No de pourvoi I CK 273/05
ARRÊT
AU NOM DE LA REPUBLIQUE DE POLOGNE
Le 25 janvier 2006
La Cour suprême composée de :
Juge Tadeusz Wisniewski (président)
Juge Gerard Bieniek (rapporteur)
Juge Irena Gromska-Szuster
Greffier Beata Rogalska
dans l'affaire introduite par le pourvoi de M. Stanislaw Grzybowski
à l'encontre du Trésor Public représenté par le Ministre de l'Economie, l'ancien Ministre de l'Economie et de l'Emploi
en paiement des dommages-intérêts,
après en avoir connu par la Chambre civile à l'audience du 25 janvier 2006,
de la cassation du demandeur contre l'arrêt de la Cour d'appelde Varsovie du 21 octobre 2004, réf. dossier I ACa 150/04,
rejette le pourvoi et condamne le demandeur aux dépens de cassation d'un montant de 5.400 PLN.
M o t i f s
Le Tribunal régional par son jugement du 7.11.2003 a rejeté la demande de M. StanislawGrzybowski dirigée à l'encontre de Trésor Public - Ministre de l'Economie en paiement d'une somme de 437.169,33 PLN à titre de dommages-intérêts pour manque à gagner ainsi que la valeur des machines reprises par le Trésor Public. L'appel du demandeur attaquant ce jugement a été rejeté par la Cour d'appel par son arrêt du 21.10.2004.
Par sa décision du 5.04.1994, le Ministre de l'Industrie et du Commerce en application de l'article 156 § 1 point 2 en relation avec l'article 157 § 1 et 2 ainsi que l'article 158 § 1 C. proc. adm. en relation avecl'article 7 alinéa 4 de la Loi du 28.06.1991 instituant la fonction du ministre de l'Industrie et du Commerce, a conclu à la nullité de l'arrêté du Ministre de la Petite Industrie et de l'Artisanat du 20.08.1952 relatif au placement forcé sous l'administration étatique de l'entreprise : Fabryka Przetworów Owocowych iWarzywnych à Rakoniewice, propriété de M. Stanislaw Grzybowski. Par une décision suivante du 11.03.1996, le Ministre de l'Industrie et du Commerce a refusé d'accorder une indemnité de réparation aux héritiers de M. Stanislaw Grzybowski. Le 15.04.1996 ses héritiers ont assigné, en application de l'article 160 § 4 C. proc. adm., le Trésor Public - Ministre de l'Industrie et du Commerce en paiement de la somme de 403.135 PLN à titre des dommages-intérêts pour la perte éprouvée survenue par la suite de la décision administrative délivrée en infraction à l'article 156 § 1 C. proc. adm. Le Tribunal régional par son jugement du 20.06.2000 - en faisant droit à cette demande - a condamné le Trésor Public - Ministre de l'Economie à payer à chacun des demandeurs: M. Stanislaw Grzybowski, Mme JuliaBelina et M. Waclaw Grzybowski un montant de 27.561 PLN, en rejetant les prétentions plus amples. Cette décision était fondée sur une expertise, non contestée par les parties, où la perte éprouvée par les demandeurs avait été estimée par l'expert judiciaire à 82.683 PLN.
Il a été établi que l'entreprise de M. Stanislaw Grzybowski était, jusqu'à présent, exploitée par la société Przedsiebiorstwo Produkcyjno-Handlowe "Rekwin" à Rakoniewice à laquelle les héritiers de M. Stanislaw Grzybowski ont réclamé de leur restituer l'entreprise. Le 9.09.1995 les parties ont passé une transaction en exécution de laquelle l'entreprise a été remise aux héritiers M. Stanislaw Grzybowski qu'ils ont ensuite, le 22.09.1995, revendue aux associés de la société "Rekwin".
En rejetant cette demande le Tribunal régional a relevé que conformément à l'article 160 § 5 C. proc. adm., les demandeurs n'avaient droit aux dommages-intérêts que pour la perte réellement subie. A l'issue de la procédure I C 708/96 définitivement terminée par le jugement du 20.06.2000, les demandeurs ont obtenu l'indemnisation compensatoire pour ce préjudice. Par conséquent, il n'y avait pas d'arguments pour retenir leur demande. De même, l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 23.09.2003 K 20/02 ne pouvait pas en fournir puisqu'il n'était applicable qu'aux préjudices survenus après la date du 17.10.1997. La Cour d'appel a partagé cette opinion en relevant que les demandeurs avaient déjà obtenu des dommages-intérêts compensant la perte éprouvée à l'issue de la procédure I C 708/96 en application de l'article 160 §1 C. proc. adm. Cette disposition était la base juridique applicable à l'époque où le préjudice est survenu, car la décision prononçant la nullité de l'arrêté relatif au placement forcé sous l'administration étatique datait du 5.04.1994. L'arrêt de la Cour constitutionnelle précité qui a reconnu l'article 160 § 1 C. proc. adm. contraire à l'article 77 alinéa 1 de la Constitution dans la mesure où il limitait l'indemnisation à la perte réellement subie, ne s'appliquait qu'aux préjudices apparus après le 17.10.1997. Il n'y avait donc pas de fondements juridiques pour adjuger une indemnisation plus élevée.
Le demandeur a attaqué l'arrêt de la Cour d'appel, par pourvoi en cassation, d'avoir enfreint l'article 417 C. civ. et l'article 77 de la Constitution. Il sollicitait soit de reformer l'arrêt en retenant sa demande, soit de l'infirmer et renvoyer à la Cour d'appel.
La Cour suprême prend en considération ce qui suit :
Le cadre juridique régissant la responsabilité du Trésor Public des préjudices causés par suite des décisions administratives définitives illégales a subi récemment des modifications substantielles. D'une part, il y a l'entrée en vigueur en date du 17.10.1997 de la Constitution de la République de Pologne avec son article 77 alinéa 1 notoirement connu qui dispose que "Tout homme a droit à la réparation du préjudice qui lui a été causé par l'acte illégal de l'autorité publique". D'autre part, depuis le 1.09.2004 est applicable la Loi du 17.06.2004 portant réforme de la Loi «Code civil» et certaines textes législatifs (J.O. No 162, texte 1692) qui a modifié sensiblement le régime de responsabilité du Trésor Public, des collectivités territoriales et d'autres personnes morales des préjudices causés par des actes ou omissions illégaux commis lors de l'exercice du pouvoir public. Notamment, à partir du 1.09.2004 est applicable l'article 4171 § 2 C. civ. qui dispose que lorsque le préjudice est causé par une décision judiciaire ou administrative définitive, sa réparation ne pourra être réclamée avant que l'illégalité soit reconnue à l'issue d'une procédure appropriée; cela concerne également la situation où la décision judiciaire ou administrative définitive a été rendue en exécution d'un acte normatif contraire à la Constitution, à un accord international ratifié ou à une loi. L'application du régime de l'article 4171 § 2 C. civ. aux préjudices causés par les décisions administratives définitives illégales a eu pour effet l'abrogation ou la modification de certaines dispositions particulières (spécifiques) de la loi du 17.06.2004 qui auparavant régissaient cette responsabilité. Ont été notamment abrogés les articles 153, 160 et 161 § 5 C. proc. adm. tandis que les modifications concernaient l'article 261 § 1 de la Loi du 29.08.1997 - Loi générale des impôts (J.O. No 137, texte 926 modifié).
Les problèmes intertemporels ont été réglés par le législateur dans l'article 5 de la Loi du 17.06.2004 qui dispose qu'aux événements et situations survenus avant l'entrée en vigueur de cette loi sont applicables les dispositions de l'article 417, 419, 420, 4201, 4202 et de l'article 421 du Code civil ainsi que de l'article 153, 160 et de l'article 161 § 5 C. proc. adm. Cette disposition transitoire a été à juste titre invoquée par la Cour d'appel qui a indiqué que si la décision déclarant la nullité de l'arrêté du Ministre de la Petite Industrie et de l'Artisanat relatif au placement forcé sous l'administration étatique de l'entreprise de l'auteur du demandeur a été délivrée le 5.04.1994, c'est à cet événement qu'il fallait associer la survenance du préjudice. Par conséquent, l'appréciation des revendications du demandeur devait être effectuée en application de l'article 160 C. proc. adm. Cela résultait directement de l'article 5 de la Loi du 17.06.2004.
Cette opinion a été mise en question par le demandeur à la cassation qui prétend que ses revendications étaient fondées sur l'article 77 alinéa 1 de la Constitution, l'article 417 C. civ. et l'article 160 C. proc. adm. A cet égard - selon le demandeur - il dispose de la liberté du choix quant à la base juridique de sa prétention. La Cour ne peut pas partager cette opinion. D'abord il convient de noter que le préjudice a eu lieu avant le 17.10.1997, alors avant la date d'entrée en vigueur de la Constitution RP, pour cette raison il n'est pas donc fondé de faire référence à l'article 77 alinéa 1 de la Constitution. En absence de disposition contraire, l'article 77 alinéa 1 de la Constitution RP ne peut pas servir de fondement juridique pour faire valoir ses droits à la compensation des préjudices survenus avant la date d'entrée en vigueur de la Constitution. Quant à la possibilité d'application de l'article 417 C. civ. dans sa teneur telle qu'elle était en vigueur avant le 1.09.2004 et selon l'interprétation donnée par l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 4.12.2001 SK 18/2000 il y a lieu de rappeler que parmi les dispositions du Code civil il existe dès le début l'article 421 C. civ. statuant que les dispositions du Code civil régissant la responsabilité du Trésor Public ou d'une collectivité territoriale du préjudice causé par un fonctionnaire ne sont pas d'application, si cette responsabilité est réglée par des dispositions spécifiques. Il n'y avait jamais aucun doute que les dispositions du Code de procédure administrative et notamment ses articles 153 et 160 aient la nature spécifique. Par contre, il n'en était pas de même en ce qui concerne la définition des relations réciproques entre ces dispositions et celles du Code civil régissant la responsabilité du Trésor Public des préjudices causés par les fonctionnaires d'Etat. Ce problème a fait l'objet d'une Délibération de la Cour suprême statuant en formation de sept juges du 26.01.1989 III CZP 58/88/OSNCP 1989, no 9, texte 129) précisant que "l'article 160 § 1 C. proc. adm. est le fait générateur exclusif de la responsabilité du Trésor Public du préjudice subi par un justiciable par la suite d'une décision délivrée en infraction à l'article 156 § 1 C. proc. adm. ou de la déclaration de nullité d'une telle décision". Et en l'espèce, nous avons à faire à une telle situation. En effet, n'est pas fondée l'opinion présentée par le demandeur à la cassation soutenant que ses revendications pouvaient s'appuyer sur l'article 77 alinéa 1 de la Constitution, l'article 417 C. civ. et l'article 160 C. proc. civ. Au contraire, l'unique fondement de la responsabilité du Trésor Public du préjudice causé au demandeur - dans le cas d'espèce - c'est l'article 160 § 1 C. proc. adm.
Or, cette disposition limitait l'indemnisation à "la perte éprouvée". La Cour constitutionnelle dans son arrêt du 23.09.2003 K 20/02/OTK - A 2003, no 7, texte 76) reconnaît que l'article 160 § 1 C. proc. adm. (de même que l'article 260 § 1 de la Loi générale des impôts) dans la mesure où il limitait l'indemnisation d'un acte illégal de l'autorité publique à la perte réellement subie était contraire à l'article 77 alinéa 1 de la Constitution et que la déclaration de cette non-conformité devait s'appliquer aux préjudices nés à compter du 17.10.1997 c.-à-d. dès la date d'entrée en vigueur de la Constitution RP.
Si l'on applique ce régime aux éléments de la présente affaire, il convient de rappeler que le Tribunal régional a statué définitivement sur l'action indemnitaireengagée par le demandeur quant à la perte éprouvée par son jugement du 20.06.2000 rendu dans l'affaire I C 708/96 et la demande a été retenue sur la base de l'expertise comportant l'estimation de la perte subie. En l'espèce, le demandeur à la cassation tend à obtenir la compensation du manque à gagner (gains manqués), alors des dommages intérêts exclus par l'article160 §1 C. proc. adm. Il ne s'agit donc pas de chercher à fonder la revendication de cette indemnisation par l'application de l'article 417 C. civ. (comme le fait le demandeur dans son pourvoi), mais de répondre à la question de savoir s'il existe une justification de la thèse que l'inconstitutionnalité de l'article 160 § 1 C. proc. adm., dans la mesure où il limitait l'indemnisation à la perte éprouvée, peut se rapporter également aux préjudices survenus avant l'entrée en vigueur de la Constitution RP. La réponse négative résulte du dispositif de l'arrêt de la Cour constitutionnelle prononcé le 23.09.2003 K 20/02. On peut aussi invoquer l'arrêt de la Cour suprême du 15.05.2000 II CKN 293/00(OSNC 2000, no 11, texte 209) qui précise que "la principe constitutionnel de non-rétroactivité du droit exclut, pour l'action indemnitaire, la prise en compte de l'article 77 de la Constitution aux fins de l'appréciation des faits survenus avant l'entrée en vigueur de la Constitution, à moins que la méconnaissance de ce principe passe sans provoquer des conflits avec d'autres règles constitutionnelles."
Il est vrai que sur le terrain de l'inconstitutionnalité de l'article 418 C. civ., il y a eu quelques décisions judiciaires acceptant l'application de cette disposition à l'appréciation, en matière civile, des faits survenus avant l'abrogation de cet article à cause de son inconstitutionnalité évidente (p. ex. arrêt du 10.10.2003 II CK 36/02 non- publié), cependant, il ne s'agissait pas des faits intervenus avant l'entrée en vigueur de la Constitution. C'est compréhensible, étant donné que l'ancien cadre constitutionnel n'offrait pas de garanties constitutionnelles qui s'opposeraient à la possibilité de limiter l'indemnisation à la perte éprouvée.
Par ces motifs la Cour rejette le pourvoi en application de l'article 39312 C. proc. civ., comme étant dépourvu de moyens fondés.