La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), en formation plénière a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du 04 février 2014 où étaient présents :
Messieurs Antoine Joachim OLIVEIRA, Président
Marcel SEREKOISSE SAMBA, Premier Vice-président
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Abdoulaye Issoufi TOURE, Second Vice-président Namuano F. DIAS GOMES, Juge Madame Flora DALMEIDA MELE, Juge Monsieur Victoriano OBIANG ABOGO, Juge, Rapporteur et Maître Jean-Bosco MONBLE, Greffier,
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n°077/2012/ PC du 16
juillet 2012, et formé par Maitres EBANGA EWODO et Charles TCHAKOUTE PATIE, Avocats au barreau du Cameroun, demeurant respectivement à Yaoundé, BP 5407 et à Douala, 469, Avenue King Akwa, BP 12288, agissant au nom et pour le compte de l’Etat du Cameroun, dans la cause l’opposant aux sociétés : Forestière HAZIM et Cie, Camerounaise de raffinage MAYA, Plastics & Co, Transport Camerounais, HAZIM Scierie et Compagnie Sa et Compagnie Forestière HAZIM SCIERIE NGAMBE TIKAR, la Société Forestière Industrielle du Wouri, la Société Industrielle du Bois du Cameroun et le sieur HAZIM CHEADE HAZIM, tous ayant leur siège à Douala et pour conseil Maître Emmanuel EKOBO, Avocat au barreau du Cameroun,
en annulation de l’Arrêt n°98/Civ du 22 mars 2012 rendu par la Cour suprême du
Cameroun, dont le dispositif est le suivant : « Et sans qu’il soit besoin d’analyser les autre moyens, Casse et annule l’Arrêt n°058/C rendu le 15 avril 2011 par la Cour d’appel du
Littoral ;
Evoquant et statuant Déclare irrecevable l’appel interjeté par Me Lydienne Y. EYOUM, Conseil du
Ministère des finances contre le jugement n°660 rendu le 20 août 2009 par le Tribunal de Grande Instance du Wouri ;
Condamne l’Etat du Cameroun aux dépens. »
Le requérant invoque à l’appui de son recours un moyen unique d’annulation tel qu’il figure à l’acte du recours annexé au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Victoriano OBIANG ABOGO, Juge ;
Vu les dispositions de l’article 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des Affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ; Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure les faits suivants : l’Etat du
Cameroun dans le cadre du recouvrement des amendes prononcées par le Ministère des forêts et de la faune contre la Société HAZIM & Cie, 07 autres sociétés, et le sieur HAZIM CHEHADE HAZIM, a sollicité et obtenu une Ordonnance d’injonction de payer n°220/04-05 du 18 mai 2005, enjoignant auxdites sociétés et au sieur HAZIM CHEHADE HAZIM à lui payer la somme de 16.117.526.309 F CFA ; le 23 juin 2005, l’ordonnance dont s’agit a été signifiée aux défendeurs ; le 12 juillet 2005, l’Etat du Cameroun par le canal de son Conseil se fait délivrer un certificat de non opposition ; le 17 juillet 2005 l’ordonnance est revêtue de
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la formule exécutoire ; cependant, les 24 et 25 août 2005 la société forestière HAZIM et les sept autres défendeurs forment opposition à l’ordonnance d’injonction ; le 20 août 2009, le Tribunal de grande instance du WOURI par Jugement n°660 constate que la procédure contient des vices et rétracte l’ordonnance d’injonction de payer querellée ; le 09 septembre 2009 l’Etat du Cameroun interjette appel ; la Cour d’appel du Littoral par arrêt n°058/C du 15 avril 2011 annule le jugement, évoquant et statuant à nouveau, déclare l’opposition irrecevable ; le 15 avril 2011 les défendeurs forment pourvoi en cassation devant la Cour suprême ; l’Etat du Cameroun soulève l’incompétence de ladite Cour au profit de la CCJA ; le 22 mars 2012 par Arrêt n°098/ CIV, la Cour suprême casse et annule l’Arrêt n°058/C rendu le 15 avril 2011 par la Cour d’appel du Littoral, et évoquant déclarait l’appel irrecevable ; c’est cet arrêt qui fait l’objet du présent recours en annulation ;
Sur l’exception d’irrecevabilité du recours
Attendu que les défendeurs ont soulevé l’irrecevabilité du recours en raison du régime
des incompatibilités de défaut de qualité, et de représentation irrégulière de l’Etat du Cameroun en justice, du fait qu’aux termes de l’article 23 du Règlement de procédure de la CCJA, le ministère de l’avocat est obligatoire devant la Cour ; que la simple inscription au barreau ne confère pas la capacité d’exercer la profession d’avocat ; les défenderesses soulèvent ensuite le défaut de qualité du Ministère des finances à ester en justice dans le litige relatif aux affaires forestières en vertu du principe de spécialité contenu dans le décret n° 73/51 du 10 février 1973 relatif à la défense de l’Etat en justice qui dispose que la défense ainsi que la représentation en justice de l’Etat sont assurées dans chaque cas par le département ministériel directement intéressé ;
Attendu qu’aux termes de l’article 23 du Règlement de procédure de la CCJA « le
ministère d’avocat est obligatoire devant la cour. Est admis à exercer ce ministère toute personne pouvant se présenter en qualité d’avocat devant une juridiction … il appartient à toute personne se prévalant de cette qualité d’en apporter la preuve à la cour » ; qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que Maître EBANGA EWODO est Avocat ; les défendeurs eux- mêmes reconnaissent sa qualité de Bâtonnier de l’Ordre des avocats Camerounais ; au surplus, il a produit non seulement sa carte professionnelle mais également le mandat spécial exigé par l’article 23 précité ; dès lors, sa constitution étant valable la cour se doit de retenir son mémoire et déclarer cette exception d’irrecevabilité non fondée ; en ce qui concerne le défaut de qualité du Ministère des finances à ester en justice dans les litiges relatifs aux affaires forestières ; les deux ministères à savoir celui de l’économie et des finances représentent valablement l’Etat, mieux en matière de recouvrement de créances administratives, ce dernier est l’organe le plus compétent pour ester en justice au nom de l’Etat par le truchement de l’Agent judiciaire du trésor ce, conformément au décret n°73/51 du 10 février 1973 relatif à la défense de l’Etat en justice; donc l’exception tirée de la violation du principe de spécialité ne peut pas prospérer ; qu’il échet donc de dire que le pourvoi de l’Etat du Cameroun est recevable ;
Sur la recevabilité du mémoire des défendeurs Attendu que l’Etat du Cameroun a soulevé l’exception tirée de l’irrégularité des
mandats produits par le conseil des défendeurs qui n’auraient étés signés que par une seule partie aux noms de tous les autres en violation de l’article 23 du Règlement de procédure de la Cour de céans et conclut au rejet du mémoire des défendeurs ;
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Mais attendu que non seulement les extraits du registre de Commerce produits, font clairement ressortir que sieur HAZIM CHEAHADE HAZIM est Directeur Général ou Gérant des différentes sociétés, mais aussi que la validité d’un seul mandat entraine ipso facto, la recevabilité du mémoire ; qu’il échet donc de dire que le mémoire en réponse est recevable ;
Sur le moyen unique d’annulation tiré de la violation des articles 14 alinéa 3 et 15 du Traité OHADA relatif à l’Harmonisation du droit des affaires ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt déféré d’avoir violé les dispositions des articles 14-
3 et 15 du Traité en ce que la Cour suprême du Cameroun a retenu sa compétence alors qu’a été soulevée IN LIMINI LITIS son incompétence à connaitre des litiges qui soulèvent une question relative à l’application des Actes uniformes ; qu’en l’occurrence, la présente procédure étant relative à l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu que pour conclure au rejet du recours les défendeurs ont exposé que la cause invite la Cour de céans à l’examen des dispositions de la législation nationale et des principes généraux du droit ; que la seule invocation de l’article 18 du Traité ne saurait justifier la compétence de la Cour de céans ; que seule la compétence de la Cour suprême doit être retenue ;
Attendu sur la compétence en effet qu’aux termes de l’article 14 alinéa 3 du Traité : « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’Appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions -appliquant des sanctions pénales ». Et l’article 18 précité, dispose, « toute partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de justice et d’Arbitrage peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée …, si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue. » ;
Attendu qu’en l’espèce, il ressort de l’analyse des pièces de la procédure que, l’Arrêt
n°98/CIV du 22 mars 2012 rendu par la Chambre judiciaire de la Cour suprême du Cameroun objet du présent recours, a cassé et annulé l’Arrêt n°058/C du 15 avril 2011 rendu par la Cour d’appel du Littoral ; que cette Cour elle-même a statué sur le Jugement n°660 rendu le 20 aout 2009 par le Tribunal de grande instance du Wouri ; alors que ce jugement a été rendu sur opposition à l’Ordonnance d’injonction de payer n°220/04-05 du 18 mai 2008, et que l’injonction de payer est régie par l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que dès lors, la Cour suprême du Cameroun en retenant sa compétence malgré le déclinatoire de compétence, a méconnu celle de la CCJA ; que donc sa décision est réputée nulle et non avenue conformément à l’article 18 in fine du Traité précité ;
Attendu que chacune des parties a mené la procédure d’injonction de payer avec
quelque confusion non préjudiciable à son auteur et à l’autre partie ; qu’il convient alors de mettre les dépens sur chacune des parties ;
PAR CES MOTIFS
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Statuant publiquement, après en avoir délibéré ; Déclare recevable le recours formé par l’Etat du Cameroun ; Décide que la Cour suprême du Cameroun s’est déclarée compétente à tort ; Dit que son Arrêt n°98/CIV du 22 mars 2012 est réputé nul et non avenu ; Condamne chaque partie à ses propres dépens ; Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier