La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée plénière, a rendu l’Arrêt suivant en son audience foraine tenue le 23 avril 2014 à Lomé-Togo où étaient présents :
Messieurs Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Président Abdoulaye Issoufi TOURE, Premier Vice-président Madame Flora DALMEIDA MELE, Snde Vice-présidente, rapporteur Messieurs Namuano F. DIAS GOMES, Juge Victoriano OBIANG ABOGO, Juge Mamadou DEME, Juge Idrissa YAYE, Juge Djimasna N’DONINGAR, Juge et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef ;
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Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 08 août 2012 sous le n°087/2012/ PC et formé par Maître Galolo SOEDJEDE, Avocat à la Cour, 01 BP 3893, Lomé, agissant au nom et pour le compte de la société TOGOCRUS ayant son siège social au 511, rue Okémédji à Tokoin, quartier RAMCO, Lomé-Togo aux poursuites et diligences de Monsieur Oskar CRAMERI, Gérant, dans la cause l’opposant à Monsieur Atara M’DAKENA, demeurant et domicilié au Palais de Justice de Lomé, sis au 748, Avenue de la Présidence 13. QAD, agissant d’ordre de l’Union des Assurances du Togo, à l’Union des Assurances du TOGO, UAT- Iardt, UAT-Vie dont le siège social est au 812, Boulevard du 13 janvier , immeuble UAT, BP 2680, Lomé, ayant pour conseils la SCPA AGBOYIBO, MONNOU & Associés, Avocats au Barreau de Lomé, 64, Avenue du 24 janvier, BP 06, Lomé, à la Société Omnium Togolais d’Assistance Maritime dite OTAM SARL dont le siège social est à Lomé, Port de Pêche, BP 7778, ayant pour conseil Maître AMEKOUDI Koffi Agbo, Avocat au Barreau du Togo, Place Anani Santos, BP 12478, Lomé et à la Société Togolaise de Consignation Maritime dite STCM SA, sise à Lomé, Zone portuaire, BP 996,
en cassation de l’Arrêt n°122/12 rendu le 05 juin 2012 par la Cour d’appel de Lomé et dont le dispositif est le suivant : « Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile sur requête civile et en appel ;
En la forme
- Rejette toutes les exceptions d’irrecevabilité introduites par la société TOGOCRUS SARL comme non fondées ;
- Déclare recevable la requête civile du Ministère public représenté par le Procureur Général près la cour d’appel de Lomé en date du 09 août 2011 ;
Au fond - Constate qu’aucune police d’assurance n’existait entre l’Union des Assurances du
Togo (ex UAP) et la société OTAM au moment de la survenance du sinistre en cause ;
- Ordonne la rétractation de l’arrêt n°253/2003 rendu le 18 décembre 2003 par la cour d’appel de céans ;
En conséquence dit et juge que le jugement n°313/2000 rendu le 14 mars 2000 par le
tribunal de première instance de Lomé emporte ses pleins et entiers effets en ce qui concerne la mise hors de cause de la compagnie U.A.T (ex UAP) ;
Déclare irrecevables les demandes incidentes et reconventionnelles formulées par la
société TOGOCRUS ; Met les dépens à la charge du Trésor public » ; La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les six moyens de cassation tels qu’ils
figurent à la requête annexée au présent arrêt ; Sur le rapport de Madame Flora DALMEIDA MELE, Seconde Vice-présidente ;
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Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
l’OHADA ; Attendu qu’il ressort des pièces de la procédure que par exploit du 16 novembre 1993, la
société Togolaise de Consignation Maritime STCM avait pratiqué une saisie conservatoire sur le navire PLAYA DE LOURIDO qui se trouvait dans le chantier naval de la société OTAM, constituée gardienne ; que le 19 décembre 1993, le bateau dénommé M/V Shrimpy-1 de la société TOGOCRUS a été endommagé suite au naufrage du navire PLAYA DE LOURIDO ; que la société TOGOCRUS a assigné en réparation la STCM et son assureur UAT devant le Tribunal de première instance de Lomé lequel a rendu le 14 mars 2000 le Jugement n°313 qui a mis hors de cause la STCM et a déclaré la société OTAM responsable des dommages occasionnés au chalutier Shrimpy -1 de TOGOCRUS dont elle avait la garde et l’a condamnée à payer à TOGOCRUS la somme de 31 169 165 francs en réparation des préjudices subis ; que TOGOCRUS a été condamnée à payer à l’UAT le montant de 5 000 000 FCFA à titre de dommages- intérêts ; que sur appel de la société TOGOCRUS, la Cour d’appel de Lomé a rendu le 18 décembre 2003, l’Arrêt n°253/2003 infirmant partiellement le jugement entrepris ; que la société TOGOCRUS s’est fait délivrer un certificat de non appel daté du 13 octobre 2004 ; que le 19 janvier 2005, OTAM s’est pourvue en cassation contre l’arrêt sus indiqué et a obtenu un sursis à exécution par Ordonnance n°75 rendue le 05 septembre 2007 par Monsieur le Président de la Cour Suprême ; que statuant sur le pourvoi, la Cour suprême a par Arrêt n°29/11 du 19 mai 2011 déclaré irrecevable ledit pourvoi ; qu’à l’issue de la décision de la Cour suprême, la société TOGOCRUS a entrepris l’exécution de l’Arrêt 253/03 par un commandement de payer adressé à l’assureur UAT ; que les 18, 19 et 22 août 2011, la société TOGOCRUS a pratiqué des saisies attributions de créances entre le mains de différentes banques de la place ; que le 23 août 2011, elle a reçu l’Ordonnance n°458/11 rendue le 19 août 2011 par le Président de la Cour d’appel de Lomé ayant ordonné le sursis de l’exécution entamée ; que le 05 juin 2012, la Cour d’appel de Lomé a rendu l’Arrêt n°122/12 dont pourvoi ;
Sur la compétence de la Cour de céans
Attendu que l’Union des Assurances du Togo (UAT) soulève l’incompétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage au motif que l’affaire sur laquelle la Cour d’appel de Lomé s’est prononcée dans l’Arrêt N°122/12 du 5 juin 2012 n’est pas relative aux Actes uniformes ni aux règlements prévus par le Traité OHADA mais que la question tranchée par la Cour d’appel de Lomé est celle de la garantie de l’UAT qui résulte de la procédure enclenchée par le Procureur général près la Cour d’appel de Lomé sur le fondement d’une requête civile prévue et organisée par le code togolais de procédure civile en ses articles 244 et suivants;
Attendu que l’article 14, alinéas 3 et 4 du traité OHADA dispose « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ;
Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats Parties dans les mêmes contentieux » ;
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Mais attendu que la décision attaquée tend à la suspension de l’exécution de l’Arrêt n°253/2003 devenu définitif, exécution entreprise par application des règles édictées par l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution en l’espèce des saisies attributions de créances pratiquées sur les comptes de UAT entre les mains de divers établissements bancaires ; que contrairement aux affirmations de la défenderesse, l’affaire soulève des questions relatives à l’application de l’Acte uniforme sus indiqué et la Cour doit se déclarer compétente nonobstant la requête civile du Procureur général dont la décision est intervenue après que les opérations de saisie soient déclenchées ;
Sur la recevabilité du recours
Attendu que la défenderesse UAT soulève des exceptions d’irrecevabilité du recours d’une part pour défaut d’existence de la société TOGOCRUS qui n’a pas de siège social réel et d’autre part pour défaut de mandat spécial donné à Maître SOEDJEDE Galolo pour former le pourvoi devant la CCJA ;
Mais attendu qu’il ressort de l’extrait K bis versé au débat que la société TOGOCRUS a
un siège situé au 511, rue Okémédji Tokoin Ramco à Lomé ; qu’il existe au dossier une procuration par laquelle Monsieur Oskar CRAMERI, gérant de la société TOGOCRUS, donne pouvoir à Maître Galolo SOEDJEDE de représenter TOGOCRUS devant la Cour de céans ; que dès lors les exceptions ne peuvent être admises ;
Sur le moyen d’office tiré de la violation de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
Attendu selon l’article 49 de l’Acte uniforme susindiqué : « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée (…) est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence. » ;
Attendu qu’en ordonnant la rétractation de l’Arrêt n°253/2003 de la Cour d’appel de Lomé en se fondant sur une requête civile introduite par le procureur général près la Cour d’appel de Lomé alors qu’en l’espèce, il s’agit d’une mesure d’exécution forcée déjà entamée dont toute contestation relève de la compétence exclusive du juge de l’exécution instauré à l’article 49 de l’Acte uniforme suscité, la Cour d’appel en statuant comme elle l’a fait, a violé les dispositions susénoncées ; qu’il convient dès lors de casser l’arrêt attaqué sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ;
Sur l’évocation
Attendu que la société TOGOCRUS affirme qu’elle est bénéficiaire de l’Arrêt n°253/2003 rendu par la Cour d’appel de Lomé devenu définitif pour absence de pourvoi formé dans les délais requis ; que par exploit d’huissier en date du 18 août 2011, elle a pratiqué des saisies attribution de créances sur les avoirs de l’UAT entre les mains de différentes banques de la place de Lomé, les 18, 19 et 22 août 2008 ; que sur réquisition n°888 en date du 9 août 2011 du Procureur Général près la Cour d’appel de Lomé formant une requête civile conformément aux articles 244 et suivants du code togolais de procédure civile, la rétractation du titre exécutoire a été ordonnée par la Cour d’appel de Lomé après que celle-ci ait , par Ordonnance n°458/11 du 19 août 2011, sursis à l’exécution de l’arrêt sus indiqué sur demande du Procureur général ; qu’elle sollicite l’annulation pure et simple de l’ordonnance précitée en raison même de la non contestation de la saisie ; elle demande additionnellement à la condamnation
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issue de l’Arrêt n°253/03, la condamnation in solidum des requises au paiement de 13 224 606 FCFA représentant les frais de procédure, 10 000 000 FCFA à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire, 300 000 000 CFA correspondant à la valeur vénale du navire Shrimpy 1 avec intérêts légaux capitalisés à partir du 19 décembre 1993, date du sinistre, et à tire compensatoire, 1 500 000 000 FCFA représentant le manque à gagner de l’exploitation du bateau;
Attendu que le Procureur général près la cour d’appel de Lomé a introduit une requête civile auprès de la Cour d’appel contre l’Arrêt n°253/2003 rendu le 18 décembre 2003 par la Cour d’appel de Lomé pour solliciter la rétractation dudit arrêt afin d’éviter que l’exécution ne crée une situation irréversible au préjudice de l’UAT ; qu’il allègue qu’à l’issue de leur investigation, la société TOGOCRUS a été fermée ; qu’il excipe qu’une garantie n’est acquise que si la police d’assurance est en cours de validité au moment du sinistre et soutient que la garantie de l’UAT a été retenue par tromperie ; qu’il demande en outre que la preuve de l’existence de police entre OTAM et UAT soit rapportée par TOGOCRUS et OTAM ;
Sur la suspension de l’exécution de l’Arrêt n°253/2003 du 18 décembre 2003 et de sa rétractation
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à la cassation de l’Arrêt n°122/12 rendu le 05 juin 2012 par la Cour d’appel de Lomé, il y a lieu de se déclarer incompétente pour statuer sur cette demande ;
Sur l’annulation de l’Ordonnance de sursis n°458/11 du 19 août 2011
Attendu que l’exécution ayant déjà été entamée, il convient d’ordonner l’annulation de l’Ordonnance de sursis n°458/11 du 19 août 2011 rendue par un juge incompétent;
Sur les demandes de la société TOGOCRUS
Attendu que l’Arrêt n°253/2003 dont exécution est entreprise est revêtue de l’autorité de la chose jugée et ne peut être modifié par une condamnation additionnelle ; qu’il echet de débouter la société TOGOCRUS de toutes ses autres demandes ;
Sur les demandes du Procureur général
Attendu que pour les mêmes raisons ayant prévalu à la cassation de l’arrêt attaqué, il convient de dire qu’il n’y a pas lieu à rétractation de l’Arrêt n°253/2003 ; qu’il echet dès lors de rejeter toutes les demandes plus amples ou contraires des parties ;
Attendu qu’ayant succombé, UAT doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare la Cour de céans compétente ;
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Déclare irrecevables les exceptions soulevées par UAT ;
Casse l’Arrêt n°122/12 rendu le 05 juin 2012 par la Cour d’appel de Lomé ;
Evoquant et statuant sur le fond,
Annule l’Ordonnance de sursis n°458/11 rendue le 19 août 2011 par la Cour d’appel de Lomé ;
Dit et juge que l’exécution de l’Arrêt n°253/2003 rendu le 18 décembre 2003 par la Cour d’appel de Lomé entamée par la société TOGOCRUS doit être poursuivie jusqu’à son terme ;
Condamne UAT aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef