La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée plénière, a rendu l’Arrêt suivant en son audience foraine tenue le 23 avril 3024 à Lomé-Togo où étaient présents :
Messieurs Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Président
Abdoulaye Issoufi TOURE, Premier Vice-président Madame Flora DALMEIDA MELE, Second Vice-président, rapporteur Messieurs Namuano F. DIAS GOMES, Juge
Victoriano OBIANG ABOGO, Juge Mamadou DEME, Juge Idrissa YAYE, Juge
2
Djimasna N’DONINGAR, Juge
et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 1er juin 2010 sous le
n°050/2010/PC et formé par Maître AFO Izétou, Avocat à la Cour, demeurant à Lomé, agissant au nom et pour le compte de Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno domicilié à Lomé dans la cause l’opposant à Monsieur SODJI Ahlin, domicilié à Lomé, Boulevard du Mono, BP 348 , ayant pour conseil, Maître Kouévi AGBEKPONOU , Avocat à la Cour, 317, Rue Jeanne d’Arc, BP 1327 Lomé,
en annulation de l’Arrêt n°16 rendu le 18 mars 2010 par la Chambre judiciaire de la Cour suprême du Togo et dont le dispositif est le suivant :
« Par ces motifs Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en état de cassation ; EN LA FORME Reçoit le pourvoi ; AU FOND
Casse et annule l’arrêt N°15/09 rendu le 03 février 2009 par la Cour d’Appel de Lomé et
ce, sans renvoi ;
Dit que le jugement N°0555/06 rendu le 24 mars qui est contradictoire, sortir a ses pleins et entiers effets ;
Ordonne la restitution de la taxe de pourvoi au demandeur au pourvoi ;
Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée » ;
Sur le rapport de Madame Flora DALMEIDA MELE, Seconde Vice-présidente ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu que l’examen des pièces du dossier de la procédure fait ressortir que suivant contrat notarié conclu le 11 septembre 1998, Monsieur SODJI Ahlin a consenti à Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno un bail à usage commercial sur une partie de son immeuble dénommé Vendôme, situé sur la rue Maréchal Foch à Lomé, moyennant un loyer mensuel de 350 000 CFA pendant 18 mois à compter du 02 août 1998 et de 500 000 FCFA à partir du 02 février 2001 ; que suite à un avenant verbal, le prix du loyer a été fixé à 350 000 FCFA par semaine ; que redevable d’importants arriérés de loyers, le bailleur a, par exploit du 10 mars 2006, assigné en résiliation de bail et en expulsion, le preneur après notification, conformément
3
à l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, d’une mise en demeure de payer ; que le 24 mars 2006, la Chambre civile et commerciale du Tribunal de première instance de Lomé a, par Jugement n°0555/06, prononcé la résiliation du bail, ordonné l’expulsion du preneur et l’a condamné au paiement des sommes d’argent au bailleur ; que sur opposition du preneur, la même juridiction a, par Jugement n°1628/2006 rendu le 1er septembre 2006, rétracté le Jugement n°0555/06 ; que sur appel du bailleur, la Cour d’appel a, par Arrêt n°015/09 du 03 février 2009, confirmé le Jugement n°1628/2006 ; que sur le pourvoi formé par le bailleur, la Chambre judiciaire de la Cour suprême du TOGO a rendu le 18 mars 2010, l’Arrêt n°16 dont recours ;
Sur l’exception d’incompétence de la Cour de céans soulevée par Monsieur SODJI
Ahlin
Attendu que dans son mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour de céans le 27 septembre 2010, Monsieur SODJI Ahlin soulève, in limine litis, sur le fondement de l’article 17 du traité institutif de l’OHADA, l’incompétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage au motif que le pourvoi formé devant la Cour suprême du Togo ne soulevait, dans aucun de ses moyens, la violation des dispositions du traité ou des Actes uniformes mais portait plutôt sur une question purement formelle de procédure échappant à la compétence de la CCJA portant précisément sur la nature de la forme d’une décision rendue ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 17 du Traité sus indiqué, l’incompétence manifeste de la Cour peut être soulevée par toute partie au litige in limine litis ; qu’en l’espèce, le fondement du litige est relatif à l’inexécution d’un contrat de bail dont la résiliation a été prononcée par le premier juge sur la base de l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général ; que l’arrêt de la Cour d’appel déféré à la Cour suprême du Togo a été rendu sur la base des dispositions de l’article 74 alinéa 4 de l’Acte uniforme sus indiqué ; que le pourvoi en cassation dans cette affaire qui soulève des questions relatives à l’application d’un Acte uniforme doit être dévolu à la Cour céans conformément à l’article 14 du Traité institutif de l’OHADA selon lequel, la Cour se prononce par voie de recours en cassation « sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. » ; que cet article pose le principe de la compétence exclusive de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage sur les recours en cassation formés contre des décisions rendues par les juridictions nationales statuant « dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes… » nonobstant des moyens de cassation fondés sur des dispositions de droit interne ; qu’il s’ensuit que l’exception d’incompétence soulevée par Monsieur SODJI Ahlin sur le fondement de l’article 17 susénoncé doit être déclarée irrecevable ;
Sur la compétence de la Cour de céans
Attendu que Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno estime que c’est par mauvaise interprétation de l’article 15 du Traité OHADA que la Cour suprême du Togo a retenu sa compétence au motif que le pourvoi dont elle est saisie ne met pas en cause la violation d’aucun texte OHADA alors que le litige prend source dans la résiliation d’un contrat de bail suivie d’expulsion en vertu de l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général d’une part et d’autre part, en cassant et en annulant sans renvoi l’Arrêt n°015/09 et en décidant que le Jugement n°0555/06 rendu le 24 mars 2006 sortira ses pleins et entiers effets, la Cour Suprême qui prétend n’être pas saisie de la violation d’un texte OHADA, a exercé son
4
contrôle sur une décision rendue par les juridictions nationales de première instance et d’appel en application des articles 101 et 77 de l’Acte uniforme précité, violant ainsi l’article 14 du traité OHADA qui reconnaît la compétence exclusive de la Cour de céans sur les décisions rendues par les juridictions nationales d’appel dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes ;
Attendu que l’arrêt dont pourvoi a été formé devant la Cour suprême du Togo découle
d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application d’un Acte uniforme en l’occurrence la résiliation d’un bail commercial régie par l’Acte uniforme relatif au droit commercial général ; que conformément à l’article 14 du Traité institutif de l’OHADA sus énoncé, seule la compétence de la Cour de céans est avérée en cas de pourvoi dans les litiges relatifs à l’application et à l’interprétation des Actes uniformes ;
Sur l’annulation de l’Arrêt n°16 du 18 mars 2010
Vu l’article 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique
Attendu que Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno demande à la Cour de céans d’annuler l’Arrêt n°16 rendu le 18 mars 2010 par la Chambre judiciaire de la Cour suprême du Togo en violation de l’article 18 du Traité suscité au motif que bien qu’il ait soulevé l’incompétence de ladite Cour dans son mémoire en réponse du 27 juillet 2009, celle-ci a statué en retenant sa compétence alors que l’affaire porte sur la résiliation d’un contrat de bail suivie d’expulsion en vertu de l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général dont le recours en cassation est du ressort de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ;
Attendu qu’aux termes de l’article 18 du Traité sus visé : « Toute partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée.
La cour se prononce sur sa compétence par arrêt qu’elle notifie tant aux parties qu’à la juridiction en cause. Si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue. » ;
Attendu qu’il ressort de l’énonciation de l’arrêt dont annulation est sollicitée que
Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno avait sollicité par le biais de son conseil que la Cour suprême se déclare incompétente au bénéfice de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, seule compétente pour connaître des recours en cassation dans le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes ; que la Cour suprême a statué en retenant que le pourvoi dont elle est saisie ne met pas en cause la violation d’aucun texte OHADA ;
Attendu que l’arrêt déféré devant la Cour suprême qui a pour source la résiliation d’un
contrat de bail prononcée sur le fondement de l’article 101 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général soulève des questions relatives à l’application d’un Acte uniforme et que, conformément à l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, seule la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est compétente pour connaître du pourvoi y relatif ; qu’en statuant sur le pourvoi à lui soumis nonobstant la demande d’incompétence formulée par le demandeur au pourvoi, la Chambre judiciaire de la Cour suprême du Togo a enfreint les dispositions de l’article 18 du Traité susvisé en se déclarant à tort compétente ; qu’il s’ensuit que sa décision résultant de l’Arrêt n°16 du 18 mars 2010 est nulle et non avenue ;
5
Sur la demande de Monsieur ADAMAH-FOLLY relative à l’évocation
Attendu que Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno demande à la Cour de céans, d’évoquer après cassation de l’arrêt de la Cour suprême et de confirmer l’Arrêt n°015/2009 de la Cour d’appel de Lomé rendu le 03 février 2009 ; qu’au surplus, il sollicite la condamnation de Monsieur SODJI Ahlin au paiement de la somme de 30 000 000 FCFA pour tous préjudices confondus soit au total le montant de 123 600 000 FCFA ;
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 52.4 du Règlement de procédure de la Cour de céans selon lesquelles : « Si la cour décide que la juridiction nationale s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue. Toute partie devant ladite juridiction peut dans les deux mois de la signification du jugement de la Cour saisir cette dernière d’un recours en cassation contre la décision du juge du fond dans les conditions prévues à l’article 14 du Traité et aux articles 23 à 50 du présent Règlement. », la demande de Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno tendant à statuer à nouveau est précoce et doit être déclarée irrecevable en l’état;
Attendu qu’ayant succombé, Monsieur SODJI Ahlin sera condamné aux dépens ;
PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par Monsieur SODJI Ahlin;
Se déclare compétente ;
Déclare en conséquence nul et non avenu l’Arrêt n°16 rendu le 18 mars 2010 par la Chambre judiciaire de la Cour suprême du Togo ;
Déclare irrecevable en l’état la demande de Monsieur ADAMAH-FOLLY Foligan Bruno relative à l’évocation de l’affaire ;
Condamne Monsieur SODJI Ahlin aux dépens. Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef