer 1 500 000 Frs à titre de dommages et intérêts en se fondant sur une ancienneté de 6 mois alors qu’il résulte des pièces régulièrement versées aux débats que M. C avait une ancienneté de deux ans et 6 mois.

Qu’ainsi, la cour d’Appel, qui ne s’est pas référée à tous ces éléments d’appréciation qui entrent nécessairement dans le calcul des dommages et intérêts, a violé les dispositions de l’alinéa 5 de l’article L 56 du code du travail.

Que c’est la solution retenue par la Cour suprême qui a décidé que :

« le montant des dommages et intérêts est fixé compte tenu de tous les éléments qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice causé et notamment, lorsque la responsabilité incombe à l’employeur, des usages, de la nature des services engagés, de l’ancienneté, de l’âge du travailleur et des droits acquis à quelque titre que ce soit ». (C Cass. Sénégal 25 juillet 2001. TPOM n° 919 novembre 2002).

Que l’on peut également se référer à l’arrêt de la Cour de cassation qui a annulé l’arrêt de la cour d’Appel qui, « après une confirmation partielle par adoption de motif du premier juge, réforme le montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement abusif, sans aucun motif et, en particulier, sans tenir compte de tous les éléments qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice. doit être cassé pour violation de la loi». (Cour de cassation arrêt n° 76 du 04 décembre 1991. Affaire Birame Ba / Aa Ab – Cote Jurisprudence)

Qu’il s’infère de tout ce qui précède que l’arrêt de la cour d’Appel doit être cassé pour violation de l’article L 56 du code du travail.

Que pour tous ces moyens dont chacun est un motif suffisant de cassation, il plaira à la Cour suprême casser l’arrêt n° 486 du 10 août 2016 rendu par la 1ère chambre sociale de la cour d’Appel de Dakar et renvoyer la cause et les parties devant la cour d’Appel de Dakar autrement composée, ou devant une autre cour d’Appel pour qu’il soit statué à nouveau.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30
Date de la décision : 25/07/2018

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL – RUPTURE – LICENCIEMENT ABUSIF – SANCTION – ALLOCATION DE DOMMAGES ET INTéRÊTS – INTERDICTION DE FIXER LE MONTANT SUR LA BASE D’UN SEUL CRITèRE


Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;sn;cour.supreme;arret;2018-07-25;30 ?
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