La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 22 mai 2014 où étaient présents :
Messieurs Abdoulaye Issoufi TOURE, Président Victoriano OBIANG ABOGO, Juge
Djimasna N’DONINGAR, Juge, Rapporteur et Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier,
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 27 octobre 2010 sous le n°100/2010/PC et formé par SCPA Kanjo, Koita et Houda, Avocats au Barreau du Sénégal, demeurant 66, Boulevard de la République, Résidence Seydou Nourou Tall, BP 11417 CD, à DAKAR - Sénégal, agissant au nom et pour le compte des Sociétés CANAC Sénégal S.A, demeurant au 03, Rue Alioune Diop, FANN – MERMOZ, à Dakar & CANAC Railway Services Inc, ayant son siège social au 3950 HICKMORE STREET SAINT LAURENT, QUEBEC – CANADA K4T1K2, dans la cause qui les oppose à la Société TRANSRAIL S.A., siège social : Immeuble « Le BABEMBA » OULOFOBOUGOU, BP : 4150, Bamako - MALI, ayant pour Conseil Maître Arandane Touré, Avocat à la Cour, 570, Rue Baba Diarra, BP : E1686, à Bamako – MALI,
en cassation de l’Arrêt n°51, rendu le 04 août 2010 par la Cour d’appel de Bamako et
dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort :
En la forme
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- Reçoit les appels interjetés ;
Au fond - Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; - Déclare irrecevable le surplus des demandes formulées la première fois devant la
Cour par Trans-Rail SA comme demandes nouvelles ; - Met les dépens à la charge des appelantes. » ;
Attendu que les requérantes invoquent à l’appui de leur pourvoi les six moyens de
cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ; Sur le rapport de Monsieur Djimasna N’DONINGAR, Juge ; Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des
affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la Société TRANSRAIL S.A a conclu en octobre 2003 et en janvier 2005 une convention d’assistance technique et un contrat de sous-traitance avec, respectivement, CANAC Sénégal S.A. et CANAC Railway Services Inc., société mère de CANAC Sénégal et, par ailleurs, actionnaire de référence et Administrateur de TRANSRAIL S.A. ; qu’en date du 31 décembre 2005, TRANSRAIL et CANAC SENEGAL S.A. ont convenu de la résiliation de la convention d’assistance technique, tout en stipulant que « les parties réservent leurs droits acquis au terme de cette convention et continuent à être liées par les obligations non encore exécutées au terme de cette convention » ; qu’en avril 2008, après que CANAC Railway Services Inc. ait cédé ses actions, et suite à des controverses sur la gestion de son actionnaire de référence, la Société TRANSRAIL S.A. a saisi le Tribunal de commerce de Bamako d’une action aux fins d’annulation des conventions d’assistance technique et de sous-traitance qui la lient à CANAC Railway Services Inc. et sa filiale, CANAC Sénégal ; que par Jugement n°119 en date du 06 février 2009, le Tribunal de commerce de Bamako a fait droit à cette demande en prononçant la nullité des conventions litigieuses et condamnant CANAC Railway Services Inc.et sa filiale CANAC Sénégal au paiement de la somme reliquataire de trois milliards de FCFA en règlement de compte et de huit cent millions à titre de dommages-intérêts ; Que la Cour d’appel de Bamako, sur appels des Sociétés CANAC Railway Services Inc. et CANAC Sénégal, a rendu, le 04 août 2010, l’Arrêt n°51 sus énoncé, objet du présent pourvoi ; Sur les premier et deuxième moyens réunis, tirés de la violation des articles 4 et 13 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt déféré d’avoir violé les dispositions des articles 4 et 13, en rejetant l’exception d’incompétence des juridictions étatiques en présence de clauses compromissoires, au motif que « CANAC Sénégal SA avait elle-même signé (…) l’annulation de la convention d’assistance technique, que cette signature équivaut à une renonciation pure et simple à ladite convention…, que cette convention annulée renferme la clause compromissoire invoquée par CANAC Sénégal, que les appelantes ne peuvent plus se prévaloir de leur propre turpitude pour se prévaloir de cette clause qu’elles ont elles-mêmes annulée » alors, selon le
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moyen, que la convention d’arbitrage insérée dans un contrat a un objet procédural visant à soumettre à l’arbitrage tout litige qui pourrait naître de ce contrat et qu’au terme des dispositions de l’Acte uniforme sur l’arbitrage, d’une part, la résiliation du contrat par les parties ne saurait avoir pour effet l’extinction de la clause compromissoire qu’il contenait, et d’autre part, lorsque les parties ont expressément prévu dans leur contrat la voie de l’arbitrage pour le règlement de leurs litiges, le juge étatique qui en est saisi, doit se déclarer incompétent ;
Attendu que l’article 4 susvisé énonce : « la convention d’arbitrage est indépendante du contrat principal. Sa validité n’est pas affectée par la nullité de ce contrat… » ; Que suivant l’article 13, « lorsqu’un litige, dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention arbitrale, est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente. Si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction étatique doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle… »
Attendu qu’il est constant, comme résultant de la requête introductive et de toutes les
conclusions devant les juridictions de fond, que l’action intentée par TRANSRAIL S.A tend à l’annulation des deux conventions passées entre elle et les Sociétés CANAC Sénégal et CANAC Railway Services Inc.; qu’il est clairement apparu que ces conventions ont prévu, pour le règlement des différends, le recours à l’arbitrage ; qu’en subordonnant la validité de la clause d’arbitrage à celle de la convention qui la contient, suite à la résiliation du 31 décembre 2005, pour décider que la Société CANAC Sénégal ne pouvait se prévaloir de la clause compromissoire contenue dans le contrat du 15 octobre 2003, la Cour d’appel de Bamako, en retenant sa compétence, a méconnu les dispositions des articles 4 et 13 visés au moyen et sa décision encourt cassation, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué, d’évoquer et de statuer sur le fond ;
Sur l’évocation
Attendu que, par acte du greffe n°66 du 16 février 2009, les Sociétés CANAC Railway
Services Inc et CANAC Sénégal S.A. ont relevé appel du Jugement n°119, rendu le 06 février 2009 par le Tribunal de commerce de Bamako dont le dispositif suit :
« Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort :
- Rejette l’exception d’incompétence et les fins de non recevoir soulevées par les défenderesses ;
- En la forme : reçoit les demandes de la société TRANSRAIL SA et les demandes incidentes de CANAC Inc, devenue CANAC RAILWAY SERVICES INC et CANAC SENEGAL ;
- Au fond :
• Prononce la nullité de la convention d’assistance technique du 15 octobre 2003 et le contrat de sous-traitance du 04 janvier 2005 ;
• Dit et juge que CANAC INC devenu CANAC RAILWAY SERVICES INC et CANAC SENEGAL restent devoir à TRANSRAIL SA la somme reliquataire de 3 milliards de FCFA ;
• Condamne CANAC INC devenu CANAC RAILWAY SERVICES INC et CANAC SENEGAL à payer à la société TRANSRAIL SA la somme reliquataire de 3.000.000.000 FCFA (trois milliards de FCFA) en
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règlement de compte, et celle de 800.000.000 FCFA (huit cent millions de FCFA) à titre de dommages et intérêts ;
• Déboute TRANSRAIL SA du surplus de sa demande ; • Rejette les demandes incidentes des défenderesses ; • Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant
l’exercice des voies de recours ; • Condamne CANAC INC devenu CANAC RAILWAY SERVICES INC
et CANAC SENEGAL aux dépens. » ;
Qu’au soutien de leur appel, elles demandent à la Cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de recevoir l’exception d’incompétence soulevée et de se déclarer incompétente ; qu’elles exposent que la Société TRANSRAIL S.A a conclu, en octobre 2003 et en janvier 2005, une convention d’assistance technique et un contrat de sous-traitance avec, respectivement, CANAC Sénégal S.A. et CANAC Railway Services Inc., société mère de CANAC Sénégal et, par ailleurs, actionnaire de référence et Administrateur de TRANSRAIL S.A. ; que courant 2007, CANAC Railway Services Inc. a cédé ses actions et s’est ainsi retiré du capital social de TRANSRAIL SA ; que, par la suite, des controverses sur la gestion de TRANSRAIL SA sous administration de son actionnaire de référence, CANAC Railway Services Inc., éclataient et conduisaient la Société TRANSRAIL S.A. à saisir le Tribunal de commerce de Bamako d’une action aux fins d’annulation des conventions d’assistance technique et de sous-traitance qui la liaient à CANAC Railway Services Inc.et sa filiale, CANAC Sénégal ; qu’en dépit de l’exception d’incompétence qu’elles avaient soulevée en raison de l’existence de clauses compromissoires dans les conventions litigieuses, le Tribunal de commerce de Bamako, par Jugement n°119 en date du 06 février 2009, a fait droit à cette demande en prononçant la nullité desdites conventions et en condamnant CANAC Railway Services Inc et sa filiale CANAC Sénégal ; que la convention d’arbitrage est autonome par rapport au contrat dans lequel elle est stipulée ; que lorsque les parties insèrent dans leur contrat une convention d’arbitrage, elles témoignent de leur commune volonté de faire trancher tous les litiges qui naîtraient de leur relation contractuelle par des arbitres ; qu’il ressort ainsi des clauses des deux conventions dont l’annulation est demandée par la Société TRANSRAIL SA, que les parties ont prévu de soumettre tout litige à l’arbitrage ;
Attendu que la Société TRANSRAIL SA soutient, à l’appui de ses prétentions, que le litige dont s’agit ne porte ni sur l’interprétation, ni sur l’exécution des conventions querellées, mais sur le défaut de respect de formalités substantielles et des règles d’ordre public prévues par le droit des sociétés, à savoir l’autorisation préalable pour passer une convention règlementée ; que s’agissant d’une question touchant au fonctionnement d’une société de droit malien, il est à l’évidence légitime de soutenir que la question de l’annulation des conventions conclues entre ladite société et ses actionnaires est une question soumise à la juridiction du lieu du siège social ; qu’en conséquence, étant donné que les appelantes détenaient une participation dans TRANSRAIL SA, le présent litige ne peut relever que de la juridiction du lieu du siège de la société et qu’il y a lieu de rejeter l’exception d’incompétence soulevée par CANAC Railway Services Inc et sa filiale CANAC Sénégal ;
Mais attendu que, pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus lors de l’examen des moyens de cassation articulés par les requérantes, tirés de l’existence de clauses compromissoires relativement à tout différend qui pourrait naître entre les parties, il y a lieu, pour la Cour de céans, d’infirmer le Jugement n°119 rendu le 06 février 2009 par le Tribunal de commerce de Bamako en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de se déclarer incompétente et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
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Attendu que la Société TRANSRAIL SA, ayant succombé, sera condamnée aux
dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’Arrêt n°51 rendu le 04 août 2010 par la Cour d’appel de Bamako ;
Evoquant et statuant sur le fond :
- Infirme le Jugement n°119 rendu le 06 février 2009 par le Tribunal de commerce de Bamako ;
- Se déclare incompétente ;
- Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
- Condamne la Société TRANSRAIL SA aux dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier