Réf. dossier III SPZP 3/05
DELIBERATION
prise en formation de 7 juges de la Cour Suprême
le 23 mars 2006
La Cour Suprême composée de:
Président de la CS Walerian Sanetra (Président)
Juge de la CS Beata Gudowska
Juge de la CS Zbigniew Hajn (rapporteur)
Juge de la CS Kazimierz Jaskowski (rapporteur, motifs)
Juge de la CS Roman Kuczynski
Juge de la CS Malgorzata Wrebiakowska-Marzec
Juge de la CS Andrzej Wróbel
Greffier d'audience Agnieszka Plachta
En présence du Procureur du Parquet National Iwona Kaszczyszyn
Statuant sur le pourvoi de M. Jan Kwasnik
sur la violation du droit de la partie à la procédure judiciaire à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable,
après avoir examiné en son audience tenue à la Chambre du Travail, de la Sécurité Sociale et des Affaires Publiques le 23 mars 2006
la question de droit ci-dessous, soumise par la Cour Suprême par la décision du 7 décembre 2005, réf. du dossier III SPZP 2/05:
«La décision du tribunal de degré supérieur au tribunal devant lequel se déroule la procédure civile, relative au recours formé au motif du retard injustifié de cette procédure (art. 4 al. 1 de la loi du 17 juin 2004 relative au recours fondé sur la violation du droit de la partie à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable, JO no 179 item 1843), ainsi que la décision du tribunal de district relative àla longueur excessive de la procédure d'exécution forcée ou d'une autre procédure d'exécution d'une décision judiciaire en matière civile (art. 4 al. 4 de la loi), sont-elles susceptibles d'appel?»
a pris la résolution suivante:
La décision judiciaire relative au recours fondé sur le retard injustifié de la procédure civile n'est pas susceptible d'appel (art. 8 al. 2 de la loi du 17 juin 2004 relatif au recours au motif de violation du droit de la partie à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable, JO no 179 item 1843),
et décide d'ériger en règle juridique le contenu de la résolution.
MOTIFS
La question juridique est apparue dans le contexte suivant. Le Tribunal de District de Rzeszów - Tribunal de Commerce, par son arrêt du 6 juillet 2005, VI S 3/05, suite à l'examen du recours de M. Jan Kwasnik pour motif de violation de son droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, a conclu à la longueur excessive de la procédure de mise en faillite de l'Usine de Fabrication du Matériel de Transport PZL - Mielec SA à Mielec, références du dossier V U 10/99, se déroulant devant le Tribunal de District à Rzeszów - Tribunal Commercial « au regard de la déclaration de créance détenue par Jan Kwasnik» et condamné le Trésor Public - Président du Tribunal de District de Rzeszów à payer au demandeur la somme de 500 PLN.
Le demandeur a formé un pourvoi en appel sur le point relatif à la réparation accordée, fixée à 500 PLN et non pas à 10.000 PLN qu'il avait sollicités, en demandant que le jugement soit reformé et la réparation portée à 10.000 PLN. En connaissant son recours, la Cour d'Appel a relevé une question de droit donnant lieu à d'importantes incertitudes, etl'a soumise à la Cour Suprême par sa décision du 9 septembre 2005, I ACz 650/05. La question de droit se résume à l'interrogation suivante: Est-ce que l'arrêt rendu en première instance suite au recours formé au motif du dépassement du délai raisonnable de la procédure principale, est susceptible d'appel?
2. En soumettant la question de droit à la formation élargie des juges (décision du 7 décembre 2005, III SPZP 2/05), la Cour Suprême a indiqué que la question de la Cour d'Appel avait pour origine les divergences d'interprétation apparues dans la jurisprudence de la Cour Suprême en ce qui concerne la loi du 17 juin 2004 relative au recours fondé sur la violation du droit de la partie à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable (JO no 179 item 1843, ci-après «loi sur le recourscontre la durée excessive»), et notamment son art. 8 al. 2. En vertu de ce dernier, le tribunal tranche tous les points non réglés par la loi sur le recourscontre la durée excessive en se fondant sur les dispositions qui régissent le traitement des recours incidents, spécifiques à la procédure principale pour laquelle la lenteur excessive est alléguée. La Cour Suprême indique que le contenu de la disposition précitée, de même que les arguments tirés des motifs présentés à l'appui du projet gouvernemental de la loi sur le recourscontre la durée excessive, ont donné lieu à deux prises de position dans la jurisprudence:
3. En premier lieu, l'arrêt rendu sur le recours contre la méconnaissance du droit à être jugé dans un délai raisonnable (ci-après le recours contre la durée excessive de la procédure) - indépendamment du fait de savoir si le tribunal rejette le recours ou conclut à la longueur excessive de la procédure - n'est pas susceptible d'appel, vu que:
a. La procédure ouverte suite au recours n'a pas d'objet autonome, du fait de constituer un élément de la procédure au fond (voir les motifs de la résolution prise en formation de sept juges de la Cour Suprême du 16 novembre 2004, III SPP 42/04, OSPN 2005 no 5, item 71).
b. Conformément aux dispositions de la loi sur le recourscontre la durée excessive, le recours est examiné dans le cadre d'une procédure à un degré; autrement dit, la loi n'accorde pas à la partie le droit d'interjeter l'appel de la décision rendue par le tribunal compétent pour statuer en vertu de l'art. 4 de la loi (voir la décision de la Cour Suprême du 1 avril 2005, SPK 19/05, OSNKW 2005 no 7-8, item 67).
c. Le recours relatif à la durée excessive de la procédure constitue un quasi-recours, et la procédure qu'il déclenche n'est pas une «cause nouvelle» (voir la décision de la Cour Suprême du 24 août 2005, V CNP 7/05, non publiée).
d. La procédure pour durée excessive de la procédure principale revêt un caractère incident, car son objectif n'est pas de juger une «autre cause», mais d'accélérer une affaire pendante. Par conséquent, les dispositions de la Constitution, qui instaurent le droit de recours contre les jugements et décisions rendus en première instance et prévoient que la procédure juridictionnelle est organisée au moins en deux instances, ne s'appliquent pas à cette procédure (voir la décision de la Cour Suprême du 3 octobre 2005, III SO 19/05, OSNP 2005 no 24, item 403).
e. Le jugement rendu à la suite d'un recours pour durée excessive de la procédure ne constitue pas un jugement qui met fin à l'instance rendu par une juridiction qui a connu l'affaire au premier degré. La procédure consécutive au recours doit s'analyser comme une procédure incidente qui vient se greffer sur l'affaire civile dont la lenteur est dénoncée; par conséquent, l'arrêt relatif à la durée excessive ne met pas fin à la procédure civile. L'arrêt portant sur le recours contre la durée excessive n'est pas susceptible d'appel, quelque ne soit la juridiction compétente de connaître le recours sur le terrain de l'art. 4 dela loi (voir la décision de la Cour Suprême du 3 octobre 2005, III SO 18/05, non publiée).
f. La disposition de l'art. 8 al. 2 de la loi sur le recourscontre la durée excessive n'est pas en contradiction avec l'art. 176 de la Constitution de la République de Pologne, qui organise la procédure juridictionnelle en deux instances. Il s'agit en fait d'une exception que la loi a pu instaurer (l'art. 78 de la Constitution) du fait que la procédure pour durée excessive ne concerne pas la responsabilité pénale, en se limitant à contrôler le respect du délai raisonnable (art. 45 al. 1 de la Constitution) (voir l'arrêt de la Cour d'Appel de Cracovie du 30 mars 2005, II AKz 92/05, Prok. i Prawo 2005 no 12, p. 29). La Cour d'Appel ne retient pas le soupçon de l'inconstitutionnalité alléguée de l'art. 9 al. 2 de la loi, et refuse de faire soumettre cette disposition à l'examen de constitutionnalité réalisé par la Cour Constitutionnelle.
4. En deuxième lieu, a d'autres occasions, la jurisprudence de la Cour Suprême prend le contre-pied de cette position, en affirmant que la procédure pour longueur excessive constitue une procédure en soi, et que les parties bénéficient par conséquent d'un droit d'appel (le droit de former un recours contre le jugement définitif) auprès d'un tribunal de niveau supérieur (voir les motifs de l'arrêt de la Cour Suprême du 28 juin 2005, III SPZP 1/05, OSNP 2005 no 19, item 312). Dans la sentence du jugement, la Cour Suprême déclare irrecevable un pourvoi en révision formé contre l'arrêt qui met fin à l'instance pour longueur excessive (en répondant ainsi à la question émanant d'une juridiction de second degré, de savoir si une procédure sur recours contre la lenteur excessive, achevée par un jugement passé en force de chose jugée, peut être réouverte). Dans les motifs de ce même arrêt - en invoquant l'art. 78 et l'art. 176 al. 1 de la Constitution de la RP, ainsi que l'art. 8 al. 1 en liaison avec l'art. 176 al. 2 de la Constitution de la République de Pologne - la Cour déclare cependant que l'arrêt rendu à la suite du recours au motif de la durée excessive de la procédure, qui constitue de fait une décision du tribunal du premier degré mettant fin à l'instance sur le fond, peut être attaqué devant un tribunal de degré supérieur en vertu de l'art. 394 § 1 première phrase CPC. Dans son jugement précité, la Cour Suprême constate que même si au sens fonctionnel le moyen tiré de la durée excessive de la procédure revêt systématiquement un caractère secondaire (dérivé) et en même temps incident par rapport à une autre procédure qui porte sur le litige principal (originaire et principale), néanmoins, au sens des règles de la procédure judiciaire, la procédure déclenchée suite au recours contre la durée excessive de la procédure«a un caractère d'une procédure indépendante» par rapport à la «procédure pour litige principal» qu'elle concerne. La Cour Suprême est d'avis que la disposition de l'art. 8 al. 2 de la loi ne permet pas d'assimiler le recours contre la longueur excessive de la procédure avec un appel.
5. En pointant cette divergence des positions quant à la légalité du pourvoi contre l'arrêt relatif au recours pour longueur excessive de la procédure, dans les motifs de la question de droit, la Cour Suprême souligne que même si les arrêts s'appuyant sur la deuxième des positions présentées, exprimée dans les motifs de l'arrêt III SPZP 1/05, sont moins nombreux, le poids des arguments en sa faveur - dont l'invocation de la Constitution de la République de Pologne - a amené les tribunaux qui tranchent les recours contre la durée excessive de la procédure à informer les parties qui ne se font pas accompagner par un avocat qu'elles peuvent se prévaloir du droit d'appel contre leur arrêt.
6. Le Procureur a demandé à la Cour de constater que dans les cas concernés par la question de droit, l'arrêt sur la lenteur excessive n'est pas susceptible d'appel.
La Cour Suprême a retenu ce qui suit:
7. Le délai raisonnable constitue l'une des composantes du procès équitable, garantissant à tout individu la possibilité d'exercer le droit à la justice instauré par la Constitution de la République de Pologne (art. 45, art. 77, al. 2 et art. 78 de la Constitution). Le droit à être jugé dans un délai raisonnable, comme l'un des éléments du droit à la justice, découle également de l'art. 6 al. 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, établie à Rome le 4 novembre 1950 (JO 1993, no 61, item 284).
Avant l'entrée en vigueur de la loi sur le recourscontre la durée excessive, le droit polonais ne connaissait aucun moyen de recours interne fondé sur la violation du droit à la justice à raison de la lenteur excessive de la procédure. La plainte auprès des autorités de la juridiction constituait le seul recours possible dans ce type de situations. Dans son arrêt dans l'affaire Kudla c. Pologne du 26 octobre 2000 no 30210/96 (LEX no 42804), la Cour Européenne des Droits de l'Homme a considéré que le moyen en question ne constituait pas de recours effectif permettant de faire valoir le grief du dépassement du délai raisonnable, constitutif de la violation de l'art. 6 de la Convention. La loi sur le recourscontre la durée excessive a introduit un moyen de recours interne conforme aux exigences de la Convention. Dans ses arrêts du 1 mars, rendu dans les affaires Charzynski c. Pologne et Michalak c. Pologne, la CEDH reconnaît que la loi en question instaure un recours interne effectif au sens de l'art. 13 de la Convention, et garantit une protection appropriée contre la lenteur excessive de la procédure judiciaire. Selon l'art. 13 de la Convention, toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.
8. La loi sur le recourscontre la durée excessive met en place deux mécanismes qui permettent de lutter contre le dépassement du délai raisonnable.Le premier correspond à un moyen à caractère processuel - la recours contre la durée excessive de la procédure - qui a pour objectif d'obliger le tribunal à trancher l'affaire (les art. 1-14 et l'art. 17 de la loi sur le recourscontre la durée excessive). Le deuxième mécanisme, fondé sur des dispositions relevant du droit matériel, permet à toute personne qui considère que son droit à la justice a été violé de se tourner contre l'Etat pour demander la réparation de son préjudice moral ou matériel causé par la lenteur excessive de la procédure(les art. 15 et 16 de la loi sur le recourscontre la durée excessive). Conformément à l'art. 15, la personne dont le recours contre la lenteur excessive a été jugé fondé, peut intenter une action indemnitaire distincte pour demander des dommages-intérêts au titre du préjudice subi en raison de la lenteur excessive, à l'encontre du Trésor Public ou - solidairement - du Trésor Public et de l'huissier de justice (al.1); la décision par laquelle la juridiction appelée à examiner le recours contre la lenteur excessive a reconnu la réalité de celle-ci, lie le juge qui aura à se prononcer sur la demande indemnitaire (al.2); l'art. 16 stipule par contre que la partie qui n'a pas introduit de recours au motif de la durée excessive de la procédure alors que la procédure sur le fond était encore pendante, peut demander, sur le fondement de l'art. 417 CC, la réparation du préjudice subi en raison de la longueur excessive après la clôture de la procédure principale.
La différence entre ces deux mécanismes tient à la fonction qui leur est dévolue. La recours contre la longueur excessive - en tant qu'un moyen ad hoc, incident, qui tend à accélérer la procédure, et ne peut être formé que lorsque la procédure sur le fond est encore pendante, doit garantir la réalité du droit à la justice dans le cadre d'une affaire entachée par la longueur de la procédure. Le deuxième mécanisme ne se réfère pas au droit à la justice - sauf
indirectement, puisqu'il fait courir à l'Etat d'avoir à payer la lenteur de ses administrations etl'incite ainsi à améliorer leurs performances - mais sert à garantir directement le respect d'un autre droit sauvegardé par la Constitution. Il s'agit du droit à la réparation des dommages causés par des actions illégales des pouvoirs publics (l'art. 77 al. 1 de la Constitution: «Chacun a droit à réparation du dommage qu'il a subi à la suite de l'action illégale des pouvoirs publics»). Par conséquent, il convient d'opérer une distinction entre les dispositions de la loi sur le recourscontre la durée excessive qui remplissent une fonction de droit public, en contraignant l'administration judiciaire à fonctionner de façon à garantir le droit à la justice, et les dispositions qui poursuivent un objectif relevant du doit privé - garantir une indemnité au cas où les organes de l'Etat pécheraient par défaut de diligence. Cette distinction est importante dans la mesure où autant une demande de réparation pécuniaire des dommages provoqués par la lenteur de la procédure constitue la cause définie dans l'art. 45 al. 1 de la Constitution («Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sans retard excessif, par un tribunal compétent, indépendant et impartial»), autant la démarche visant àdéclencher des mécanismes processuels incidents destinés à assurer un déroulement expéditif de l'action judiciaire visée par l'art. 45 de la Constitution ne saurait être assimilée à la cause au sens de cet article. Dans ce sens, la procédure pour lenteur excessive n'a pas d'objet autonome, mais constitue une des composantes de la procédure relative au fond. Le droit à la justice ne s'exerce pas dans l'affaire portant sur la lenteur excessive de la procédure, mais dans la procédure principale entachée par cette lenteur, et le recours contre la durée excessive n'est qu'un des mécanismes processuels qui imposent le respect de ce droit (sachant que l'exigence de connaître une affaire dans un délai raisonnable ne constitue, comme nous l'avons signalé plus haut, qu'un élément d'un droit plus large, à savoir du droit à la justice). Le fait qu'une procédure relative au recours contre la lenteur excessive concerne les intérêts d'une personne ne confère pas automatiquement à cette procédure la qualité de la «cause» au sens de l'art. 45 de laConstitution. Il faut souligner, comme l'a fait Z. Czeszejko-Sochacki (Droit à la justice à la lumière de la Constitution de la République de Pologne PiP 1997, cahier 11-12, p. 93), que la notion de la «cause» qui constitue l'objet du droit à la justice garanti par la Constitution est peu précise, et que par conséquent on ne peut pas se limiter à l'interprétation sémantique pour en exprimer pleinement le contenu.
9. Les déductions présentées ci-dessus s'appuient sur la distinction entre le mécanisme processuel de recours contre la lenteur de la procédure, qui a pour objectif direct de garantir un déroulement expéditif du procès, et qui remplit par conséquent une fonction de droit public, et les mécanismes qui visent à indemniser les dommages subis en raison de la lenteur excessive de la procédure, et qui n'influencent qu'indirectement la performance des pouvoirs publics. A ce stade, il faut se poser la question du bien-fondé de cette distinction fondamentale qui sert à classifier les affaires comme étant - ou non - la cause au sens de l'art. 45 de la Constitution. Il ne fait aucun doute que les dispositions de l'art 15 et de l'art. 16 de la loi sur le recourscontre la durée excessive, relatives à l'action en responsabilité connue dans le cadre d'une procédure civile distincte à deux niveaux, ont une fonction indemnitaire. La fonction du recours contre la lenteur excessive de la procédure demande par contre à être examinée.
Dans le cadre du recours, la partie a en fait le droit de demander: 1. de constater la lenteur excessive de la procédure au fond sur laquelle porte le recours (art. 6 al. 3 de la loi); 2. d'ordonner au tribunal inférieur qui connaît l'affaire au fond d'entreprendre des démarches concrètes dans des délais déterminés (art. 6 al. 3 de la loi), ainsi que 3. de lui accorder une indemnité pécuniaire dont il est question à l'art. 12 al. 4 de la loi (art. 6 al. 3 de la loi). Toutefois, pour que son recours soit recevable, le requérant doit demander au moins de constater la lenteur de la procédure; il peut, sans y être obligé, postuler en plus que la juridiction supérieure ordonne au tribunal qui connaît la cause principale de faire telle ou autre démarche, ou réclamer des dommages-intérêts. Le caractère facultatif de ces griefs a son pendant du côté du tribunal qui connaît le recours, en ce sens que ce dernier peut, mais n'est pas obligé d'ordonner au tribunal inférieur de procéder à certaines démarches, et peut, sans y être obligé, condamner l'Etat (l'huissier) à verser des dommages-intérêts. On en déduira que le recours pour lenteur excessive a pour fonction de garantir un déroulement expéditif de l'affaire au fond, en signalant au tribunal qui statue sur le fond qu'il a enfreint la loi par le rallongement de la procédure. La possibilité de donner des instructions au tribunal inférieur renforce l'efficacité de cette fonction du recours. Le tribunal supérieur, en plus de reprocher au tribunal saisi de l'affaire principale les erreurs qui ont provoqué la lenteur excessive de la procédure, lui ordonne en plus d'entreprendre certaines démarches et lui impose les délais de leur exécution.
10. Il nous reste à réfléchir sur la fonction que l'arrêt rendu suite au recours contre la lenteur excessive joue dans sa partie indemnitaire dont il est question à l'art. 12 al. 4 de la loi (conformément à cette disposition, le tribunal peut, à la demande du requérant, condamner le Trésor Public ou l'huissier de justice lorsqu'il s'agit d'un recours contre la procédure diligentée par celui-ci) à verser des dommages-intérêts dans les limites de 10.000 PLN; (lorsque c'est l'Etat qui est condamné, c'est le tribunal qui n'a pas respecté le délai raisonnable qui verse les dommages-intérêts sur son propre budget). Il faut insister qu'en dépit des apparences il ne s'agit pas là d'une fonction indemnitaire. Un octroi éventuel d'une « somme adéquate» correspond à une compensation préalable (provisoire), qui n'a pas la vocation à répondre à l'exigence constitutionnelle de réparer le préjudice causé par une action illégale des pouvoirs publics (l'art.77 al. 1 de la Constitution). Le caractère facultatif de ce versement, ainsi que le fait de le plafonner à un certain montant, sont autant d'arguments en faveur de cette thèse. Une «somme adéquate» peut être accordée dans les limites de 10.000 PLN (l'art. 12 al. 4 de la loi). La partie n'a pas en plus à motiver la demande de lui accorder ce montant; l'exigence de motiver (en présentant les arguments qui justifient la demande) ne concerne que la partie du recours par laquelle le requérant demande de reconnaître la lenteur excessive de la procédure (art. 6 al. 2 de la loi). Le requérant peut par contre demander la réparation des préjudices matériels et moraux subis du fait de la lenteur excessive de la procédure en intentant une action indemnitaire indépendante devant une juridiction civile. Il convient de rappeler à ce stade que l'action indemnitaire n'est pas subordonnée à la formation du recours contre la lenteur excessive de la procédure. L'analyse des art. 15 et 216 nous amène à constater que, en premier lieu, la réparation au motif du non respect du délai raisonnable peut être demandée que la partie ait ou non formé le recours pour lenteur excessive; qui plus est, la partie ayant obtenu des dommages-intérêts au titre du recours pour lenteur excessive et qui n'est pas satisfaite du montant adjugé, peut demander une augmentation dans le cadre d'une action indemnitaire. A la différence de la procédure sur le recours - qui revêt un caractère fortuit, incident - l'action indemnitaire constitue une procédure au fond, et, par conséquent, entièrement autonome (conclusion formulée sur le terrain de l'art. 15 al. 2 de la loi).
11. Même si l'on admet qu'en l'espèce il s'agit effectivement d'une nouvelle cause au sens de l'art. 45 de la Constitution, rien ne nous autorise à penser que la double instance devient dès lors un moyen de contrôle obligatoire de l'arrêt rendu suite au recours contre la lenteur excessive. Il est vrai que la Cour Constitutionnelle souligne l'existence d'un lien étroit entre l'art. 45 et l'art. 78, ainsi que l'art. 176 de la Constitution, qui exprime le principe de juridiction à deux degrés, mais elle précise en même temps que ce principe ne saurait être considéré comme l'un des éléments constitutifs de la garantie du droit à la justice, même s'il renforce le droit en question (voir l'arrêt du 18 mai 2004, SK 38/03, OTK-A 2004, no 5, item 45). Le Tribunal constate également qu' « aucun système juridique ne formule un droit à la justice absolu, qui ne serait soumis à aucune restriction et qui par conséquent donnerait à son titulaire la possibilité illimitée de protéger ses droits par voie judiciaire. Dans certaines situations, le droit à la justice peut entrer en conflit avec une autre norme constitutionnelle, protégeant une valeur aussi ou même plus importante du point de vue du fonctionnement de l'Etat» (idem, voir également l'arrêt de la Cour Constitutionnelle du 9 juin 1998, K 28/97, OTK 1998 no 4, item 50). Ce conflit apparaît dans le cas qui nous intéresse. Garantir que le recours contre la lenteur excessive sera connu dans le cadre d'une procédure judiciaire à deux niveaux, c'est empiéter sur le droit de l'individu de voir juger la cause principale - à l'égard de laquelle on soulève le grief de lenteur excessive - sans retard injustifié. En réfléchissant sur ce problème, il ne faut pas perdre de vue la spécificité de la procédure relative au recours, et notamment le fait qu'en tendant à l'accélération de la procédure principale, elle protège l'intérêt public, et contribue au respect du droit à la justice. Le risque de prolonger la procédure relative au recours par la superposition d'une deuxième instance va à l'encontre de l'essence même de ce outil juridique. Pour bien remplir sa fonction, la procédure relative au recours doit être réalisée rapidement et de manière efficace. Le déroulement expéditif sont la principale exigence qui se pose à cette procédure, et qui doit orienter son organisation. Dans l'arrêt du 16 novembre 1999, SK 11/99 (OTK 1999, no 7, item 158), la Cour Constitutionnelle a souligné que«la qualification constitutionnelle des moyens de recours mis à la disposition des parties par le législateur, doit tenir compte de l'ensemble des normes qui déterminent le déroulement de la procédure. En particulier, il est indispensable de prendre en compte la nature de la cause connue dans le cadre d'une procédure donnée, l'organisation et la spécificité des autorités qui prennent la décision, de même que l'impact d'autres principes et normes constitutionnels, notamment du droit constitutionnel à la justice».
12. En résumé, le recours contre la lenteur excessive est un moyen de lutte contre la durée anormale de la procédure. La création de cet outil doit garantir un respect plein et entier du droit à la justice uniquement en ce qui concerne le délai raisonnable du jugement au fond (cause principale). Dans le cadre de la procédure relative au recours contre la lenteur excessive, le juge ne se prononce pas sur les réclamations financières tirées de la lenteur excessive: la procédure relative au recours ne constitue en fait qu'un élément de la procédure quant au fond, dont elle tend à garantir un déroulement efficace. Le recours contre la durée excessive de la procédure ne constitue pas la cause au sens de l'art. 45 de la Constitution, et par conséquent n'est pas couvert par la disposition constitutionnelle qui organise la procédure juridictionnelle au moins en double instance (l'art. 176 al. 1 en liaison avec l'art. 45 de la Constitution).
13. Du fait d'être un moyen de procédure incident et préventif qui doit permettre de lutter contre la lenteur excessive de la procédure - et non pas un moyen de faire valoir des réclamations matérielles - le recours contre la longueur excessive de la procédure ne constitue pas de procédure autonome par rapport à la procédure sur le fond. Le tribunal qui examine le recours contre la longueur excessive n'ouvre pas de procédurenouvelle: l'objet du recours a un caractère dérivé, car il procède de la cause principale. Le tribunal d'instance supérieure ne connaît pas l'affaire dès le début, en se bornant à apprécier si le tribunal de première instance a respecté le délai raisonnable de la procédure. Le tribunal supérieur se comporte en fait en l'occurrence comme une juridiction de deuxième degré saisie d'une plainte contre une action ou d'une omission du tribunal inférieur. Au sens ontologique, cette action ou omission est identique à une action ou omission du tribunal de premier instance dénoncée par une partie dans le cadre d'une plainte «classique», à cette différence près qu'une plainte «classique» se réfère toujours à un acte précis du tribunal de première instance qui se concrétise par un arrêt (une décision). C'estla raison pour laquelle en conduisant la procédure déclenchée par un recours pour lenteur excessive le tribunal n'appliquera les dispositions sur la plainte spécifiques à la procédure principale d'indirectement; c'est la raison également pour laquelle le recours n'est par une plainte classique, mais une quasi-plainte. Du fait que le recours contre la lenteur excessive est toujours connu par un tribunal de deuxième degré, l'argument selon lequel la procédure pour lenteur excessive devrait être organisée en deux instances (voir l'art 78 de la Constitution, en vertu duquel «Chacune des parties dispose du droit de recours contre les jugements et décisions rendus en première instance»), tombe automatiquement.
14. La procédure pour lenteur excessive de la procédure s'est cristallisée en une procédure à un niveau. L'arrêt relatif au recours contre la lenteur excessive n'est pas susceptible d'appel, du fait que l'interprétation systémique des dispositions sur le recours conduit à exclure une telle possibilité. On ne peut conclure à l'existence des moyens d'appel en raisonnant par analogie aux instruments processuels qui n'existent que pour certaines procédures principales. Il serait difficile de concevoir que le législateur rationnel, qui a l'obligation de constituer un ensemble de normes ordonné et cohérent, puisse admettre que l'appel contre un recours relatif à la longueur excessive soit possible uniquement en matière civile. Même si pour la procédure civile la possibilité de faire appel contre le recours pour la longueur excessive peut être déduite des règles de procédure régissant l'appel contre les jugements statuant sur les incidents - en considérant, sur le terrain de l'art. 394
§ 1 CPC, que l'arrêt en matière de lenteur excessive constitue une décision de première instance définitive et susceptible d'appel selon les modalités applicables aux appels contre les jugements sur les incidents - cette possibilité n'existe pas en matière pénale ni administrative. Au pénal, seul un arrêt qui empêche de juger une affaire au fond (et la décision sur le recours contre la longueur de la procédure ne fait pas partie de ce type de décisions), et la décision relative aux mesures de sûreté, sont susceptibles de ce type d'appel. Pour les autres arrêts, il n'est possible que dans les situations expressément prévues par la loi. De manière analogue, l'art 194 de la loi du 30 août 2002 Droit de la procédure devant les juridictions administratives (JO no 153, item 1270 avec mod. ult.) instaure une liste exhaustive des arrêts sur les incidents susceptibles d'appel, et indique qu'aucun autre arrêt n'est attaquable par cette voie, sauf stipulation légale expresse. Aucune disposition du code pénal, du droit régissant la procédure administrative, et à fortiori de la loi sur le recourscontre la durée excessive, ne donne à la partie le droit de se pourvoir contre la décision sur la lenteur excessive. L'organisation des juridictions administratives fait qu'il n'existe aucune juridiction supérieure au tribunal connaissant les recours - la Haute Cour Administrative - qui pourrait prendre en charge l'appel. De manière analogue, étant donné la structure des juridictions judiciaires, aucun tribunal n'est habilité à examiner les appels des décisions en matière de longueur excessive prises par la Cour Suprême.
L'interprétation systémique nous amène à penser que puisque la loi sur le recourscontre la durée excessive crée un outil juridique s'appliquant à toutes les procédures judiciaires et d'exécution, si le législateur voulait permettre d'attaquer les décisions en matière de longueur excessive, il aurait prévu des moyens de procédure adéquats pour tous les types de procédure judiciaire. L'absence de tels moyens signifie que la procédure relative au recours contre la longueur excessive doit se dérouler à un seul niveau.
15. L'adoption d'une procédure à un seul niveau exprime la nature et le sens du recours contre la longueur excessive. La recours a pour objectif d'accélérer, avec effet immédiat, la procédure au fond. Cet objectif serait compromis si l'examen du recours impliquait deux niveaux de juridiction. Les dispositions de la loi qui imposent des délais très stricts de dépôt et d'échange de documents, corroborent la thèse selon laquelle l'objectif premier recherché par le législateur consistait à garantir un déroulement expéditif de la procédure (le tribunal saisi du recours le transmet sans délai au tribunal compétent en l'accompagnant du dossier de l'affaire principale - l'art. 7 de la loi), et fixe un délai très court pour l'examen du recours (le tribunal rend son arrêt sur le recours contre la longueur excessive dans un délai de deux mois à compter de la formation du recours - l'art. 11 de la loi).
16. Si l'appel était possible, la loi aurait dû définir le délai de l'examen de celui-ci, de la même façon qu'elle l'a fait pour le recours lui-même (art.11). De façon analogue, le montant des frais judiciaires aurait été défini selon les mêmes modalités que les frais judiciaires au titre du recours (art. 17 al.1). En troisième lieu, la loi ordonnerait un transfert immédiat de l'appel au tribunal d'instance supérieure, comme elle le fait pour le recours (art. 7).
L'absence de ces dispositions nous amène à penser que, conformément à l'art. 8 al. 2 de la loi sur le recourscontre la durée excessive, les dispositions du Code Civil relatives aux voies de recours contre les jugements sur les incidents ne s'appliquent pas au recours contre la lenteur excessive de la procédure. La recevabilité d'un appel est en faite réglée dans la loi sur le recourscontre la durée excessive de façon négative, c'est-à-dire par l'absence des dispositions sans lesquelles en tentant d'appliquer les dispositions du Code Civil sur ce point on entrerait inévitablement en conflit avec les dispositions de la loi sur recours contre la lenteur excessive.
Pour exclure l'appel, il n'était pas nécessaire que la loi sur le recourscontre la durée excessive comporte une disposition expresse dans ce sens. La question a été en fait résolue de façon indirecte, en passant sous silence les questions qui auraient dû être réglées si le pourvoi en appel avait été possible. La disposition régissant l'examen du recours pour lenteur excessive a un caractère mixte - elle est régie partiellement par la loi sur le recourscontre la durée excessive, partiellement par le Code de Procédure Civile (art. 8 al. 2 de la loi). Nous pouvons affirmer que sil'appel avait été effectivement prévu, il aurait été soumis à des dispositions analogues.
17. Il convient de souligner en plus que l'exclusion du contrôle des jugements sur les incidents n'est pas une mesure exceptionnelle. A titre d'exemple, conformément aux dispositions du Code de Procédure Civile, la partie ne peut attaquer ni la décision qui la condamne à une peine d'amende, ni le rejet d'une demande de récusation de juge ni, non plus, le rejet d'une plainte sur les incidents (art. 394 § 1 CPC). La partie ne peut se pourvoir de la décision en matière de mesures conservatoires, si elle a introduit sa demande au cours de la procédure en deuxième instance (art. 741 en liaison avec l'art. 734 CPC; la décision en question prise en deuxième instance peut conduire à la saisie d'un bien immeuble, d'un salaire ou d'une créance sur le compte bancaire, à constituer une hypothèque judiciaire ou à interdire de céder ou de grever le bien immobilier de quelque façon que ce soit (art. 747 CPC).
18. Loin de porter atteinte aux intérêts légitimes de l'individu, la procédure d'examen du recours contre la lenteur excessive de la procédure à un niveau contribue à les sauvegarder. Comme nous le démontrons ci-dessus, le recours tend à accélérer une procédure au fond qui se prolonge, alors qu'elle est encore pendante; il n'a pas pour vocation de satisfaire aux réclamations financières tirées de la longueur excessive de la procédure. La partie dont le recours a été jugé fondé, atteint immédiatement son objectif du fait que la décision en matière de recours est inattaquable. Par cette décision, le requérant acquiert la certitude que son droit à la justice a effectivement été violé, qu'il a eu raison de demander au tribunal d'accélérer le jugement de sa cause, et - si le tribunal d'instance supérieure prend les dispositions appropriées - il obtient en plus l'assurance que les démarches qui s'imposent seront entreprises dans un délai défini par le tribunal supérieur. Si le recours porte en même temps sur les dommages-intérêts, et que le tribunal les accorde pour un montant inférieur aux espérances du requérant, celui-ci peut s'appuyer sur l'art. 15 de la loi pour introduire une action indemnitaire dans le cadre d'une procédure à deux niveau et demander une réparation plus complète du dommage subi. Le cas échéant, le tribunal qui conduit la procédure indemnitaire est lié par la décision du tribunal sur la réalité du dépassement du délai raisonnable. L'absence de voies d'appel ne crée pas de risque majeur au cas où le recours contre la lenteur excessive serait rejeté comme infondé, vu que passé le délai de 12 mois le requérant peut réintroduire un recours concernant la même cause, ce délai étant de 6 mois pour la procédure d'exécution ou d'application d'une décision judiciaire (art. 14 de la loi).
Il n'y a pas lieu de déduire à contrario de l'art. 15 al. 1 de la loi que la partie dont le recours a été rejeté ne peut réclamer la réparation du préjudice causé par la lenteur excessive dans le cadre d'une action indemnitaire indépendante. Cette disposition souligne tout simplement que le recours contre la lenteur excessive n'épuise pas les moyens par lesquels la partie peut défendre son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable. Elle met en exergue le fait que même lorsque son recours a abouti, la partie peut toujours faire valoir ses réclamations matérielles en intentant une action au civil pour dommages causés par une action illégale des pouvoirs publics. Le contenu effectif de cette disposition se réduit donc à constater que le recours pour durée excessive n'est qu'un de nombreux moyens de recours liés à la lenteur de la procédure prévus par le système juridique. Qu'un recours soit réputé irrecevable ou infondé n'interdit pas non plus de demander de dommages-intérêts dans le cadre d'une procédure indemnitaire indépendante. Le fait que l'arrêt constatant la lenteur excessive de la procédure s'impose au tribunal qui statue au civil (art. 15 al. 2 de la loi) facilite à la partie les démarches visant à obtenir la réparation des dommages subis. La disposition de l'art. 15 al. 2 signifie que le tribunal qui conduit la procédure indemnitaire sur le plan civil est lié par la décision qui reconnaît la recours contre la lenteur excessive, mais non pas par celle qui le rejette. Il s'agit d'une construction analogue à celle instaurée par l'art. 11 CPC, en vertu duquel seul le jugement de condamnation prononcée par une juridiction pénale et passé en force de chose jugée lie le tribunal civil, alors que le jugement d'acquittement n'a pas cet effet.
19. Il faut avoir présent à l'esprit que la partie adverse de la procédure au fond est également intéressée à ce que celle-ci prenne fin dans des délais raisonnables. Introduire des voies de recours contribuerait à rallonger la procédure au fond et porterait atteinte à cet intérêt. En pratique, les parties sont plus au moins intéressées par un dénouement rapide de la procédure. Le fait de déposer un recours contre la lenteur excessive n'est pas systématiquement significatif du souhait de voir son affaire expédiée rapidement. Le geste du requérant peut au contraire être dicté par des velléités dilatoires, éventuellement par le désir d'obtenir une réparation pécuniaire du Trésor public (l'huissier de justice). Les deux parties de la procédure principale ont le même droit à un jugement dans un délai raisonnable. La procédure en matière de recours contre la lenteur excessive rallonge le délai de la procédure principale. Pour protéger la partie qui ne dépose pas le recours, la procédure incidente consécutive à celui-ci se doit d'être la plus expéditive possible.
20. La nécessité de protéger les intérêts du Trésor public et de l'huissier de justice ne peut pas prêcher en faveur d'une procédure à deux niveaux. L'arrêt sur recours contre la lenteur de la procédure peut en fait les commander à verser une somme d'argent, plafonnée à 10.000 PLN, au titre de réparation provisoire du préjudice causé par la lenteur excessive. La partie lésée peut également leur réclamer solidairement une réparation des dommages matériels et des préjudices moraux subis dans le cadre d'une action indemnitaire distincte; la reconnaissance de la lenteur excessive intervenue antérieurement lie le tribunal qui connaît l'action indemnitaire, en l'empêchant de remettre en question la réalité de la lenteur excessive (art. 15 al. 1 et 2 de la loi).
La responsabilité du Trésor public et de l'huissier de justice découle de leurs interventions de puissance publique. Le Trésor public, responsable des actions ou des omissions illégales commises lors de l'exercice de ses fonctions publiques, n'apparaît pas comme un sujet des rapports de droit civil à caractère patrimonial placé sur un pied d'égalité avec les autres sujets de droit (art. 33 CPC). La responsabilité du Trésor public au titre de violation du droit des parties à un jugement rendu dans un délai raisonnable se situe sur le terrain de imperium, et non pas de dominium de l'Etat. Les procédures d'exécution constituent également un acte de puissance publique, lié étroitement au droit à la justice, et plus précisément au droit à l'exécution des décisions judiciaires. En matière de mesures d'exécution, l'huissier de justice est doté de l'autorité publique. Ses attributions sont celles d'une puissance publique et il a la qualité d'un officier ministériel. Il faut distinguer la question de la position juridique de l'huissier en tant que représentant de l'Etat (organe d'exécution des décisions judiciaires) de sa situation personnelle et patrimoniale de titulaire d'une charge publique exercée dans un cadre libéral (art. 3a de la loi du 29 août 1997 sur les huissiers de justice et les procédures d'exécution, JO 133, item 882 avec mod. ult.). Cette position ne signifie pas pour autant qu'en devenant débiteur d'une obligation de réparer un préjudice survenu suite à une action ou à une omission illégale commise dans l'exercice de ses fonctions (art. 23 al. 1 de la loi sur les huissiers de justice), l'huissier de justice devrait être traité comme les autres parties (privées) des rapports de droit civil (voir les motifs de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle du 20 janvier 2004, SK 26/03, OTK-A, cahier 1, item 3).
L'art. 45 de la Constitution qui établit le droit à la justice, fait partie du chapitre II régissant - comme l'annonce le titre - les «libertés, droits et obligations de l'homme et du citoyen», et apparaît parmi les articles qui déterminent les «libertés et les droits individuels». Comme l'indique la Cour Constitutionnelle (voir les motifs de l'arrêt du 21 mars 2005, P 11/04, OTK-A 2005, cahier 3, item 32), le droit à la justice ne peut être appliqué automatiquement à l'ensemble des organes publics ni, à fortiori, traité comme un moyen de protection des sujets de droit public. Autrement dit, en se basant sur l'art. 45 de la Constitution «il s'avère impossible d'en déduire un droit à la justice de portée si large, qu'il puisse être invoqué également par des organes publics pour les affaires liées à l'exercice de leurs attributions». On remarquera, par conséquent, que le Trésor public et l'huissier de justice, pour une affaire qui concernerait le recours contre la lenteur excessive de la procédure, ne peuvent se prévaloir du droit de faire appel en invoquant le principe constitutionnel de double instance (art. 176 al. 1 en liaison avec l'art. 45 de la Constitution). La garantie que toutes les causes seront connues en double instance procède d'un principe plus large, exprimé dans l'art. 45 de la Constitution, et qui constitue l'une des garanties du procès équitable destiné à trancher les affaires des particuliers, et non pas d'un organe de l'Etat.
Il convient de souligner en plus que le constat de la lenteur excessive suite au recours ne sert pas uniquement les intérêts du citoyen qui dénonce le manque de diligence d'un organe public (l'huissier), mais protège également l'intérêt public, et, partant, celui de l'Etat. Le Trésor public n'est pas intéressé à ce qu'un arrêt illégal passé en force de chose jugée soit maintenu, et par conséquent n'est pas partie à la procédure engagée pour motif d'illégalité d'une
décision judiciaire exécutoire (résolution prise en formation de 7 juges de la Cour Suprême du 23 novembre 2005, III BZP 2/05, non publiée); le Trésor public n'a pas non plus d'intérêt à défendre les organes publics qui violent le droit constitutionnel d'accès à la justice par des actions illégales.
Il importe également de rappeler que c'est l'Etat lui-même (à la fois en ce qui concerne le constat de lenteur excessive de la procédure que la possibilité de demander «une somme d'argent appropriée» dans le cadre du recours), qui a défini la procédure de recours (voir point 15) de façon à rendre inattaquable la décision du tribunal en matière de lenteur excessive de la procédure principale. Autrement dit, l'Etat lui-même a «consenti» à renoncer à ce droit.
21. Il faut partir du principe que l'instauration de deux niveaux de procédure sur recours contre la lenteur excessive n'est pas une condition indispensable pour reconnaître la conformité du «moyen de recours interne» avec les exigences de l'art. 13 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. Dans les arrêts évoqués au point 7, la Cour européenne constate que la procédure de recours à un seul niveau, prévue par la loi polonaise, constitue un moyen de recours interne efficace dont il est question à l'art. 13 de la Convention. Dans l'arrêt Klass et autres contre l'Allemagne du 6 septembre 1978 (Reports Série A no 28, p. 31, § 69), la Cour européenne constate que l'exigence d'«un moyen de recours efficace doit être interprétée comme concernant «un moyen de recours qui est efficace dans la mesure du possible, c'est-à-dire en tenant compte de la portée du recours dans les circonstances données». Elle insiste en plus sur le fait que (l'arrêt Kudla c. Pologne) l'efficacité d'un moyen de recours au sens de l'art. 13 ne dépend pas de la certitude d'obtenir un résultat favorable pour le requérant. «L'autorité» évoquée dans cet article n'est pas forcement une autorité judiciaire, et si elle ne l'est pas - le pouvoir dont elle dispose et les garanties qu'elle est à même d'apporter sont pris en compte pour déterminer si le moyen de recours est oui ou non efficace. En plus, «même si un moyen de recours individuel ne remplit pas en soi les exigences de l'art. 13, la somme de moyens de recours garantis par le droit national peut le faire.»
Par conséquent, même si l'on conclue que les garanties de réparer une violation du droit à la justice au sens large ne sont pas pleinement réunies dans le cadre de la seule procédure sur le recours contre la lenteur excessive, ont doit reconnaître qu'une protection pleine et entière de cette valeur constitutionnelle et conventionnelle est assurée globalement par une série de moyens prévus par le droit polonais. En plus du recours, en font partie notamment l'action indemnitaire dans le cadre d'une procédure civile à deux degrés, ainsi que la possibilité dont dispose la partie de faire d'actionner les instruments de contrôle administratif des tribunaux. Il faut ajouter que conformément à l'art. 37 § 4 de la loi du 27 juillet 2001 - Droit sur l'organisation des juridictions judiciaires (JO no 98, item 1070 avec mod. ult.), le Ministre de la Justice et les Présidents des tribunaux peuvent dénoncer tout manquement aux règles de déroulement de la procédure par courrier auprès du juge fautif, et exiger un redressement de la situation dans les meilleurs délais. Le juge mis en cause dispose d'un délai de 7 jours pour introduire son opposition auprès de l'organe émetteur de la sommation et, nonobstant celle-ci, doit éliminer les effets du manquement.
2. En conclusion, on constate ce qui suit:
- la loi sur le recourscontre la durée excessive ne prévoit pas la possibilité d'attaquer l'arrêt portant sur la lenteur excessive de la procédure civile;
- cette situation n'enfreint pas l'art. 45 al. 1, l'art. 78, ni l'art. 176 al. 2 de la Constitution.
Sur ce, la Cour a statué comme dans la sentence.