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23/06/2022 | OHADA | N°105/2022

OHADA | OHADA, Cour commune de justice et d'arbitrage, 23 juin 2022, 105/2022


Texte (pseudonymisé)
ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Assemblée Plénière
Audience publique du 23 juin 2022
Recours n° 192/2021/PC du 26/05/2021
Affaire : 1/ Société Béninoise d’Energie Electrique (SBEE) SA
2/ Etat du Bénin
(Conseils : B Z Y AG, Maîtres François SERRES KOUNDE, Avocats à la Cour) et Pacôme Contre
Société INNOVENT BENIN SA
(Conseils : SCPA CHAUVEAU & Associés, Avocats à la Cour)
Arrêt N° 105/2022 du 23

juin 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique...

ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Assemblée Plénière
Audience publique du 23 juin 2022
Recours n° 192/2021/PC du 26/05/2021
Affaire : 1/ Société Béninoise d’Energie Electrique (SBEE) SA
2/ Etat du Bénin
(Conseils : B Z Y AG, Maîtres François SERRES KOUNDE, Avocats à la Cour) et Pacôme Contre
Société INNOVENT BENIN SA
(Conseils : SCPA CHAUVEAU & Associés, Avocats à la Cour)
Arrêt N° 105/2022 du 23 juin 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Assemblée Plénière, a rendu l’Arrêt suivant, en son audience publique du 23 juin 2022, où étaient présents :
Madame Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE, Présidente
Messieurs Armand Claude DEMBA, 1° Vice-président
Mahamadou BERTE, 274 Vice-Président
Birika Jean Claude BONZI, Juge
Fodé KANTE, Juge
César Apollinaire ONDO MVE, Juge, rapporteur
Robert SAFARI ZIHALIRWA, Juge
Madame Afiwa-Kindena HOHOUETO, Juge
Messieurs Arsène Jean Bruno MINIME, Juge
Mariano Esono NCOGO EWORO, Juge
Sabiou MAMANE NAISSA, Juge
et Maître Edmond Acka ASSIEHUE, Greffier en chef ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour sous le numéro 192/2021/PC du 26 mai 2021, formé par la B Z & AG, Avocats au Barreau du Bénin, siège sis au lot n°582 Boulevard Ag Ab, Immeuble C, Cotonou, Maître François SERRES, Avocat à Paris et Maître Pacôme KOUNDE, Avocat à la Cour à Cotonou, agissant au nom et pour le compte de la Société Béninoise d’Ad Ac, en abrégé SBEE SA, et de l’Etat du Bénin représenté par Sieur Ae X, Agent Judiciaire du Trésor, dans la cause qui les oppose à la société INNOVENT BENIN SA dont le siège sis à Cotonou, Bénin, lot n°1196 au lieu dit A, 04 BP 1271 Cotonou, ayant pour conseils la SCPA CHAUVEAU & Associés, Avocats à la Cour d’appel d’Af, agissant par Maître Amadou Camara, Avocat au Barreau de Côte d’Ivoire, demeurant dans la Commune du Plateau, 29 boulevard Clozel, Immeuble le « TF 4770 », 5°"° étage, 01 BP 3586 Af 01, République de Côte d’Ivoire,
en annulation de la sentence partielle rendue le 05 mars 2021 par le Tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCJA, dont le dispositif est le suivant :
« Par ces motifs, le Tribunal arbitral :
() rejette l’exception de nullité de la requête en arbitrage n°1 en date du 28 novembre 2018, soulevée par la SBEE ;
(ii) rejette l’exception d’incompétence soulevée par la SBEE et l’Etat du Bénin sur le fondement de ce que les clauses compromissoires contenues dans la Convention de Concession et dans le Contrat
d’Achat d’énergie stipuleraient un arbitrage ad hoc et non une procédure sous l’égide de la CCJA ;
(iii) rejette l’exception de nullité de la procédure, soulevée par la SBEE, tirée du défaut de mise en œuvre préalable des modalités de règlement amiable évoquées à l’article 40.1 du Contrat d’achat d’énergie ; et
(iv) déclare que les frais exposés par les Parties dans le contexte de la première phase de la présente procédure seront évoqués et, le cas
échéant, alloués entre les parties, dans la phase ultérieure de la
Les requérants invoquent au soutien de leur recours les trois moyens d’annulation tels qu’ils figurent dans leur requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur le Juge César Apollinaire ONDO MVE ;
Vu le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l'OHADA ;
Vu le Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l'OHADA ;
Vu la Décision n° 84/2020/CCJA/PDT en date du 12 mai 2020 portant mesures exceptionnelles dans la prise en compte des délais de procédure devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier que le 28 septembre 2015, l’Etat du Bénin concédait à la société INNOVENT SA un marché de construction et d’exploitation de centrales photovoltaïques et thermiques, pour la mise en œuvre duquel la Société Béninoise d’Ad Ac, dite SBEE, concluait un contrat d’achat d’énergie avec la société INNOVENT SA, le 25 novembre 2015 ; qu’après avoir relevé l’irrégularité de la procédure de passation de ces contrats, l’Autorité de Régulation de l’Electricité, en abrégé l’ARE, émettait l’avis n°2015- 005 du 12 octobre 2015 portant refus d’approbation du marché concédé par l’Etat du Bénin à la société INNOVENT SA; que par un autre avis n°2017- 002/CNR/ARE en date du 03 mars 2017, l’ARE relevait également l’irrégularité de l’avenant au contrat du 25 novembre 2015, élargissant l’objet de celui-ci à la construction, l’exploitation et la maintenance de la centrale solaire ; qu’elle conditionnait son avis favorable à la satisfaction d’une triple exigence par le Ministère de l’Energie du Bénin, en sa qualité d’Autorité contractante ; que celle- ci devait, premièrement, négocier avec la société INNOVENT un contrat de concession soumis à son avis conforme préalable, pour la construction et l’exploitation d’une centrale photovoltaïque d’une puissance de 5SMW à Kamourou, Commune de Aa, deuxièmement, conclure, après avis conforme de l’ARE, un contrat d’achat d’énergie à un tarif compétitif tenant compte de la baisse des coûts d’investissements pour la construction des centrales solaires photovoltaïques, conformément aux textes nationaux et communautaires en vigueur et, troisièmement, engager la procédure de gré à gré et obtenir l’avis favorable de la Direction Nationale du Contrôle des Marchés Publics pour la signature du contrat d’achat d’énergie par la SBEE dans le cadre du marché confié à la société INNOVENT SA dans la Commune de Aa ; que les négociations entre les parties ayant échoué, la société INNOVENT SA saisissait la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage d’une demande d’arbitrage sous son égide ; que réagissant à cette demande d’arbitrage, la SBEE et l’Etat du Bénin soulevaient in limine litis l’incompétence du Tribunal arbitral mis en place, d’une part, pour inexistence et expiration de la convention d’arbitrage et, d’autre part, en raison de la nullité de la demande d’arbitrage tenant elle-même à la nullité des marchés objet du différend opposant les parties ; que c’est dans ce contexte qu’intervenait la sentence partielle objet du présent recours ;
Sur la recevabilité du recours
Attendu que par mémoire en réponse, reçu au greffe de la Cour le 31 août 2021, la société INNOVENT SA soulève l’irrecevabilité du recours au motif qu’il ne respecterait pas les délais fixés par les articles 29.3 du Règlement d’arbitrage de la CCJA et 25.5 du Règlement de procédure de la CCJA ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 29.3 du Règlement d’arbitrage de la CCJA, « Le recours en annulation est recevable dès le prononcé de la sentence. Il cesse d’être recevable s’il n’a pas été formé dans les deux (02) mois de la notification de la sentence visée à l’article 25 du présent Règlement » ; que l’article 25 du Règlement de procédure de la CCJA accorde aux plaideurs un délai de distance de quatorze jours lorsqu’ils résident habituellement, comme c’est le cas en l’espèce, dans un pays de l’Afrique de l’Ouest ; qu’en l’espèce, il est constaté que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la défenderesse ne se réfère à aucun acte de notification de la sentence querellée qui aurait pu faire courir les délais du recours en annulation et conduire à la forclusion des requérants ; que s’agissant particulièrement de la société SBEE, il ressort même des débats que ladite sentence lui a été notifiée le 23 mars 2021, à telle enseigne que son recours du 26 mai 2021 est recevable comme ayant été formé dans les délais requis ; qu’il s’infère de tout ce qui précède que l’exeption d’irrecevabilité n’est pas fondée et doit être rejetée, le recours devant être déclaré recevable en la forme ;
Sur la première branche du troisième moyen d’annulation tiré de la contrariété de la sentence arbitrale à l’ordre public international
Attendu qu’il est fait grief à la sentence attaquée la contrariété à l’ordre public international, en ce que le Tribunal arbitral a retenu sa compétence pour connaitre de la cause, au mépris des dispositions de l’article 21 du Règlement d’arbitrage de la CCJA fixant le régime des exceptions d’incompétence liées aux motifs d’ordre public ; qu’en particulier, le Tribunal arbitral ne s’est pas conformé à l’article 37 de la convention, alors que celle-ci engageait pourtant des personnes publiques liées par l’impératif du respect de l’ordre public administratif et économique ; qu’il a pareillement méconnu les principes d’ordre public du droit de la commande publique régissant les marchés publics ainsi que les contrats de partenariats et de délégation de services publics, tels qu’ils résultent tant de la loi n°2009-02 du 07 août 2009 fixant les conditions de passation des marchés publics, que de la loi 2006-16 du 27 mars 2006 faisant du contrat de fourniture d’énergie électrique une convention de délégation de gestion du service public ; qu’il ressort des articles 14, 17, 23 à 32 de la loi du 27 mars 2006 précitée que toute procédure d’appel d’offre est soumise à la concurrence et doit être conforme à la réglementation des marchés publics ; que ces dispositions n’ont pas été respectées, alors que l’article 35 de cette même loi précise que les actions, accords, ententes, conventions et stipulations contractuelles en rapport avec une pratique prohibée sont nuls et de nuls effets ; que de plus, le non-respect de la décision de l’ARE ayant refusé d’approuver le contrat d’achat d’énergie emporte déchéance de celui- ci ; qu’en vertu du décret 2009-182 du 13 mai 2009 portant sa création, « l’autorité de Régulation de l’Electricité a pour missions de veiller au respect des textes législatifs et réglementaires régissant le secteur de l’Electricité, de protéger l’intérêt général et de garantir la continuité et la qualité du service, l’équilibre financier du secteur et son développement harmonieux (.…) ; elle est chargée de veiller à l’exercice d’une concurrence effective, saine et loyale, dans l’intérêt de l’Etat, des opérateurs et des consommateurs, d’approuver les dossiers d’appel d’offres en vue de la sélection des exploitants privés, d’approuver l’octroi des concessions, de régler à l’amiable les litiges nés entre les intervenants du secteur sans préjudice des actions éventuelles devant les tribunaux compétents » ; que le dispositif de mise en œuvre de la concession s’appuyant sur la réglementation sectorielle, il faut considérer que la décision de l’ARE de ne pas approuver la concession n’a pas été respectée, quoique n’ayant fait l’objet d’aucun recours ; que le contrat dont se prévaut la demanderesse n’a jamais été mis en vigueur, tout investissement devant être conforme à la législation applicable ; que dès lors, en leur qualité de gardiens des principes fondamentaux de droit mettant en exergue les exigences sociales et éthiques — les spoliations qui pourraient résulter de leurs violations —, les arbitres devaient mettre en œuvre les règles impératives de droit, sous le contrôle du juge de l’annulation ; que selon les demandeurs, même le dispositif pénal aurait pu s’appliquer pour fourniture ou exploitation illégale puisqu’aucune concession n'a été valablement conclue ; que le Tribunal arbitral a même ignoré les directives de l’'UEMOA en matière de marché public et de délégation de service public, alors que celles-ci sont censées concrétiser un ordre public communautaire dans ce domaine ; qu’en effet, la politique sectorielle en matière d’énergie repose sur les principes du prix compétitif et du respect de l’équilibre économique et financier du secteur ; qu’à titre comparatif, la Cour Européenne de Justice qualifie fréquemment les directives communautaires de dispositions impératives ; qu’il en est ainsi en particulier des normes relatives au droit de la concurrence dont certaines entrent dans la catégorie de l’ordre public européen, de sorte que leur violation entraine l’annulation des sentences arbitrales qui s’y rapportent ; qu’au regard de tout ce qui précède, les requérants estiment que la sentence arbitrale partielle présentement déférée à la Cour est contraire à l’ordre public international et mérite l’annulation de ce chef ;
Attendu, en effet, que si l’article 21 du Règlement d’arbitrage de la CCJA enferme les parties dans des délais pour soulever une exception d’incompétence, il ajoute qu’à tout moment de l’instance, le Tribunal arbitral peut examiner d’office sa compétence pour des motifs d’ordre public et « statuer sur l’exception d’incompétence soit par sentence préalable, soit dans une sentence définitive ou partielle après débats au fond, sujettes au recours en annulation… » ; que cette disposition postule que les exceptions d’incompétence fondées sur les moyens tirés de l’ordre public sont examinées toute affaire cessante, notamment en ce qu’ils convoquent des lois impératives et d’examen immédiat, sous réserve de la faculté du Tribunal arbitral de joindre expressément lesdits moyens au fond ;
Attendu, en l’espèce, que le Tribunal arbitral a été saisi sur le fondement d’un contrat qui stipule qu’« à défaut de règlement à l’amiable sous quinze (15) jours à compter de la date de notification du différend par une Partie à l’autre, le différend sera tranché définitivement par l’arbitrage conformément au Règlement d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l'OHADA (CCIJA) par un tribunal arbitral composé par trois (03) arbitres, nommés conformément au règlement de ladite institution. » ; que par ailleurs, au soutien de sa demande d’arbitrage, la société INNOVENT SA rappelle l’article 6 de la convention du 28 septembre 2015, selon lequel l’Etat du Bénin garantit que « toutes les conditions et règles prévues par la loi pour la validité de la présente convention ont été respectées, dont l’avis motivé de la Direction nationale de contrôle des marchés publics » ; qu’il ressort, enfin, de l’article 8.2 (b) du contrat du 25 novembre 2015 que la société SBEE garantit que « l’Acheteur a obtenu toutes les autorisations nécessaires et a pris et effectué toutes les mesures et formalités nécessaires pour autoriser la signature des Documents du Projet auxquels il est partie » ;
Attendu qu’il appert de tous ces éléments que les prétentions de la société INNOVENT SA, demanderesse à la procédure d’arbitrage, sont fondées sur des conventions qui sont censées tenir lieu de loi à leurs présumés auteurs ; que toutefois, au sens des dispositions de l’article 1134 du Code civil béninois, seules les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que tel n’est pas le cas d’une convention qui contrarie l’ordre public tel qu’il résulte expressément de la réglementation d’un pays donné et qui est conforme à l’ordre juridique communautaire auquel appartient ledit Etat ;
Attendu qu’en effet, il est acquis au dossier que, contrairement aux termes de l’article 6 de la convention du 28 septembre 2015, toutes les conditions et règles prévues par la loi béninoise pour sa validité n’ont pas été réunies ; que pareillement, en contradiction avec les stipulations de l’article 8.2 (b) du contrat en date du 25 novembre 2015, la société SBEE, acheteur de l’énergie, n’a jamais obtenu toutes les autorisations requises, ni pris et effectué toutes les mesures et formalités « pour autoriser la signature des Documents du Projet », toutes choses qui ne pouvaient échapper à la société INNOVENT SA en sa qualité de partie contractante, eu égard à la sensibilité de l’objet de ladite convention ; qu’il est donc constaté que la validité desdits marchés est contestable, au vu de la méconnaissance par les parties contractantes des règles impératives auxquelles elles ne pouvaient déroger, constituées notamment par des dispositions d’ordre public relatives à la sécurité environnementale et à la santé publique, clairement rappelées par l’ARE dans son avis n°2015-005 du 12 octobre 2015 ; que la violation de ces dispositions d’ordre public a été confirmée par le même organe de régulation, dont la mission consiste à protéger l’ordre public économique et environnemental, ainsi que les intérêts des parties contractantes, tant pour le contrat d’achat d’énergie du 25 novembre 2015, qu’en ce qui concerne la convention de concession en date du 28 septembre 2015, signée au nom du gouvernement béninois par le Ministre de l’Energie du Bénin ; que la violation de l’ordre public ne pouvant être couverte par des clauses de garanties, il y a donc lieu de considérer comme non écrit, l’article 6 de la convention du 28 septembre 2015, par lequel le membre du gouvernement béninois, représentant l’Autorité contractante, prétend que les formalités essentielles à la validité dudit contrat ont été accomplies, alors que tel n’a jamais été le cas ;
Et attendu que la sentence partielle attaquée, tout en statuant sur l’exception d’incompétence dans le cadre de laquelle les moyens liés à toutes ces graves irrégularités ont été soulevés, renvoie à une phase utlérieure leur examen ; que ce faisant, elle reporte de facto et sine die la prise en compte des conséquences juridiques des différentes décisions de l’ARE, alors que les vices constatés posent des questions d’ordre public dont l’urgence d’un traitement simpose, dès lors que ce sont la survie des liens juridiques à l’origine du différend et, subséquemment, les mérites de la convention d’arbitrage, justifiant l’intervention du Tribunal arbitral, qui étaient en cause ; qu’en procédant de la sorte et ce, pour retenir sa compétence à connaitre de l’affaire, contestée, le Tribunal arbitral a rendu une sentence partielle qui contrarie manifestement l’ordre public international ;
Attendu qu’à ce propos, il sied d’affirmer, principalement, qu’en vertu de l’autonomie de la clause compromissoire, les parties sont libres de contracter et de prévoir les termes de leur contrat ; que cependant, si leur volonté constitue une source d’obligations à côté de la loi, elle n’a point une puissance absolue en matière contractuelle ; qu’en l’occurrence, la validité de la clause compromissoire et l’intention des parties sont appréciées par rapport au droit étatique, notamment en fonction des règles impératives et de l’ordre public ; que la portée d’une clause compromissoire est limitée par les règles qui protègent des intérêts supérieurs placés hors d’atteinte des conventions particulières ; qu’en droit béninois, on ne peut, par des conventions particulières, déroger aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs (article 6 du code civil béninois) ; qu’à ce titre, bien qu’émanant de la stricte volonté des parties, une clause compromissoire ne doit pas heurter l’ordre public de ce pays, dans lequel elle a vocation à être exécutée par les parties ; que la suprématie de la collectivité sur l’individu interdit qu’il soit porté atteinte à l’ordre public qui exprime le vouloir-vivre de la nation que menaceraient certaines initiatives individuelles en forme de contrat ; que l’ordre public constitue un rappel à l’ordre de l’Etat aux contractants lorsque ceux-ci touchent des règles qu’il estime capitales ; qu’on recourt à la notion d’ordre public international pour désigner l’ensemble des règles reconnues par la Communauté des nations comme participant de la protection des intérêts supérieurs des Etats ; qu’il est commun aux pays reconnus par ladite Communauté de protéger leurs marchés publics par des règles impératives qui établissent alors un ordre public ;
Attendu qu’en la cause, le Tribunal arbitral a, de fait, retenu sa compétence tout en ordonnant un sursis à statuer sur des moyens évoqués au soutien de son incompétence et tirés de la violation des règles dont l’impérativité commande un régime spécifique de traitement ; que la convention des marchés publics et le contrat subséquent n’ayant jamais rempli les conditions légales requises, ils étaient sous le coup de la déchéance ; qu’en retenant sa compétence dans ces conditions, le Tribunal arbitral a violé l’ordre public international, en ce qu’il a donné effet à une clause compromissoire inexistante au regard du droit inteme du Bénin et des Directives de l'UEMOA en matière de marchés publics et de délégation de services publics ;
Que la CCJA ne contrôle pas si le droit a été bien dit ni la solution de droit retenue ; qu’elle a mission de s’assurer que la sentence dont l’annulation est demandée est conforme à l’ordre public international ; qu’aussi, sans apprécier ni la pertinence ni l’opportunité de la sentence déférée, la Cour ne peut-elle que constater l’inaptitude de cette décision à intégrer l’ordre juridique interne de la République du Bénin ; que la seule existence de la sentence partielle attaquée, comme acte de justice, contrarie les règles qui fixent les conditions de la passation des marchés publics en matière d’énergie au Bénin, Etat partie au Traité de l’OHADA ; que le Tribunal arbitral n’a pas tenu compte, comme cela lui était expressément demandé par les requérants, du droit interne béninois et du droit communautaire UEMOA ; que les règles de police découlant de tout ce dispositif juridique, au demeurant conforme aux règles du commerce international, étant contraignantes et s’imposant à tous, plutôt que d’en différer la mise en œuvre, le Tribunal arbitral devait immédiatement les appliquer ; qu’en procédant autrement, il a fait encourir à sa sentence partielle le grief allégué au moyen et celle-ci doit, en conséquence, être annulée ;
Attendu qu’à cet égard, il sera indiqué, à titre surabondant, que le juge de l’annulation se réfère à son propre ordre juridique, en ce que son appréciation se fait selon les règles impératives de son for ; qu’il existe en la cause un ordre public communautaire et toute sentence contraire à celui-ci ne serait pas exécutée ; qu’en particulier, la CCJA ne saurait, dans l’exercice de son pouvoir d’annulation des sentences arbitrales, accueillir l’argument d’un moyen précoce, alors que celui-ci poursuit le respect de l’ordre public qu’un juge saisi du règlement contentieux d’un différend n’est nullement autorisé, même provisoirement, à mettre en veille, en l’absence d’une disposition légale spécialement établie à cette fin, l’ordre public se caractérisant par la permanence de sa vigueur ;
Attendu qu’en outre, dans le règlement contentieux des litiges, le juge n’a pas à distinguer là où la loi s’abstient elle-même de le faire ; qu’en ouvrant le recours en annulation « si la sentence arbitrale est contraire à l’odre public international », l’article 29.2 -e) ne distingue pas selon qu’il s’agit d’une sentence préalable, partielle ou définitive, le moyen tiré de la contrariété à l’ordre public international pouvant être invoqué contre tous les types de sentences ; que partant, il n’existe pas des motifs d’annulation susceptibles d’être utilisés contre les sentences préalables ou partielles, tandis que d’autres seraient réservés exclusivement à la contestation des sentences définitives ;
Attendu par ailleurs qu’aux termes de l’article 29.4 du Règlement d’arbitrage de la CCJA, saisie du recours en annulation contre une sentence préalable, partielle ou définitive, la Cour de céans « instruit la cause et statue dans les conditions prévues par son Règlement de procédure » ;
Qu’en application dudit Règlement de procédure, la Cour saisie d’un moyen en examine la recevabilité sur le plan formel et, le cas échéant, les mérites de fond ; que sauf à sortir de ce cadre qui fixe légalement le champ de son intervention en matière contentieuse, elle ne saurait répondre à un moyen qui sous-tend un recours, en énonçant tout simplement qu’il est prématuré, sans au préalable se prononcer sur sa recevabilité et, le cas échéant, son bien-fondé ;
Attendu que dans la mise en œuvre des lois, le juge ne saurait ajouter à celles-ci ; que l’argument de la prématurité d’un moyen, qui tend de fait à priver un plaideur du bénéfice de celui-ci pour la défense de ses intérêts dans une instance contentieuse, n’est énoncé nulle part dans l’article 29.2 du Règlement d’arbitrage de la CCJA ; que ce texte prévoit plutôt, entre autres, et de manière non équivoque, que le recours en annulation d’une sentence arbitrale, quelle qu’en soit la nature, est « recevable » si ladite sentence est contraire à l’ordre public international ; que c’est cette recevabilité qu’il faut contrôler ;
Attendu qu’en fait, le procédé retenu par le Tribunal arbitral, en repoussant l’examen de certains moyens de défense proposés par la SBEE et l’Etat du Bénin à une phase ultérieure de l’instance, vise à obliger ceux-ci à se soumettre à une instance au fond dont ils ont pourtant le droit d’empêcher l’avènement et la tenue effective, en vertu du principe de la liberté de défense ; que par l’effet de celui-ci, une juridiction saisie du règlement d’un litige ne peut empêcher un plaideur d’user d’un moyen au moment où il l’estime opportun pour sa défense ;
Que c’est d’ailleurs ce que revendiquent l’Etat du Bénin et la SBEE, à travers leur déclinatoire de compétence, dont ils soutiennent le bien-fondé en se prévalant des moyens dont l’appréciation est injustement repoussée ;
Attendu qu’il est utile d’apprécier cette décision du Tribunal arbitral de soumettre l’Etat du Bénin et la SBEE à une instance de fond, au regard des stipulations des contrats objet du différend ; qu’en effet, il ressort de l’article 38, alinéas 3 et 4, de la Convention de concession conclue entre le Bénin et la société INNOVENT le 28 sepembre 2015, « Le Tribunal arbitral siègera à Paris (France) et la procédure se déroulera en langue française. Toute sentence prononcée par le Tribunal arbitral sera définitive, opposable aux parties, et pourra se voir conférer l’exequatur par les autorités judiciaires compétentes. Pour l’exécution de la sentence arbitrale, les parties renoncent à leurs immunités, exception faite des immunités sur les biens utilisés ou destinés à être utilisés à des fins de service public non commerciales ou affectés à une activité souveraine » ; que ces stipulations sont, in extenso, reprises par l’article 40.2 b) et c) du contrat d’achat d’énergie du 25 novembre 2015 entre la SBEE et la société INNOVENT ;
Qu'’ainsi, en renvoyant l’examen des moyens tirés de la violation des règles d’ordre public international lors de la conclusion des contrats litigieux à la seconde phase de l’instance arbitrale, les arbitres invitent implicitement l’Etat du Bénin et la SBEE à subir les effets de leur éventuelle sentence définitive, eu égard à l’opposabilité directe de celle-ci et de la possibilité pour son bénéficiaire de passer outre, pour son exécution, l’exequatur communautaire que seule la CCJA peut accorder à toute sentence arbitrale rendue sous son égide ;
Qu'’il s’évince de cette orientation du Tribunal arbitral, une grave atteinte aux droits de la défense, en ce qu’elle tend à vider de tout son intérêt des moyens que les requérants ont cru devoir soulever de manière opportune, en soutien à une exception d’incompétence visant précisément à leur éviter pareille issue ;
Que c’est la vocation objective des exceptions de procédure en général et du déclinatoire de compétence en particulier, de faire obstacle à l’examen, par la juridiction saisie, du fond de l’affaire opposant les parties ; que les exceptions dont un Tribunal arbitral peut éventuellement reporter l’examen à une phase utlérieure de la procédure ne peuvent, à la rigueur, être que celles qui ne se rapportent pas à sa compétence ; qu’il ne peut inviter les auteurs de tels moyens à plaider la cause au fond, alors justement qu’ils contestent sa légitimité à connaitre du règlement définitif du différend qui les oppose à la partie adverse ;
Que le report décidé par le Tribunal arbitral est d’autant malvenu, que les arbitres étaient astreints à se prononcer sur les moyens d’incompétence tirés de la violation de l’ordre public international, soulevés par l’Etat du Bénin et la SBEE, comme ils l’ont d’ailleurs si bien fait en ce qui concerne d’autres moyens toujours tirés de la violation de l’ordre public international, par ailleurs soulevés au soutien de la même exception d’incompétence ; qu’il entre dans la mission de la CCJA de veiller à l’intégrité de la procédure arbitrale placée sous son égide, cette intégrité devant notamment se traduire par le respect de la liberté de défense des parties litigantes, en ce que celle-ci participe de leur système de défense ;
Attendu, dès lors, qu’aucun moyen de défense ne saurait valablement être qualifié de précoce s’il tend au respect des règles à caractère d’ordre public dans le déroulement d’une instance consacrée au règlement d’un conflit ;
Qu'il ne parait pas superflu de relever, à toutes fins utiles, que le regard que le Tribunal arbitral devait porter sur les moyens considérés n’appelait aucune analyse soutenue des faits et des pièces, ni aucune interprétation d’un quelconque texte complexe ou une audition de quelques témoins ; qu’il lui aurait suffi de mettre en œuvre le Code de la commande publique de la République du Bénin et les dispositions communautiares, dans leurs dispositions relatives aux modalités procédurales d’ordre public ;
Qu’au total, le grief énoncé par le moyen étant pleinement caractérisé, il y a lieu, en application des dispositions de l’article 29.2-e) du Règlement d’arbitrage de la CCJA, d’annuler la sentence partielle attaquée, sans qu’il soit besoin, pour la Cour de céans, d’examiner les autres moyens soulevés ;
Sur les dépens
Attendu que la société INNOVENT BENIN SA succombe et supportera les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare recevable le recours formé par la Société Béninoise d’Energie
Electrique (SBEE) SA et l’Etat du Bénin ;
Annule la sentence partielle rendue le 05 mars 2021 ;
Condamne la société INNOVENT BENIN SA aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
La Présidente
Le Greffier en chef


Synthèse
Numéro d'arrêt : 105/2022
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ohada;cour.commune.justice.arbitrage;arret;2022-06-23;105.2022 ?
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