ARBITRAGE - CONTRAT - CONTRAT D'EXÉCUTION DE CHANTIER - CLAUSE COMPROMISSOIRE D'ARBITRAGE - COMPÉTENCE DE LA COUR D'ARBITRAGE DE LA CÔTE D'IVOIRE - ANNULATION DU JUGEMENT ENTREPRIS - INCOMPÉTENCE DE LA CCJA.
Il échet d’annuler le jugement entrepris et de se déclarer incompétente et de renvoyer
les parties à mieux se pourvoir, dès lors qu’une clause compromissoire donne compétence à la CACI pour régler tout litige se rattachant à l’exécution des travaux.
En méconnaissant cette clause, la Cour d’Appel a exposé sa décision à la cassation. Cour commune de justice et d’arbitrage, 2ème chambre, Arrêt n° 024 du 08 avril 2010, Affaire : M. J c/ M. F. Le Juris Ohada n° 3/2010, juillet-août-septembre, p. 21.
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire R contre F, par Arrêt n°069/06 du 02 mars 2006 de la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE, chambre judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi formé le 14 février 2005 par Monsieur R, Directeur de l’Entreprise A.T.S, domicilié à Abidjan, Commune de Yopougon, Toits rouges, ayant pour Conseil Maître Varlet Jean-Luc, Avocat à la Cour, demeurant 26, Boulevard Angoulvant, immeuble le Fromager, 3ème étage, 01 BP 1846 Abidjan 01, dans la cause qui l’oppose à Monsieur F, Etudiant, domicilié à Abidjan, Yopougon, Toits rouges, 19 BP 135 Abidjan 19,
en cassation de l’Arrêt n°1205 rendu le 21 décembre 2004 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
En la forme :
Déclare recevable l’appel relevé le 02 juin 2004 par Monsieur F du Jugement Civil contradictoire n°612 rendu le 4 mai 2004 par le Tribunal de première instance de Yopougon ;
Au fond :
L’y dit partiellement fondé ;
Réformant ledit jugement querellé en ce qu’il a ordonné la rétractation de l’Ordonnance n°446/2003 du 17 décembre 2003 ;
Statuant à nouveau, Restitue à ladite ordonnance d’injonction de payer son effet à hauteur de 6.500.000 francs ;
Condamne Monsieur R au paiement de cette somme ;
Condamne Monsieur R aux dépens. » ;
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que courant octobre 2003, Monsieur Joseph Roger fut approché par Monsieur F qui se disait être l’ami d’un architecte ayant obtenu un projet de construction d’une Agence de la COOPEC dans la Commune d’Attécoubé à Abidjan ; que pour l’obtention du marché de construction du siège de cette agence, selon Monsieur R , ledit architecte, par l’intermédiaire de Monsieur F, exigeait de lui le paiement d’une commission d’un montant de 13.000.000 francs CFA ; qu’il souscrivait à cette proposition dans une « convention » du 17 octobre 2003 remise à Monsieur F, mais toujours, selon lui, sous certaines conditions en deux étapes : à savoir la remise d’une somme de 6.500.000 francs CFA à Monsieur F après la signature du marché et la mise en place du préfinancement de démarrage des travaux pendant un mois par sa banque et la remise de la somme de 6.500.000 francs CFA au susnommé dès que le 1er versement COOPEC sera fait dans un délai moyen d’un mois après le début des travaux ; qu’en définitive il sera signé entre le Cabinet d’architecture Michel Goly Kouassi et Associés et Monsieur R un contrat d’exécution de chantier dans le cadre de l’aménagement d’une Agence COOPEC dans la Commune d’Attécoubé ; que nonobstant, selon Monsieur R, que ledit Cabinet d’Architectes l’ai informé par courrier en date du 20 novembre 2003 n’avoir jamais donné mandat à Monsieur F, celui-ci décidait néanmoins de mettre à exécution la convention susdite du 17 octobre 2003 qu’il détenait par devers lui, et par laquelle Monsieur Joseph Roger s’engageait à payer la somme de 13.000.000 francs CFA ; que c’est ainsi que Monsieur F demandait et obtenait du Président du Tribunal de première instance de Yopougon l’Ordonnance d’injonction de payer n°446/03 du 17 décembre 2003, laquelle, sur opposition de Monsieur R fut rétractée par Jugement n°612 du 04 mai 2004 du Tribunal de première instance de Yopougon ; que sur appel de Monsieur F la Cour d’appel d’Abidjan rendait l’Arrêt n°1205 du 21 décembre 2004, objet du présent pourvoi en cassation initié par Monsieur R ;
Attendu en l’espèce que Monsieur F n’a pas conclu et ne s’est pas fait représenté ; que la procédure étant en état, il y a lieu d’examiner ledit recours ;
Sur les deux moyens réunis
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, en statuant comme il l’a fait, de manquer de base légale résultant de l’insuffisance des motifs, en ce que pour réformer le Jugement n°612 du Tribunal de première instance de Yopougon, ledit arrêt a affirmé qu’ « il est constant ainsi qu’il résulte de la convention en date du 17 octobre 2003 que Monsieur R s’est engagé à payer à Monsieur F qui lui a permis d’avoir le marché des travaux de la COOPEC d’Attecoubé la somme de 13.000.000 francs en deux étapes… ;
- or il n’est pas contesté que les travaux ont été effectués et que Monsieur Joseph Roger attend le paiement de la somme de 34.340.633 francs CFA ;
- dès que les travaux ont été effectués, Monsieur Joseph Roger conformément à son propre engagement à l’égard de l’appelant doit verser à ce dernier la première tranche des sommes promises, soit 6500.000 F CFA » ; qu’en se déterminant ainsi alors que contrairement aux motifs susmentionés de l’arrêt attaqué, le requérant conteste être en attente de recevoir la somme de 34.340.663 francs CFA laquelle ne lui était d’ailleurs pas destinée et représentait le montant des matériels commandés pour le chantier et non le montant excipé par Monsieur F comme étant celui d’une « grosse facture » dont lui, le requérant, attendait
paiement, ledit arrêt encourt les reproches visés au moyen et encourt en conséquence cassation ;
Attendu qu’il est également reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé, d’une part, l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, et l’article 1134 du code civil, d’autre part ; qu’en effet, en restituant à l’Ordonnance d’injonction de payer n°446/03 son effet à hauteur de 6.500.000 francs CFA, ledit arrêt a nécessairement estimé que la créance de Monsieur F est certaine, liquide et exigible alors pourtant que cette créance était assortie de conditions à savoir l’engagement de verser à l’architecte par l’entremise du susnommé la somme de 13.000.000 francs CFA dont la première moitié (6.500.000 franc CFA) dès le préfinancement par la banque du requérant du marché, ce qui n’a jamais été fait alors que le second paiement de 6.500.000 francs CFA était, quant à lui, conditionné par le premier versement à faire par la COOPEC, ce qui n’a également jamais eu lieu ; que la preuve de la réalisation de ces conditions n’a pas été rapportée par Monsieur F, de sorte que la créance dont il poursuit le paiement n’est ni certaine, ni exigible et ne peut servir de fondement à une ordonnance d’injonction de payer ; que « mieux », cette créance est inexistante parce qu’elle n’a pas de cause selon l’article 1131 du Code civil qui dispose que « l’obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet » ; que le requérant s’est engagé à payer la somme de 13.000.000 francs CFA dans l’espoir qu’il aurait tout le marché estimé à 170.000.000 francs CFA ; que dans ces conditions, la convention du 17 octobre est sans cause ou caduque et ne peut servir de base à une ordonnance d’injonction de payer ; qu’en outre, en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué a violé l’article 1134 du code civil aux termes duquel « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » ; que le respect de cette convention s’imposant tant aux parties qu’aux juges, c’est en violation dudit article que l’arrêt attaqué a estimé, à tort, que les conditions de réalisation de la promesse de paiement du montant de 13.000.000 francs CFA, par le requérant, étaient remplies alors qu’aucun préfinancement bancaire n’avait été faite ; que pour toutes les raisons susévoquées, il sollicite la cassation de l’arrêt attaqué ;
Attendu cependant qu’il ressort en l’espèce des pièces du dossier de la procédure et singulièrement du « Contrat d’exécution de chantier n°001 du 24/10/2003 » que l’Entreprise ATS (Africaine des Travaux et Service) représentée par son Directeur Général, Monsieur R et le Cabinet GOLY KOUASSI et Associés, agissant pour le compte de la COOPEC-CI FENACOOPEC-CI ont signé ledit contrat dont l’objet est d’attribuer à l’Entreprise ATS « la mission d’assurer l’exécution des travaux dans le cadre de l’aménagement de l’agence COOPEC de la commune d’Attécoubé » ; que l’article 30 dudit contrat intitulé « Règlement de différends/Attribution de Juridiction » prescrit que :
« Les parties conviennent que tout litige qui pourrait naître de l’interprétation, de l’exécution et de la résiliation du présent contrat sera soumis à un règlement amiable auprès d’un comité de médiation composé de quatre personnes, soit deux (02) représentants de chaque partie.
(…)
En cas de non conciliation, les parties conviennent expressément de la saisine de la Cour d’Arbitrage de COTE d’IVOIRE (CACI). Les litiges seront définitivement tranchés par un (01) ou trois (03) arbitres conformément au règlement de cette Cour d’arbitrage. Toutes sentences rendues lient les parties qui s’engagent à les exécuter de bonne foi ; elles sont supposées avoir renoncé au recours en annulation devant les juridictions étatiques et à tout recours auquel elles sont en droit de renoncer dans le pays où l’arbitrage a son siège. (…) » ;
Attendu que cette clause compromissoire d’arbitrage attribuant compétence à la CACI pour régler « tout litige qui pourrait naitre de l’interprétation, de l’exécution et de la résiliation du présent contrat » s’impose aussi bien aux juges d’appel qu’aux parties litigantes dont singulièrement Monsieur F, défendeur au pourvoi, lequel, bien que n’étant pas signataire dudit contrat, trouve nécessairement dans l’objet et dans l’exécution de celui-ci le fondement même de sa qualité réelle ou prétendue de créancier poursuivant ou, à tout le moins, de mandataire censé être commis par de tiers architectes, du reste non clairement identifiés par lui en l’occurrence, pour quérir une commission sur le marché défini par le contrat susdit ; qu’en méconnaissant ladite clause, la Cour d’appel, en statuant comme elle l’a fait, a exposé sa décision à la cassation ; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer ;
Sur l’évocation
Attendu que par exploit d’huissier en date du 02 juin 2004 Monsieur F a relevé appel du Jugement civil contradictoire n°612 rendu le 04 mai 2004 par le Tribunal de première instance de Yopougon et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort ;
Rejette l’exception de nullité de l’exploit de signification de l’ordonnance querellée ;
Déclare Monsieur R recevable en son action et l’y dit bien fondé ;
Rétracte l’Ordonnance n°446/2003 en date du 17 décembre 2003 ;
Condamne F aux dépens. » ;
Attendu que l’appelant sollicite l’infirmation du jugement susdit querellé aux motifs notamment que la créance par lui réclamée est certaine, liquide et exigible en ce que, selon lui, les conditions suspensives sous lesquelles le paiement de la commission [de 13.000.000 francs CFA par l’intimé, Monsieur Joseph Roger] devait intervenir, ont été réalisées, le contrat de marché ayant été effectivement signé et Monsieur R ayant commencé les travaux ; que dès lors, soutient-il, sa créance est devenue exigible de sorte que c’est à juste titre qu’il a recouru à la procédure d’injonction de payer, en se fondant sur la convention du 17 octobre 2003 en vertu de laquelle Monsieur Joseph Roger s’engageait à lui payer les 13.000.000 francs CFA en deux étapes ;
Attendu que pour sa part, Monsieur Joseph Roger, intimé, conclut à la confirmation dudit jugement querellé en faisant valoir que la créance de 13.000.000 francs CFA dont se prévaut Monsieur F ne se justifie pas faute d’avoir une cause ; qu’en outre, selon lui, aucune des conditions suspensives qu’il invoque ne s’est réalisée, en ce que , précise-t-il, le marché de construction globale, comme convenu, ne lui a pas été attribué et donc il n’a pu convaincre sa banque pour le préfinancement souhaité ; qu’au demeurant, fait-il observer, le décompte de 34.340.663 francs CFA ne lui a pas encore été versé par la COOPEC ; qu’il conclut, dans ces conditions, à la confirmation pure et simple du jugement querellé ;
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus lors de l’examen des moyens de cassation articulés par le requérant et singulièrement ceux tirés de l’existence, en la cause, d’une clause compromissoire d’arbitrage donnant compétence à la Cour d’Arbitrage de COTE D’IVOIRE (CACI) pour régler « tout litige » se rattachant à l’exécution des travaux d’aménagement de l’agence COOPEC de la Commune d’Attécoubé, il échet d’annuler le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
Attendu qu’il y a lieu de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’Arrêt n°1205 rendu le 21 décembre 2004 par la Cour d’appel d’Abidjan ;
Evoquant et statuant au fond,
Annule le Jugement n°612 rendu le 04 mai 2004 par le Tribunal de première instance de Yopougon ;
Statuant à nouveau,
Se déclare incompétente ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Dit que chaque partie supportera ses propres dépens.
PRESIDENT : M. Antoine Joachim OLIVEIRA