La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée plénière, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique foraine tenue le 27 avril 2015 à Bamako (République du Mali), où étaient présents :
Monsieur Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Président, rapporteur Madame Flora DALMEIDA MELE, Seconde Vice-Présidente
2
Messieurs Mamadou DEME, Juge Djimasna N’DONINGAR, Juge
et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 12 mars 2007 sous le
n°020/2007/PC et formé par le Cabinet d’Avocats BRYSLA CONSEILS, Avocats à la Cour, demeurant, 153, Rue 313, Quartier du Fleuve, à BAMAKO et la SCPA JURIFIS CONSULT, Avocats à la Cour, demeurant "Résidence 2000", à l'ouest de la nouvelle Ambassade des USA - ACI 2000 Hamdallaye, BP E 1326, BAMAKO - MALI, agissant au nom et pour le compte de la Banque de l’Habitat du Mali (BHM S.A.) dont le siège est à Bamako, ACI 2000, Avenue kwamé N’KRUMAH, BP 2614, dans la cause l’opposant à la Société West African Investment (WAIC SA) dont le siège est à BANANKABOUGOU-Bamako, BP E 1719 République du MALI, ayant pour conseils SCP DOUMBIA & TOUNKARA, Avocats à la Cour, sis Immeuble LASSANA SYLLA Center, Rue Karomoko DIABY, Porte 550, BP E 151, BAMAKO – MALI, en cassation de l’arrêt n°366, rendu le 19 juillet 2006 par la cour d’appel de Bamako et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;
En la forme : Reçoit l’appel interjeté ; Déclare la demande reconventionnelle de WAIC irrecevable comme demande nouvelle ;
Au fond : Confirme le jugement entrepris ; Met les dépens à la charge de l’appelante » ; La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels
qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur DJIMASNA N’DONINGAR, Juge ; Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des
affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure qu’au cours de l’année 2001, la Banque de l’Habitat du Mali dite BHM SA entrait en relations avec la société WAIC SA ; qu’aux termes de ces relations en 2007, les comptes ouverts par WAIC SA dans les livres de la banque laissaient apparaître un solde débiteur de 5.654.216.799 FCFA, attesté par des extraits de comptes de cette société ; que, pour se prémunir contre l’insolvabilité de WAIC, la BHM S.A. sollicitait et obtenait du Président du Tribunal de la Commune IV de Bamako une ordonnance n°342, en date du 10 juin 2005, l’autorisant à prendre une inscription hypothécaire provisoire sur des biens immeubles, objet des titres fonciers n°60 et 63,
3
appartenant à son débiteur ; que le tribunal de la Commune IV de Bamako, saisi d’une demande de validation de cette hypothèque, la rejetait et ordonnait la mainlevée de l’inscription, par jugement n°583/JGMT du 28 novembre 2005, confirmé par la Cour d’appel de Bamako le 19 juillet 2006, suivant l’arrêt n°366 dont pourvoi ;
Sur la demande de sursis à statuer
Attendu que dans son mémoire en réponse à la requête, la société WAIC SA sollicite, à titre principal, le sursis à statuer sur le recours en cassation, motif pris de ce que la requérante, après avoir initié son pourvoi, a déposé une plainte au pénal contre le PDG de WAIC, pour détournement ; qu’en application de la règle « le criminel tient le civil en l’état », elle demande à la Cour de céans de surseoir à statuer jusqu’à la décision définitive des juridictions maliennes sur la procédure d’atteintes aux biens publics en cours contre les dirigeants de WAIC SA ; Mais attendu que la procédure ayant donné lieu au jugement n°583/JGMT du 28 novembre 2005, confirmé par la Cour d’appel de Bamako le 19 juillet 2006, suivant l’arrêt n°366, dont pourvoi, est relative à une demande de validation d’une inscription hypothécaire provisoire ordonnée par la juridiction présidentielle ; que ladite procédure est distincte de toute autre procédure intentée devant les juridictions répressives ; qu’il échet de dire et juger que la demande de sursis à statuer n’est pas fondée et doit être rejetée ;
Sur la violation de l’article 68 de l’Acte uniforme du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, relevée d’office
Attendu que la cour d’appel de Bamako, pour refuser la validation de l’inscription hypothécaire provisoire, énonce que « l’hypothèque est une sûreté réservée au créancier », « qu’il ne figure au dossier aucune convention de prêt indiquant la hauteur des engagements pris de part et d’autre » et « qu’au stade actuel, la certitude et l’exigibilité de la créance de la BHM SA ne sont pas prouvées » ;
Mais attendu qu’il n’est pas contesté qu’en vertu de leur relation, la BHM SA avait accordé de multiples facilités de caisses et découvertes à la société WAIC, non couvertes, ainsi que l’attestent les correspondances entre les deux parties et les virements et chèques tirés par la WAIC sur la BHM SA ; que les extraits des livres comptables de la BHM versés au dossier font apparaitre un solde débiteur net de 5.654.216.799 FCFA à l’encontre de la société WAIC SA ; qu’en statuant ainsi, alors que suivant l’article 68 de l’Acte uniforme du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, « la comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour servir de preuve entre les entreprises pour faits de commerce ou autres… », la cour d’appel a violé les dispositions de l’article susvisé et fait encourir la cassation à sa décision ; qu’il échet de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer ;
Sur l’évocation
Attendu que, par acte du greffe en date du 30 novembre 2005, la Banque de l’Habitat du Mali relevait appel contre le jugement rendu le 28 novembre 2005 par le tribunal de la Commune IV de Bamako dans l’affaire l’opposant à la Société WAIC et dont le dispositif est
4
ainsi conçu :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort ;
- Déclare recevable, en la forme, la requête de la Banque de l’Habitat du Mali ;
Au fond, l’en déboute ; ordonne la main levée de l’inscription hypothécaire du 10 juin 2005. » ;
Qu’au soutien de son appel, elle demande à la Cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de valider les inscriptions provisoires d’hypothèques prises sur les titres fonciers n°60 et 63 du lotissement de SEBENINKORO appartenant à la société WAIC ; qu’elle expose avoir accordé des facilités de caisses (découvertes, exécution des ordres de virement) pour un montant, en principal et intérêts, de 5.680.268.474 FCFA à WAIC pour le financement de son projet immobilier dénommé « la Mangueraie de SEBENINKORO » ; qu’en garantie de ce financement, la société WAIC a laissé en dépôt libre entre ses mains les titres fonciers n°60 et 63 du lotissement de SEBENINKORO ; que, pour se prémunir contre une insolvabilité certaine de son débiteur, à ce jour poursuivi par d’autres créanciers, elle a obtenu du Président du Tribunal l’autorisation de prendre une inscription hypothécaire provisoire sur les titres fonciers en sa possession ; qu’étant créancière de la société WAIC de la somme de 5.680.268.474 FCFA comme attestée par les extraits des comptes de WAIC tenus dans ses livres, elle cherche à en garantir le recouvrement par la validation de l’inscription hypothécaire ;
Attendu que la société WAIC SA, en réplique, explique être plutôt liée à la BHM SA par une convention de collaboration pour la réalisation du programme immobilier « la Mangueraie » ; qu’ aux termes de cette convention, la banque cofinancera des logements tests et commercialisera les logements construits par WAIC auprès de sa clientèle ; que ce partenariat n’ayant jamais été dénoncé, la BHM ne peut se prévaloir d’aucune créance à son égard ; qu’à ce jour, les deux parties ne se sont pas entendues sur le montant des investissements sur le terrain, à fortiori sur les parts de chacune ; que la demande de la BHM est prématurée et qu’elle sollicite de la cour la confirmation du jugement querellé et, reconventionnellement, la condamnation de la BHM SA à lui payer la somme de 5.075.622.638 FCFA pour les préjudices subis du fait de l’inexécution de ses obligations issues de la convention de collaboration ;
Attendu que l’inscription hypothécaire définitive prévue aux articles 136 et suivants susmentionnés suppose que le demandeur établisse sa qualité de créancier certain à l’égard du débiteur ; qu’il ressort des pièces versées au dossier de la procédure qu’il y a, non seulement des relations d’affaires entre la BHM et la société WAIC SA, mais que, de ces relations, WAIC SA a pu bénéficier de multiples concours financiers de la banque et s’est reconnue débitrice, dans une correspondance en date du 04 octobre 2003 ; que les extraits des livres comptables de la BHM versés au dossier font apparaitre un montant cumulé des dettes consenties à WAIC à hauteur de 5.654.216.799 FCFA ; qu’ainsi, pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation, tiré de la méconnaissance de l’article 68, il y a lieu, pour la Cour de céans, d’infirmer le jugement n°583/JGMT, rendu le 28 novembre 2005 par le Tribunal de la Commune IV de Bamako en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de constater que, des extraits de la comptabilité de la BHM SA, la WAIC SA reste lui devoir la somme de 5.654.216.799 FCFA et de dire qu’il y a lieu à la
5
validation de l’inscription provisoire d’hypothèque ordonnée par le Président du Tribunal de la Commune IV de Bamako ;
Attendu que la société WAIC SA ayant succombé, sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
- Casse l’arrêt n°366, rendu le 19 juillet 2006, par la Cour d’appel de Bamako ;
Evoquant et statuant sur le fond :
- Infirme en toutes ses dispositions le jugement n°583/JGMT, rendu le 28 novembre 2005, par le Tribunal de la Commune IV de Bamako ;
- Constate que la WAIC SA reste devoir à la BHM S.A. la somme de 5.654.216.799 FCFA ;
- Valide les inscriptions provisoires prises le 13 juin 2005 en application de
l’ordonnance n°342 du 10 juin 2005 ;
- Condamne la société WAIC SA aux dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef