MISSION DE L’ARBITRE
DETERMINATION PAR L’OBJET DU LITIGE CONSTATE DANS LE PROCES-VERBAL FIXANT LE DEROULEMENT DE LA PROCEDURE APPRECIATION SOUVERAINE DES FAITS PAR LES ARBITRES : NON VIOLATION DE LEUR MISSION
RESPECT DU CONTRADICTOIRE
OBLIGATION POUR L’ARBITRE D’IMPARTIR LES MEMES DELAIS AUX PARTIES POUR CHAQUE DEMANDE : NON APPRECIATION SOUVERAINE PAR LES ARBITRES DES MESURES D’INSTRUCTION ADEQUATES TELLE QUE L’AUDITION DE TEMOINS
TROUBLE A L’ORDRE PUBLIC DANS LE DEROULE DE LA PROCEDURE – VIOLATION DE L’ORDRE PUBLIC : NON
L’irrecevabilité d’un recours ne saurait résulter du défaut de production d’un mandat au nom d’un avocat qui n’est signataire ni de la requête, ni d’un quelconque mémoire déposé au nom de la recourante, dès lors que la requête et les autres écritures de la demanderesse ne comportent que la signature d’un autre avocat à la cour d’un Etat partie à l’OHADA et dont le mandat spécial de représentation a été régulièrement produit aux débats et n’a pas été contesté. La mission de l’arbitre est délimitée par l’objet du litige, qui est déterminé par les prétentions et demandes des parties telles qu’exposées dans le procès-verbal constatant l’objet de l’arbitrage et fixant le déroulement de la procédure prévu à l’article 15 du Règlement [d’arbitrage], sans qu’il y ait lieu de s’attacher au seul énoncé des questions litigieuses fait par la demanderesse elle-même dans ses diverses écritures. En l’espèce, il résulte dudit procès-verbal établi par les arbitres et régulièrement signé par toutes les parties conformément aux dispositions de l’article 15 précité, que le tribunal
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arbitral était appelé à se prononcer sur le caractère abusif ou non de la résiliation par la défenderesse d’une convention de maîtrise d’œuvre signée par les parties, au regard des stipulations de ladite convention et des dispositions de l’article 77 de la loi 87-31/ARNM du 29 août 1987 fixant le régime des obligations au Mali, applicable en l’espèce, ainsi que sur la demande reconventionnelle en paiement présentée par la demanderesse. Le tribunal qui, analysant les dispositions contractuelles et appréciant les faits et prétentions des parties, ainsi que les éléments de preuve qui lui ont été fournis, a estimé que « [la défenderesse] n’a commis aucune faute » et « n’est coupable d’aucune rupture abusive » et a en conséquence débouté la demanderesse de toutes ses demandes et fait droit à celles reconventionnelles de la défenderesse, qu’il a trouvées fondées, n’a en rien méconnu l’objet de sa mission. Si le respect du principe de la contradiction impose que chaque partie ait pu faire connaître ses prétentions et discuter celles de son adversaire, de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la sentence n’ait échappé aux débats, il n’impose en revanche pas à l’arbitre l’obligation d’impartir strictement les mêmes délais pour chaque chef de demande. En l’espèce, la demanderesse qui, d’une part, a apposé sa signature sur le procès-verbal fixant le déroulement de la procédure sans aucune réserve et ainsi donné son accord sur le calendrier prévisionnel y contenu et, d’autre part, effectivement communiqué et déposé ses écritures dans les délais qui lui étaient impartis dans ledit procès-verbal, est malvenue à invoquer une quelconque violation de ses droits. Conformément à l’article 19 du Règlement d’arbitrage, il relève de l’office du tribunal arbitral d’apprécier l’opportunité des mesures d’instruction adéquates à la solution du litige, telle l’audition d’un témoin. Ni la transcription des dépositions des témoins, ni l’établissement d’un procès-verbal de l’audience ne constituent une obligation imposée au tribunal arbitral par le Règlement d’arbitrage de la CCJA, auquel les parties ont convenu de soumettre leur différend. Les arbitres ne sauraient donc se voir reprocher de ne pas avoir procédé à ces formalités. Aucune violation du contradictoire ne peut être reprochée aux arbitres dès lors qu’il n’est pas pas contesté que la sentence arbitrale a été rendue à la majorité, qu’elle a été signée par les deux arbitres, l’opinion minoritaire du troisième y étant jointe, conformément aux prescriptions de l’article 22.4 du Règlement d’arbitrage. Le grief fait au tribunal d’avoir « troublé l’ordre public dans le déroulé de la procédure » ne relève pas des cas d’ouverture du recours en contestation de validité, limitativement énumérés à l’article 30.6 du Règlement d’arbitrage et ce moyen est mal fondé. ARTICLE 15 DU REGLEMENT D’ARBITRAGE DE LA CCJA ARTICLE 19 DU REGLEMENT D’ARBITRAGE DE LA CCJA ARTICLE 22-4 DU REGLEMENT D’ARBITRAGE DE LA CCJA ARTICLE 30-6 DU REGLEMENT D’ARBITRAGE DE LA CCJA CCJA, Assemblée plénière, Arrêt n° 098/2014 du 30 octobre 2014 ; Pourvoi Recours en contestation de validité de sentence arbitrale n°128/2012/PC du 20/09/2012 : SCP PYRAMIDION c/ Agence d’Exécution des Travaux d’Infrastructure du Mali dite AGETIER-Mali.
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La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l’Arrêt suivant, en Assemblée plénière, en son audience publique du 30 octobre 2014 où étaient présents : Monsieur : Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Président Madame Flora DALMEIDA MELE, Second Vice-président Messieurs : Namuano F. DIAS GOMES, Juge
Victoriano OBIANG ABOGO, Juge Mamadou DEME, Juge, rapporteur Idrissa YAYE Juge Djimasna N’DONINGAR, Juge et Maître ASSIEHUE Acka, Greffier ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 20 septembre 2012 sous le
numéro 128/2012/PC et formé par la SCP PYRAMIDION, ayant son siège social à l’immeuble ABK 1, avenue Cheikh Zayed, Hamdalaye, BP : 3175-Bamako, ayant pour conseil la Société Civile Professionnelle d’Avocats Juri-Partner, 65 Rue 139 Badala Sema II, BP : E5354-Bamako, dans la cause qui l’oppose à l’Agence d’Exécution des Travaux d’Infrastructures et d’Equipements Ruraux du Mali dite AGETIER-Mali, ayant son siège social à Ségou, quartier résidentiel, BP 428 et pour conseil Maître Issaka KEITA, rue 25, porte 23 Cité du Niger, BP : 3189-Bamako,
en contestation de validité de la sentence rendue le 13 juillet 2012 par le tribunal
arbitral et dont le dispositif est le suivant : « Statuant à la majorité de ses membres, SUR LA DEMANDE PRINCIPALE : Rejette toutes les demandes de la SCP PYRAMIDION comme étant non fondées ; SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE : Reçoit la demande reconventionnelle d’AGETIER-MALI et la déclare fondée ; En conséquence : Condamne la SCP PYRAMIDION à payer à l’AGETIER-MALI la somme de VINGT
MILLIONS (20.000.000) de Francs CFA au titre des pénalités de retard ; Condamne également la SCP PYRAMIDION à payer un franc symbolique à
l’AGETIER-MALI en réparation de son préjudice moral. Les frais de l’arbitrage s’élèvent à soixante quatre millions sept cent soixante seize
mille sept cent douze (64.776.712) francs CFA ; Met à la charge de la SCP PYRAMIDION, les frais ainsi liquidés et la condamne aux
dépens. » ;
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La requérante invoque à l’appui de son recours les deux moyens d’annulation tels qu’ils figurent à sa requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Mamadou DEME, Juge ; Vu les articles 21 à 26 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique ; Vu les dispositions des articles 29 et 30 du Règlement d’arbitrage de la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ; Vu le Règlement de procédure de ladite Cour ; Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que le groupement
constitué par les cabinets d’architecture SCP PYRAMIDION, BEN MILLED et PYRAM ainsi que le cabinet d’ingénierie SIRABA, avait conclu avec l’AGETIER-Mali un contrat de maîtrise d’œuvre ; qu’un différend étant survenu entre les parties en cours d’exécution de ce contrat, l’AGETIER-Mali a notifié la résiliation de la convention à la SCP PYRAMIDION, suivant courrier n°0178 DG/2010 du 4 février 2010 ; qu’estimant cette résiliation abusive, la SCP PYRAMIDION a saisi la CCJA d’une demande d’arbitrage ; que c’est la sentence rendue par le tribunal arbitral qui est l’objet de la présente procédure ;
Sur la recevabilité du recours Attendu que l’AGETIER-Mali soulève in limine litis l’irrecevabilité du recours ;
qu’elle fait valoir que l’un des avocats de la SCP PYRAMIDION, Maître Mohamed BATHILY, dont la constitution est mentionnée dans la requête introductive du recours, n’a pas produit le mandat spécial prévu à l’article 28 du Règlement de procédure ;
Mais attendu que la requête, de même que les autres écritures de la SCP
PYRAMIDION, ne comportent que la signature de Maître Mamadou G. DIARRA, avocat à la Cour au Mali, au nom de la Société Civile Professionnelle d’Avocats Juri-Partner, dont le mandat spécial de représentation a été régulièrement produit aux débats et n’a pas été contesté ; que l’irrecevabilité du recours ne saurait résulter du défaut de production d’un mandat au nom de Maître Mohamed BATHILY, qui n’est signataire ni de la requête, ni d’un quelconque mémoire déposé au nom de la recourante ;
Que le recours doit être déclaré recevable en la forme ; Sur le premier moyen tiré du non respect de sa mission par le tribunal arbitral Attendu que selon le moyen, la SCP PYRAMIDION avait demandé au tribunal
arbitral, tant dans la requête introductive que dans son mémoire en réplique, de se prononcer sur les points suivants :
- la licéité et la légitimité ou non de la redistribution des rôles entre les membres du groupement, ainsi que celle de la nouvelle répartition financière décidée unilatéralement par l’AGETIER-Mali ;
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- le droit qu’avait ou non l’AGETIER-Mali d’imposer, sous peine de résiliation, un avenant qui changeait totalement la nature du groupement, ainsi que sur les conséquences juridiques et financières engendrées par un tel changement ;
- le caractère libératoire ou non des paiements faits directement par l’AGETIER-Mali
à chaque membre du groupement, malgré la solidarité liant ceux-ci et l’existence d’un compte ouvert au nom du groupement ;
Que le tribunal s’est fortement éloigné de ces demandes, auxquelles il n’a pas
répondu ; que les arbitres ont « totalement biaisé » la présentation des demandes précitées, pour aboutir à une conclusion erronée du point de vue du droit appliqué au fait ;
Mais attendu que la mission de l’arbitre est délimitée par l’objet du litige ; que celui-ci
est déterminé par les prétentions et demandes des parties telles qu’exposées dans le procès- verbal constatant l’objet de l’arbitrage et fixant le déroulement de la procédure prévu à l’article 15 du Règlement de procédure, sans qu’il y ait lieu de s’attacher au seul énoncé des questions litigieuses fait par la demanderesse elle-même dans ses diverses écritures ;
Attendu qu’il résulte dudit procès-verbal, établi dans le cas d’espèce par les arbitres le
20 septembre 2011, régulièrement signé par toutes les parties conformément aux dispositions de l’article 15 précité, que le tribunal arbitral était appelé à se prononcer sur le caractère abusif ou non de la résiliation par l’AGETIER-Mali de la convention de maîtrise d’œuvre du 17 août 2007, au regard des stipulations de ladite convention et des dispositions de l’article 77 de la loi 87-31/ARNM du 29 août 1987 fixant le régime des obligations au Mali, applicable en l’espèce, ainsi que sur la demande reconventionnelle en paiement présentée par l’AGETIER-Mali ;
Qu’analysant les dispositions contractuelles et appréciant les faits et les prétentions
des parties, ainsi que les éléments de preuve qui lui ont été fournis, le tribunal arbitral a estimé que « l’AGETIER-Mali n’a commis aucune faute » et « n’est coupable d’aucune rupture abusive » ; qu’il a en conséquence débouté la SCP PYRAMIDION de toutes ses demandes et fait droit à celles reconventionnelles de l’AGETIER-Mali, qu’il a trouvées fondées ;
Qu’en statuant ainsi, les arbitres n’ont en rien méconnu l’objet de leur mission ; Que le grief apparait ainsi mal fondé ; Sur le deuxième moyen en ses deux branches réunies, pris du non respect du contradictoire dans la procédure suivie et la démarche « troublant l’ordre public » Attendu que selon le moyen, le tribunal n’aurait pas respecté les règles du
contradictoire dans le déroulement de la procédure pour les raisons suivantes : - il n’a pas imparti le même délai de réponse pour la demande principale et la demande
reconventionnelle, alors que l’égalité de traitement des parties commandait qu’il en fût ainsi ; - il a admis la dame Marie Madeleine TRAORE à déposer à titre de simple
renseignement, alors que la requête de l’AGETIER tendant à son audition en qualité de
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témoin n’a été reçue que l’avant-veille de l’audience du 23 janvier 2012 à 18h 30 minutes, et que PYRAMIDION s’y est opposée ;
- cette audition n’a fait l’objet d’aucun procès-verbal en violation de l’article 15 du
Règlement d’arbitrage de la CCJA, et les propos du témoin ont été dénaturés ; - le projet de procès-verbal de l’audience du 23 janvier 2012 n’a jamais été finalisé ni
signé par aucune des parties ; par ailleurs, il mentionnait à l’origine des informations inexactes qui n’ont disparu, sans aucune explication, qu’à la suite des observations faites en ce sens par la SCP PYRAMIDION ;
Attendu que la démarche du tribunal aurait par ailleurs « troublé l’ordre public » ; que
la requérante fait valoir qu’au cours de l’audience du 23 janvier 2012, ledit arbitre a suppléé à la carence de l’avocat de l’AGETIER-Mali quant au soutien de ses allégations et à la justification des pénalités de retard réclamées à titre reconventionnel, en lui posant des questions dont il lui a fourni les réponses au fur et à mesure, par la lecture des dispositions contractuelles pertinentes, avant de lui suggérer de consigner le tout dans des notes de plaidoirie produites postérieurement, et sur les éléments desquelles la sentence s’est pour l’essentiel focalisée ; que selon elle, le tribunal qui a statué dans ces conditions et alors que l’un des arbitres s’était retiré de la salle à un moment des débats, pour des raisons personnelles, a « troublé l’ordre public » ;
Mais attendu, sur la première branche du moyen, que si le respect du principe de la
contradiction impose que chaque partie ait pu faire connaître ses prétentions et discuter celles de son adversaire, de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la sentence n’ait échappé aux débats, en revanche, il n’impose pas à l’arbitre l’obligation d’impartir strictement les mêmes délais pour chaque chef de demande ; qu’au surplus, la SCP PYRAMIDION qui, d’une part, a apposé sa signature sur le procès-verbal du 20 septembre 2011 fixant le déroulement de la procédure sans aucune réserve et ainsi donné son accord sur le calendrier prévisionnel y contenu et, d’autre part, effectivement communiqué et déposé ses écritures dans les délais qui lui étaient impartis dans ledit procès-verbal, est malvenue à invoquer une quelconque violation de ses droits ;
Attendu, sur l’audition de Marie Madeleine TRAORE, que selon l’article 19 du
Règlement d’arbitrage, « l’arbitre instruit la cause dans les plus brefs délais par tous les moyens appropriés » ; qu’ainsi, il relève de l’office du tribunal arbitral d’apprécier l’opportunité des mesures d’instruction adéquates à la solution du litige, telle l’audition d’un témoin ;
Attendu que ni la transcription des dépositions des témoins, ni l’établissement d’un
procès-verbal de l’audience ne constituent une obligation imposée au tribunal arbitral par le Règlement d’arbitrage de la CCJA, auquel les parties ont convenu de soumettre leur différend ; que les arbitres ne sauraient donc se voir reprocher de ne pas avoir procédé à ces formalités ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que la sentence arbitrale du 13 juillet 2012 a été
rendue à la majorité ; qu’elle a été signée par les deux arbitres, l’opinion minoritaire du troisième y étant jointe, conformément aux prescriptions de l’article 22.4 du Règlement d’arbitrage ;
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Attendu, sur la deuxième branche du moyen, que le grief fait au tribunal d’avoir « troublé l’ordre public dans le déroulé de la procédure » ne relève pas des cas d’ouverture du recours en contestation de validité, limitativement énumérés à l’article 30.6 du Règlement d’arbitrage ;
Qu’il échet en définitive de déclarer le moyen mal fondé en sa première branche et
irrecevable en la seconde ; Attendu que la recourante qui a succombé doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré, Déclare le recours en contestation de validité formé par la SCP PYRAMIDION contre
la sentence arbitrale rendue le 13 juillet 2012 recevable en la forme ; Au fond, le rejette ; Condamne la SCP PYRAMIDION aux dépens. Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier