La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 23 juillet 2014 où étaient présents :
Messieurs Abdoulaye Issoufi TOURE, Président Namuano Francisco DIAS GOMES, Juge
Djimasna N’DONINGAR, Juge, Rapporteur et Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier,
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 12 Juillet 2010 sous le n°063/2010/PC et formé par Maître Bakari FOFANA, Avocat à la Cour, demeurant à Cocody les –Deux- Plateaux, 1, Rue du Vallon, Immeuble Vanda, 3ème étage, porte 12, 25 BP 1126 ABIDJAN 25, agissant au nom et pour le compte de la Société Ivoirienne de Manutention et de Transit (SIMAT), S.A. dont le siège social est à 15 BP 648 ABIDJAN 15, dans la cause qui l’oppose à la Société Etablissement DJIEOULA Michel, SARL sise à Treichville, Port de Pêche, 26 BP 643 Abidjan 26, ayant pour Conseil Maître Atoh Bi KOUADIO Raymond, Avocat à la Cour, demeurant Avenue du Rez de Chaussée, 04 BP 642 ABIDJAN 04
en cassation de l’Arrêt civil n°573/09, rendu le 18 décembre 2009 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ; En la forme
- Déclare la société TRADE WIND TANKERS SL et la Société Ivoirienne de Manutention et de Transit dite SIMAT recevables en leurs appels principaux respectifs et la BRIDGE BANK GROUP Côte d’Ivoire recevable en son appel incident ;
Au fond - Dit la BRIDGE BANK GROUP Côte d’Ivoire bien fondé en son appel
incident ; - Dit en revanche la société TRADE WIND TANKERS SL et la Société SIMAT
mal fondés en leurs appels principaux ; - Reformant le jugement entrepris ; - Déclare irrecevable à l’égard de la BRIDGE BANK GROUP Côte d’Ivoire
l’action en paiement initiée par l’Etablissement DJIEOULAI Michel ; - Confirme pour le surplus le jugement entrepris ; - Condamne aux dépens la société TRADE WIND TANKERS SL et la Société
SIMAT en proportion de la moitié à la charge de chacune d’elles ; » Attendu que la requérante invoque à l’appui de son pourvoi le moyen unique de
cassation, tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt ; Sur le rapport de Monsieur Djimasna N’DONINGAR, Juge ; Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des
affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la Société Etablissement DJIEOULAI, se disant créancière de la Société TRADEWIND TANKERS SL, propriétaire du navire TRADEWIND CARIBE, en raison de la fourniture de divers produits, sous la surveillance des douanes de Côte d’Ivoire, a procédé à une saisie conservatoire dudit navire, pour sûreté et paiement des sommes réclamées ; qu’en vue d’obtenir la mainlevée amiable de cette saisie, la SIMAT, désignée consignataire, sollicita de la BRIDGE BANK GROUP pour le compte de l’armateur ADDAX, en mars 2007, un cautionnement solidaire au bénéfice de la Société Etablissement DJIEOULAI, réalisable au cas où elle serait définitivement reconnue débitrice des sommes dues ; qu’en mai 2007, lasse d’attendre son paiement, la Société Etablissement DJIEOULAI initia une procédure d’injonction de payer
qui aboutit à la condamnation solidaire de la société BRIDGE BANK GROUP, de la Société SIMAT et de la Société TRADEWIND TANKERS SL au paiement des sommes dues, condamnation confirmée par le Tribunal de première instance d’Abidjan Plateau le 02 juillet 2008 ; que sur appels des trois sociétés condamnées, la Cour d’Abidjan a rendu, le 18 décembre 2009, l’Arrêt civil n°573/09 sus énoncé, objet du présent pourvoi ;
Sur l’irrecevabilité de la requête aux fins d’injonction de payer introduite par la Société Etablissement DJIEOULAI le 07 mai 2007
Attendu que dans son mémoire en réplique, la requérante estime que la société établissement DJIEOULAI n’est pas une société à responsabilité limitée mais plutôt une entreprise individuelle dépourvue de la personnalité morale ; qu’il en découle qu’elle ne peut ester en justice, ni en tant que demanderesse, ni en tant que défenderesse ; qu’elle sollicite que soit déclarée irrecevable la requête d’injonction de payer introduite le 07 mai 2007 ;
Mais attendu que la capacité d’ester, qui est l’aptitude à faire valoir ses droits en justice, est reconnue aussi bien aux personnes physiques qu’aux personnes morales et que, suivant l’article 1er de l’ l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la procédure d’injonction de payer est ouverte à tout créancier qui justifie d’une créance certaine, liquide et exigible, sans considération de la spécificité de sa personnalité juridique ; que ce moyen ne peut donc prospérer et il convient de le rejeter ;
Sur le moyen unique, tiré du défaut de base légale, résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité et de la contrariété des motifs
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt déféré de manquer de base légale, en ce qu’il a justifié le caractère certain, liquide et exigible de la créance de la société Etablissement DJIEOULAI en se basant sur les termes du procès-verbal d’enquête préliminaire diligentée par la gendarmerie, alors que la Société TRADEWIND TANKERS SL a toujours contesté la sincérité de ce procès-verbal et l’existence même de cette créance et a toujours soutenu que la Société Etablissement DJIEOULAI n’a jamais livré les produits en question au navire TRADEWIND CARIBE ;
Attendu qu’aux termes de l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, « le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer » ; que l’article 13 du même Acte uniforme précise « celui qui a demandé la décision d’injonction de payer supporte la charge de la preuve de sa créance » ;
Attendu que, pour caractériser le caractère certain et liquide de la créance litigieuse, la cour d’appel a retenu, d’une part, qu’ « (…) une enquête de la gendarmerie a été effectuée sur cette affaire et une copie du procès-verbal non contestée de cette enquête est produite aux débats ; il en résulte que les responsables et agents des douanes en service à l’époque des faits ont confirmé que les marchandises litigieuses ont effectivement été livrées à bord du navire sous le contrôle de la Douane, laquelle a également confirmé l’authenticité de sa signature sur les documents de livraison ; que, d’autre part, « le capitaine du navire n’a jamais en réalité contesté le principe de la livraison des marchandises et de la créance, (…) s’est contenté de ne relever contre la saisie que des moyens de pure forme, à savoir l’absence d’indication de l’identité complète du navire, de désignation de la juridiction compétente, la contestation de
sa signature…, sans déclarer, ni affirmer n’avoir pas reçu livraison de marchandises, ce qui doit être interprété comme une reconnaissance implicite de la livraison des marchandises à bord du navire… » ;
Attendu qu’en statuant ainsi par simple déduction de l’attitude du supposé débiteur, alors qu’il y a une contradiction manifeste entre les factures supposées être contresignées par le capitaine du navire et le document de livraison visé par l’Administration des Douanes, jetant de ce fait un doute sérieux sur la nature des produits livrés et leur valeur, la cour d’Appel n’a pas donné une base légale à sa décision, relativement à la certitude de la créance ; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué, d’évoquer et de statuer sur le fond ;
Sur l’évocation
Attendu que, par exploits en dates des 23 et 31 juillet 2008, les Sociétés SIMAT et
TRADE WIND TANKERS SL ont respectivement relevé appel du Jugement n°2044/CIV3/D rendu sur opposition à ordonnance d’injonction de payer le 02 juillet 2008 par le Tribunal de première instance d’Abidjan dont le dispositif suit : « Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et commerciale et en premier ressort :
- Reçoit les Sociétés BRIDGE BANK GROUP CI, TRADEWIND TANKERS et SIMAT en leur opposition ;
- Les y dit mal fondées ; - Les en déboute ; - Les condamne à payer solidairement à la Société DJIEOULAI Michel la somme
de 16.178.750 FCFA ; - Condamne les demanderesses aux dépens »
Qu’au soutien de leur appel, elles demandent à la Cour d’infirmer le jugement
entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de dire et juger que la créance de la Société l’Etablissement DJIEOULAI n’est ni certaine, ni liquide, ni exigible ; qu’elles exposent que pour obtenir la condamnation solidaire de la SIMAT, de la BRIDGE BANK GROUP et de la société TRADEWIND TANKERS SL, l’Etablissement DJIEOULAI a prétendu avoir passé un marché de gré à gré avec le capitaine commandant du navire TRADEWIND CARIBE, propriété de la société TRADEWIND TANKERS SL ; Qu’en vertu dudit contrat, il aurait livré diverses marchandises à bord du navire, lesquelles marchandises n’auraient pas été payées ; que, par ailleurs, la BRIDGE BANK GROUP s’était portée caution de la SIMAT, désignée consignataire du navire TRADEWIND CARIBE, mais pour le compte d’un affréteur dénommé ADDAX et non pour le compte de TRADEWIND TANKERS SL, supposé débiteur de la créance réclamée par l’Etablissement DJIEOULAI ; que, par ailleurs, ce débiteur supposé conteste cette créance dans son existence même, laquelle ne peut être déduite des documents falsifiés produits par la prétendue créancière et d’un procès-verbal d’enquête préliminaire à laquelle la société TRADEWIND TANKERS SL n’a pas été invitée ; que la procédure d’injonction de payer, qui exige les conditions de certitude, d’exigibilité et de liquidité de la créance, ne saurait être mise en œuvre dans ces circonstances, et par conséquent, les cautions ou garants éventuels ne peuvent être tenus de payer ladite créance, en raison de ce qu’elle est contestée par le supposé débiteur pour le compte de qui les cautions pourraient agir ;
Attendu que la Société Etablissement DJIEOULAI soutient, à l’appui de ses prétentions, qu’elle a bel et bien livré des marchandises à bord du navire TRADEWIND CARIBE, dans le cadre d’un marché de gré à gré, en usage dans le milieu de l’avitaillement
maritime ; que ce genre de marché se passe de bons de commande et de bon de livraison, de sorte que la seule preuve irréfutable de la livraison des produits à bord d’un navire est le visa des douanes de Côte d’Ivoire ; qu’en outre, il résulte du procès-verbal d’enquête préliminaire de la gendarmerie que non seulement les marchandises ont été effectivement livrées mais aussi et surtout que la signature du capitaine du navire TRADEWIND CARIBE sur les factures n’a pas été imitée ; qu’il s’ensuit que la créance dont le recouvrement est poursuivi est certaine et exigible ;
Mais attendu que, pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation, tiré du défaut de certitude de la créance, il y a lieu, pour la Cour de céans, d’infirmer le Jugement n°2044/CIV3/D, rendu sur opposition à ordonnance d’injonction de payer le 02 juillet 2008 par le Tribunal de première instance d’Abidjan en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de dire qu’il n’y a pas lieu à procédure d’injonction de payer et renvoyer la Société Etablissement DJIEOULAI à mieux se pourvoir ;
Attendu que la Société Etablissement DJIEOULAI, ayant succombé, sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré, Casse l’arrêt civil n°573/09, rendu le 18 décembre 2009 par la Cour d’appel d’Abidjan ; Evoquant et statuant sur le fond :
- Infirme le Jugement n°2044/CIV3/D, rendu sur opposition à ordonnance d’injonction de payer le 02 juillet 2008 par le Tribunal de première instance d’Abidjan ;
- Dit n’y avoir lieu à procédure d’injonction de payer ;
- Renvoie la Société Etablissement DJIEOULAI à mieux se pourvoir ;
- La Condamne aux dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier Pour expédition établie en six (06) pages par Nous, Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef de ladite Cour. Fait à Abidjan, le 14 octobre 2014
Maître Paul LENDONGO