C’est à tort qu’une juridiction suprême nationale s’est fondée sur sa jurisprudence selon laquelle « la juridiction nationale retient sa compétence en présence de moyens mixtes, c'est-à- dire lorsque le pourvoi soulève en plus des griefs relatifs à l’application des textes supranationaux, des moyens relatifs à l’application d’un texte national » pour retenir sa compétence, alors que l’article 14 du traité relatif à l’OHADA pose le principe de la compétence exclusive de la CCJA pour connaître du recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions nationales statuant en second degré « dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes… ». L’invocation d’une disposition de droit interne aux côtés d’un Acte uniforme comme moyen de cassation ne peut justifier la compétence d’une juridiction de cassation nationale sans enfreindre les dispositions de l’article 14 du Traité, lesquelles reconnaissent à la CCJA une compétence entière dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application d’un Acte uniforme. C’est donc à tort que la juridiction suprême nationale s’est déclarée compétente, exposant ainsi son arrêt à la nullité prévue par l’article 18 du traité.
ARTICLE 14 TRAITE OHADA ARTICLE 18 TRAITE OHADA CCJA, 3ème ch., Arrêt n° 027/2014 du 13 mars 2014 ; Pourvoi n° 052/2011/PC du 31/05/2011 : Monsieur Ibrahim TOURE c/ Monsieur Cheickna LAH.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 13 mars 2014 où étaient présents :
Madame Flora DALMEIDA MELE, Présidente, rapporteur Messieurs Victoriano OBIANG ABOGO, Juge
Idrissa YAYE, Juge
et Maître Alfred Koessy BADO, Greffier ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 31 mai 2011 sous le n°052/2011/PC et formé par la SCPA DOUMBIA-TOUNKARA, cabinet d’ Avocats inscrit au barreau du MALI, sis à l’immeuble Lassana SYLLA Center, rue karamoko DIABY, BP E151, agissant au nom et pour le compte de Monsieur Ibrahim TOURE, domicilié à Korofina-Nord, Bamako, rue 147, Porte 70, dans la cause l’opposant à Monsieur Cheickna LAH, domicilié à Badalabougou, Bamako, rue 50, porte 561, face palais de la culture, BP 3085, ayant pour conseils, Maîtres Abdoul Karim KONE et Abdoulaye M.TRAORE du Cabinet BERTHE,
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Avocats à la Cour, sis 748, rue Raymond POINCARE, quartier du Fleuve – face Ex USAID, BP 8025, Bamako,
en annulation de l’Arrêt n°82 rendu le 11 avril 2011 par la Cour suprême du MALI et dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS LA COUR : En la forme : Reçoit le pourvoi ;
Au fond : Casse et annule l’arrêt déféré ; Renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Bamako autrement composée ; Ordonne la restitution de l’amende de consignation ;
Met les dépens à la charge du Trésor Public. » ;
Le requérant invoque à l’appui de son recours le moyen unique d’annulation tel qu’il
figure à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Madame Flora DALMEIDA MELE, Seconde Vice-présidente ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que saisi d’une action en paiement, le Tribunal de commerce de Bamako a rendu le 10 janvier 2007 le Jugement n°13 condamnant Ibrahim TOURE à payer à Cheickna LAH, la somme de 180 948 650 FCFA en principal et celle de 20 000 000 FCFA à titre de dommages et intérêts ; que par Arrêt n°63 du 19 novembre 2008, la Cour d’appel de Bamako a confirmé ledit jugement ; qu’en exécution de cette décision, Cheickna LAH a pratiqué une saisie vente sur diverses concessions de Ibrahim TOURE qui lui ont été adjugées faute d’enchérisseurs; que par requête aux fins d’annulation de la vente aux enchères publiques introduite par Ibrahim TOURE , le Tribunal de première instance de la commune I du district de Bamako a par Jugement n°129 du 23 mars 2009 annulé le procès-verbal de vente aux enchères du 25 mars 2008 ; que sur appel de Cheickna LAH, la Cour d’appel de Bamako a, par Arrêt n°106 rendu le 10 février 2010, confirmé le jugement entrepris ; que sur le pourvoi en cassation de Cheickna LAH, la Cour suprême du MALI a, par Arrêt n°82 du 11 avril 2011 dont annulation est sollicitée, cassé et annulé l’arrêt attaqué en dépit de son incompétence soulevée par Ibrahim TOURE en vertu de l’article 14 du Traité institutif de l’OHADA ;
Sur la compétence Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que pour retenir sa compétence, la Cour suprême
du MALI s’est fondée sur sa jurisprudence selon laquelle « la juridiction nationale retient sa compétence en présence de moyens mixtes, c'est-à-dire lorsque le pourvoi soulève en plus des
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griefs relatifs à l’application des textes supranationaux, des moyens relatifs à l’application d’un texte national ; … en l’espèce, qu’en plus des moyens tirés de la violation des articles 120 et 129 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution, le demandeur au pourvoi soulève la violation de l’article 463 du CPCCS du Mali ; que dès lors en présence des moyens mixtes, la cour suprême du Mali retient sa compétence. » ;
Attendu que l’article 14, alinéa 3 du Traité institutif de l’OHADA dispose : « saisie par voie de recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. » ;
Que cet article pose le principe de la compétence exclusive de la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage pour connaître du recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions nationales statuant en second degré « dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes… » ; qu’en l’espèce, l’arrêt attaqué découle d’une instance en annulation de ventes aux enchères publiques effectuées en application des dispositions de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que l’invocation d’une disposition de droit interne aux côtés d’un Acte uniforme comme moyen de cassation ne peut justifier la compétence d’une juridiction de cassation nationale sans enfreindre les dispositions de l’article 14 du Traité, lesquelles reconnaissent à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage une compétence entière dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application d’un Acte uniforme ; qu’il s’ensuit qu’en examinant le pourvoi formé par Monsieur Cheickna LAH, la Cour suprême du MALI s’est déclarée compétente à tort ;
Sur l’annulation de l’Arrêt n°82 rendu le 11 avril 2011 par la Cour Suprême du MALI
Vu l’article 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Attendu que Monsieur Ibrahim TOURE sollicite l’annulation de l’Arrêt n°82 rendu le 11 avril 2011 par la Cour suprême du MALI en violation de l’article18 du Traité susvisé alléguant que nonobstant l’exception d’incompétence soulevée devant ladite Cour dans son mémoire en réplique du 30 décembre 2010 aux motifs que l’objet du litige porte sur la vente aux enchères publiques, matière réglementée par l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la Cour suprême a statué en prononçant la cassation de l’arrêt attaqué alors qu’elle aurait dû renvoyer l’affaire devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage en vertu de l’article 15 du Traité institutif de l’OHADA ;
Attendu qu’aux termes de l’article 18 du Traité susvisé, « toute partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. La Cour se prononce sur sa compétence par arrêt qu’elle notifie tant aux parties qu’à la juridiction en cause.
Si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue » ;
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Attendu que la décision attaquée énonce que « le pourvoi en cassation est formé contre l’arrêt n°106 du 10 février 2010 de la chambre civile de la Cour d’appel de Bamako dans une instance en annulation de vente aux enchères publiques ; … qu’en plus des moyens tirés de la violation des articles 120 et 129 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, le demandeur au pourvoi soulève la violation ... » ; qu’il est constant que l’affaire soumise à la censure de la Cour suprême soulève sans aucun doute des questions relatives à l’application de l’Acte uniforme sus indiqué ; qu’en passant outre l’exception d’incompétence formulée par Monsieur Ibrahim TOURE pour statuer comme elle l’a fait, la Cour suprême du Mali a méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et a violé les dispositions de l’article 18 du Traité précité, exposant ainsi à la nullité, son Arrêt n°82 rendu le 11 avril 2011 ;
Attendu que Monsieur Cheickna LAH ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Dit que la Cour suprême du Mali s’est déclarée compétente à tort pour examiner le pourvoi en cassation formé par Monsieur Cheickna LAH ;
Déclare en conséquence nul et non avenu son Arrêt n°82 rendu le 11 avril 2011 ;
Condamne Monsieur Cheickna LAH aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
La Présidente
Le Greffier