La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée plénière, a rendu l’Arrêt suivant en son audience foraine tenue le 27 avril 2015 à Bamako (République du Mali), où étaient présents :
Monsieur Marcel SEREKOÏSSE SAMBA, Président Madame Flora DALMEIDA MELE, Seconde Vice-présidente Messieurs Mamadou DEME, Juge
Djimasna N’DONINGAR, Juge, Rapporteur et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef ; sur le pourvoi enregistré au greffe de la cour de céans le 02 décembre 2011 sous le
n°119/2011/PC et formé par le Cabinet d’Avocats BRYSLA, inscrits au Barreau du Mali,
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demeurant,153, rue 313, Quartier du Fleuve, Bamako - Mali, agissant au nom et pour le compte de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) dont le siège est à 100, Boulevard Konrad Adenauer, Luxembourg-Kichberg, Grand Duché de Luxembourg, dans la cause l’opposant à la Société Fils et Tissus Naturels d’Afrique dite FITINA SA dont le siège est à BANANKORO, Cercle de KATI, République du Mali, ayant pour conseil la SCP TOUREH & Associés, Avocats au Barreau du Mali, sis Immeuble côté Est Entreprise RAZEL, Porte 754, Hamdallaye ACI 2000, BP : 1993, Bamako - Mali
en cassation de l’arrêt n°030/2011 rendu le 29 juin 2011 par la Cour d’appel de Bamako et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort :
En la forme : Reçoit l’appel interjeté ; Au fond : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Met les dépens à la charge de l’appelante » ; La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels
qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur DJIMASNA N’DONINGAR, Juge ; Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des
affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la Banque Européenne d’Investissement dite BEI a consenti, courant 2002, un important concours financier à la société FITINA SA ; que courant avril 2008, alors que la BEI initiait une saisie immobilière pour recouvrer sa créance, la FITINA obtient du tribunal de commerce de Bamako, le 06 mai 2008, une ordonnance de suspension de poursuites individuelles, consécutivement à sa requête aux fins d’ouverture d’une procédure de Règlement Préventif ; que, rejetant les propositions de l’expert qui projeta l’abandon de 75% de leurs dûs par tous les créanciers, la BEI assigna, le 12 juin 2009, la FITINA en liquidation des biens devant le tribunal de commerce de Bamako ; que, par jugement n°12/JGT en date du 12 janvier 2011, ledit tribunal la déclara mal fondée ; que, saisie par la BEI, la cour d’appel de Bamako a rendu, le 29 juin 2011, l’arrêt confirmatif dont pourvoi ;
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des articles 25 et 28 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt déféré d’avoir violé les dispositions des articles 25 et 28 susmentionnés, en ce qu’il a estimé que la suspension des poursuites ordonnée par le tribunal rend mal venue la demande d’ouverture de la procédure de liquidation des biens, alors, selon le moyen, d’une part, qu’il est manifeste que l’article 28 offre la possibilité au
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créancier justifiant d’un titre exécutoire incontestable de vaincre la carence du débiteur par la saisine directe du tribunal compétent à l’effet de constater la cessation de paiements et d’ouvrir une procédure de liquidation des biens et, d’autre part, que l’arrêt total des activités de production, la sollicitation de l’abandon total ou partiel d’au moins 75% des créances et l’incapacité de la FITINA SA à faire face aux dettes liquides et exigibles sont des éléments caractéristiques de la cessation des paiements prévue à l’article 25 ;
Attendu en effet qu’aux termes de l’article 25, alinéa 1, de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, « Le débiteur qui est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible doit faire une déclaration de cessation des paiements aux fins d’obtenir l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, quelle que soit la nature de ses dettes… » ; Que l’article 2-1 du même texte précise « le règlement préventif est une procédure destinée à éviter la cessation des paiements ou la cessation d’activité de l’entreprise et à permettre l’apurement de son passif au moyen d’un concordat préventif… » ; qu’il en résulte que la procédure de règlement préventif dont la suspension des poursuites n’est que le prélude ne peut être accordée qu’aux entreprises connaissant de difficultés économiques et financières conjoncturelles et passagères, sans être en cessation des paiements ;
Attendu que la cour d’appel, en confirmant le jugement nonobstant l’évidence de la cessation des paiements résultant de l’expertise et des différents courriers des créanciers, a violé les dispositions des articles 2-1, 25 et 28 susvisés et fait encourir la cassation à sa décision ; qu’il échet de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le premier moyen ;
Sur l’évocation
Attendu que, par acte du greffe en date du 24 janvier 2011, la Banque Européenne
d’Investissement (BEI) relevait appel contre le jugement rendu le 12 janvier 2011 par le tribunal de commerce de Bamako dans l’affaire l’opposant à la Société FITINA et dont le dispositif est ainsi conçu : « Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort ;
- Rejette comme mal fondée l’exception d’irrecevabilité soulevée par le conseil de la défenderesse ;
En la forme : reçoit la demande de la Banque Européenne d’Investissement ;
Au fond : La déclare mal fondée ; l’en déboute ;
Met les dépens à sa charge » ;
Qu’au soutien de son appel, elle demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en
toutes ses dispositions, de constater la cessation des paiements de la société FITINA SA et de prononcer la liquidation de ses biens ; qu’elle expose détenir sur FITINA une créance d’un montant principal de 2.427.040.900 FCFA, matérialisée par des copies exécutoires d’actes notariés en date des 15 avril et 22 juillet 2002 ; que sa débitrice, incapable de faire face à son passif exigible par son actif disponible, a sollicité et obtenu du tribunal une ordonnance de suspension des poursuites individuelles ; qu’il résulte du rapport d’expertise ordonnée à cet effet par le juge que les créanciers de FITINA SA devaient tous consentir un abandon de
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créance de l’ordre de 75% pour permettre la reprise des activités ; que ces propositions de règlement sont irréalisables et inacceptables pour les créanciers et que, manifestement, la société FITINA SA est en état de cessation des paiements, ses activités étant arrêtées depuis plus de trois (03) ans ; qu’elle sollicite, en application des articles 25, 28 et 29 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, l’ouverture d’une procédure de liquidation des biens ;
Attendu que la société FITINA SA, en réplique, explique que, conformément à l’article 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, l’expert commis a déposé son rapport contenant le concordat préventif avec de réelles perspectives d’avenir ; que cette procédure de règlement préventif est pendante devant le tribunal pour une audience le 05 août 2009, la requête en liquidation formulée par la BEI est irrecevable en l’état ;
Attendu que l’ordonnance de suspension des poursuites individuelles, qui n’est qu’une mesure provisoire et transitoire à l’effet de recueillir les données sur la situation économique réelle de l’entreprise avant l’ouverture d’une procédure collective, ne peut faire obstacle à un créancier dont la créance est certaine, liquide et exigible, d’user de la faculté à lui conférée par l’article 28 ;
Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces versées au dossier de la procédure
qu’aucun concordat sérieux n’est proposé par le débiteur qui, à la date de la saisine du tribunal, devait près de six (06) milliards de FCFA exigibles ; qu’ainsi, pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation, tiré de la méconnaissance des articles 2-1, 25 et 28, il y a lieu, pour la cour de céans, d’infirmer le jugement n°12/JGT, rendu le 12 janvier 2011 par le tribunal de commerce de Bamako en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de constater l’état de cessation des paiement de FITINA SA et l’absence de concordat, et de dire qu’il y a lieu à ouverture d’une procédure de liquidation des biens ;
Attendu qu’il y a lieu de mettre les dépens à la charge de la liquidation ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
- Casse l’arrêt n°030/2011 rendu le 29 juin 2011 par la cour d’appel de Bamako ;
Evoquant et statuant sur le fond : - Infirme en toutes ses dispositions le jugement n°12/JGT rendu le 12 janvier 2011
par le tribunal de commerce de Bamako ;
- Constate la cessation des paiements de la société FITINA SA, ainsi que l’absence de concordat sérieux, et fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 30 mai 2013 ;
- Prononce la liquidation des biens de la société FITINA SA en application de
l’article 33, alinéa 5, de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif ;
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- Ordonne au tribunal de commerce de Bamako de procéder à la mise en place des différents organes de la liquidation, à savoir un juge-commissaire et deux syndics, ainsi qu’aux formalités de publicité, conformément aux articles 35, 36 et 37 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif ;
- Met les dépens à la charge de la liquidation ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef